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Bulletin N° 409 | Avril 2019

 

ROJAVA: INCERTITUDES APRÈS LA CHUTE DE DAECH

Si la prise par les Forces démocratiques syriennes (FDS) du dernier réduit de Daech dans l’Est de la Syrie ne signifie en rien la fin de l’organisation djihadiste, elle devrait leur permettre de redéployer leurs combattants vers l’Ouest et d’accroître leur pression sur la région d’Afrîn. Les chefs des FDS ont prévenu: une fois Daech suffisamment affaibli, leur objectif principal sera la libération de cette région, occupée par la Turquie et ses mercenaires locaux depuis maintenant plus d’un an. Déjà, le 1er du mois, le Ministère de la Défense turc avait annoncé la mort le 31 mars d’un soldat près de la ville dans des échanges de tirs d’artillerie avec les YPG. Par ailleurs, la tension dans la zone occupée a également crû suite à une nouvelle vague d’exactions des milices djihadistes tenant la zone, notamment enlèvements contre rançon et arrestations arbitraires. Profitant du silence de la communauté internationale lors de et depuis l’invasion, les milices aux ordres de la Turquie ont arrêté des centaines de personnes, dont d’ailleurs des leaders de l’opposition aux autorités de la Fédération du Nord Syrien, comme Hussein Ibish, leader du PDK-S (Parti Démocratique du Kurdistan – Syrie) et dirigeant du Conseil national kurde de Syrie (ENKS, Encûmena Niştimanî ya Kurdî li Sûriyê‎), arrêté le 31 mars…

Les groupes clandestins kurdes ont poursuivi leurs opérations contre les occupants. Les «Forces de libération d’Afrîn» (FLA) ont notamment revendiqué un tir de missile anti-char le 1er avril près d’Azaz contre un minibus transportant des combattants de la faction al-Jabha al-Shamiyya de l’Armée syrienne libre, qui a fait un mort et deux blessés (AMN). Dans une autre opération, c’est une position du même groupe qui a été visée par un autre missile guidé, avec 4 morts et 2 blessés…

Les FDS ont cependant laissé la porte ouverte à la discussion si la Turquie quitte Afrîn, ainsi que l’a déclaré leur commandant en chef, Mazlum Kobanê le 8 dans un discours célébrant la défaite de Daech. L’autre condition est la fin des menaces contre le Nord-Est syrien (Kurdistan 24, Ahval). L’alternative est «la libération d’Afrîn», dont Kobanê a annoncé la «préparation» par les FDS (Rûdaw).

La situation à Afrîn semble avoir convaincu la majorité des habitants du Nord-Est syrien que le même sort les attend si la Turquie prend le contrôle de leurs territoires, même si la propagande turque a de nouveau le 15 publié des demandes de «tribus kurdes, arabes et turkmènes» de Syrie demandant l’intervention turque pour «chasser les terroristes» (Daily Sabah). Parallèlement, depuis le 7, les militaires turcs ont commencé à entraîner militairement leurs supplétifs syriens, notamment pour les opérations aéroportées utilisant des hélicoptères, mais aussi les combats en zone urbaine… (AMN) Selon Al-Monitor les États-Unis tentent toujours de persuader leurs alliés FDS de consentir à un déploiement de l’armée turque de leur côté de la frontière. Pas plus que la Turquie ne semble prête à quitter Afrîn, les FDS ne semblent disposés à laisser l’armée turque entrer…

Le soir du 12, l’armée turque a attaqué à l’artillerie lourde les positions des YPG près de Tell Rifaat, au nord de la province d’Alep, provoquant une riposte de celles-ci. Cette attaque intervenait à peine 48 h après le retrait de la zone de la police militaire russe (Al-Masdar News – AMN). Le 18, des milliers d’habitants d’Afrîn déplacés ont manifesté devant le «Centre de réconciliation» russe au nord d’Alep pour protester face à la complicité russe de l’invasion d’Afrîn, et suite à la rumeur d’un «deal» russo-turc identique pour la région de Tell Rifaat… Le porte-parole des YPG, Nuri Mahmud, a déclaré sur Kurdistan 24 que la Russie avait perdu toute influence sur la région (WKI)… et certainement la confiance des FDS. À l’étranger, plusieurs dizaines de Kurdes établis en Allemagne ont entamé le 23 une grève de la faim devant le consulat turc à Cologne pour protester contre la poursuite de l’occupation d’Afrîn (Kurdistan 24).

Le 19, des membres d’une délégation FDS reçue par le président français ont déclaré qu’Emmanuel Macron s’était engagé à maintenir des forces françaises aux côtés des FDS et à soutenir financièrement la reconstruction et les services publics dans la Fédération. Le 1er avril, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, avait annoncé un million d'euros d'aide humanitaire pour les camps de déplacés, notamment celui d'Al-Hol où s'entassent des milliers de femmes et d'enfants étrangers membres de Daech (L’Orient-Le Jour). La Turquie a immédiatement condamné cette entrevue avec des «terroristes».

Le 27, les autorités de la Fédération ont dénoncé dans un communiqué la construction par la Turquie d’un mur au sud d’Afrîn isolant la zone occupée du reste de la Syrie et ont appelé l’ONU à prendre position contre cette annexion rampante constituant une violation du droit international: «L’État turc continue de légitimer les invasions et les annexions de territoire, répétant les mêmes scénarios qu’à Chypre et à Alexandrette» (RojInfo).

Le 28, Reuters a rendu compte de manifestations anti-FDS dans plusieurs villes à population majoritairement arabe de la province de Deir Ezzor, notamment à propos de l’usage des revenus du pétrole local par les autorités de la Fédération et la conscription qu’elles imposent dans ces zones… Des responsables locaux de celle-ci ont indiqué avoir entamé des discussions avec les habitants.

Le 30, un violent duel d’artillerie a éclaté près d’Azaz quand les YPG ont attaqué une base turque située à l’Ouest de cette ville, dans le nord de la province d’Alep. Le Ministère turc de la défense a confirmé la mort d’au moins un soldat, ainsi que 3 blessés dans une attaque sur un convoi militaire turc. Selon l’OSDH, les échanges de tirs ont perduré plusieurs heures avant de se calmer progressivement (AMN).

Malgré son hostilité déclarée et ses menaces continuelles contre la Fédération du Nord syrien, la Turquie ne lancera pas d’attaque tant que des militaires américains sont présents. Le 3 avril, la transcription publiée par le Département d’État de la réunion entre le Secrétaire d’État Mike Pompeo et le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Çavuşoğlu contenait des termes inhabituellement forts de la part de Pompeo, pouvant être interprétés comme un menace de riposte militaire américaine en cas d’attaque turque sur le Nord syrien: selon la transcription, Pompeo a averti Çavuşoğlu des «conséquences potentiellement dévastatrices d'une action militaire unilatérale turque» dans le nord-est de la Syrie… (Kurdistan 24) C’est que le rapport aux FDS n’est pas le seul élément générateur de tensions turco-américaines. La persistance turque à vouloir acquérir le système antiaérien russe S-400 malgré les risques que les Américains y voient pour les secrets de leurs chasseurs F-35, que la Turquie veut également acquérir, est un facteur de tension tout autant, sinon plus grave. Le Congrès des États-Unis pourrait même interdire la vente des chasseurs à la Turquie… (La Russie s’est immédiatement déclarée prête à vendre à la Turquie ses propres chasseurs)

Par ailleurs, en fin de mois, le 25, l’annonce par l’administration Trump de la fin des dispenses de sanctions pour les compagnies étrangères achetant du pétrole iranien a encore fait monter les tensions: avec un oléoduc traversant la frontière, la Turquie est un client important de l’Iran (The Washington Post). Mais les ponts ne sont pas encore coupés, puisqu’au même moment, les deux partenaires poursuivaient les discussions pour trouver comment mener des patrouilles conjointes dans une «zone de sécurité» qui apparaît pourtant comme de plus en plus impossible à mettre en place… Plus que jamais, les États-Unis semblent écartelés entre la nécessité de protéger leurs soldats laissés sur place et leurs liens avec leur allié turc. Vu le tout petit nombre de troupes qu’ils laisseraient dans le Nord-Est syrien (environ 200), celles-ci seraient extrêmement dépendantes des FDS pour leur sécurité. Dès lors, on voit mal comment il serait possible de demander à celles-ci trop de concessions vis-à-vis de la Turquie…

Vu l’incertitude, la Fédération du Nord syrien a parallèlement poursuivi ses négociations avec Damas et son protecteur russe pour tenter de faire accepter au régime un certain degré d’autonomie, mais les discussions semblent arrivées à un point mort. Le 12, un responsable kurde, Badran Jia Kurd, a déclaré que les Russes étaient responsables de cette impasse car ils n’avaient pas mené de leur côté l’initiative diplomatique à laquelle ils s’étaient engagés. Paradoxe, le 27, après la conclusion du 12e round de négociations de Nursultan (nouveau nom d’Astana, capitale du Kazakhstan), auquel les représentants de la Fédération n’avaient toujours pas été invités, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Ryabov, a assuré à Kurdistan 24 que celle-ci «n’avait pas été marginalisée», et que tant que l’unité de la Syrie était assurée, des solutions «préservant les intérêts des Kurdes» demeuraient possibles. Cependant, les discussions se sont achevées sans progrès notable vers la formation d’un «Comité constitutionnel» devant proposer des solutions institutionnelles pour la future Syrie…

Concernant Daech, malgré l’annonce le 23 mars de la chute de Baghouz, dernier village tenu par les djihadistes, des opérations se sont poursuivies dans l’Est de la Syrie: les FDS continuent à traquer les combattants tandis que la Coalition poursuit ses frappes en coordination avec les FDS. Le 2, Mustefa Bali, le porte-parole des FDS, a déclaré que des groupes de djihadistes «se cachaient dans des grottes surplombant Baghouz» (Le Figaro). Des cellules djihadistes dormantes continuent aussi à commettre des attentats dans les zones théoriquement reprises. Ainsi 7 combattants des FDS ont été tués le 26 mars à Manbij, et le 3 avril, selon l’OSDH, deux djihadistes sont parvenus à déclencher leurs ceintures d'explosifs dans un centre de commandement des FDS. Une autre attaque-suicide a tué 2 combattants FDS à Baghouz (WKI), et le 5, des djihadistes détenus dans la prison de Derîk ont attaqué les gardiens, avant qu’une négociation ne permette d’arrêter leur mouvement sans provoquer de pertes humaines (WKI). Le 6, la Sécurité de Manbij a arrêté un homme soupçonné de liens avec Daech et saisi une cache d’armes (Kurdistan 24). Mais c’est le 9 que les pertes ont été les plus importantes, quand un double attentat à la bombe dans une rue très fréquentée de Raqqa a fait selon l’OSDH 13 victimes, dont 9 civils, près d’un poste militaire des FDS. Plus tôt le même jour, une voiture piégée avait visé une patrouille à Chaddadé, mais l'attaque avait été déjouée et seul le kamikaze était mort (AFP). La semaine du 15, une vague d’attentats a touché Manbij, Tabqa et Raqqa. Le 21 à Manbij, les démineurs ont pu faire exploser la bombe sans qu’il n’y ait de victimes. Par contre à Raqqa, 3 civils ont été tués et 2 autres blessés. À Tabqa, un enfant a été blessé. Cependant, l’attaque djihadiste la plus meurtrière depuis la chute de Baghouz a visé le 20 l’Armée syrienne au Nord de Palmyre, faisant au moins 35 morts, dont 4 officiers (Deutsche Welle, DW).

La question du sort des djihadistes prisonniers et de leurs familles, placés par milliers sous la garde des FDS dans plusieurs camps dont celui d’Al-Hol, n’est toujours pas résolue. Le 5 avril, la proposition des autorités de la Fédération du Nord Syrien de mettre en place un Tribunal international pour juger les crimes commis par Daech a reçu un soutien de poids: celui du Ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, qui a déclaré dans Die Zeit qu’il préférait cette solution au rapatriement des djihadistes pour être jugés en Allemagne. Il a cependant rappelé que l’Allemagne reste opposée à la peine de mort, et que celle-ci ne devrait pas être prononcée si les djihadistes sont par exemple jugés en Irak (Kurdistan 24). Le 11, l’Irak a effectivement proposé de juger les djihadistes étrangers, mais demande en contrepartie le règlement des frais encourus, soit 2 milliards de dollars, selon une source administrative souhaitant rester anonyme. Human Rights Watch s’est inquiété de l’absence de garantie pour des procès équitables et des «risques de torture». En 2018, plus de 600 étrangers ont été condamnés en Irak, dont de nombreux à la perpétuité ou à la peine de mort….

Par ailleurs, toujours le 11, les autorités de la Fédération du Nord Syrien ont annoncé être parvenues à un accord avec Bagdad, dont une délégation a visité les camps, pour le rapatriement de quelque 31.000 ressortissants irakiens qui y sont incarcérés, en majorité des femmes et des enfants originaires des provinces majoritairement sunnites de Ninive et de Salahaddine. Les hommes suspectés d’être des combattants seraient jugés. Cependant, nombreux sont les personnes sans papiers d’identité, notamment des enfants nés sous l’administration du «Califat», qui n’ont pas d’existence administrative.

En France, les avocats de 2 femmes actuellement incarcérées avec leurs enfants au camp de Roj, au Kurdistan Syrien ont déposé un recours en urgence au tribunal administratif de Paris pour obliger le Ministère des Affaires étrangères à les faire rapatrier, au motif des risques mortels encourus par les enfants. Un premier recours avait été rejeté par le tribunal administratif en décembre dernier, puis par la Cour européenne des Droits de l’homme. Le nouveau recours s’appuie sur «l'exigence constitutionnelle de protection de l'intérêt de l'enfant», consacrée par une récente décision du Conseil constitutionnel. Saisi d'une demande similaire, un juge bruxellois avait contraint la Belgique fin décembre à rapatrier six enfants belges de djihadistes retenus avec leurs mères dans un camp kurde, une décision annulée en appel fin février… En première instance, le tribunal administratif s'est déclaré incompétent, estimant que la décision de rapatriement était inséparable de la diplomatie de la France. Le 19, s’appuyant sur une disposition entrée en vigueur le 1er août 2018, les avocats des mères ont demandé au Conseil d'État de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) à titre consultatif. Le Conseil d'État a rejeté leur demande le 23, jugeant lui aussi ne pas être compétent concernant une décision relevant de la diplomatie française. Les avocats déboutés ont estimé pour leur part que cette décision était «loin d'incarner la mission du Conseil d'État d'être le gardien des libertés publiques», ajoutant: «Il n'y a pas de précédent dans l'histoire de notre pays d'une telle situation de délaissement par l'État français d'enfants mineurs en très bas-âge». L’avocate d’une autre femme incarcérée en Syrie a indiqué à l’AFP son intention de saisir elle-même la CEDH.

Sur un tout autre plan, le Nord Syrien a souffert ce mois-ci des inondations, comme tout le reste du Moyen Orient, soumis de l’Iran à la Méditerranée à des semaines de pluies incessantes. À Qamishli, dès le début du mois, les habitants ont demandé l’aide des autorités, et le 22, un homme y a été retrouvé mort dans l’eau en pleine rue, vraisemblablement électrocuté.

FRANCE: LE PRÉSIDENT FRANÇAIS REÇOIT UNE DÉLÉGATION DES FDS, PROVOQUANT LA COLÈRE D’ANKARA

Le 19 avril, le président français Emmanuel Macron a reçu à l’Élysée une délégation des Forces démocratiques syriennes (FDS) avec lesquelles collaborent sur place des militaires français et depuis les airs les avions de la Coalition internationale dirigée par les États-Unis, pour lutter contre l’organisation djihadiste Daech. L’Élysée a publié après la rencontre un communiqué dans lequel était réaffirmé le «soutien actif» de la France aux FDS «dans la lutte contre Daech».

Selon les membres de la délégation, Emmanuel Macron s’est au cours de cet entretien engagé à maintenir des forces françaises aux côtés des FDS, alors que celles-ci se trouvent dans l’incertitude quant au maintien d’une présence militaire américaine, alors qu’elles sont menacées au Sud par le régime de Damas, mais surtout au Nord par la Turquie, dont le président les considère comme des terroristes. Face à cette situation instable, alors que la Turquie s’est déjà emparée de la région d’Afrîn avec l’assentiment tacite de la Russie et dans l’indifférence des Occidentaux – incluant Washington – les FDS sont allés jusqu’à rechercher une médiation de la Russie dans leurs discussions avec Damas, jusqu’à présent sans grand résultat. Le maintien d’un contingent militaire français, même de petite taille, même si sa durée n’est pas spécifiée, est donc un point positif pour la Fédération du nord Syrien.

Le 1er avril, le ministre français des Affaires étrangères avait annoncé une aide d’un million d'euros pour les camps de déplacés gérés par l’Administration autonome, émanation politique des FDS dans le Nord-Est syrien. Le 19, le Président français a promis à son tour un soutien financier à l’Administration autonome pour y soutenir la reconstruction et les services publics, sans qu’il soit clair s’il s’agit de nouveaux fonds.

La Turquie a immédiatement condamné cette entrevue avec des «terroristes». Le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères, Hami Aksoy, a déclaré notamment: «Nous condamnons l’accueil par le président français […] d’une délégation des soi-disant Forces démocratiques syriennes», critiquant un entretien «qui vise à conférer une légitimité artificielle à une extension de groupes terroristes».

TURQUIE: ÉCHEC DE L’AKP À ANKARA ET ISTANBUL, «HOLD-UP ÉLECTORAL» CONTRE HUIT CANDIDATS HDP VICTORIEUX À L’EST

Les élections municipales du 31 mars se sont déroulées dans des conditions particulièrement antidémocratiques, avec des centaines de membres du HDP, le parti «pro-kurde», emprisonnés, dont une soixantaine arrêtés la veille du scrutin, et après une campagne où le HDP n’a pu accéder aux médias. Notons qu’une fois de plus, le HDP avait présenté les listes les plus «égalitaires» avec 50% de femmes, contre 33% pour le CHP et… 5,2% pour l’AKP!

Les résultats ont été contrastés. L’AKP du président Erdoğan, pourtant arrivé en tête, a subi son revers le plus sérieux depuis son arrivée au pouvoir, perdant les grandes villes de l’Ouest, Ankara, Izmir et surtout Istanbul, l’ancienne ville du président. Ces villes, où le HDP ne présentait pas de candidats et appelait à voter pour l’opposition, ont été emportées par le CHP (opposition kémaliste). Par contre, l’AKP a plutôt gagné du terrain à l’Est, où le HDP n’a emporté que 8 provinces, contre 11 en 2014. Le HDP a certainement été déçu par ses résultats dans les provinces kurdes, mais il a repris la plupart des mairies dont il avait été privé par les décrets de destitution de 2016. Il a cependant dû concéder à l’AKP plusieurs villes, comme Ağrı, qu’il gérait depuis des années, Şırnak, et Bitlis… A Muş, où le candidat AKP l’a emporté avec 538 voix d’avance, le candidat HDP Sirri Sakik a dénoncé des fraudes ayant entraîné l’annulation de 2.500 bulletins, et a déposé une réclamation devant le Haut-comité électoral (YSK). À Ağrı, la candidate HDP, Dilan Dirayet Taşdemir, a dénoncé les pressions et menaces sur ses électeurs et le rejet par le YSK des candidats HDP les plus populaires... Après les protestations du HDP, les autorités ont interdit pour 15 jours toute manifestation à Hakkari et Muş, ville littéralement placée sous occupation des Forces spéciales (Ahval).

À Diyarbakir, où le HDP l’a largement emporté, sa co-présidente, Pervin Buldan a déclaré devant des milliers d’habitants venus fêter la victoire: «La politique des administrateurs s’est effondrée, c’est fini!». Autre succès du HDP à l’Est, la prise de Kars au MHP. Selon les résultats non officiels annoncés rapidement par le YSK, le HDP a remporté 70 municipalités, dont trois métropolitaines de plus d'un million d'habitants. Les candidates femmes du HDP ont joué un rôle important dans ses victoires: à Mardin, les 5 villes emportées l’ont été par des femmes (Rûdaw).

Pour l’AKP, l’échec le plus dur est la perte d’Istanbul, d’autant que le candidat CHP, Ekrem Imamoğlu, ne l’a emporté, après recomptage partiel, qu’avec 13.000 voix d’avance… Le parti au pouvoir a déposé un recours devant le YSK pour obtenir un nouveau scrutin, puis a demandé un recomptage des bulletins, ainsi qu’à Kars et Gevas (Van), où le HDP l’avait emporté (WKI).

Puis l’AKP a trouvé d’autres moyens d’empêcher les nouveaux maires HDP de prendre leurs fonctions. Le 5, le procureur de Diyarbakir a lancé une enquête pour liens avec le PKK contre les 2 vainqueurs de l’élection, Adnan Selcuk Mizrakli et Hulya Alokmen. Avec le député HDP d’Ağrı Berdan Öztürk, ils sont accusés d’avoir participé la veille à une réunion où des chants pro-PKK ont été chantés (Rûdaw). Puis le 10, le YSK a décidé de priver 8 candidats HDP victorieux de leur mandat électoral sous prétexte qu’ils avaient été limogés par décret en 2016, une décision particulièrement scandaleuse puisqu’il avait validé leur candidature en début de campagne! Encore plus choquant, le Comité a prononcé l’attribution du mandat aux candidats arrivés seconds, généralement (comme par hasard) des candidats AKP… Parmi les vainqueurs ainsi écartés, le candidat HDP du district de Bağlar à Diyarbakir, arrivé premier avec plus de 70% des voix (AFP), mais aussi ceux de Siirt, des districts de Tusba, Edremit, et Caldiran (Van), Tekman (Erzurum), et Dağpınar (Kars)… Accusant le YSK d’être devenu un simple outil aux ordres de l’AKP, le HDP a qualifié cette décision sans précédent de «violation de la constitution», et de «coup d’État de l’AKP contre la volonté du peuple». Le Conseil de l’Europe s’est aussi ému, et son Secrétaire général, Thorbjørn Jagland, a le 15 avril écrit au président du YSK, Sadi Güven pour dénoncer une décision allant «à l’encontre des principes généraux de la démocratie» (->)https://rm.coe.int/image2019-04-16-171615-letter-addressed-to-mr-sadi-guven-president-of-/168093fe38).

Le 10, aucun des 70 nouveaux élus HDP n’avait encore reçu son certificat d’élection. Au 11, plus de la moitié d’entre eux les attendaient encore (Reuters). À Mardîn, où Ahmet Türk, un vétéran du HDP, l’avait emporté, l’AKP a demandé le poste pour son candidat, arrivé en second, car Türk avait été démis par décret en 2016. Devant le rejet de cette demande, le 12, la section provinciale de l’AKP a réitéré sa demande, Türk étant selon elle «malade, et trop vieux pour exercer ses fonctions»! (Ahval). Türk et sa co-maire Figen Altındağ ont finalement été certifiés élus le 15.

Également le 10, la police a arrêté à l’aéroport de Diyarbakir une membre du Comité exécutif du HDP, Hülya Ertas, qui partait vers Ankara, et 8 personnes à Viranşehir (Urfa), dont 2 des nouveaux conseillers municipaux (WKI).

Le premier élu HDP d’une ville métropolitaine à recevoir son certificat d’élection a été une femme, Bedia Ozgokce Ertan, pour Van, le 10… Ce n’est que le 17, après deux semaines d’incertitude, que le nouveau maire HDP de Diyarbakir, Adnan Selcuk Mizrakli, a reçu le sien (comme l’élu CHP d’istanbul, Ekrem İmamoğlu). Le 17, la députée HDP Remziye Tosun a été blessée à Bağlar (Diyarbakir) lors d’une manifestation rassemblant une centaine de personnes venues protester contre le refus du YSK de délivrer les mandats. Ayant fait une chute, elle a dû être hospitalisée avec une fracture dans le dos (AFP). Certains participants ont également été attaqués à coups de matraques, et un autre député de la ville, Musa Farisogullari, a aussi été blessé et transféré à l’hôpital (Kurdistan 24).

Même quand le transfert au HDP a fini par avoir lieu, les «administrateurs» pro-AKP en place l’ont fait traîner le plus longtemps possible afin d’emporter meubles et ordinateurs, vendant même parfois des immeubles avant de laisser les nouveaux élus prendre leurs fonctions, Necati Pirinççioğlu, co-maire de Kayapınar (Diyarbakir), a indiqué que la plupart des bâtiments municipaux du quartier avaient été saisis, et les mairies de Cizre et du district de Bismil (Diyarbakir) ont été transférées respectivement au gouvernorat du district et à la police! Loin d’être découragé, le co-maire de Bismil, Orhan Ayaz, a déclaré: «Ils ont vendu notre mairie […], nous monterons une tente»… Même le reste de l’opposition, pourtant peu porté à défendre le HDP, a fini par réagir: le 18, le leader du CHP, Kemal Kılıçdaroğlu, a appelé le YSK à annuler son refus «illégal» de la remise des certificats électoraux (Ahval).

Le 19 et le 20 à Mardin et Kocaeli, la police a frappé des femmes âgées, mères de prisonniers kurdes, qui protestaient dans la rue, en arrêtant une. La vidéo de ces brutalités inutiles a fait le tour du pays, poussant le député CHP, Sezgin Tanrikulu, lui-même avocat et kurde, à critiquer le ministre de l’Intérieur (Kurdistan 24). Le 21, c’est le chef du CHP, Kemal Kilicdaroğlu, qui a été violemment pris à partie par la foule et frappé alors qu’il s’était rendu à Çubuk (nord d’Ankara) pour assister aux obsèques d’un soldat tué dans des combats contre le PKK. Le lendemain, 9 personnes ont été arrêtées. La semaine suivante, le Président turc, mentionnant l’affaire, s’est abstenu de lui souhaiter un prompt rétablissement…

Le 24, Ayşe Celik, l’enseignante de Diyarbakir qui avait appelé en direct en 2016 l’émission de télévision Beyaz Show pour dénoncer les morts d’enfants lors des opérations militaires dans les villes kurdes du pays, a été de nouveau incarcérée. Condamnée à 15 mois d’emprisonnement en décembre 2017 pour «propagande terroriste», elle avait été emprisonnée avec son bébé de 6 mois, les images de son arrivée à la prison son enfant dans les bras faisant le tour du pays. Ayant d’abord obtenu un ajournement de peine en raison de l’âge du bébé, de nouveau incarcérée, elle a cette fois confié l’enfant à sa grand-mère. En 2018, selon l’Association turque de défense des droits de l’homme İHD, 668 nourrissons et enfants de moins de 3 ans ont été emprisonnés avec leur mère, ainsi que 2.491 enfants de 12 à 17 ans. Pour la même accusation, la journaliste allemande d’origine kurde Mesale Tolu avait en 2017 passé 5 mois en cellule avec son enfant de 2 ans (Deutsche Welle).

Le mouvement de grève de la faim initié le 7 novembre 2018 par Leyla Güven pour demander la fin de l’isolement d’Abdullah Öcalan et de la répression anti-kurde dans le pays s’est poursuivi. Le 29, selon la co-présidente du groupe parlementaire HDP, Fatma Kurtulan, environ 3.000 personnes écrouées dans 92 prisons de toute la Turquie jeûnaient, et il y avait aussi un soutien à l’étranger: des jeûneurs à Strasbourg, Toronto (Canada), au Pays de Galles, en Allemagne, en Suisse «et dans d'autres villes européennes» (L’Orient-Le Jour, AFP). Le 2 avril, Margaret Owen, juriste britannique de 86 ans ayant suivi comme observatrice de nombreux procès de dirigeants kurdes, est entrée en jeûne. Le même jour, une lettre de Leyla Güven a été lue au Parlement européen dans une session de la «Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres». Étaient présentes la Députée HDP d’Izmir Serpil Kemalbay et l’ex-Députée HDP de Siirt Besime Konca (RojInfo). Le même jour, le prisonnier politique Siraç Yüksek s’est suicidé dans sa cellule, le 7e depuis le début du mouvement, malgré les récents appels du HDP à arrêter ces immolations (ANHA, WKI).

Le 13, s’est tenu à Paris sur le Parvis des Droits de l’homme un rassemblement de soutien à Leyla Güven et à tous les grévistes de la faim kurdes, et le 17, L’Humanité a publié une tribune de solidarité signée de plusieurs personnalités, intitulée «Pas un Kurde ne doit mourir sur notre sol», se concluant par ces mots: «Faudra-t-il la mort d’un des 14 militants kurdes, grévistes de la faim à Strasbourg depuis près de 120 jours, pour que se réveille la France des droits humains?». À Londres, des activistes kurdes ont entamé le 24 une occupation des locaux d’Amnesty International pour demander un soutien plus important de cette organisation aux grévistes de la faim en Turquie et à leurs revendications. Amnesty a indiqué s’opposer à l’isolement des prisonniers, tout en déclarant que toute déclaration était suspendue à une vérification indépendante de ses informations et à l’accord des individus concernés. Finalement Amnesty a fait appel à la police qui a fait évacuer les locaux occupés le 26, justifiant sa décision par son incapacité à assurer la sécurité de son personnel sur place. En France, le tribunal correctionnel de Strasbourg a condamné le 4 dix-sept personnes à des peines de prison ferme d'un mois à un an pour les dégradations commises le 25 février dernier au Conseil de l’Europe, qu’ils devront aussi indemniser solidairement. C’est l'«Agora», bâtiment abritant le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), qui avait été visé (AFP).

Le 22, la police d’Ankara a tiré des balles de caoutchouc sur une délégation d’organisations de défense des droits de l’homme venue déposer au ministère de l’Intérieur un rapport sur la situation des jeûneurs (WKI). Le 24, 300 Kurdes se sont rassemblés devant le Parlement européen pour demander l’augmentation de la pression sur la Turquie (La Libre Belgique).

Violence policière gratuite, le 14, la police a abattu de trois balles au Sümer Park de Diyarbakir un Kurde de 20 ans, Recep Hantas, annonçant à son frère qu’il avait été «tué par erreur». Le gouverneur a justifié l’action: Hantas ne se serait pas immobilisé à la demande des policiers… Une enquête a été ouverte (Bianet).

À l’étranger, la tension turco-américaine ne cesse de s’accroître. Le 1er, le Pentagone a annoncé qu’il suspendait la livraison des chasseurs F-35 à la Turquie tant que celle-ci ne renonçait pas à l’achat du système antiaérien russe S-400. La Turquie devrait en acquérir 100… Parallèlement, le Département d’État américain a appelé la Turquie à «respecter les résultats» des municipales (Ankara a dénoncé une ingérence), tandis que le Times exprimait l’inquiétude que le président turc, ébranlé dans les urnes, ne tente de regagner sa popularité en attaquant «les alliés kurdes des États-Unis en Syrie». La Commission des Droits de l’homme du Congrès a aussi exprimé le 10 ses vœux d’anniversaire à Selahattin Demirtaş, le qualifiant de «prisonnier de conscience» – message clair à Ankara… (Kurdistan 24) Par ailleurs, la justice américaine continue de s’intéresser à l’ancien président du «Conseil Amérique-Turquie» (ATC), Kamil Ekim Alptekin (maintenant parti à Istanbul), accusé comme «agent illégal de la Turquie» d’actes de «conspiration» et de «faux témoignages au FBI» à 4 reprises. Alptekin aurait notamment travaillé avec l’ancien Conseiller national à la sécurité Mike Flynn sur un plan de transfert de Fethullah Gülen vers la Turquie. Par ailleurs, la banque turque Halkbank, dont l’ancien dirigeant Mehmet Hakan Atilla a été récemment condamné à 32 mois d’emprisonnement pour violation des sanctions contre l’Iran, continue à payer des lobbyistes pour influencer l’enquête fédérale la concernant, officiellement du «media counseling»; Fethullah Gülen lui aussi engage des lobbyistes américains (Al-Monitor, Lobbying updates).

Autre facteur de tension, les arrestations successives d’employés consulaires des États-Unis. Le 27, on a appris qu’après Metin Topuz, le traducteur du Consulat américain d’Istanbul arrêté en octobre 2017 et inculpé le mois dernier pour «tentative de renverser le gouvernement», un nouvel employé de ce consulat, l’officier de sécurité Nazmi Mete Canturk, avait été inculpé le 8 mars de «liens avec une organisation terroriste» et sa femme et sa fille accusées de liens avec Gülen. En février 2017, un employé du consulat d’Adana, Hamza Ulucay, avait déjà été arrêté pour liens avec le PKK et Gülen, et libéré en janvier 2018 après avoir purgé sa peine… Le Congrès a récemment déposé un projet de loi qui permettrait d’exercer des sanctions contre les responsables turcs ayant prononcé la détention de citoyens américains ou de personnel consulaire… (Reuters)

Enfin, au Japon, le ministère des Affaires étrangères turc aurait tenté de faire pression sur l’Université de Tokyo pour empêcher l’organisation de cours de kurde. Ceux-ci ont cependant démarré le 1er avec 40 étudiants, sous la direction de Vakkak Çolak, auteur du premier dictionnaire kurde-japonais et de la première grammaire kurde en japonais. Environ 2.000 Kurdes résident au Japon (Rûdaw).

La Turquie a poursuivi ses opérations militaires contre le PKK, notamment au Kurdistan d’Irak. Fin mars, l’état-major turc avait déjà indiqué avoir grièvement blessé l’un des dirigeants du PKK, Riza Altun, dans une frappe aérienne. Mais les frappes turques suscitent une colère croissante de la population en raison des victimes civiles qu’elles provoquent, une douzaine depuis 2 ans et au moins 6 le mois dernier. Le 6 avril, des tirs de mortier ont touché un village près de Zakho, sans faire de victimes. La veille, des frappes aériennes avaient visé des positions du PKK près de Qandîl. Le 9, Rûdaw a rapporté les propos du chef du village de Kolka (district de Mergassour), selon lequel les villageois étaient «terrorisés» depuis des jours par des frappes turques lancées depuis la base militaire toute proche. Le chef d’un village proche a témoigné de la présence d’hélicoptères militaires turcs. Il semble qu’une attaque du PKK ait poussé les militaires turcs à renforcer les défenses de leur base et à lancer ces opérations. Le 8, le ministère turc de la Défense a annoncé des frappes sur Khwakurk et Avasin. Le 9, une nouvelle série de tirs turcs vers trois villages chrétiens du district d’Amêdî (Dohouk), Meruk, Ribatka et Belmand, a fait fuir les habitants (Kurdistan 24). Le 13, après que des frappes aériennes aient tué au moins 6 civils, des centaines de manifestants ont pénétré sur la base turque de Shiladze, dans la province de Dohouk, incendiant les bâtiments et plusieurs véhicules. Un des manifestants a été tué. Le 26 au matin, l’aviation turque a mené durant une heure des frappes au Nord-Est de Dohouk, selon des résidents locaux pour la première fois sur cette zone. Il n’y aurait pas eu de victimes civiles (Rûdaw). Le 29, de nouvelles frappes aériennes ont visé durant plusieurs heures deux villages de la province de Dohouk, effrayant les résidents (Kurdistan 24).

Côté turc, selon l’agence Anatolie 4 militaires ont été tués le 19 au soir lors d’affrontements avec le PKK à Cukurca (Hakkari). Le lendemain, 2 autres soldats ont été blessés dans la même province. Une autre opération a pris place le 25 dans la province de Diyarbakir par la police, qui a annoncé avoir éliminé 3 combattants kurdes. La dernière semaine du mois a été marquée par de violents combats des deux côtés de la frontière turco-irakienne, le PKK revendiquant la mort de 6 soldats turcs, l’armée turque annonçant de son côté avoir «neutralisé» 14 combattants kurdes. Le PKK a notamment annoncé avoir mené le 28 une attaque meurtrière sur une base turque située au Kurdistan irakien près des frontières iranienne et turque, à Lelikan, près de Sidakan.

IRAK: TOUJOURS PAS DE GOUVERNEMENT RÉGIONAL AU KURDISTAN, LES ÉLECTEURS S’IMPATIENTENT…

Comme dans l’ensemble du Moyen-Orient, de la Syrie à l’Iran, le mois d’avril a été marqué en Irak et dans sa Région du Kurdistan par des pluies torrentielles causant d’importantes inondations. En début de mois, 60 familles ont dû quitter leurs demeures dans la province de Kirkouk, le Zab a débordé à Hawija, et des écoles ont dû être fermées à Erbil, Suleimaniyeh et Halabja… (Kurdistan 24). Dans la province de Salahaddine, les Nations Unies ont compté le 3 avril 1.173 familles déplacées. À Suleimaniyeh, des glissements de terrain ont endommagé routes et ponts, et 5 des ponts de Mossoul ont été fermés. À Dokan, pour la première fois depuis 1988, le niveau du lac a atteint le déversoir de sécurité du barrage… (Rûdaw) Les inondations ont aussi causé la perte de grandes quantités de céréales, blé ou orge, stockées dans des silos. La situation a été particulièrement critique dans le sud, dans les provinces de Bassora, Diwaniya et Wasit (Kurdistan 24). Pourtant, comme le rappelle un rapport des Nations-Unies publié le 4, ces inondations succèdent à une période de grave sécheresse ayant touché 45 régions différentes des gouvernorats du centre du pays, si bien qu’en février 1.727 familles s’étaient trouvées déplacées. On s’attend d’ailleurs à la reprise de cette sécheresse pour l’été… (ISHM)

Décision politique importante, la commission électorale irakienne a proposé le 11 une date pour les prochaines élections provinciales qui, originellement prévues au 22 décembre, avaient été retardées sine die: le 16 novembre 2019. Les machines électroniques utilisées en mai 2018, pourtant sources de nombreuses contestations, seraient de nouveau utilisées. Si cette décision ne concerne pas les quatre provinces de la Région du Kurdistan (Erbil, Suleimaniyeh, Dohouk, et la nouvelle province d’Halabja), qui dispose de sa propre Commission électorale, elle concerne bien la province de Kirkouk, disputée entre Bagdad et Erbil…

Au chapitre des relations Bagdad-Erbil, justement, Rûdaw a annoncé le 1er du mois que, pour la première fois, Bagdad allait procéder comme convenu au paiement des salaires des peshmergas du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) dans le cadre du budget fédéral (ISHM). Après avoir reçu à Bagdad une délégation du ministère GRK des Peshmergas, le Premier ministre Adil Abd al-Mahdi, également ministre de la Défense par intérim, a indiqué avoir donné son accord pour débloquer 4 mois de salaire (WKI). Autre signe d’amélioration des relations, les Premiers ministres du GRK et du gouvernement fédéral, ont tous deux refusé de signer les assignations qui leur étaient présentées par la Cour suprême à propos du conflit juridique sur l’exploitation des hydrocarbures, ce qui a forcé la Cour à retarder sa session (Iraq Oil Report).

Par contre, concernant le salaire des peshmergas, la mauvaise nouvelle est venue dès le lendemain des États-Unis: le projet de budget du Pentagone qui démarre en octobre prochain prévoit une diminution de plus de moitié du financement des combattants kurdes, avec une chute de 290 à 126 millions de dollars. Si le Département de la Défense a justifié cette diminution par l’accroissement de la contribution de Bagdad, celle-ci n’en constitue pas moins un très mauvais signal envoyé par les États-Unis à leurs alliés kurdes d’Irak… Comme l’a rappelé le Premier ministre du GRK, la lutte contre Daech est loin d’être terminée. Alors que la contribution des peshmergas y est indispensable, et que des projets de modernisation et d’unification de cette force sous le commandement du GRK avaient été impulsés en partie par les États-Unis, cette décision du Pentagone risque d’avoir un impact très négatif sur les possibilités et le moral des combattants…

À Bagdad, la complétion du gouvernement fédéral, auquel manquent encore les portefeuilles des ministres de l’Intérieur et de la Défense, semble encore loin: l’annonce le 10 du retrait d’un parti sunnite d’une des deux principales coalitions dominant le parlement, Binah, pourrait rendre les négociations encore plus difficiles…

Après la découverte le 12 dans la province de Mouthanna, au Sud du pays, d’une fosse commune contenant plus de 300 corps, pour la plupart des femmes et des enfants kurdes victimes de l’Anfal, le Premier ministre du GRK a appelé le 13 le gouvernement irakien à «assumer son devoir moral» en accordant une compensation aux victimes de cette opération génocidaire menée il y a 31 ans par le régime de Saddam Hussein, et qui avait fait environ 182.000 victimes. La mémoire de ce drame est rappelée chaque année le 14 avril (Rûdaw). À cette occasion, le président Barham Salih, lui-même kurde, a déclaré après s’être rendu sur place que «les Irakiens ne doivent jamais oublier les crimes commis par Saddam Hussein ni permettre le retour au pouvoir de son parti».

Concernant la tentative de génocide plus récente perpétrée par Daech contre la communauté yézidie en 2014, le ministre irakien des Déplacés et migrations, Nofal Mousa, a annoncé en conférence de presse le 18 le lancement du programme de «compensation» aux termes duquel chaque membre de cette communauté recevrait deux millions de dinars (environ 1.500 €). La loi nécessaire a été votée au parlement après discussions entre Bagdad et Erbil. L’annonce a été faite en présence de 100 femmes yézidies venues avec leur famille recevoir leur compensation (Kurdistan 24).

Le 28 avril, une rencontre a réuni à Erbil de hauts responsables du GRK et du gouvernement fédéral, comme le Gouverneur de la Banque centrale irakienne, et de nombreux ministres des 2 gouvernements. Après cette rencontre, la plus importante depuis la nomination d’Adil Abdul-Mahdi comme Premier ministre irakien, le ministre GRK de la Planification Ali Sindi et le ministre fédéral du Commerce Mohammed Hashim ont tenu une conférence de presse commune où ils se sont félicités des avancées obtenues. Le ministre kurde a indiqué que la réunion visait à améliorer la coopération économique entre les deux partenaires et qu’il avait été aussi question que le gouvernement fédéral ouvre certains bureaux dans la Région du Kurdistan pour renforcer les relations. Une délégation du ministère du commerce du GRK se rendra à Bagdad début mai pour discuter des importations (Kurdistan 24).

Le 29, un député du parlement irakien a appelé le Premier ministre à payer «de manière urgente» les sommes dues aux agriculteurs du Kurdistan en échange des grains vendus au gouvernement central. Des fermiers kurdes, dont certains attendent depuis 2014, avaient tenu récemment un sit-in devant le bureau du Président irakien à Bagdad pour réclamer leur dû… (Kurdistan 24)

Au Kurdistan, les discussions pour tenter de former le gouvernement régional se sont poursuivies. Le PDK et Goran ont signé le 18 février un accord pour la formation d’un gouvernement, mais vu l’impossibilité de gouverner la Région sans l’UPK qui contrôle la province de Suleimaniyeh, PDK et UPK poursuivent aussi des négociations. De son côté, Goran fait dépendre sa participation du vote d’un projet de loi de réforme des salaires des fonctionnaires devant limiter la corruption, par exemple en nettoyant les listes de bénéficiaires et en évitant les doubles perceptions. De leur côté, UPK et PDK sont en désaccord sur la répartition entre eux de plusieurs postes gouvernementaux…

Le 3 avril, quelques heures seulement après que le président du PDK, Massoud Barzani, ait averti que «le temps était presque écoulé», le porte-parole de l’UPK, Latif Cheikh Omar, a annoncé qu’après des discussions «intenses» et une conversation entre les deux leaders, Massoud Barzani et Kosrat Rassoul, un accord avait été enfin obtenu avec le PDK sur les postes attribués à l’UPK et devait être signé dans les jours suivants (Rûdaw). Avec Masrour Barzani comme prochain Premier ministre, le poste de Vice-premier ministre reviendrait à l’UPK, ainsi qu’entre autres 5 autres portefeuilles ministériels, 3 vice-ministres et 3 sièges au Conseil de sécurité du Kurdistan (ISHM). Suite à cette avancée, les députés UPK, qui depuis leur prestation de serment le 6 novembre dernier n’avaient participé à aucune session parlementaire, sont revenus le jour même participer à la session discutant de l’amendement de la loi sur la Présidence de Région (Rûdaw). Plus tard, il a été indiqué que l’UPK devrait aussi obtenir le nouveau poste de Vice-président de Région, celui de président du Parlement, les portefeuilles de la Planification et des Peshmergas, et les postes de vice-ministres des Ressources naturelles et de l’Intérieur.

La session parlementaire du 10 devait être consacrée à l’examen en 3e lecture du projet de loi d’amendement sur la Présidence qui permettrait pour les 4 prochaines années de faire élire le Président par le Parlement plutôt qu’au suffrage universel. Une fois la loi votée article par article en 3e lecture, le Parlement aurait le pouvoir d’élire le nouveau président de la Région, jusqu’à ce que la rédaction d’une nouvelle Constitution fixe définitivement son mode de désignation (Kurdistan 24). Mais la session a été retardée de 3 jours. Officiellement, la Commission des lois a demandé une «rédaction plus claire», mais selon un député souhaitant demeurer anonyme, ce retard serait dû à des désaccords opposant Goran et l’UPK: l’UPK avait demandé la création d’un poste de «Second vice-président chargé des Affaires militaires» qui lui serait attribué; Goran s’est opposé à cette proposition.

Le 15, les choses n’avaient pas avancé. Selon Rûdaw, la contradiction entre l’accord PDK-UPK et l’accord PDK-Goran bloquait toujours toute avancée. Rival de l’UPK dans la province de Suleimaniyeh, Goran, qui n’a pas de force militaire, a toujours milité pour l’abolition du contrôle des partis sur les peshmergas. Le mouvement a pourtant fini par accepter l’attribution à l’UPK du poste de Second vice-président de la Région chargé des Affaires militaires, mais demandait en échange un poste ministériel supplémentaire, Intérieur ou des peshmergas. Pour compliquer encore la situation, le commandant des peshmergas de l’UPK a alors déclaré qu’il n’obéirait pas aux ordres d’un responsable de sécurité membre de Goran

Finalement, le 23, Goran a indiqué son acceptation sans «contrepartie ministérielle». Selon Rûdaw, le Premier ministre sortant, Nechirvan Barzani, qui est aussi le candidat du PDK à la Présidence de Région, a rencontré Goran et l’UPK pour les rappeler à leurs responsabilités vis-à-vis des électeurs et leur demander d’accélérer les discussions. Pourtant, en fin de mois, les électeurs attendaient toujours l’annonce de la formation du nouveau GRK, alors que le Parlement n’avait toujours pas voté la nouvelle loi sur la présidence…

L’accord devant permettre aux forces kurdes de revenir dans certaines parties des territoires disputés n’étant pas encore finalisé, les militants djihadistes de Daech ont pu profiter du vide sécuritaire et du manque de coordination entre peshmergas kurdes et forces fédérales pour poursuivre leurs attaques. Déjà le 30 mars, ils avaient attaqué le village kurde de Cheikh Mahmoud dans le district de Daqouq (Kirkouk), tuant un habitant et en blessant un autre, et le même jour avaient tendu une embuscade aux forces de sécurité irakiennes qui inspectaient le village de Tell Zahab, dans la province de Salahaddine, en tuant 2 membres, dont un officier de police. Le 2, l’aviation irakienne a mené des frappes aériennes contre Daech sur les Monts Hamrin (Diyala), déclarant avoir tué 4 djihadistes (ISHM). Le 8, la Coalition anti-Daech, répondant à une embuscade ayant fait 5 morts à Daqouq dans la police fédérale, ont également mené des frappes. Le 11, les Asaysh (Sécurité kurde) de Kalar ont annoncé avoir arrêté un homme chargé d’aider les djihadistes fuyant Kirkouk à gagner Diyala. Le même jour, les Forces spéciales irakiennes ont annoncé le lancement sur les Monts Hamrin d’une «vaste opération militaire» soutenue par la Coalition pour «nettoyer» la zone des djihadistes. Après 3 jours de frappes aériennes, elles ont annoncé le 14 avoir tué un commandant et 4 combattants de Daech au Nord-Est de Baqouba, la capitale provinciale (Asharq Al-Awsat). Le même jour, Daech a publié sur Internet une vidéo montrant l’exécution de plusieurs miliciens et moukhtars (chefs de village) accusés d’avoir transmis des informations aux militaires irakiens… (Rûdaw)

Le 22, c’est à la frontière syrienne, à l’Ouest de la province de Ninive, que le village de Madfa a été attaqué, ses habitants devant s’enfuir. Le 25, les forces irakiennes ont annoncé avoir éliminé 6 combattants au Sud-Ouest de Daqouq, dans la vallée du Wadi al-Chai, et avoir détruit plusieurs abris souterrains et caches d’armes, avec l’appui de frappes aériennes de l’aviation irakienne et de la Coalition. Le lendemain, le ministère de l’Intérieur a annoncé sur Al-Sumaria News avoir démantelé à Mossoul un vaste réseau de fabrication et de distribution de faux papiers destinés à être vendus aux djihadistes voulant changer d’identité. Le même jour, 17 djihadistes présumés ont été arrêtés à Bashiqa et un individu qui s’apprêtait à mener un attentat-suicide a été abattu par les Hashd al-Shaabi à Mossoul (Kurdistan 24). Le 27, un groupe de civils kurdes de Makhmour parti tôt le matin à la recherche de truffes a été pris dans une embuscade, et l’un d’entre eux a été enlevé. Suite à cette affaire, les autorités irakiennes ont interdit la cueillette de champignons dans les zones non sécurisées (Rûdaw).

Dans les territoires disputés, 7 partis turkmènes de Kirkouk ont réussi, après des mois de discussions, à se mettre d’accord sur 2 candidats possibles au poste de gouverneur de la province, qu’ils comptent soumettre au Parlement fédéral, dans une tentative pour «passer par-dessus» le Conseil provincial, dominé par les Kurdes (le PDK et l’UPK ont entamé des discussions pour proposer un candidat kurde commun). Les Arabes n’ont pas d’objection à un gouverneur turkmène, mais désirent qu’il soit approuvé par l’ensemble du Conseil plutôt que d’être désigné par Bagdad. Les Turkmènes disposent au Conseil provincial de 9 sièges sur 44, les Kurdes 26, dont 15 pour le PDK, le parti le mieux représenté. Massoud Barzani a indiqué qu’il pourrait accepter que le poste de gouverneur aille à un membre de l’UPK, à condition que ce soit quelqu’un qui n’ait joué aucun rôle dans la perte de la ville en octobre 2017… (Rûdaw)

Par ailleurs, les Kurdes continuent à protester contre les tentatives d’arabisation dont ils sont victimes dans la province de Kirkouk. Le 19, des manifestants accusant le gouverneur intérimaire Rakan al-Jabouri de soutenir les Arabes voulant s’emparer de leurs terres se sont rassemblés avec des banderoles dans le district de Sargaran (sur la route de Mossoul, entre Kirkouk et Makhmour), et le lendemain à Bajwan.

Enfin, le 30, la Fondation Barzani (Barzani Charity Foundation, BCF), a annoncé suspendre ses activités humanitaires dans la ville de Sindjar suite à l’obstruction de groupes affiliés au PKK. La BCF accuse notamment les Unités de résistance du Sindjar (YBŞ) d’attaquer régulièrement ses équipes, et d’avoir arrêté et incarcéré le 28 le responsable de leur bureau local lors d’une distribution de nourriture menée en commun avec une ONG américaine (Kurdistan 24).

IRAN: LES ÉCOLOGISTES BI-NATIONAUX OU ÉTRANGERS ARRÊTÉS AU KURDISTAN PRIS EN OTAGES POUR UN ÉCHANGE DE PRISONNIERS

La plupart des défenseurs de l’environnement arrêtés et incarcérés depuis le début de l’année en Iran, et en particulier au Kurdistan, sont toujours emprisonnés. Selon le Center for Human Rights in Iran (CHRI), 12 d’entre eux sont détenus à Sanandaj par l’Etelaat (Agence de sécurité) ou les Gardiens de la Révolution (pasdaran), privés d’avocat et de visites de leurs proches. Plusieurs avocats se sont portés volontaires pour les défendre mais les magistrats ont rejeté leurs demandes. D’autres détenus ont été relâchés contre des cautions énormes, allant de 500 à 700 millions de tomans (105.000 à 149.000 €). Leurs téléphones et ordinateurs confisqués, ils ont été menacés s’ils parlaient. Certains sont membres du Parti (parfaitement légal) de l’unité nationale iranienne, d’autres appartiennent à la Persian Wildlife Heritage Foundation (PWHF, «Fondation persane du patrimoine faunique»), organisation légale et enregistrée à Téhéran. Tous sont accusés d’actions contre la sécurité nationale, de propagande contre l’État, ou de contacts avec des groupes d’opposition. Plusieurs agences de sécurité iraniennes ont pourtant témoigné qu’il n’y avait pas d’espionnage, mais ils sont jugés à partir d’«aveux» extorqués sous la torture. Le responsable du PWHF, Kavous Seyed-Emami, a connu une mort extrêmement suspecte en détention à la prison d’Evîn, près de Téhéran, d’autant plus suspecte que les autorités, qui ont affirmé à sa famille qu’il s’était suicidé, n’ont restitué son corps à celle-ci qu’à condition qu’elle l’enterre immédiatement et ne mène aucune autopsie… Seyed-Emami avait la double nationalité canadienne-iranienne, comme 11 des détenus, bi-nationaux ou de nationalité étrangère. À un moment de montée des tensions avec les États-Unis et alors que l’économie du pays souffre de plus en plus des sanctions américaines, l’Iran cherche avec ces arrestations arbitraires à faire à son tour pression. Ainsi le 24 avril, le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif, a très officiellement proposé un échange de prisonniers: les ressortissants américains détenus en Iran contre les Iraniens détenus aux États-Unis… Ces déclarations en contredisent de nombreuses précédentes affirmant l’«indépendance» du système judiciaire iranien.

Non seulement la situation économique ne cesse de se dégrader, mais de plus, comme l’ensemble du Moyen Orient, l’Iran est frappé depuis plusieurs semaines par des pluies torrentielles ayant provoqué d’importantes inondations. La province du Lorestan notamment, a été très touchée, avec de nombreuses routes et ponts endommagés, et début avril on comptait déjà 67 morts, alors que d’autres pluies étaient attendues. Le gouverneur de la province a indiqué le 5 que l’eau avait bloqué l’accès à 132 villages, que 12 villages étaient privés d’eau potable et 27 autres d’électricité. Les rues de la capitale provinciale, Khorramabad, ont été envahies par la boue, et il a fallu déployer 3.000 soldats pour les nettoyer (Radio Farda). Autre conséquence des inondations, 5.000 personnes ont été privées de travail. Les habitants des zones touchées ont vivement critiqué les autorités pour l’insuffisance de leur action, notamment des distributions de vivres, les accusant de discrimination à l’encontre des provinces kurdes. Il semble que les autorités aient en effet réagi bien plus lentement au Kurdistan que dans le reste du pays, empêchant même l’aide collectée à Khanaqîn, au Kurdistan d’Irak voisin, de parvenir à destination. Selon le KMMK, la plupart des habitants ayant fourni de l’aide ont préféré la confier à des ONG plutôt que des entités gouvernementales, auxquelles ils ne font plus confiance pour faire parvenir celle-ci aux sinistrés. Des campagnes de dons ont ainsi démarré à Ilam, Sanandaj, Kamyaran, Baneh et Salmas (WKI). En plus des inondations, le Kurdistan d’Iran a été frappé l’après-midi du 1er par un tremblement de terre de magnitude 5,2, dont l’épicentre se trouvait à Soumar, au Sud-Ouest de Kermanshah et à quelques kilomètres à peine de la frontière irakienne, près de Mandali. Le séisme a été ressenti jusqu’à Bagdad. Il ne semble pas qu’il y ait eu de victimes, en partie parce que la région est peu densément peuplée (Kurdistan 24).

Les kolbars, ces porteurs kurdes transfrontaliers, continuent à être la cible des forces de répression, qui les abattent à vue dans les montagnes comme contrebandiers, alors que non armés, ils ne constituent aucun danger. Selon le KMMK, les kolbars ont eu depuis le début de l’année 21 morts et 64 blessés… Le 11, un groupe de porteurs a été pris en embuscade par les garde-frontières iraniens près de Chaldiran et l’un d’eux a été grièvement blessé. Le 14, l’un d’entre eux a encore été tué par balles près de Khoy, à la frontière irano-turque, puis un autre le 16. Selon le témoignage d’un kolbar, les garde-frontières réclament maintenant aux familles le paiement des munitions utilisées pour tirer sur leurs proches… Un autre a été blessé par balles le 19 près d’Ouroumieh. D’autres meurent de froid ou de chutes dans des ravins, les chemins étant très dangereux. Le 9, l’Institut Kurde de Washington (WKI) a indiqué qu’un porteur avait été grièvement blessé près de Marivan par une mine datant de la guerre Iran-Irak, la 7e victime des mines depuis le début de l’année. Malgré ces risques, la situation économique catastrophique et le taux de chômage élevé contraignent toujours plus de Kurdes d’Iran à s’engager dans cette activité dangereuse, seul moyen de survivre (WKI). Le 30, le corps d’un jeune kolbar originaire de Saqqez, marié et père d’un enfant, a été retrouvé dans une vallée près de Baneh quand les neiges ont fondu. Il était porté disparu depuis 3 mois, lorsque son groupe avait essuyé des tirs des forces du régime (Rûdaw, Hengaw).

Dans le cadre de l’escalade des tensions irano-américaines, le 8 avril, l’administration Trump a annoncé qu’elle plaçait le Corps des Gardiens de la Révolution sur la liste des organisations terroristes (ce à quoi l’Iran a répliqué en déclarant le Centre de commandement américain pour le Moyen Orient, le CentCom, organisation terroriste). Le 11, les partis kurdes d’Iran réunis dans le «Centre de coopération des partis politiques du Kurdistan d’Iran», dont les deux branches du PDKI et le Komala, ont exprimé leur satisfaction à la décision américaine et demandé à l’Union européenne de faire de même. Les partis kurdes accusent les pasdaran de meurtres, de kidnappings et d’actions terroristes à l’étranger, notamment le récent bombardement de leurs bases au Kurdistan d’Irak. Deux leaders successifs du PDKI avaient aussi été assassinés à l’étranger, Abdulrahman Ghassemlou à Vienne en 1989 et Sadegh Sharafqandî à Berlin en 1992, dans des actions auxquelles les pasdaran avaient participé. Au Kurdistan, le régime a lancé une campagne visant à montrer le soutien de la population aux pasdaran, dans laquelle il contraint de jeunes Kurdes à apparaître avec des slogans et des photos (WKI).

Dans ce contexte de tensions croissantes, le Kurdistan d’Iran connait toujours répression et arrestations. La première semaine du mois, l’Etelaat (agence de Renseignement) a arrêté un Kurde de Bokan, Qadir Alawesyan, pour «manque de respect au Leader suprême», Ali Khamenei. À Kermanshah, l’activiste Said Iqbali a été convoqué devant le Tribunal révolutionnaire de Téhéran pour «organisation d’une campagne anti-gouvernementale» (WKI). L’Etelaat a aussi multiplié les enquêtes et arrestations de Kurdes pour «coopération avec un parti d’opposition», comme à Bokan (2 personnes arrêtées) et à Oshnavieh (ouverture d’une enquête contre 2 conseillers municipaux du village de Hassan Noran pour avoir organisé des festivités pour Newrouz!). Le 11, le tribunal islamique de Kermanshah a confirmé la peine de 10 ans prononcée pour «appartenance à un parti d’opposition» contre l’activiste kurde Kianosh Qaramani, déjà incarcéré depuis 2 mois par l’Etelaat. À Sanandaj, le procès de l’activiste Mokhtar Zirai pour «insulte au Leader suprême» a débuté le 13. L’accusé risque plusieurs années d’emprisonnement. Le tribunal islamique de Divandarreh (entre Saqqez et Sine/Sanandaj) a condamné un Kurde à 7 ans de prison pour «insulte aux représentations sacrées» et «publication de fausses nouvelles». Le 17, une autre personne a été arrêtée par l’Etelaat à Mahabad sans que la raison en soit indiquée, ainsi que deux activistes pour l’environnement, à Sanandaj et Kamyaran.

Enfin, le 25 avril, deux cousins de 17 ans, Mehdi Sohrabifar et Amin Sedaghat, ont été pendus en secret dans la prison de Shiraz, leurs familles n’en ayant été averties qu’au moment où les autorités leur ont demandé de venir chercher leurs corps. Accusés de viol, ils avaient été condamnés au terme d’un procès marqué par des irrégularités, comme l’absence de tout avocat ou d’un proche, comme la loi le prévoit pour les mineurs. Amnesty International a rappelé que le droit international interdit la peine de mort pour des faits commis durant la minorité. Les corps portaient aussi les marques de coups de fouet appliqués avant l’exécution.

Le 24, un Gardien de la Révolution (pasdar) a été tué dans des affrontements près de Kamyaran, dans la province du Kurdistan. L’agence Mehr, qui a rapporté la nouvelle, n’a pas identifié les adversaires des pasdaran, parlant simplement de «contre-révolutionnaires».