En Irak, les milices chiites pro-Iran tentent de surmonter leur revers électoral

mis à jour le Lundi 25 octobre 2021 à 15h46

 Lemonde.fr | Par Hélène Sallon (Beyrouth, correspondante)

Les factions de la Mobilisation populaire, qui ont perdu deux tiers de leurs sièges lors des législatives, multiplient les recours contre les résultats et les sit-ins devant la zone verte de Bagdad, pour être intégrées dans le prochain gouvernement.

A peine quelques centaines de combattants des unités de la Mobilisation populaire (MP) campent devant la zone verte de Bagdad. A l’appel des chefs des factions chiites proches de l’Iran, qui forment le noyau dur de ce mouvement, ils ont installé, le 19 octobre, leurs tentes aux portes de la zone ultrasécurisée de la capitale irakienne, pour protester contre la « fraude » aux élections législatives du 10 octobre. La coalition Al-Fatah, leur vitrine politique, a enregistré un cuisant revers lors de ce scrutin, perdant deux tiers des quarante-huit sièges obtenus en 2018. Ses chefs refusent d’accepter la défaite qu’ils l’imputent à une « escroquerie » orchestrée par le gouvernement de Mustafa Al-Kadhimi, avec le soutien de Washington.

Dans les urnes comme dans la rue, l’ascension politique des partis-milices chiites pro-iraniens semble pourtant bien marquer le pas. « Les groupes de la muqawama [l’axe de la résistance pro-iranien] n’ont jamais été populaires en Irak, leur base de soutien est limitée. Le scrutin de 2018 était l’exception : ils ont tiré profit de leur rôle dans la victoire contre l’Etat islamique », analyse Hamdi Malik, chercheur associé au Washington Institute.

Durant les trois années pendant lesquelles elle a été la deuxième force politique au Parlement et a géré plusieurs ministères, la coalition Al-Fatah n’a pas convaincu. Ses responsables « ont échoué à fournir des services publics. Ils sont accusés de corruption à grande échelle et leur affiliation avec l’Iran déplaît à de nombreux Irakiens, nationalistes », ajoute M. Malik. Leur rôle dans la répression du mouvement de contestation antipouvoir, apparu en octobre 2019 à Bagdad et dans le Sud chiite, qui a fait plus de six cents morts, les a condamnés aux yeux de la population.

Déclarations incendiaires

Cette désaffection de la rue chiite s’est doublée d’une stratégie électorale vouée à l’échec. Depuis sa formation, en 2018, la coalition Al-Fatih n’est pas parvenue à surmonter ses divisions. La rivalité qui oppose ses différents chefs, ainsi que les factions armées au sein de la MP, a été exacerbée par l’assassinat par une frappe de drone américaine, en janvier 2020, du général iranien Ghassem Soleimani et de son lieutenant en Irak, Abou Mahdi Al-Mohandes. Ces antagonismes se sont traduits par une dispersion des candidats aux législatives d’octobre. Dans certaines circonscriptions, plusieurs listes issues de la coalition Al-Fatah se sont ainsi retrouvées en compétition. Les brigades du Hezbollah, la faction armée la plus proche de Téhéran, ont fait cavalier seul avec leur nouveau parti, Al-Houqouq (« Les droits »).

« Il y a d’importantes discussions internes au sein de la muqawama. Certains groupes radicaux comme les brigades du Hezbollah ou la Ligue des vertueux [Asaïb Ahl Al-Haq] imputent la défaite à Hadi Al-Améri, le chef du parti Badr. Al-Houqouq est accusé d’avoir éparpillé les votes. Ce qui est intéressant c’est que, parmi les partisans ordinaires de la MP, nombreux sont ceux qui ne croient pas à cette histoire de fraudes qu’ils agitent », note M. Malik.

Dès la publication des résultats préliminaires, le 17 octobre, les candidats d’Al-Fatah ont déposé des recours pour exiger un recomptage des votes, qui devrait prendre plusieurs semaines. Les chefs de ces partis multiplient les déclarations incendiaires pour dénoncer des « violations majeures » et des « résultats fabriqués ». Ils y voient une « opération organisée » par la commission électorale et le gouvernement, avec le soutien des Etats-Unis et des Emirats arabes unis.

« Mettre la pression sur Sadr »

« Leur stratégie vise à obtenir des postes au sein du prochain gouvernement, et ces manifestations n’ont d’autre objectif qu’exercer une pression sur Moqtada Al-Sadr pour qu’ils négocient avec eux pour la formation du gouvernement », poursuit M. Malik. Crédité de 73 sièges sur 329, Moqtada Al-Sadr, leur principal rival dans le camp chiite, a déjà revendiqué la victoire et détaillé ses exigences pour former une coalition gouvernementale. Il a pris à partie les milices chiites, en exigeant leur désarmement, et tendu la main à Washington. Ses déclarations ont suscité l’ire des formations pro-iraniennes qui exigent le départ des troupes américaines d’Irak et refusent que les 160 000 combattants de la MP, une force gouvernementale indépendante, soient intégrés aux autres forces régulières.

Leurs chefs n’ont toutefois pas intérêt à aller à l’escalade. Bien qu’en recul les formations pro-iraniennes devraient constituer une force politique non négligeable au Parlement, avec la cooptation d’élus indépendants et de députés des minorités, et pouvoir négocier leur participation au gouvernement. Leur principal allié chiite, Nouri Al-Maliki, qui a obtenu trente-sept sièges (contre vingt-cinq en 2018), n’est pas prêt à les suivre dans la contestation du scrutin. Tous devront compter avec Moqtada Al-Sadr, qui dispose d’une base de plusieurs millions de personnes mobilisables sans difficulté et d’une milice lourdement armée.

L’Iran ne veut pas davantage d’une confrontation entre les groupes chiites en Irak, qui pourrait créer le chaos à ses frontières. « La stratégie iranienne est de mettre la pression sur Sadr pour qu’il s’accorde avec la “maison chiite” pour choisir un premier ministre et former ensemble un gouvernement », estime M. Malik. Téhéran veut à tout prix empêcher que le chef populiste chiite ne s’allie avec les vainqueurs dans les camps kurde et sunnite, Nechirvan Barzani et Mohammed Al-Halboussi. Tandis que les négociations vont bon train en coulisses, les chefs de la MP ont déjà commencé à modérer leurs discours, en appelant leurs partisans à ne pas bloquer les routes.