Publications


Bulletin complet

avec revues de presse

Bulletin N° 287 | Février 2009

 
tags: Irak, élections, Turquie, UPK, Mor Gabriel, PKK, amnistie

ELECTIONS IRAKIENNES : PEU DE CHANGEMENTS DEPUIS 2005

Les élections provinciales en Irak, le mois dernier, se sont déroulées sans grande surprise puisque l'on avait pris soin d'écarter d'emblée du calendrier la province source du principal conflit arabo-kurde, à savoir Kirkouk. Hormis cela, peu de changements par rapport aux élections législatives de 2005, sauf la fin du boycott des partis sunnites, qui leur a permis de reprendre le contrôle des provinces où ils sont majoritaires, comme Anbar ou la Diyala, sans pouvoir, bien sûr, en raison de leur infériorité numérique, l’emporter sur les partis chiites.

Parmi ces derniers, le parti du Premier ministre actuel, Nouri Al-Maliki crée une certaine surprise en s’imposant de façon significative dans les régions où ses coreligionnaires sont majoritaires. C’est pourquoi de nombreux journaux ont présenté ce scrutin comme un triomphe du Premier ministre dans tout l'Irak. Cependant, si l'on regarde le détail des résultats, non province par province - celles-ci ayant été découpées et recousues par Saddam de façon à fragmenter les particularismes locaux - mais zone ethnique par zone ethnique ou confessionnelle, on voit que depuis 2005, rien n'a changé dans les choix politiques des régions. Les chiites et les sunnites votent pour leurs propres partis, et les Kurdes et les chrétiens votent, comme la dernière fois, pour une liste commune à Mossoul, où l’on enregistre même un net déclin du Parti démocratique assyrien, qui ne parvient pas à remporter un seul siège. La victoire incontestable de Maliki, alors qu'il est très attaqué pour ses velléités de pouvoir personnel par toute la classe politique irakienne, tient peut-être, comme disent certains, à ce que disposant des services de l'Etat et de l'appareil du pouvoir, il a pu faire campagne plus aisément. Mais son image de « vengeur des chiites ayant fait perdre Saddam Hussein », sa réputation d’indépendance par rapport aux listes religieuses et aux milices pro-iraniennes, ainsi que sa posture « d'Irakien national unificateur de l'Etat » (surtout en s’opposant au gouvernement kurde) a pu jouer également auprès des Arabes nationalistes très hostiles à une autonomie kurde. Sa liste, avec environ 20% des suffrages en moyenne est arrivée en tête dans 10 des 14 provinces votantes, sachant que les seules provinces potentiellement contestataires de la suprématie chiite au sein de l’Irak arabe sont les provinces sunnites, qui comprennent dans leur zones des districts arabes sunnites et qulques districts kurdes (Khanaqin, Makhmur) ou mixtes kurdes, shabaks, chrétiens et yézidis dans le cas de Ninive, Sinjar, Sheikhan. Ni Kirkouk ni la Région du Kurdistan ne participaient à ces élections.

Ainsi, dans les provinces à majorité arabe sunnite, comme la Diyala ou Ninive-Mossoul, si l'on regarde la totalité des votes par province, les sunnites l'emportent, car Saddam avait découpé ces régions de telle sorte que les Kurdes et les chrétiens soient disséminés et répartis entre des districts majoritairement arabes. Mais si l’on se reporte aux seuls résultats des districts à population kurde de la Diyala comme Khanaqin, on voit qu’ils ont voté pour l'Alliance kurde à près de 97%.

A Mossoul, les Arabes sunnites nationalistes l'emportent sur la rive droite, tandis que sur la rive gauche et au nord, la coalition kurdo-chrétienne fait front, évinçant certains groupes assyriens hostiles au Gouvernement d’Erbil. Les élections à Kirkouk devraient être organisées au cours de l'année 2009 mais l'application de leurs résultats n'est pas garantie du tout, car des mouvements arabes et turkmènes réclament avant le scrutin que les sièges du gouvernorat soient répartis entre les trois communautés à égalité, ce qui d'emblée, prive de sens toute élection. Cette immuabilité des votes depuis 2005 laisse augurer que les prochaines élections de Kirkouk donneraient, comme il y a 4 ans, la victoire aux Kurdes, chaque faction ethnique ou religieuse campant sur ses positions dès le début. Signe peut-être d'un début de règlement du conflit, le gouvernement irakien vient d'annoncer la tenue d'un futur recensement de la population dans tout le pays. Le recensement étant l'étape préliminaire indispensable à la tenue d'un référendum dans les régions kurdes ayant vocation à être rattachées au GRK, la première partie du processus prévu par l'article 140 serait donc remplie. Cela dit, comme le recensement concerne aussi la répartition, par le gouvernement fédéral, des revenus des ressources naturelles du pays par province en fonction de leur démographie, il ne pouvait plus être retardé indéfiniment, même à Kirkouk.

En attendant, le Gouvernement régional du Kurdistan prépare lui aussi une loi électorale pour la tenue de ses élections, législatives le 19 mai, et régionales vers la fin de l'année. Des dispositions réservant des sièges aux minorités chrétienne et turkmène ont été votées et pourraient être revues à la hausse, si le rattachement des districts revendiqués amène un nouvel afflux de chrétiens et de Turkmènes dans la Région. Il a donc été décidé que, pour le moment, 10 sièges leur seraient alloués d'office au Parlement mais que ce nombre serait revu à la hausse si les populations chrétiennes et turkmènes augmentaient. Les leaders turkmènes vivant dans la Région kurde se sont déclarés satisfaits des 5 sièges promis, même les représentants du Front turkmène, parti pourtant soutenu par Ankara et opposant virulent du retour de Kirkouk dans la Région kurde. Aussi, ces appréciations n’ont pas été du goût des dirigeants du Front turkmène basés à Kirkouk, qui ont qualifié leurs propos de « points de vue personnels ». Un autre élément pourrait changer la donne des élections au Kurdistan, traditionnellement dominées par la suprématie des deux grands partis : la crise interne qui frappe l'UPK, après la démission de 4 membres éminents du Bureau politique, qui protestent contre le « manque de démocratie et de transparence » à l’intérieur de leur parti. Les remous internes et le remplacement de certains membres UPK du gouvernement pourraient pénaliser ce parti aux prochaines élections. De plus, Nashirwan Mustafa, ancien haut dirigeant de l’UPK, qui a démissionné depuis 3 ans, pourrait présenter sa propre liste, ce qui viendrait donc concurrencer celle de l’UPK et pourrait attirer un vote « protestataire » des électeurs traditionnels de l’UPK qui ne souhaiteraient pas, pour autant, reporter leurs voix sur le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani. Enfin, le parlement d’Erbil a prévu un quota féminin obligatoire dans ses rangs, qui tournerait autour de 30% de sièges réservées aux femmes. Dans le même temps, pour signifier que la période 1992-2003, qui avait vu une « autonomie de facto » de la Région est bien terminée, le nom officiel de l’assemblé kurde n’est plus « Conseil national » mais Parlement du Kurdistan d'Irak.

RESULTATS DES ELECTIONS PROVINCIALES IRAKIENNES

N'ont pas voté : les 3 provinces du Gouvernement régional kurde (Duhok, Erbil, Sulaïmanieh) et Kirkouk.

Principaux partis ou listes : Alliance du Kurdistan : coalition des partis kurdes. Dawa - Etat de droit : liste d'Al Maliki. Fadhila ou Parti de la vertu islamique : parti chiite, allié des Sadristes. Fraternité Ninive : coalition kurdo-chrétienne. Al-Hadhaba-Liste Nationale : nationalistes arabes sunnites. Liste irakienne nationale : alliance laïque sunnites-chiites. Liste du mouvement indépendant libre : Parti de Moqtada Al-Sadr. Al-Mehrab ou Liste des Martyrs : parti chiite fondé par l'ayatollah Al-Hakim. Mouvement de la réforme nationale : parti de l'ancien Premier ministre chiite Jafaari. Rassemblement pour le projet irakien : parti sunnite. Sahwa - Coalition du réveil irakien : milices tribales sunnites. Tawafuq - Front de l'accord irakien : principal parti sunnite.

Gouvernorat de Bagdad : - Etat de droit : 38% - 28 sièges sur 55 - Front de l'accord irakien : 9.0% - 7 sièges - Liste du mouvement indépendant libre : 9.0% - 5 sièges - Liste irakienne nationale : 8.6% - 5 sièges - Rassemblement pour le projet irakien : 6.9% - 4 sièges - Liste des Martyrs : 5.4% - 3 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 4.3% - 2 sièges

Gouvernorat d'Al-Anbar (province à majorité sunnite) - Rassemblement pour le projet irakien : 17.6% - 6 sièges sur 29 - Coalition du réveil irakien : 17.1% - 6 sièges - Tribus et Coalition éduquée pour le Développement: 15.9% - 6 sièges - Mouvement national pour le développement et la réforme : 7.8% - 3 sièges - Liste irakienne nationale : 6.6% - 2 sièges - Liste irakienne de l'unité nationale : 4.6% - 2 sièges - Tribus de la Liste irakienne : 4.5% - 2 sièges - Intellectuels et universitaires irakiens : 3.2% - 1 siège - Mouvement national de la Justice : 3.2% - 1 siège - Bloc de la Patrie unique indépendante : 2.7% - 1 siège

Gouvernorat de Babil (province mixte chiite-sunnite ) - Etat de droit :12.5% - 7 sièges sur 30 -Liste des Martyrs : 8.2% - 5 sièges - Liste du mouvement indépendant libre : 6.2% - 3 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 4.4% - 2 sièges - Commission irakienne pour des organisations de la société civile indépendantes : 4.1% - 2 sièges - Association pour une Justice indépendante : 3.7% - 2 sièges - Bloc indépendant Ansar : 3.4% - 2 sièges - Liste irakienne nationale : 3.4% - 2 sièges -Unité nationale indépendante : 3.0% - 2 sièges - Civils : 2.3% - 1 siège - Front de l'accord irakien : 2.3% - 1 siège

Gouvernorat de Basra (province à majorité chiite) - Etat de droit : 37.0% - 20 sièges sur 34 - Liste des Martyrs :11.6% - 5 sièges - Rassemblement pour le projet irakien :5.5% - 2 sièges - Liste du mouvement indépendant libre : 5.0% - 2 sièges - Parti islamique : 3.8%- 2 sièges - Liste irakienne nationale : 3.2% - 2 sièges - Fadhila ou Parti de la vertu islamique : 3.2% - 1 siège - Mouvement de la réforme nationale : 2.5% - 1 siège

Gouvernorat de la Diyala : (province à majorité sunnite, mais comprenant Khanaqin et Makhmur, des districts kurdes rattachés par Saddam et faisant partie des régions revendiquées par le GRK) - Front de l'accord irakien: 21.1% - 7 sièges sur 29 - Alliance du Kurdistan : 17.2% - 6 sièges - Rassemblement pour le projet irakien : 15.0% - 5 sièges - Liste irakienne nationale : 9.5% - 3 sièges - Etat de droit : 6.0% - 2 sièges - Alliance nationale de la Diyala : 5.3% - 2 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 4.3% - 1 siège - Liste du mouvement indépendant libre : : 5.0% - 2 sièges 3.1% - 1 siège - Mouvement national pour la réforme et le développement : 2.6% - 1 siège - Parti de la vertu islamique : 2.3% - 1 siège

Gouvernorat de Dhi Qar : (province à majorité chiite) - Etat de droit : 23.1% - 13 sièges sur 31 - Liste du mouvement indépendant libre :14.1% - 7 sièges - Liste des Martyrs : 11.1% - 5 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 7.6% - 4 sièges - Parti de la vertu islamique : 6.1% - - Parti irakien constitutionnel : 3.2% - Liste irakienne nationale : 2.8% - Union indépendante de Dhi Qar : 2.2% - 2 sièges - Bloc national indépendant des tribus et intellectuels d'Irak: 2.0% -

Gouvernorat de Karbala (province à majorité chiite) - Youssef Mohammed al-Haboubi : 13.3% - 6 sièges sur 27 - Espoir des Rafidaïn : 8.8% - 4 sièges - Etat de droit : 8.5% - 4 sièges - Liste du mouvement indépendant libre : 6.8% - 3 sièges - Liste des Martyrs : 6.4% - 3 sièges - Rassemblement pour la Justice et la réforme : 3.6% - 2 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 2.5% - 1 siège - Parti de la vertu islamique : 2.5% - 1 siège - Rassemblement national pour les tribus d'Irak- Sainte Karbalah : 2.3% - 1 siège - Conseil indépendant des chefs tribaux et des figures éminentes du gouvernorat de Karbalah : 2.2% - 1 siège

Gouvernorat al-Qadisiyyah : (province à majorité chiite) - Etat de droit : 23.1% - 9 sièges sur 28 - Liste des Martyrs : 11.7% - 4 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 8.2% - 3 sièges - Liste irakienne nationale : 8.0% - 3 sièges - Liste du mouvement indépendant libre : 7% - 3 sièges - Parti de la loyauté islamique : 4.3% - 2 sièges - Parti de la vertu islamique : 4.1% - 2 sièges - Bloc indépendant des tribus unies de la Diwaniya : 3.4% - 1 siège - Conférence nationale irakienne : 3.0% - 1 siège - Civils: 2.3% - Parti constitutionnel irakien : 2.2%

Gouvernorat de Maysan : (province à majorité chiite) - Etat de droit : 17.7% - 8 sièges sur 27 - Liste du mouvement indépendant libre : 15.2% - 7 sièges - Liste des Martyrs : 14.6% - 7 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 8.7% - 4 sièges - Parti de la vertu islamique : 3.2% - 1 siège - Front de la modération nationale : 2.5% - Parti constitutionnel irakien : 2.5% - Liste irakienne nationale : 2.3% - Hezbollah d'Irak : 2.3% - Professionnels: 2.3% - Qualifiés de Maysan : 2.2% - Liste indépendante des Fils de l'Iraq: 2.2%

Gouvernorat de Muthanna : (province à majorité chiite) - Etat de droit :10.9% - 4 sièges sur 26 - Liste des Martyrs : 9.3% - 4 sièges - Liste Al Djoumhour : 7.1% - 3 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 6.3% - 3 sièges - Liste du mouvement indépendant libre : 5.5% - 2 sièges - Liste nationale indépendante : 5.0% - 2 sièges - Rassemblement pour Muthanna: 4.9% - 2 sièges - Rassemblement des qualifiés irakiens : 4.4% - 2 sièges - Rassemblement du Moyen Euphrate : 3.9% - 1 siège - Parti de la vertu islamique : 3.7% - 1 siège - Liste irakienne nationale : 3.5% - 1 siège - Mouvement de la Loyauté pour Muthanna: 3.1% - 1 siège - Conférence nationale irakienne : 3.0% - 1 siège - Conseil national des chefs de tribus et des figures éminentes d'Irak : 2.5% - Rassemblement pour le soutien social : 2.2% - Bloc indépendant Solidarité : 2.1%

Gouvernorat de Najaf : (province à majorité chiite) - Etat de droit : 16.2% - 7 sièges sur 28 - Liste des Martyrs :14.8% - 7 sièges - Liste du mouvement indépendant libre : 12.2% - 5 sièges - Loyauté pour Najaf: 8.3% - 4 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 7.0% - 3 sièges - Union indépendante de Najaf : 3.7% - 2 sièges - Tribus indépendantes et fils de Najaf: 2.6% - Figures nationales indépendantes : 2.4% - Tentes indépendantes : 2.3% - Mouvement Intifada 1991 pour le peuple de Sha’abaniya : 2.1% - Rassemblement indépendant de la réforme : 1.9% - Liste irakienne nationale : 1.8%

Gouvernorat de Ninive : (province à majorité sunnite arabe, importante population kurde, shabak, yézidie et chrétienne après le rattachement de leurs districts aux districts du sud de Mossoul). - Liste Nationale : 48.4% - 19 sièges sur 34 - Fraternité Ninive : 25.5% - 10 sièges - Parti islamique : 6.7% - 3 sièges - Front turkmène : 2.8% - 1 siège - Rassemblement pour le projet irakien : 2.6% - 1 siège - Liste des Martyrs : 1.9% - Liste de l'Unité nationale irakienne : 1.8% - Liste irakienne nationale : 1.8%

Gouvernorat de Salah ad-Din : (province à majorité sunnite) - Front de l'Accord Salahaddin : 14.5% - 5 sièges sur 28 - Liste irakienne nationale :13.9% - 5 sièges - Rassemblement du Projet national irakien : 8.7% - 3 sièges - Front du projet national irakien : 8.5% - 3 sièges - Groupe de l'Irak éduqué et scientifique : 6.0% - 2 sièges - Front turkmène : 4.8% - 2 sièges - Liste nationale Salah ad-Din : 4.6% - 2 sièges - Liste de la Fraternité et de la coexistence pacifique : 4.5% - 2 sièges - Front de la Libération et de la Construction : 4.5% - 2 sièges - Etat de droit (Liste d'Al Maliki) : 3.5% - 1 siège - Parti irakien constitutionnel : 3.2% - 1 siège - Liste des Martyrs : 2.9% - 1 siège - Mouvement national pour la réforme et le développement : 2.6% - 1 siège

Gouvernorat de Wassit : (province à majorité chiite) - Etat de droit :15.3% - 8 sièges sur 28 - Liste des Martyrs :10.0% - 5 sièges - Liste du mouvement indépendant libre : 12.2% - 5 sièges 6.0% - 3 sièges - Liste irakienne nationale : 4.6% - 2 sièges - Parti irakien constitutionnel : 3.9% - 2 sièges - Mouvement de la réforme nationale : 3.2% - 1 siège - Rassemblement indépendant de Wassit : 3.0% - 1 siège - Parti de la vertu islamique : 2.7% - 1 siège - Rassemblement indépendant des chefs tribaux et des figures éminentes de Wassit : 2.6% - 1 siège - Al-Khayr- Liste indépendante : 2.5% - 1 siège

TURQUIE : LA LANGUE KURDE ENJEU DES MUNICIPALES

A l'approche des élections municipales, il semble que le seul véritable suspens se joue entre l'AKP et le DTP, tant les autres partis turcs comme le CHP semblent hors course par rapport à l'écrasante suprématie de l'AKP, consacrée par les dernières législatives de 2007. Si, aux municipales, l'AKP obtient là encore plus de voix kurdes que le DTP, sa position s'en trouvera renforcée par rapport aux partis nationalistes. Alors qu'Ankara entame des négociations avec le Gouvernement régional du Kurdistan d'Irak, il ne serait pas mauvais pour lui d'apparaître en plus comme la force politique qui a, bon gré mal gré, la confiance de la majorité des Kurdes de Turquie. Ce ne serait pas non plus pour lui une mauvaise chose devant l'Union européenne, l'AKP se présentant ainsi, malgré les remontrances de l'UE, sur son immobilisme, comme le parti en Turquie qui pourrait être à même de régler la question kurde sans violence.

Sa stratégie politique est donc double : D'un côté, aide économique et distribution de denrées et produits de première nécessité divers, comme le charbon. En soi cette tactique n'a rien d'originale par rapport aux campagnes électorales de l'AKP dans l'ensemble du pays, qui appuie, comme beaucoup de partis religieux musulmans, modérés ou non, son assise populaire sur des actions sociales et concrètes. Mais l’autre aspect de sa politique concerne évidemment les revendications des Kurdes sur le droit d'usage (privé et publique, médiatique et administratif) de leur langue ainsi que son enseignement. Le lancement de la chaîne publique TRT6, diffusant 24h/24 des programmes en langue kurde, sans sous-titre turcs a été, de ce point de vue, un pas en avant pour certains, une manœuvre électorale pour le DTP qui, au lieu de reprendre cette victoire à son compte, alors que c’est une de ses plus anciennes revendications, en a tout dénoncé l'ouverture, comme un geste superficiel et purement opportuniste.

Aussi le DTP a-t-il très vite contre-attaqué, dans l’idée de mettre le gouvernement turc devant ses propres contradictions. Il a ainsi souligné que des affiches en kurde étaient régulièrement interdites, que des maires DTP avaient été démis de leurs fonctions pour avoir fait imprimer des phrases kurdes avec certaines des lettres de l’alphabet kurde interdites par la loi (q, w et x) et que des prénoms kurdes sont encore refusés pour les mêmes raisons. Le 24 février, le chef de file des députés DTP au Parlement, Ahmet Türk, a, pour la première fois depuis le serment prononcé en kurde par Leyla Zana en 1991, parlé dans sa langue maternelle dans une réunion de son groupe à l’assemblée nationale turque. La chaîne publique qui retransmettait les débats a alors interrompu ses programmes. Même si, évolution politique oblige, cela n'aura pas les mêmes conséquences judiciaires que pour Leyla Zana en 1991, Ahmet Türk a tout de même réussi à relancer le débat sur le statut de la langue kurde en Turquie : pourquoi un député kurde n'aurait-il pas le droit de s'exprimer dans sa langue maternelle, par exemple pour rappeler que le 21 février était proclamé jour des langues maternelles par l'UNESCO ? Le journaliste Ahmet Altan, ironise ainsi dans le quotidien turc Taraf : « Hier en parcourant les sites Internet des journaux et en regardant les journaux télévisés, j’ai cru qu’il venait de se passer quelque chose de terrible. Discours, déclarations, censure. Que s’était-il passé ? Ahmet Türk avait parlé en kurde devant son groupe à l’Assemblée. Dans notre pays une réalité aussi évidente qu’un Kurde parle kurde étonne. Je suis d’un pays dans lequel un Kurde s’exprimant en kurde est considéré comme un événement exceptionnel. Alors voyez, je vais lever un lourd secret. Les Kurdes parlent kurde. Les Turcs parlent turc. Les Anglais parlent anglais. Les Français parlent français. Et si on m’énerve encore, je pourrais continuer longtemps l’énumération. Pourquoi nous paraît-il aussi étrange qu’un Kurde parle kurde ? » Enfin, d’autres voix ont rappelé le récent meeting à Diyarbakir où le Premier minsitre turc avait adressé quelques mots de kurde à la foule.

Ahmet Türk, lui, a expliqué son geste comme « un vieux rêve », celui de pouvoir parler kurde au Parlement, en souvenir du temps où emprisonné à Diyarbakir, sa mère et lui ne pouvaient échanger un seul mot en kurde, seule langue qu'ils avaient en commun, mais interdite au parloir. Cela dit, Ahmet Türk ayant été élu député en 2007 il aurait donc attendu 2 ans pour « réaliser son rêve », qui apparaît surtout comme une réplique habile dans la campagne électorale autour des revendications kurdes, en obligeant l'AKP à surenchérir ou à sévir, ce qui aurait dans les deux cas des inconvénients : soit l'AKP froisse son électorat turc, soit il accentue la défiance kurde envers lui.

Mais cette manœuvre va-t-elle suffire à rattraper aux municipales le relatif échec de son parti aux législatives, où les Kurdes avaient tout de même voté en majorité AKP ? Le DTP peut-il retrouver le succès du HADEP en 1999, quand ce parti avait raflé les grandes villes kurdes de Diyarbakir, Van, Batman, Hakkari, Siirt, Bingol, et Agri ou bien réitérer le mauvais score du DEHAP quand, en 2004, son alliance contre nature avec le SHP turc lui avait fait perdre Van, Bingol, Agri, et Siirt? Un sondage paru dans Haber montre que Diyarbakir semble tout de même en voie de réélire son maire, Osman Baydemir. Le scrutin des autres villes kurdes est plus incertain. Jusqu'ici, le Kurdistan a voté assez largement pour des partis religieux musulmans (sauf le Dersim, région alévie), souvent à titre de protestation contre les autres partis turcs proches de l’armée et niant farouchement les droits des Kurdes.

L'AKP et sa politique de détente avaient insufflé en 2002 un certain espoir aux Kurdes, très las de la guerre et désireux d'améliorer leurs conditions de vie. Mais le net recul de toute initiative concrète depuis 2004, (hormis la création de TRT6) a évidemment déçu son électorat kurde qui n'a pas vu son niveau de vie s'améliorer beaucoup, le seul espoir de remède au chômage consistant pour le moment dans le développement économique de la Région du Kurdistan d'Irak. La question se pose donc des attentes des électeurs. Jusqu'ici, dans cette campagne, le DTP a plutôt eu une position sur la défensive (critiquer les gestes du gouvernement visant à accéder à ses propres revendications pour lui piquer son électorat) mais ses prises de position habituelles, à caractère très politique peuvent paraître assez loin du quotidien de ses électeurs potentiels, de leurs problèmes sociaux et économiques, alors que l’AKP s’est toujours présenté comme un parti économiquement et socialement pragmatique, même face aux autres partis turcs.

Quant aux retombées de la TRT6, ils sont présentés de façon contradictoire selon les média et leur sensibilité politique : Espoir de faire taire les armes si l'on en croit le journal Sabah, ou bien indifférence ou désintérêt sceptique parmi les Kurdes, selon Bianet. Cela n'empêche pas l'AKP de continuer à courtiser les provinces kurdes notamment en jouant la carte de l’islam. Ainsi à l'occasion de la fête anniversaire de Mohammad (Mawlid) a été diffusé un programme spécial sur TRT6, tourné dans la Grande Mosquée de Diyarbakir, avec prières, lectures du Coran et prêches d'imam en kurde, par un imam kurde, qui a insisté sur « l’unité et la fraternité dans l'islam. » Alors que le DTP a plutôt une image de parti de gauche (et donc laïque, voire athée) il a de même organisé une célébration de Mawild à Silvan, une ville voisine de Diyarbakir.

SULEÏMANIEH : A TROIS MOIS DES ELECTIONS, GRAVE CRISE INTERNE A L’UPK

Alors que les élections législatives approchent, l’UPK plonge dans la crise après que quatre hauts dirigeants, Saïd Qadir, Omar Saïd Ali, Jalal Jawhar et Othman Hadji Mahoud, aient démissionné du Bureau politique. Ils se plaignent que les réformes internes, demandées par une part importante de l’UPK, aient été refusées par ses dirigeants malgré leurs promesses. Ce n’est pas la première démission qui survient au sein de ce parti. Trois ans auparavant, Nawshirwan Mustafa, considéré comme le numéro 2 du parti, avait quitté ses fonctions pour fonder son groupe de presse. Il envisagerait aujourd’hui de se présenter avec une liste indépendante.

Le 14 février 2009, Kosrat Rassoul, le propre secrétaire général adjoint de Jalal Talabani et le vice-président de la Région du Kurdistan, avait aussi présenté sa démission avant de revenir sur sa décision, quand Jalal Talabani lui avait offert un meilleur artage du pouvoir au sein de son parti. Les quatre autres démissionnaires venaient de présenter 11 propositions pour réformer l’UPK, qui ont été refusées par Barham Salih, autre secrétaire adjoint, selon Faraydun Abdul Qadir, un ancien responsable qui a lui aussi démissionné en 2005. « Le parti vit une crise profonde sur plusieurs niveaux. Des réformes partielles et superficielles ne peuvent être le remède » a déclaré Jalal Jawhar, qui exige des « réformes radicales pour que le parti fonctionne démocratiquement et dans la transparence », ainsi que la réintégration de Nawshirwan Mustafa à son ancien poste de secrétaire général adjoint.

Voulant éviter une crise qui affaiblirait peut-être l’UPK aux législatives prochaines, Jalal Talabani a déclaré qu’il accédait aux demandes des démissionnaires, notamment « la transparence dans les finances de l'UPK qui seront désormais sous le contrôle du bureau politique, le remplacement de responsables du parti et de représentants de l'UPK au gouvernement régional, et enfin une supervision des services de renseignement du parti (jusqu’ici uniquement contrôlé par les hommes de Jalal Talabani) par un des deux vice-présidents. » Mais ces mesures, si elles ont fait changer d’avis Kosrat Rassoul, n’ont pas convaincu les quatre autres, malgré les tentatives de Kosrat Rassoul de les faire revenir sur leur décision. Quant à Jalal Talabani, occupé par ses fonctions à la présidence irakienne, il n’a pu intervenir directement au plus fort de la crise, étant en déplacement en Corée du sud.

Une des premières conséquences de la crise interne a été la démission de plusieurs membres UPK au sein du cabinet de Nêçirvan Barzanî, le Premier ministre du Kurdistan et une unification des trois ministères restant non rattachés à Erbil : celui des Peshmergas, qui revient à Jaffar Mustafa (UPK), celui de l’Intérieur, tenu par un membre du PDK mais avec Jalal Sheikh Karim au poste d’adjoint et Sheikh Bayaz (UPK) aux finances, en remplacement de Sarkis Aghajan. Omar Fatah, l’ancien vice-premier ministre est ainsi remplacé par Imad Ahmed, qui occupait jusqu’alors le fauteuil du ministère de la Reconstruction. Imad Ahmed fait aussi partie du Bureau politique de l’UPK. Le chef des Asayish (service de sécurité) de l’UPK) Seifedinne Ali Ahmad, a été lui aussi remplacé. Mais beaucoup de membres de l’UPK parmi les réformistes, jugent ces remplacements très insuffisants pour résoudre la crise interne. Pour Abdul Qadir, ancien haut responsable de l’UPK, « Les remplacements n'ont pu mettre fin au problème de Nawshirwan ou faire que les quatre dirigeants reviennent sur leur démission. Les remplacements (au sein du Gouvernement du Kurdistan) ne pourront empêcher la démission des membres les plus actifs de l'UPK dans l'avenir. Un changement réel passe d'une situation terrible à une situation positive. J'attendais que ces changements commencent par une réconciliation générale avant que des remplacements ne surviennent. »

Selon Feridun Abdul Qadir, la multiplication de listes indépendantes, notamment celle de Nawshirwan Mustafa peut faire craindre une série de « tensions durables » qui compromettraient l’équilibre politique de toute la Région du Kurdistan. Ainsi, pour Farid Asasard, membre dirigeant de l'UPK, à la tête du Centre du Kurdistan pour les études stratégiques, ce conflit et l’affaiblissement de l’UPK inquiète beaucoup le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), pourtant son rival historique, car cela pourrait mettre fin à la coalition kurde actuelle qui, depuis la chute du régime de Saddam, tient bon devant les autres partis irakiens. Selon Asasard, la crise trouve son origine dans la structure même de l’UPK : « A l'origine, ce parti ne s'est pas formé comme un véritable parti mais plus comme la coalition de plusieurs partis. Dans de telles organisations, il n'y a pas d'unité et les membres ont des idéologies différentes. L'UPK a été fondée de cette façon et a continué ainsi jusqu'en 1992, quand il a été décidé que ces bases devaient changer ; l'UPK est alors devenu un parti. Les trois ailes de l'organisation se sont ainsi unifiées en un seul parti mais ce faisant, elles ont aussi hérité des problèmes inhérents aux partis. Ces problèmes sont visibles aujourd'hui et la raison pour laquelle ils durent depuis si longtemps est que les trois ailes ne se sont jamais vraiment fondues dans l'UPK. » Pour Abdul Qadir, les tensions résultent surtout de la façon dont le Bureau politique prend ses décisions et traitent avec ses membres : « Tous ceux qui ont démissionné occupaient des positions élevées. Ils ne pouvaient donc se plaindre à ce sujet. Mais dans tous les partis il y un point très important qui est celui des prises de décision. Si les décisions prises ne représentent pas toutes les idées de tous les membres, et si elles sont imposées aux membres, peu à peu une situation émergera, où les gens se sentiront étrangers dans leur propre parti… Cela est dû aux procédures et aux méthodes d’administration du Parti. »

Quant à la réintégration de Nawshirwan Mustafa, réclamée par les réformistes, elle ne semble pas en bonne voie. A l’origine dirigeant du Komala, un des mouvements unifiés au sein de l’UPK, Mustafa avait pris la décision de le dissoudre, mais, ce faisant, selon Asasard, il a commis une erreur de jugement politique : « Au milieu des années 1980 Nawshirwan avait cessé de croire au marxisme et à une idéologie révolutionnaire. De sorte que dissoudre le Komala lui a paru normal. Mais il n'a peut-être pas songé aux conséquences de cette dissolution. Il n'a pas pris en compte le fait que le Komala était la base de son pouvoir au sein de l'UPK et qu'il se privait ainsi de cette assise. A présent, 17 ans après avoir dissous le Komala, il dit que cette décision a été une erreur. Je crois aussi que Nawshirwan a commis une faute historique et s'est privé lui-même de la source de son pouvoir. »

Faraydoun Abdul Qadir, ancien responsable du Komala, qui avait lui aussi participé à cette dissolution, confirme cette « erreur politique » et y impute une partie des dérives autoritaristes du Bureau politique, reprochée par certains membres : « L'UPK avait certains aspects qui amenaient une forme de décentralisation. Tout le temps qu'a duré le Komala, Talabani était vraiment notre frère le plus digne, le leader du mouvement et la figure de proue de l'UPK, mais dans le même temps, Nawshirwan était l'autre leader et non le second du parti. Ainsi, il y avait une forme de décentralisation dans l'UPK et l'autorité n'était pas monopolisée. » Ultime tentative d’apaiser la crise, Jalal Talabani aurait offert 6 sièges parlementaires à Nashirwan Mustafa et sa liste, souhaitant ainsi former une coalition. Mais des sources proches de l'aile réformiste de l'UPK affirment que l’ancien dirigeant du Komala souhaite rester dans l'opposition et refusera donc l’offre de Jalal Talabani. Quant aux 4 démissionnaires, Saïd Qadir, Omar Saïd Ali, Jalal Jawhar et Othman Hadji Mahoud, ils ont confirmé leur démission démentant ainsi les rumeurs d'un possible retour à leurs fonctions.

TURQUIE : ENQUÊTE SUR DES CHARNIERS A SIRNAK

Une autre enquête a été ouverte dans la province de Şırnak sur l’existence de charniers, appelés « fosses de la mort », contenant les corps de près d’une centaine de civils qui auraient été tués par la gendarmerie dans les années 1990. L’existence de ces fosses communes était soupçonnée depuis longtemps par les Kurdes de la région, dont beaucoup ont perdu des proches dont on n’a jamais retrouvé les corps. Ces assassinats sont imputés au JITEM, un corps de gendarmerie clandestin créé à la fin des années 1980, affecté à la lutte contre le PKK et le « séparatisme kurde » et dont les exactions et la terreur qu’il a fait régner au Kurdistan sont de notoriété publique.

Le JITEM est accusé de nombreux enlèvements et exécutions sommaires, et d’avoir fait disparaître les corps, notamment dans de l’acide, ou bien en les brûlant ou les enterrant dans des charniers secrets. Jusqu’ici, l’Etat turc niait jusqu’à l’existence du JITEM et l’ouverture d’une telle enquête montre un changement dans l’opinion publique en Turquie. Les crimes du JITEM ont été confirmés par des anciens membres des forces turques, arrêtés lors des coups de filet dirigés contre le réseau Ergenekon, par exemple Abdülkadir Aygan, qui appartenait au JITEM ou Tuncay Güney, acteur majeur d’Ergenekon. L’association des avocats de Şırnak Bar a porté plainte après les déclarations de Tuncay Güney à la police, faisant état précisément de ces corps brûlés à l’acide ou enterrés.

Emin Aktar, président de l’association du Barreau de Diyarbakir est aussi d’avis que cette période sombre du Kurdistan de Turquie doit absolument faire l’objet d’une sérieuse enquête judiciaire et que les corps retrouvés doivent être examinés par des médecins légistes, notamment pour les identifier, notamment au moyen de leur ADN. Dès le mois de janvier 2009, le bureau du procureur de Silopi a autorisé la tenue d’une enquête.

En parallèle à cette affaire, depuis le 9 février, un des principaux survivants de l’accident (et du scandale) de Susurluk, l’ancien chef de la police et ancien ministre de l’Intérieur Mehmet Ağar, passe enfin en jugement, 13 ans après l’accident de voiture qui avait mis en lumière les liens étroits entre la mafia turque, les services spéciaux de sécurité à l’œuvre au Kurdistan de Turquie et l’extrême droite. Le 3 novembre 1996, en effet, à Bursa, une voiture qui transportait Abdullah Catlı, un militant ultra-nationaliste, et sa compagne, Hüseyin Kocadağ, chef de la police, Mehmet Ağar et Sedat Edip Bucak, tous deux députés du Doğru Yol Partisi, le parti du président Süleyman Demirel, heurte un camion. Les trois premiers passagers furent tués, les autres blessés. Ce scandale fut rapidement relayé par la presse turque et l’opinion publique réagit alors vivement, notamment en organisant dans les grandes villes un black-out quotidien en éteignant les lumières tous les soirs à 21 heures. On a commencé alors à parler ouvertement « d’Etat profond » et Mehmet Ağar dut démissionner de son poste ministériel. Mais en tant que député il bénéficiera d’une immunité parlementaire qui lui a évité, jusqu’à ce jour, d’être traduit en justice, en se faisant réélire 13 années durant. Cependant les élections législatives anticipées de 2007 furent désastreuses pour son parti actuel, le DP (une unification du DYP et de l’ancien ANAP) qui n’a pu franchir la barre des 5% nécessaires pour entrer au parlement. Mehmet Ağar comparait donc devant la justice, accusé d’avoir couvert, dans les années 1990, les activités des sections spéciales et clandestines de la police turque, notamment de nombreux assassinats dans les régions kurdes. Il plaide non coupable et nie que Sedat Bucak, l’autre député qui a réchappé à l’accident, ou bien ses anciens collaborateurs Korkut Eken ou Ibrahim Şahin, compromis eux aussi dans le scandale, soient également impliqués dans les milliers de meurtres dans le Sud-Est. Il est à noter qu’Ibrahim Şahin vient tout juste d’être arrêté dans le cadre de l’affaire Ergenekon, et que tous sont liés au JITEM et à ses exactions qui ont terrorisé les régions kurdes dans les années 1990.

MIDYAT : UN ANCIEN MONASTERE SYRIAQUE MENACE PAR L’ETAT TURC

Un des plus vieux monastères du monde encore en activité, le monastère Mar Gabriel, près de Midyat, est menacé d’expropriation par l’Etat ainsi que les villages qui l’entourent. Fondé en 397, Mar Gabriel qui est le siège de l'évêché syriaque orthodoxe du Tour Abdin, et son évêque actuel en est Mgr Timotheos Samuel Aktash.

Le Tour Abdin est un des plus anciens et des plus prestigieux lieux d'occupation du christianisme oriental, ayant pour limites Diyarbakir au nord et Mardin à l'ouest, s'échelonnant tout le long du Tigre, entre Hasankeyf, Nusaybin, Cizre. En raison de sa position frontalière avec la Syrie et l'Irak, la région a souffert des affrontements entre le PKK et l'armée turque. La population, qui comptait 130 000 Syriaques dans la région dans les années 1960 est aujourd'hui tombée à près de 3000. Mais à présent que la guerre s'apaise, que les touristes reviennent, et que même des Syriaques viennent se réinstaller et restaurer Midyat ou Igdil, le monastère est aujourd'hui menacé de spoliation. Loin d'être inoccupé et semi-ruiné, comme nombre de bâtiments chrétiens en haute Mésopotamie, Mar Gabriel abrite encore 3 moines, 14 moniales et 35 étudiants. C'est en effet un des centres culturels et religieux où l'on continue d'enseigner la langue et l'histoire des Syriaques. Le monastère reçoit aussi la visite annuelle de plusieurs milliers de touristes et de pèlerins.

Mais depuis août 2008, trois chefs de villages musulmans voisins, membres de milices gouvernementales, ont accusé ce monastère de « prosélytisme », en prenant pour prétexte la présence de ces 35 jeunes étudiants, pourtant tous syriaques d’origine. Leur plainte a été rejetée par le tribunal, mais les chefs de village sont revenus à la charge, en réclamant les terres du monastère. Le motif invoqué ne manque pas de piquant si l’on considère l’ancienneté de Mar Gabriel puisque les plaignants prétendent qu'à l'origine, avant la construction des bâtiments chrétiens, se trouvait une mosquée. Rappelons que l'église a été fondée en 397, que les plus vieux bâtiments conventuels ont été bâtis dans les années 400-401, ce qui est attesté par toutes les chroniques historiques et même les documents officiels de l’Empire ottoman... Son statut juridique de fondation est d’ailleurs reconnu dans le Journal Officiel de la République turque (24.01.2003).

Mais un mur qui enserre les terres et le monastère, construit dans les années 1990 pour le protéger des combats entre le PKK et l’armée, seraient, selon les gardiens de village et les maires AKP, les fondations d’une mosquée. Les mêmes villages voisins avaient d’ailleurs fait main basse sur des terres tenues par des Yézidis. Un député suédois d’origine syriaque, Yilmaz Kerimo, désigne ouvertement dans une lettre adressée au gouvernement turc, le principal instigateur de ces persécutions : le père d’un député AKP de la région qui est aussi un commandant de miliciens « gardiens de village.

Car l'Etat turc n'est pas innocent dans cette affaire. Conjointement à la réclamation des maires locaux pour activités anti-islamiques et vols de terre, les fonctionnaires du cadastre ont voulu, en 2008, redessiner les limites des propriétés d'Etat en décrétant que les terres autour de Mar Gabriel étaient finalement des « forêts publiques ». « Il y a une campagne constante pour casser le dos du peuple syriaque et fermer le monastère », dit Daniel Gabriel, directeur de l'Alliance universelle syriaque (section droits de l'homme) basée en Suède, en soulignant que si le gouvernement turc voulait vraiment protéger la communauté syriaque, il mettrait fin à ces manœuvres procédurières. Selon David Gelen, les religieux de Mar Gabriel, l'évêque, les moines et les moniales sont en butte à une campagne d'intimidations et directement menacés par les villageois, si bien qu'ils n'osent même pas se présenter eux-mêmes au tribunal ou se défendre d'une façon ou d'une autre, ne se sentant peut-être guère assurés d'une protection légitime de la part des autorités locales : « En Turquie, la liberté religieuse est garantie par la constitution. Mais ceux qui ne sont pas reconnus en tant que minorités n'existent pas, en termes pratiques. Les Syriaques, contrairement aux Grecs et aux Arméniens, ne sont pas reconnus comme minorité religieuse, bien qu'ils vivent ici depuis des millénaires. Le but de ces menaces et de ces procès est d'opprimer cette minorité et de l'expulser de Turquie, comme un corps étranger. »

Le 11 février, l'Union européenne doit aborder avec la Turquie la question des droits de l'homme et de la liberté de culte pour les minorités non-musulmanes en Turquie. « Nous espérons que nos droits seront reconnus », déclare David Gelen, « mais nous sommes convaincus que pour l'Etat turc, le temps est venu de reconnaître, d'accepter et de protéger la multiplicité culturelle du pays, au lieu de la combattre. La Turquie doit décider si elle veut préserver une culture vieille de 1600 ans, ou anéantir les derniers vestiges d'une tradition non-musulmane. Ce qui est en jeu est le multiculturalisme qui a toujours caractérisé cette nation, depuis l'Empire ottoman »

Comme les Kurdes, les chrétiens syriaques de haute Mésopotamie ont été dispersés et divisés entre quatre Etats : la Syrie, la Turquie, l'Irak, l'Iran. Le Traité de Lausanne aurait dû les protéger mais ses différentes clauses concernant la protection des minorités religieuses, n'ont, en ce qui les concerne, jamais été respectées. Comme les Kurdes, ils sont pourtant fortement unis par la langue, une histoire et une culture communes. Et au rebours des Kurdes, ils sont unis par une seule religion, même si leurs églises sont ultra-fragmentées. Par contre, là aussi au contraire des Kurdes, ils n'ont pas réellement de continuité territoriale dans leur peuplement, et cette dispersion ne s'est pas arrangée avec le génocide. Aussi dépendent-ils du bon vouloir des Etats pour les protéger contre la cupidité locale. « Comme l'histoire nous l'enseigne, la religion a toujours eu un rôle dominant dans la civilisation, constate Yashar Ravi, président de la communauté syriaque orthodoxe d'Antioche. « La nôtre est sans aucun doute celle d'un peuple très religieux, et nous sommes fiers de parler la langue de Jésus : cette langue qui a été, en termes de diffusion, l'anglais du Moyen-Orient. » Apparu au XIIème siècle avant J.C, l'araméen s'est peu à peu répandu en temps que lingua franca, langue de culture, langue religieuse, langue diplomatique et langue impériale avec les dynasties perses. Seul le grec a eu autant de prestige et de diffusion dans l'Antiquité orientale.

Une audience s’est tenue le mercredi 11 février à Midyat, opposant la Turquie aux moines, puisque le plaignant au civil est le Trésorier de l’État et le ministre turc de l’Intérieur, le plaignant au pénal. Les plaintes de la Turquie reprennent la thèse du « monastère bâti sur une mosquée », ainsi que celle de la « forêt » entourant les bâtiments, qui n’est en fait pourvue que de quelques buissons... A l’ouverture de l’audience, plusieurs représentants d’ONG de défenses des droits de l’Homme, de Christian Solidarity International (CSI) et de plusieurs journalistes, ce qui a irrité les autorités qui ont publiquement menacé, en la personne d’un policier et d’une interprète sur place : « Si vous ne quittez pas le tribunal immédiatement, ça va mal se terminer pour les chrétiens dont vous vous occupez ! » La salle d’audience a été délibérément choisie, selon les observateurs, pour ses dimensions réduites de façon à empêcher les observateurs de s’y tenir. Les délégations étrangères et la presse ayant été expulsées de force, seuls les représentants des Ambassades de Finlande, des Pays-Bas et de Suède à Ankara, ainsi que le délégué de l’Église Luthérienne de Norvège ont pu rester.

Pour contrer l’allégation de la « mosquée antérieure » la défense a présenté les documents prouvant l’existence du monastère depuis l’antiquité tardive. Les droits de propriété des terres entourant le monastère ont été confirmés, et même étendus, sous l’Empire ottoman. Les documents remis au juge ont été alors transmis au ministère de l’Agriculture. Puis le tour est venu de l’administration des Finances de Midyat qui prétend qu’une « forêt d’Etat » est illégalement occupée par Mar Gabriel. Car selon la loi turque, toute terre boisée doit rester propriété publique du Trésor de l’État. Mais sur place il est aisé de se rendre compte qu’il n’y a aucune forêt, seulement des zones arides, rocheuses, avec quelques buissons. Malgré cela, le tribunal a demandé qu’une expertise soit menée avant le 4 mars par un botaniste, aux frais du monastère, afin de prouver qu’il ne s’agit pas là d’une forêt.

Dans le même bâtiment, au même étage, un autre procès, relevant de la juridiction pénale et non plus civile, a débuté le même jour. Le procureur accuse l’administrateur du monastère, Kyriakos Ergün, d’ « activités insidieuses » pour avoir érigé un mur autour des bâtiments conventuels, afin de le protéger des attaques du PKK et des « gardiens de village ». Il a été accordé à Kyriakos Ergün un délai allant jusqu’au 6 mars pour prouver qu’il n’avait pas d’intention nuisibles en faisant bâtir ce mur de faible hauteur.

Depuis le coup d’Etat militaire de 1960, près de 50 chrétiens, dont des maires, des prêtres, des enseignants aussi bien que de simples paysans ont été assassinés dans le Tur Abdin, sans que les auteurs de ces meurtres aient été poursuivis. En plus des média assyriens et chaldéens, une campagne pour sauver le monastère a été lancée par plusieurs media kurdes et turcs, dont le journal Evrensel, qui a publié depuis novembre 2008 une série d’articles pour attirer l’attention de l’opinion publique sur la situation des Syriaques du Tur Abdin. Une pétition, en turc et en anglais, a également été lancée sur Internet pour protester contre cette spoliation. La pétition fait le lien entre la disparition programmée de la ville de Hasankeyf et les attaques contre le monastère, en y voyant une même volonté d’éradiquer la richesse culturelle et historique de la haute Mésopotamie.

ERBIL : POURPARLERS AUTOUR D’UNE POSSIBLE AMNISTIE DU PKK ?

Lors d’une conférence de presse, Burak Özügergin, le porte-parole du ministre turc des Affaires étrangères a repoussé l’idée d’une amnistie accordée aux combattants kurdes du PKK, sans toute fois écarter qu’une initiative de ce genre ne serait jamais proposée un jour, en contrepartie d’un cessez-le-feu total. « Nous évaluons quelles sortes de mesures pourraient être prises en accord avec toutes les institutions concernées » a déclaré évasivement Burak Özügergin, en réponse aux journalistes qui l’interrogeaient précisément sur la question de l’amnistie. « Nous évaluons également ces mesures avec nos interlocuteurs, dans le cadre d’un mécanisme tripartite, ou bipartite, ou bien avec l’Union européenne. »

Par mécanismes « tripartite » ou « bipartite », il faut entendre les efforts conjoints des USA, de l’Irak, et même du Gouvernement régional kurde pour que le PKK fasse redescendre ses combattants des montagnes, notamment celles du Kurdistan d’Irak. Jusqu’ici, aucune opération militaire n’a pu réussir, malgré les renseignements fournis par les Etats-Unis sur les mouvements du PKK Un centre de forces tripartite a été installé à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, regroupant donc des représentants américains, turcs et irakiens, ayant pour tâche d’éradiquer les bases de Qandil. Des représentants du Gouvernement régional kurde ont été aussi inclus dans ce centre, et il ne fait pas de doute pour de nombreux experts internationaux, que les Kurdes d’Irak, notamment le parti démocratique du Kurdistan, dont le président est Massoud Barzani, ne servent d’intermédiaires dans d’éventuelles négociations entre le PKK et les représentants des trois Etats. Une des solutions envisageables serait donc que le PKK dépose définitivement les armes, en échange d’une amnistie.

Selon le journal turc Taraf, même l’armée turque, qui a été longtemps formellement opposée à toute solution autre que militaire à ce conflit, ne formulerait plus autant d’objections. Ce même journal fait état d’un rapport des services secrets qui enregistrait, le 20 janvier dernier, des « progrès » dans les pourparlers entre le PKK et le PDK, portant notamment sur cette amnistie. De plus, le gouvernement d’Erbil envisage la tenue d’une grande conférence internationale, à laquelle participeraient « les représentants de tous les Kurdes dans le monde » pour trouver une solution au problème du PKK et l’amener à déposer les armes. S’exprimant sur la force tripartite récemment installée à Erbil, Burak Özügergin a indiqué que « plusieurs arrangements » avaient été pris entre la Turquie, les Etats-Unis, le gouvernement irakien, et la Région kurde, sans donner de date ni de détails sur le déroulé des opérations envisagées. Mais le porte-parole des Affaires étrangères turques a fait état de réunions mensuelles avec, du côté turc, des membres de l’état-major et des attachés militaires ainsi que des membres civils de l’ambassade turque à Bagdad. Quant au ministre turc des Affaires étrangères, Ali Babacan, il préside à des entretiens trimestriels dans le cadre de ce mécanisme tripartite.

Taraf cite également un rapport publié par un magazine kurde qui paraît à Suleïmanieh, Livin, décrivant avec force précisions l’implantation militaire turque dans la Région kurde. Il donne ainsi le chiffre de 3235 hommes, installés dans 13 bases militaires au Kurdistan d’Irak. Selon Livin, la plus importante de ces bases, en termes d’effectifs, est à Qanimasi, dans la province de Dohuk, à 8 kilomètres de la frontière turque. Mais celle qui dispose de la plus grande capacité logistique et de renseignements est située à Bamarné, toujours dans la province de Dohuk, à 40 kilomètres de la frontière turque. Le rapport détaille ainsi les effectifs humains, qui comprendraient 2564 soldats, 91 officiers, 240 membres affectés aux « opérations spéciales » et 340 gendarmes, tandis que 20 agents des services secrets seraient installés à Batuffa, sous le commandement d’un colonel. Quant au matériel militaire, il comprendrait 58 chars d’assaut, 27 véhicules blindés, 31 canons à longue portée, 26 lance-mines, 17 lance-roquettes, 10 armes antiaériennes (des mitrailleuses de 12.7 mm), 40 véhicules militaires, 13 mitrailleuses, deux paires de jumelles à vision nocturne, deux trépieds pour jumelles, 10 fusils Sniper, une bombe Atar, quatre téléphones satellite, deux postes radio Racal, deux treuils et deux silencieux.