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Öcalan, l'icône kurde condamnée au silence


Samedi 17 février 2024 à 05h00

Istanbul, 17 fév 2024 (AFP) — "L'oncle qui incarne la cause": vingt-cinq ans après sa capture par les services secrets turcs, Abdullah Öcalan, chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), reste depuis sa cellule le visage incontournable de la rébellion kurde.

L'ennemi public numéro un d'Ankara, arrêté le 15 février 1999 au Kenya au terme d'une traque acharnée, s'apprête à fêter ses 75 ans à l'isolement début avril sur l'île-prison d'Imrali, en mer de Marmara, au sud d'Istanbul.

Son dernier contact avec l'extérieur fut un bref échange téléphonique avec des proches fin mars 2021. Ses avocats n'ont eux "aucune nouvelle" depuis le 7 août 2019, "ni par téléphone ni par fax", a indiqué à l'AFP l'un de ses conseils, Ibrahim Bilmez, affirmant n'avoir "aucune idée de son état de santé".

Cette année-là, les autorités avaient autorisé ses avocats à lui rendre visite, une première depuis 2011, après que des milliers de détenus eurent observé une grève de la faim pour protester contre son isolement.

Malgré l'enfermement et le silence, celui que ses fidèles appellent "Apo" ou "Serok" ("oncle" et "chef", en kurde) continue d'incarner la rébellion kurde en Turquie, où le conflit entre le PKK et l'Etat a fait plus de 40.000 morts depuis 1984.

Son aura perdure également en Europe, où des réfugiés kurdes brandissent à longueur d'années des drapeaux et pancartes frappés de son visage rond à l'épaisse moustache noire -- bien que les dernières images du leader kurde, vieilles d'une décennie, montrent un homme à la moustache et aux cheveux blanchis par l'âge.

- perpétuité -

Né le 4 avril 1949 dans une famille paysanne de six enfants dans le village d'Omerli, à la frontière syrienne, Abdullah Öcalan s'engage à l'extrême gauche pendant ses études en sciences politiques à Ankara, ce qui lui vaut un premier séjour en prison en 1972.

En 1978, il fonde le PKK, d'obédience marxiste-léniniste. Deux ans plus tard, c'est l'exil, le plus souvent à Damas ou dans la plaine libanaise de la Bekaa alors sous contrôle syrien, où il installe son quartier général.

"Apo" décide en août 1984 d'engager la lutte armée pour obtenir la création d'un Etat kurde.

Aux attaques du PKK répond la répression d'Ankara. Le sud-est du pays est plongé dans un état de quasi-guerre civile, contre un groupe considéré comme "terroriste" par la Turquie, les Etats-Unis et l'Union européenne.

Contraint en 1998 de quitter la Syrie sous la pression turque, il erre dans toute l'Europe avant d'être capturé par les services secrets turcs à la porte de l'ambassade de Grèce à Nairobi, au Kenya.

Ramené en Turquie, il est condamné à mort, une peine commuée en emprisonnement à perpétuité lors de la suppression de la peine capitale en 2002.

- "acteur de référence" -

Ankara pensait en l'arrêtant avoir décapité le PKK. Mais même à l'isolement, il continuera longtemps à diriger son mouvement en délivrant ses instructions à ses visiteurs.

C'est ainsi lui qui ordonne un cessez-le-feu unilatéral qui perdure jusqu'en 2004. Lui aussi qui commande au mouvement de renoncer à un Etat kurde indépendant et de militer pour une autonomie politique au sein de la Turquie, dont les Kurdes représentent selon certaines estimations un cinquième des 85 millions d'habitants.

Lui encore qui, en 2012, ordonne la fin d'une grève de la faim suivie par 700 détenus kurdes, et renoue le dialogue avec Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre.

En 2013, il appelle à nouveau ses troupes à un cessez-le-feu pour parvenir à un règlement pacifique avec Ankara, avant que le conflit ne reprenne en 2015.

Depuis, "la société kurde s'est diversifiée, et le mouvement kurde politique et légal s'est imposé comme un acteur", souligne Hamit Bozarslan, directeur d'études à l'EHESS, à Paris.

Lors des élections municipales de 2019, Öcalan et le parti prokurde HDP (rebaptisé DEM) ont ainsi fait étalage de leurs divergences.

Mais si des discussions de paix devaient reprendre aujourd'hui, "je continue à penser qu'il resterait l'acteur de référence", estime M. Bozarslan.

D'après lui, "pour une grande partie des Kurdes, (...) c'est l'oncle qui incarne non seulement la cause, mais qui incarne la nation kurde dans sa totalité".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.