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Bulletin N° 403 | Octobre 2018

 

ROJAVA: LA TURQUIE VOLE AU SECOURS DE DAECH EN BOMBARDANT LES FORCES DÉMOCRATIQUES SYRIENNES

À Afrîn, toujours sous occupation turque, les mercenaires djihadistes de la Turquie imposent une taxe de 15% sur les récoltes des oliveraies appartenant aux Kurdes, la principale richesse agricole, et en ont confisqué un grand nombre, profitant de l’absence des propriétaires, empêchés de revenir. À Jandaris, des combats ont même éclaté entre 2 factions à propos de récoltes d’olives volées à des agriculteurs kurdes (WKI). Le 13, des combats entre Ahrar Sharqiyya et Jabhat Shamiyya ont de nouveau démarré à Azaz et près du camp de Sujo, obligeant des familles déjà déplacées à fuir le camp, et ont gagné Afrin le 14. La police militaire créée par l’armée turque a arrêté plusieurs membres de Ahrar Sharqiyya, et des bruits font état de tensions à Jerablous entre ce groupe et les autres factions (ANF). Enfin, les informations continuent à arriver sur les exactions subies par les Yézidis, allant parfois jusqu’au meurtre.

Les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont poursuivi leur offensive contre la dernière poche tenue par Daech entre Euphrate et frontière irakienne, autour de Hajin, où sont retranchés 3.000 combattants majoritairement étrangers. Après avoir pris fin septembre les villages d’Al-Sousah puis d’al-Shajla, les FDS ont repoussé plusieurs contre-attaques avec le soutien aérien de la coalition, annonçant 49 djihadistes tués. Le 4, des Marines américains sont arrivés par avion pour participer à l’attaque finale sur Hajin. Daech a poursuivi toute la semaine ses contre-attaques au nord de Baghouz avec des véhicules piégés et des armes lourdes, et le 9, les FDS ont annoncé l’élimination de 61 djihadistes. Dans Hajin, les djihadistes ont dynamité les maisons des familles qui avaient fui. Puis le 10, l’Observatoire syrien des Droits de l’homme (OSDH) a annoncé que Daech avait capturé 35 combattants FDS et en avait tué au moins 10, mais le responsable médias des FDS, Moustafa Bali, a démenti, tout en annonçant la mort au combat le 6 d’un combattant français, le marseillais Farid Medjahed. Profitant d’une tempête de sable empêchant tout soutien aérien et limitant fortement la visibilité au sol, les djihadistes ont lancé de nouvelles contre-attaques. Malgré une défense de plusieurs heures des FDS, ils ont réussi à enlever 130 familles dans le camp de personnes déplacées d’al-Bahra, dont des membres de Daech ayant fait défection (OSDH), les emmenant tous vers Hajin. En trois jours, 37 combattants FDS et 58 djihadistes ont été tués. Le 14, les FDS ont annoncé avoir tué 105 djihadistes en 2 jours (Kurdistan 24). Le 16, alors que les FDS repoussaient une attaque sur Baghouz, le commandant Redour Khalil a annoncé que la prise de Hajin prendrait plus de temps qu’initialement prévu, en raison des conditions météorologiques et du fait que l’ennemi était très aguerri. Selon l'OSDH, plus de 70 membres des FDS et des dizaines de djihadistes ont été tués depuis le début de l’attaque, le 10 septembre. Selon l’OSDH, le 20 une frappe de la coalition a tué 28 djihadistes dans Hajin, 7 autres étant tués par l’offensive au sol des FDS. Le 22, les FDS ont pu reprendre le contrôle d’une partie d’al-Susah, réduisant progressivement les dernières poches de résistance djihadistes dans la ville, notamment autour d’une grande mosquée.

Cependant, le 27, l’AFP a annoncé la mort d’au moins 41 combattants FDS dans une nouvelle contre-attaque sur Baghouz et Al-Sousah, dont les djihadistes, utilisant véhicules piégés et attaques-suicides ont repris les 25 et 26 une grande partie… En fin de journée, de nouveaux corps ayant été découverts, le bilan est monté à près de 70 combattants FDS tués, et une centaine de blessés. L’OSDH a aussi annoncé 24 djihadistes tués. Le 28, les FDS ont confirmé 72 morts, avant d’annoncer l’arrivée en renforts de 500 YPG et YPJ (unités féminines) expérimentés, venus de l’ouest, et d’armes lourdes (AFP). Une centaine de combattants supplémentaires est arrivée de Manbij le 30. Mais selon un reportage détaillé de France Soir (->), le 28, Daech avait annulé en trois jours tous les gains des FDS depuis le 10 septembre…

Le même jour, l’artillerie turque a frappé les positions des FDS à Zour Maghar, sur la rive orientale de l’Euphrate, juste en face de Jerablous, selon l'agence étatique Anatolie en riposte à des tirs provenant de cette zone… Les tirs d’artillerie turque ont aussi visé les villages de Charikhli, Siftek et Ashme, à l’Ouest de Kobanê, provoquant des manifestations de protestation à Qamichli. Du 28 au 31, les FDS ont ainsi perdu 4 combattants.

Le timing choisi par Ankara pour lancer ces attaques ne pouvait qu’évoquer une opération de diversion visant à voler au secours des djihadistes… Dénonçant leur «synchronisation» avec les contre-attaques djihadistes, les FDS ont annoncé le 31 l’arrêt temporaire de la campagne anti-Daech, avertissant qu’il se prolongerait en cas d’autres attaques (AFP). Le même soir, les États-Unis ont exprimé leur «extrême préoccupation» à ces «frappes militaires unilatérales» sur des zones où pourraient également se trouver du «personnel américain».

Depuis l’occupation d’Afrîn, les menaces turques sur le reste du Rojava sont constantes. Déjà le 5, les YPG renforçaient les défenses de Manbij au milieu de rumeurs d’une prochaine attaque turque (AMN) et annonçaient le 9 avoir abattu un drone turc à Kobanê. Ce même jour, le ministre de la Défense turc, Hulusi Akar, a annoncé, avec l’arrivée de militaires américains le 2 à Gaziantep, le début de la mission d’entraînement turco-américaine devant permettre à terme des patrouilles conjointes à Manbij. Le même jour, le Conseil militaire de Manbij a déclaré être prêt à défendre la ville. Le 23, le colonel Sean Ryan, porte-parole de l’opération Inherent Resolve, a confirmé qu’une patrouille commune de militaires américains et de combattants du Conseil militaire de Manbij avait riposté à des tirs le 15 près du village de Boughaz. Ryan n’a pas désigné les agresseurs, probablement une des factions rebelles soutenues par la Turquie…

Le moment choisi par Ankara pour lancer ses bombardements sur le Rojava, juste après le sommet d’Istanbul sur la Syrie, auquel le président turc a participé avec ses homologues français et russe et la chancelière allemande, met également en lumière l’absence d’engagement des Occidentaux aux côtés des FDS, pourtant leurs alliés contre Daech. Insistant sur la nécessité d’une solution diplomatique au conflit syrien, ce sommet a permis d’éviter (pour combien de temps?) une attaque du régime et de ses alliés russes sur Idlib, mais il a aussi montré que M. Erdoğan conservait toute liberté de mouvement contre la Fédération du Nord Syrien, dont les autorités sont toujours qualifiées de «terroristes» au même titre que Daech… Le 30, le Président turc a annoncé devant les députés AKP au Parlement que les préparatifs d’une nouvelle offensive dans le nord syrien étaient terminés, précisant: «Nous allons détruire la structure terroriste à l'est de l'Euphrate»… Le même soir, le porte-parole des YPG, Nouri Mahmoud, a averti que les YPG «[réagiraient] à toute menace ou attaque» en «légitime défense» (AFP).

Par ailleurs, la question du devenir des djihadistes et de leurs familles actuellement détenus au Rojava continue à se poser. Précédemment estimé à 500, leur nombre se monterait en fait à près de 1.000, originaires de 24 pays. De nouveaux combattants sont capturés chaque jour au combat, mais il y a aussi 550 femmes et 1.200 enfants. Dès le 20 septembre, le responsable des relations internationales de la Fédération du Nord Syrien, Abdul Karim Omar, avait averti du risque d’évasion en cas de chaos, qualifiant leur présence de «menace pour l’humanité». Parmi les détenus, 2 Britanniques membres d’un groupe de 4 surnommé par leurs otages les «Beatles» en raison de leur accent anglais, coupable d’enlèvements, de tortures et de décapitations, le Français Adrien Guihal, «voix» de la revendication par Daech de l’attentat de Nice en 2016, l’albigeois Thomas Barnouin, proche des frères Clain, qui avaient quant à eux revendiqué ceux du 13 novembre 2015, et la recruteuse Emilie König… Le 4, Sinem Mohamad, membre du Conseil démocratique syrien (CDS), émanation politique des FDS, demandait sur Spoutnik au pays concernés de rapatrier leurs ressortissants. Omar a précisé: «Nous jugeons les mercenaires syriens […] mais pas les étrangers. […] Nous n’avons pas une législation qui autorise la peine de mort. Si nous les condamnons et qu’ils finissent de purger leur peine de prison, où iront-ils?». Au moins deux Américains ont déjà été rapatriés et la Russie, et le Soudan et l’Indonésie ont aussi repris des ressortissants, mais Royaume-Uni et France ont commencé par refuser tout rapatriement. En France, avocats et familles défendent un jugement en France. En fin de mois, la position française a paru évoluer. Paris a annoncé envisager le rapatriement progressif de 150 enfants, notamment du camp de Roj – mais sans leurs mères, qui devraient donc donner leur accord à cette séparation… (Le Monde)

Les relations avec le régime semblent toujours aussi difficiles. Le 1er octobre, le nouveau porte-parole du SDC, Amjad Othman, a indiqué que si les négociations ne progressaient plus, ce n’était pas en raison de la présence des Américains, comme l’affirme Damas, mais faute de volonté du régime, qui refusait toute concession… Un responsable du PYD a averti que le SDC était prêt au dialogue, mais n’accepterait pas la «réconciliation» telle que Damas l’a imposée à Deraa ou dans la Ghouta, une reddition menant à la reprise de contrôle par l’armée du régime (Kurdistan 24). Le 12, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a accusé les États-Unis de vouloir «créer un État illégitime sur les territoires syriens à l'est de l'Euphrate»… (Spoutnik), et le 15, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moualem, a prévenu: «Nous n'accepterons pas le fédéralisme», menaçant de «libérer l’Est de l’Euphrate»: «L’État syrien est décidé à recouvrer l'ensemble de sa souveraineté territoriale, par le dialogue ou d'autres moyens» (AFP).

À l’intérieur de la Fédération du Nord Syrien, la crise des programmes scolaires de la communauté Assyrienne s’est amplifiée, la communauté elle-même se montrant divisée entre ceux qui acceptent les nouveaux programmes introduits par les autorités et ceux qui les refusent. Une douzaine d’écoles refusant de les appliquer ont été fermées, tandis que le cursus alternatif a été adopté dans plus de 2.200 établissements. Certaines familles, inquiète de ce que les diplômes obtenus dans ces établissements ne sont reconnus que par les 2 Universités de Kobanê et du Rojava, ouvertes toutes les deux en 2016, ont fait le choix d’envoyer leurs enfants dans les écoles gérées par le régime (AFP, Libération).

KURDISTAN: LE PDK VAINQUEUR DES ÉLECTIONS PARLEMENTAIRES

Les agendas électoraux au niveau national et à celui du Kurdistan étaient étroitement liés, puisque les élections législatives au Kurdistan se sont tenues le 30 septembre, quelques jours avant l’élection du nouveau président du pays. Alors que Barham Saleh accédait à la magistrature suprême à Bagdad, les résultats partiels des législatives kurdes (947 bureaux sur 1260) montraient que le PDK l’avait emporté, suivi par l’UPK qui reprenait la 2e place au mouvement Goran auquel Nouvelle Génération prenait également quelques sièges (WKI). L’Union islamique (Yekgirtû) apparaissant comme le plus grand perdant par rapport à 2013, a d’ailleurs annoncé le 6 rejeter les résultats préliminaires…

Le scrutin s’est déroulé dans le calme, ce qu’a commenté positivement l’Union européenne, bien que différents partis aient échangé des accusations de fraude: l’UPK a dénoncé les résultats dans certaines zones, menaçant de rejeter les résultats, et le PDK quant à lui, a critiqué le processus à Suleimaniyeh; Goran a menacé de boycotter les futures sessions parlementaires si la Commission n’annulait pas les «faux votes»… La Commission électorale a indiqué le 3 qu’elle avait entamé la vérification des plaintes, au nombre de 425, et ne proclamerait les résultats définitifs qu’une fois cette tâche accomplie (Kurdistan 24). Le 9, trois partis kurdes, Goran, le Groupe islamique (Komal) et Nouvelle Génération ont demandé au ministère de l’Intérieur du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) la formation d’une Commission d’enquête sur des fraudes utilisant de fausses cartes d’identité, avant de porter la demande avec le soutien de l’Union islamique devant le même ministère à Bagdad. Le 14, le nombre de plaintes déposées devant la commission électorale s’établissait à 1045 (Rûdaw). Le 15, alors que les résultats définitifs n’étaient pas encore annoncés, les partis kurdes commençaient des discussions non officielles pour former le nouveau gouvernement. La question principale était de savoir si celui-ci serait composé seulement du PDK et de l’UPK, ou si d’autres partis kurdes accepteraient d’y participer.

Les résultats, d’abord annoncés le 23 puis publiés de manière définitive le 30 octobre après vérification des derniers recours et litiges et validation du Conseil judiciaire du Kurdistan, n’ont pas montré une grande variation par rapport aux différents résultats préliminaires publiés au cours du mois. Le scrutin a été marqué par un taux d’abstention élevé (42% contre 33% en 2013). Le PDK de Massoud Barzani a remporté les élections haut la main avec 45 des 111 sièges à pourvoir (un gain de 7 par rapport à 2013), devant l’UPK, avec 21 sièges (un gain de 3). Goran a perdu la moitié de ses sièges avec 12 élus. L’ensemble des résultats en sièges et votes, mis en perspective pour comparaison avec ceux des législatives de 2013, est présenté dans le tableau ci-dessous.

Résultats des élections législatives
du 30 septembre 2018 au Kurdistan d’Irak

Parti ou alliance

2018

2013

Sièges

Voix

Sièges

Voix

PDK

45

688 070

38

743 984

UPK

21

319 219

18

350 500

Mouvement du Changement (Goran)

12

186 903

24

476 173

Nouvelle Génération

8

127 115

--

--

Groupe Islamique (Komal)

7

109 494

6

118 575

Alliance «Vers la réforme»:
- Ligue islamique (Yekgirtû) +
- Mouvement islamique (Bizutinewe)

5

79 434

 

10

1

 

186 741

21 834

Alliance «Moderne» (Sardam) :

- Parti socialiste démocratique +

- Parti des travailleurs (Toilers Party)  +

- Union démocratique du Kurdistan

1

15 581

 

1

1

 

12 501

8 681

Alliance «Liberté» (Azadi) (Parti Communiste du Kurdistan – Irak)

1

8 063

1

12 392

Sources: AFP, Rûdaw, Kurdistan 24

L’Union islamique (Yekgirtû), qui comme Goran et Nouvelle Génération, a rejeté ces résultats selon elle «entachés de fraudes» a rapidement annoncé qu’elle resterait dans l’opposition, tandis qu’en fin de mois, le Groupe islamique (Komal), devenu le plus grand parti islamique avec 7 élus, n’avait pas encore pris de décision, mais entamait des discussions avec Goran.

La dernière session du Parlement sortant a pris place le 31. La première session du nouveau Parlement est prévue le 6 novembre sous la présidence du membre le plus âgé de l’assemblée. Les nouveaux députés devront d’abord prêter serment, puis engager le processus de l’élection du Président du Parlement.

IRAK: CINQ MOIS APRÈS LES ÉLECTIONS, UN PREMIER MINISTRE INDÉPENDANT POUR FORMER LE GOUVERNEMENT

Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, le poste de Président de la république irakienne est tacitement réservé à un Kurde. Pour la première fois, le Parlement de Bagdad, devant élire le Président lundi 1er octobre à 17h, avait à choisir entre deux candidats kurdes: le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) avait en effet décidé de présenter un candidat, Fouad Hussein, ancien Directeur de cabinet du Président de région Massoud Barzani, pour s’opposer à celui présenté par l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), l’ancien premier ministre du Kurdistan et Vice-premier ministre irakien Barham Saleh. Le PDK, qui réclamait le poste en raison de son meilleur score aux législatives irakiennes, reprochait à l’UPK d’avoir désigné Saleh sans consultation. Déjà repoussée suite à cette dispute, la date du vote l’a été de nouveau au lendemain faute de quorum… PDK et UPK ont poursuivi des discussions tendues pour tenter de parvenir à un accord, mais sans succès, et le 2, Saleh a obtenu au premier tour 165 voix contre 90 pour son adversaire. L’élection nécessitant les deux-tiers des voix, un 2nd tour a suivi, au cours duquel Saleh l’a emporté avec 219 voix lorsque le PDK a retiré son candidat (WKI).

Ingénieur en informatique diplômé en Grande-Bretagne, Saleh, qui s’était retiré au dernier moment de la course à la présidence en 2014 au profit de Fouad Massoum, également membre de l’UPK, a certainement obtenu la préférence des parlementaires irakiens en raison de sa «modération» par rapport à la question de l’indépendance du Kurdistan d’Irak. Il a prêté serment mardi soir devant les députés, s'engageant à «préserver l'unité de l'Irak». Il avait alors 15 jours pour désigner un Premier ministre, un membre de la communauté chiite, qui formerait le prochain gouvernement du pays, et on s’attendait à ce qu’il soit choisi parmi les membres de deux coalitions se disputant le titre de bloc le plus important du Parlement, celle du Premier ministre sortant Haider al-Abadi et celle du leader chiite Moqtada Sadr et des milices pro-iraniennes Hashd al-Shaabi. Mais Saleh n’a pas attendu 15 jours: moins de 2 heures après son élection, il a choisi un indépendant, M. Adel Abdul Mahdi (AFP), ministre du Pétrole de 2014 à 2016, attribuant ainsi pour la première fois depuis 2005 cette fonction à une personne non issue du parti chiite Da’wa, l’opposition islamiste historique à Saddam. La rapidité de la décision comme ce choix semblent signaler une ère de changements politiques, même si le PDK et l’UPK ont continué un temps les passes d’armes sur la manière dont Saleh avait été choisi puis élu. Mahdi disposait alors de 30 jours pour dévoiler les noms de ses ministres, dont chacun devrait individuellement être approuvé par le Parlement. Les discussions se sont poursuivies, une délégation chiite dirigée par Ammar al-Hakim et Salih Motlaq se rendant à Erbil pour rencontrer le PDK et l’UPK, puis une délégation du GRK, menée par Nechirvan Barzani, venant à Bagdad pour rencontrer le nouveau Premier ministre. Dans la nuit du 23 au 24, le parlement (220 députés présents sur 329) a accordé la confiance à Mahdi et à un gouvernement restreint de 14 ministres, huit postes demeurant à pourvoir, dont la Défense et l’Intérieur, en raison de l’opposition de nombreux députés aux candidats proposés. Le parlement devrait voter le 6 novembre sur les postes non encore pourvus. Si Mahdi est parvenu à faire approuver son programme à main levée, plusieurs députés dont les partis n’ont pas obtenu de postes ont quitté le Parlement, furieux, dont des membres de l’alliance Sayrûn de Moqtada Sadr, de Natawayî d’Iyad Allawi et du bloc sunnite Qarrar. Parmi les nouveaux ministres, seuls 3 ont déjà occupé une telle fonction, même si la plupart d’entre eux ont déjà servi au gouvernement. Djabar al-Louaibi, ancien ministre du Pétrole, a cédé son poste à Thamer Ghadhban mais est devenu Président de la Compagnie nationale du pétrole, formée récemment par fusion des différentes sociétés publiques existantes, et le candidat du PDK à la Présidence, Fouad Hussein, a accédé au poste de ministre des Finances et de vice-Premier ministre.

Très rapidement, le nouveau gouvernement est entré en conflit avec le Parlement et les Kurdes sur le budget fédéral 2019. Soumis aux députés le 28, le projet de budget a été rejeté le 31 après que le leader sunnite Ousama al-Noujaifi ait demandé un rééquilibrage en faveur de la province de Ninive (Mossoul) (ISHM). Dès le 14, l’Union islamique du Kurdistan (Yekgirtû) avait annoncé qu’elle ne le soutiendrait pas car il ne tenait pas compte de la province de Halabja, qui a pourtant obtenu de Bagdad le statut provincial en décembre 2013… Par ailleurs, les demandes du Kurdistan, et en particulier le rétablissement de sa part à 17%, n’ont pas été entendues: le projet 2019 lui accorde 6,72 milliards de dollars, soit 12,69% seulement du total (Rûdaw).

Les deux nouveaux gouvernements, Erbil et Bagdad, devront rapidement entamer des discussions pour tenter de résoudre leurs divergences. Selon son porte-parole, Safîn Dizayî, le GRK a reçu du ministère des Pechmergas le 27 un rapport destiné à servir de support pour ces discussions, aussi bien sur la gestion des ressources pétrolières que la question du paiement des pechmergas et la gouvernance des territoires disputés, les trois grands points de tension (Kurdistan 24).

Concernant les territoires disputés, la sécurité y est toujours aussi mauvaise depuis le retrait des pechmergas, et les attentats incessants: en début de mois, une bombe improvisée a tué au moins 3 personnes dans un village du district de Dibis, puis deux explosions de véhicules ont blessé le 3 au moins 8 personnes dans le quartier d’Asra à Kirkouk. Non revendiquées, ces attaques sont attribuées à des cellules dormantes de Daech (Kurdistan 24). Puis le matin du 9, une nouvelle attaque à la bombe a fait 2 morts et 4 blessés dans un marché du centre-ville (ISHM), et le 13, une voiture piégée a explosé dans le quartier de Mamdoda, blessant 6 civils dont des enfants…

Par ailleurs, les résidents de Kirkouk expriment leur frustration devant l’augmentation des prix des denrées suite à l’installation de deux postes de douane entre Kirkouk et le Kurdistan. Ils ont été installés par ordre du Premier ministre sortant Hayder al-Abadi à la demande du gouverneur intérimaire Rakan Saïd al-Jabouri, un Arabe sunnite. Le Conseil provincial, où le bloc kurde Brayetî est majoritaire, n’a pas été consulté, et les considère comme illégaux, et le ministère de l’Intérieur du GRK compte exiger leur démantèlement.

Enfin, les Kurdes dénoncent la politique du gouverneur intérimaire, installé par ce même Abadi après son limogeage du gouverneur précédent, le Kurde Nedjmeddine Karim. Cette nomination est elle-même contestable, la Constitution donnant seulement au Conseil provincial le pouvoir de démettre ou de nommer un gouverneur. Mais c’est surtout le soutien de Jabouri au retour des colons arabes qui suscite la colère des Kurdes. Installés originellement par le régime baathiste, ils étaient repartis à la chute de celui-ci après avoir perçu une compensation financière. Notamment dans le district de Daqouq, des résidents des villages de Yangijay Talaban, Abdullah Khanim et Aannana ont tiré la sonnette d’alarme le 22. Puis le 28, les habitants de la région de Sargaran ont reçu un ordre écrit du gouverneur de cesser de cultiver leurs terres jusqu’à ce que leur propriété soit confirmée par un Comité créé à cet effet par le Premier ministre irakien. Cependant, un député kurde de Kirkouk au parlement irakien, Rebwar Taha, a indiqué à Rûdaw que le ministère de l’Agriculture irakien avait déjà décidé que les fermiers pouvaient poursuivre leurs activités, rendant la lettre du gouverneur illégale.

En ville également la politique de Jabouri est contestée. Le 19, il a ordonné l’expulsion sous un mois de 43 bureaux d’organisations kurdes proches du PDK, mais aussi d’associations comme l’Union des enseignants du Kurdistan, dont les membres enseignent dans les écoles kurdes de Kirkouk. Depuis la prise de contrôle de la province par l’armée fédérale et les milices chiites Hashd al-Shaabi le 16 octobre 2017, 14 bureaux du PDK et 29 appartenant à d’autres organisations kurdes ont déjà été convertis en cantonnements militaires ou garages, et au moins 83 immeubles d’organisations kurdes ont été attribués à des milices chiites ou des organisations gouvernementales irakiennes, tandis que des dizaines de responsables provinciaux kurdes étaient limogés pour être remplacés par des Arabes ou des Turkmènes. Une partie des locaux visés par l’ordre d’expulsion sont actuellement vides, les groupes kurdes ayant fui à l’arrivée des forces irakiennes. L’un des membres du Conseil provincial à déclaré à Rûdaw qu’il s’agissait de profiter de leur absence pour s’emparer de leurs locaux, une manière de les empêcher de revenir...

Les Kurdes tentent de s’organiser pour s’opposer à Jabouri, mais sont eux-mêmes en désaccord sur la méthode. Le mois dernier, une réunion entre les Bureaux politiques du PDK et de l’UPK a désigné un comité de quatre membres pour discuter de la question de Kirkouk et désigner un candidat commun au poste de gouverneur, mais il n’a tenu qu’une seule réunion depuis. L’UPK a tenu plusieurs réunions avec les notables arabes et turkmènes de la ville, se disant prêt à faire des concessions en échange d’une réunion du Conseil provincial qui lui permettrait d’obtenir le poste de gouverneur. Le PDK, lui, propose l’élection d’un Kurde indépendant, mais, tout comme le Président du Conseil, Rebwar Talabani, refuse de revenir en ville tant que la situation n’y sera pas «normalisée» avec le départ des troupes irakiennes et l’abandon des nombreuses poursuites juridiques visant des responsables kurdes, dont Talabani. Le 9, celui-ci a demandé à Bagdad d’annuler toutes les décisions de l’administration intérimaire visant à modifier l’équilibre démographique de la province, et de compenser les victimes de l’offensive militaire du 16 octobre 2017. Il est aussi question d’une nouvelle nomination par Bagdad, même si l’UPK préfèrerait une élection par le Conseil provincial. Les Turkmènes ont demandé une attribution tournante du poste. Puisque les deux derniers gouverneurs étaient respectivement un Kurde et un Arabe, le prochain devrait selon eux être un Turkmène…

Les demandes des Kurdes à Kirkouk correspondent exactement à celles de la «Coalition sociale du peuple de Kirkouk», un groupe de citoyens qui a appelé le 9 les commerçants à baisser leur rideau en signe de protestation pour l’anniversaire du 16 octobre 2017: démilitarisation et retrait des militaires irakiens de la ville, rétablissement de l’autorité de l’administration civile locale, retrait des points de contrôle entre la ville et le Kurdistan, et arrêt des politiques du gouverneur Jabouri, qualifiées d’«incitatrices de haine et de tension» (Kurdistan 24).

En fin de mois, le 28, le quartier kurde de Shorja à Kirkouk, qui s’était opposé aux troupes irakiennes en octobre 2017, a été encerclé par les forces de sécurité irakiennes qui prétendaient y chercher des armes illégales et des personnes recherchées. Elles y ont imposé un couvre-feu.

Des tensions ont aussi éclaté hors de Kirkouk. Dans la ville yézidie de Sindjar, les milices chiites ont arrêté puis expulsé le 19 un correspondant et un caméraman de la chaîne kurde Kurdistan 24, après les avoir battus et menacés. Appelés par les Yézidis, ils avaient tenté de filmer l’expulsion par les miliciens chiites d’une trentaine de familles d’un complexe d’habitation de la périphérie de la ville, qui avaient reçu l’ordre de partir sous 24 h pour se réinstaller en centre-ville. Les journalistes ont dû s’agenouiller tandis que les miliciens leur plaçaient des pistolets sur la tempe, menaçant de les exécuter. Ils ont finalement été relâchés avec de nouvelles menaces et l’avertissement de ne plus tourner de reportages sur les milices chiites…

Enfin, en écho aux opérations anti-Daech menées par les Forces démocratiques syriennes du côté syrien de la frontière, les milices chiites Hashd ont déclaré l’état d’urgence près de celle-ci après que 14 de leurs combattants (70 selon l’OSDH) aient été tués dans une attaque djihadiste le 26. Plus au sud, des troupes ont été positionnées dans la province d’al-Anbar pour empêcher d’autres attaques de Daech, et le 31, les Hashd ont annoncé avoir tué deux commandants de Daech qui avaient dirigé la dernière attaque contre les FDS (ISHM). Le même jour, les pechmergas ont annoncé avoir tué trois djihadistes au nord de Touz Khourmatou avec le soutien aérien de la coalition et au sol des militaires français (Kurdistan 24).

TURQUIE: LE GOUVERNEMENT TENTE D’EMPÊCHER LE HDP DE PARTICIPER AUX ÉLECTIONS LOCALES DE 2019

L’alliance entre l’AKP, le parti islamiste du président Erdoğan, et les ultra-nationalistes du MHP de Devlet Bahçeli, bat de l’aile. Le MHP avait proposé en septembre pour désengorger les prisons l’amnistie des prisonniers non politiques (y compris ceux condamnés pour trafic de drogue et agressions sexuelles). La réponse d’Erdoğan: «Alors qu’il y a 50.000 dealers en prison, on ne peut pas proposer d’amnistie», a mis en rage Bahceli, qui a accusé Erdoğan de chercher à lier le MHP au trafic de drogue. Puis le 18 octobre, le Conseil d’État a proposé la réintroduction du serment pour les écoliers. Datant d’Atatürk, ce serment aux accents nationalistes, voire racistes, qui commence par: «Je suis un Turc, honnête et travailleur…», a les faveurs du MHP. Là encore Erdoğan, qui l’avait fait supprimer en 2013, a mis son partenaire en furie en critiquant cette décision. Le 23, Bahçeli a annoncé qu’il n’y aurait pas d’alliance avec l’AKP pour les élections locales de mars 2019…

En matière de répression, rien ne semble pouvoir arrêter la machine judiciaire turque. Le mois a commencé avec le procès de 9 médecins, 4 infirmier(e)s et 1 ambulancier, jugés depuis le 28 septembre pour «appartenance à une organisation terroriste»: ils avaient voulu fin janvier 2016 aller assister les habitants de Cizre, alors attaquée par les forces de sécurité. Interceptés par l’armée, ils n’avaient jamais pu arriver à destination (Orient XXI). Le 2 octobre, la police a arrêté le co-président HDP du district de Hani (Diyarbakir) lors d’un raid chez lui. À Izmir, elle a arrêté 7 Kurdes, et à Siirt, un membre du Conseil provincial, İdris İlhan (HDP), qui avait posté sur les médias sociaux: «Ce n’est pas le dollar qui monte, c’est nous qui coulons». Le même jour, le chanteur Ferat Tunc a reçu près de 2 ans de prison pour «propagande terroriste»: il avait rendu hommage aux combattants kurdes anti-Daech de Kobanê. Toujours le 2, une bande fasciste a attaqué le bureau d’un avocat kurde a Odunpazarı (Eskişehir), y plaçant des banderoles marquées: «Pas de HDP à Odunpazarı» (WKI).

Le 3, selon Hürriyet, le Président turc a indiqué qu’après les élections locales de mars prochain, il n’hésiterait pas à démettre les élus convaincus de liens terroristes: «Nous ne laisserons pas en place ceux qui envoient l’argent du peuple à Qandil», a-t-il déclaré au maire d’Ağrı, lui-même un des 80 «administrateurs» non-élus nommés pour remplacer des maires et élus locaux HDP démis et emprisonnés, tout comme 10 députés et plus de 7.000 membres du HDP. Celui-ci espère regagner aux prochaines élections de nombreuses mairies et se débarrasser de ces administrateurs antidémocratiques…

Le 3 également, s’est ouverte à Ankara une nouvelle audience pour Selahattin Demirtaş, détenu depuis le 4 novembre 2016, qui a comparu depuis sa cellule d’Edirne par le système vidéo SEGBIS. La Cour a décidé son maintien en détention jusqu’à la prochaine audience, entre les 12 et 14 décembre. Le procureur a requis contre Demirtaş 142 ans de prison (SCF). Le système SEGBIS est connu pour sa mauvaise qualité qui nuit gravement aux droits de la défense. Ainsi le 5, pour la quatrième audience du procès de 17 enfants kurdes de Nusaybin, la liaison n’a même pas pu être établie pour 15 d’entre eux. Les enfants, pour lesquels des peines de prison à vie ont été requises, s’étaient trouvés bloqués dans une cave de la ville durant le couvre-feu et les combats entre forces de sécurité turques et combattants pro-PKK. La défense, niant leur participation aux affrontements, accuse au contraire les forces de sécurité de les avoir torturés. La Cour a prolongé leur détention jusqu’au prononcé du verdict, ajourné au 15 novembre (Ahval).

Par ailleurs, le 4, après que la co-présidence actuelle du HDP, Pervin Buldan, accusée d’«appartenance à une organisation terroriste», ait refusé de comparaître devant le tribunal, celui-ci a autorisé les forces de sécurité à l’y amener de force. Le même jour, le ministère de l'Intérieur a annoncé l’arrestation de 88 personnes pour liens présumés avec le PKK. Il s’agissait d’empêcher les commémorations des manifestations des 6-7 octobre 2014, qui avaient fait de nombreuses victimes suite à la bataille de Kobanê. En deux jours, il y a eu 137 arrestations (AFP). Le 9, le bureau du procureur de Diyarbakir a annoncé 90 nouvelles arrestations dans une opération de 183 raids répartis sur 9 villes (AFP). Des arrestations ont eu lieu à Ankara, Muş et Urfa. A Batman, parmi les 8 personnes arrêtées, se trouve le co-président du HDP. 25 arrestations ont touché Ağrı (WKI). La purge commence maintenant à toucher les «gardes de village» (korucular), ces supplétifs (72.000 en 2016) employés par l’armée contre le PKK. Le ministère de l’Intérieur a annoncé le 11 en avoir démis au moins 559 pour liens avec ou appartenance à un «groupe terroriste». 76 autres ont été temporairement démis en attendant les résultats d’une enquête pour participation à du trafic de drogue ou d’êtres humains (Kurdistan 24). Par ailleurs, après des raids de police menés du 11 au 12, 40 autres personnes ont été arrêtées à Van, Istanbul, Bursa, Sakarya et Antalya, dans un effort apparent pour empêcher le HDP de se préparer pour les élections locales de mars prochain. Puis le 15, le ministère de l’Intérieur a annoncé avoir suspendu 259 «muhtars», chefs élus de village ou de quartier jouant un rôle essentiellement administratif, pour «liens avec une organisation terroriste», sans que celle-ci soit précisée. 103 chefs de villages et 156 chefs de quartiers ont ainsi été démis (AFP), et remplacés par des administrateurs non-élus.

Le 23, le journal pro-gouvernemental Yeni Şafak a annoncé la préparation d’une nouvelle vague d’arrestations visant cette fois les hommes d’affaires kurdes soupçonnés de participer au financement du PKK. Il s’agit en fait de viser des soutiens financiers à la campagne du HDP, que le journal accuse pêle-mêle d’être l’aile politique du PKK et de participer au trafic de drogue. Le 27 au matin, la police a mené de nouveaux raids aux domiciles de figures politiques du HDP dont de possibles candidats aux prochaines élections locales: l’ancien député de Şanlıurfa İbrahim Binici à Ankara, et à Kars, l’ancienne députée Şafak Özanlı, le coprésident du BDP Cengiz Anlı et le coprésident du HDP Ekrem Savcı, parmi d’autres… Les personnes arrêtées ont été emmenées à la direction de la sécurité de la province.

Le Stockholm Centre for Freedom (SCF) a aussi alerté le 13 sur la poursuite de la répression des journalistes, dont il comptait le 7 octobre 237 emprisonnés, dont 169 en détention préventive avant jugement, et seulement 68 déjà jugés. Parmi les derniers appréhendés, la journaliste kurde Kibriye Evren, incarcérée dans le cadre de l'opération menée à Diyarbakir le 9, Abdurrahman Gök, Semiha Alankuş, Lezgin Akdeniz, Esra Solin Dal, Cihan Ölmez et Mehmet Akdoğan, ainsi que le distributeur du journal Yeni Yaşam Savaş Aslan, maintenus en garde à vue au poste de police de Diyarbakir. Le 12, Servet Öner, l’ancienne rédactrice en chef du mensuel kurde d’Istanbul Demokratik Modernite a été arrêtée. La Turquie a aussi lancé 148 mandats contre des journalistes en fuite en Turquie voire exilés à l’étranger… Le 29, c’est un journaliste de la chaîne du Kurdistan d’Irak Kurdistan TV, Mehmet Sanrı, qui, après avoir qualifié le régime iranien de «sanglant» dans un tweet sur l’attaque aux roquettes du PDKI à Koya et la pendaison de 3 prisonniers politiques kurdes, s’est trouvé poursuivi par un procureur pour «incitation à la haine». Sanrı risque jusqu’à 3 ans de prison.

Tout ce qui est kurde continue à souffrir de discrimination. Le 14, avant un match de football entre le club de Diyarbakir Amedspor et Sakaryaspor, l’équipe de Sakarya, en Anatolie de l’Ouest, une vidéo montrant une opération militaire contre les Kurdes a été projetée dans le stade tandis que retentissaient des chants nationalistes turcs. Après le match, perdu par Amedspor, les joueurs de Diyarbakir ont été attaqués dans leurs vestiaires. Le weekend suivant, le stand de l’éditeur Avesta à la Foire du livre de Batman a été investi par la police, qui a confisqué la traduction turque du livre de l’historien Celilê Celîl sur la révolte de Cheikh Obeidollah (1880 Kurt Ayaklanmasi: Seyh Ubeydullah Nehri) et incarcéré le personnel du stand. Selon Avesta, ce livre est le 13e interdit en un an (Ahval).

Le 12, le prisonnier étranger probablement le plus connu de Turquie, le pasteur américain Andrew Brunson, a finalement été libéré. Détenu depuis 2 ans sous l’accusation risible de liens à la fois avec le PKK et le mouvement güléniste, il a été condamné à un temps de prison correspondant précisément à celui déjà accompli: charges d’espionnage abandonnées, 3 ans réduits à 2 pour «bonne conduite», il a été renvoyé aux États-Unis. Le Dr. Aykan Erdemir, ancien député turc et chercheur à la Foundation for Defense of Democracies à Washington, a indiqué sur Twitter que 4 témoins à charge avaient modifié leur déposition: l’un a déclaré avoir lu les accusations contre le pasteur dans la presse, un autre que le juge l’avait mal compris, les 2 derniers prétendent avoir chacun été informé par l’autre! Pour Erdemir, le complot au service de la «diplomatie de prise d’otages» d’Erdoğan est clair (Kurdistan 24). Mais avec les sanctions économiques américaines, celui-ci s’est clairement attaqué à trop fort pour lui… Le FMI, estimant pour 2018 la dette extérieure turque à 457 milliards de dollars, prévoit pour 2019 une croissance en chute libre, de 3,5 à 0,4%; il faudra 181 milliards pour rembourser les créanciers… Il fallait se réconcilier avec Washington. La conclusion de «l’affaire Brunson» ne fait qu’apporter une preuve supplémentaire de la corruption politique complète de la justice turque.

Le 23, un Suédois identifié seulement par ses initiales, accusé de liens PKK, a été arrêté à Diyarbakir, et le 26, Patrick Kraicker, un Allemand arrêté en mars, a reçu 6 ans de prison pour appartenance aux YPG kurdes de Syrie (AFP). Selon Berlin, 5 autres Allemands sont encore prisonniers politiques en Turquie.

Jusqu’où peut aller l’ultra-nationalisme? Dans la prison de haute sécurité de Van, le journaliste Nedim Türfent a été la cible d’une enquête disciplinaire parce son manuel de grammaire allemande portait une carte sur laquelle la Turquie était trop petite! Finalement, le 30, les enquêteurs ont décidé qu’il n’avait commis aucun crime et il n’a pas été sanctionné… (SCF)

Enfin, le 18 octobre, l’homme d’affaires et mécène Osman Kavala a atteint les 365 jours d’incarcération sans acte d’accusation. Kavala, qui a soutenu Amnesty International en Turquie, est accusé par Erdoğan de liens gülénistes. La Cour européenne des droits de l’homme avait le 23 août indiqué sa pré-acceptation de l’examen de son cas (Site Free Osman Kavala).

Les opérations militaires turques se sont poursuivies, en Turquie comme au Kurdistan d’Irak, marquées en début de mois par la mort de 8 militaires tués le 4 à Batman par l'explosion d'une bombe au passage de leur véhicule (3 des 5 blessés du bilan initial sont ensuite décédés à l’hôpital). Ces pertes, les plus importantes en près d’un an, ont provoqué la fureur du président turc, qui a juré pour venger ces 8 morts d’«extirper» les militants kurdes de Sindjar et Qandîl et d’en tuer «au moins 800» (Reuters). Plus tard le même jour, le ministère de l’Intérieur a annoncé la «neutralisation» dans une frappe aérienne près de Nusaybîn d’un cadre important du PKK, Mehmet Sait Sürer (nom de guerre Cuma Mardin). Le 9, après avoir imposé des couvre-feux sur des dizaines de villages, l’armée turque a lancé une opération dans le district de Lice (Diyarbakir). Le 30, le bureau du gouverneur de Bingöl a annoncé la neutralisation le 29 de 3 combattants kurdes à l’est de la province dans une opération de la gendarmerie. Côté Kurdistan d’Irak, l’armée de l’air turque a mené de nombreuses frappes aériennes: le 9 sur plusieurs villages de Bradost, notamment Khalifan et Khwakurk (Rûdaw), le 16 puis le 17 sur le district d’Amêdî (Dohouk), revendiquant la neutralisation de 12 combattants kurdes (Kurdistan 24), le 20 de nouveau sur Bradost, et enfin le 30 (Reuters).

IRAN: ASSASSINATS EXTRA-JUDICIAIRES DE PORTEURS, ARRESTATIONS ARBITRAIRES, EXÉCUTIONS AU KURDISTAN D’IRAN

Depuis l’installation du régime islamique en Iran, la communauté kurde est la plus touchée par la répression, exécutions comme emprisonnements. Début octobre, des milliers de Kurdes étaient toujours incarcérés, et au moins 7 exécutions ont pris place durant ce mois. De plus, le Kurdistan d’Iran (Rojhelat) est l’une des régions les moins développées du pays. Selon l’organisation de défense des droits de l’homme Hengaw, plus d’une centaine de Kurdes, acculés par la pauvreté et le désespoir, se sont suicidés depuis six mois. De nombreux autres se tournent pour survivre vers le dangereux métier de porteur transfrontalier, en kurde kolbar. Ils deviennent alors les victimes des assassinats extrajudiciaires des forces de répression du régime qui, les considérant comme des contrebandiers, les prennent systématiquement pour cibles dans la montagne…

Entre mars et septembre dernier, 21 kolbars ont ainsi été selon Kurdistan 24 victimes de ces tirs, et le 2 octobre, à la frontière turque près d’Ourmia, 2 autres ont été visés, dont l’un a été sérieusement blessé, selon l’Association des droits de l’homme du Kurdistan (Komeleî mafî mirovî Kurdistan, KMMK). Le 3, le corps d’un autre kolbar a été trouvé près de Nowsoud (Kermanshah), à la frontière avec le Kurdistan d’Irak (Kurdistan 24), et côté irakien, un autre a été tué près du poste-frontière de Tawella (WKI). Le 5, KMMK a rapporté que deux porteurs avaient été blessés près du village de Dinaran. Le 13, deux autres porteurs ont été blessés à Sardasht et à Mahabad (WKI). Le 16, les garde-frontières iraniens ont tiré sur un groupe de porteurs près de Piranshahr, en tuant un et en blessant grièvement deux autres (KMMK, Hengaw).

La dernière semaine d’octobre, la répression contre les kolbars s’est encore intensifiée. Le 25, les gardes-frontières en ont abattu un et en ont blessé un autre à Salmasa. Le 27, alors qu’un autre porteur mourait de froid, les pasdaran (Gardiens de la révolution) en ont gravement blessé 2 à Sardasht, avant d’en tuer un troisième le 28. Ils ont aussi tendu une embuscade à un groupe d’une dizaine qui s’apprêtait à passer au Kurdistan irakien. Parallèlement, le tribunal de Sardasht a condamné 15 kolbars à des peines de 1 à 8 mois de prison et à des amendes atteignant parfois 1.800 dollars pour «importation illégale de marchandises». Aussi le 27, deux jeunes Kurdes d’Iran ont été tués par des tirs venus d’Iran alors qu’ils se trouvaient côté irakien, où ils étaient venus chercher du travail (Kurdpa).

Le récent accord entre l’Iran et le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) pour ouvrir le poste-frontière de Haji Omran 24 heures sur 24, a malheureusement peu de chance d’aider ces porteurs, qui ne peuvent se permettre de payer les droits de douane prélevés aux points de passage officiels…

Sur le plan militaire, de nouvelles confrontations ont opposé forces du régime et combattants de partis kurdes. Le 30 septembre, le PDKI a annoncé que l’un de ses pechmergas avait été blessé dans une frappe menée par des drones iraniens côté Kurdistan d’Irak, et le 8, un garde-frontière iranien a été tué près de Marivan dans des combats avec un groupe d’opposition non identifié dont 2 membres ont été blessés (Kurdistan 24). Le 12, de nouveaux affrontements ont opposé près de Paveh (Kermanshah) pasdaran et pechmergas du PDKI. Selon ce parti, 2 pechmergas sont morts, au moins 3 pasdaran ont été tués et plusieurs autres blessés. Le PDKI a aussi accusé les pasdaran de tirs d’artillerie lourde qui ont tué un civil (WKI). Le 13, l’agence semi-officielle Fars a annoncé que le Renseignement iranien avait démantelé une «cellule séparatiste» et tué 2 de ses membres à Kermanshah, ajoutant que le groupe était soutenu par des «pays arabes» non spécifiés.

Le 18, le PDKI a organisé à Koya, au Kurdistan d’Irak, une cérémonie en hommage aux victimes de l’attaque iranienne du 8 septembre, critiquant le manque de réaction de Bagdad, et le même jour, plusieurs partis kurdes d’Iran ont publié une déclaration commune appelant l’ONU et les organisations de défense des droits de l’homme à agir pour arrêter les violations iraniennes. Un membre du PDKI a accusé les pasdaran iraniens d’espionner depuis Kirkouk les partis kurdes d’Iran au Kurdistan d’Irak et de guider de là les attaques contre eux.

Il est vrai que le régime, dont les forces sont présentes en Irak comme en Syrie, mène régulièrement des frappes à l’extérieur, comme les tirs de missile lancés le 1er octobre vers l’Est de la Syrie depuis des rampes mobiles installées près de la ville kurde de Kermanshah. Présentées par les pasdaran comme une «vengeance» pour l’attaque du 23 septembre contre la parade militaire d’Ahwaz, ces frappes sur Abou Kamal, ville tenue par Daech, ont touché un point situé à moins de 5 km de troupes américaines soutenant les FDS (WKI).

La répression continue aussi sur le terrain contre les activistes kurdes. En septembre, selon Hengaw, au moins 80 personnes, dont 3 femmes, avaient déjà été arrêtées dans les provinces du Kurdistan d’Iran : 43 à Ourmia, 36 à Sanandadj, et 1 à Kermanshah, 40 arrestations ayant visé des activistes citoyens, 17 des activistes politiques et 18 des personnes mobilisées en raison de leurs conditions de travail. Le 5, on a appris que le 30 septembre à Ourmia, 2 Kurdes d’Iran déjà condamnés en juillet à 11 ans de prison pour «appartenance à un groupe anti-gouvernemental» avaient reçu une peine supplémentaire d’un an pour avoir «traversé illégalement la frontière»: ils avaient rejoint en Syrie un groupe armé kurde non spécifié. Durant octobre, les arrestations se sont poursuivies, accompagnées de condamnations et d’exécutions. Toujours à Ourmia, l’activiste kurde Aqbal Ahmadpour, arrêté en juin par les pasdaran et accusé d’appartenir à un parti kurde, a reçu 5 ans d’emprisonnement pour «atteinte à l’unité du pays». À Mahabad, un autre activiste soumis à la même accusation, Kiwan Aliaam, a reçu 10 ans et 2 mois. Ahmadpour a été torturé durant sa détention et n’a pu avoir accès à un avocat durant son procès. Puis le 6, la poétesse et activiste kurde Mina Rad, originaire de Doroud (Lorestan) a été arrêtée et demeure incarcérée depuis.

Après les grèves et protestations ayant suivi dans la plupart des villes kurdes d’Iran les exécutions de Ramin Panahi et de ses deux cousins Loghman et Zanyar Moradi, et l’attaque sur le siège du PDKI à Koya, le 8 septembre, les pasdaran se sont déployés en nombre au Kurdistan d’Iran sous prétexte de «manœuvres». Le 8, une grève générale contre la vie chère et les conditions économiques couvrant tout le pays a aussi concerné le Kurdistan, et le dimanche 15, une autre grève nationale aux mêmes revendications a rassemblé cette fois-ci les enseignants. Le lundi 16, malgré les menaces des forces de sécurité, la grève s’est poursuivie au Kurdistan, avec aussi des revendications spécifiques comme le droit pour les élèves d’étudier dans leur langue maternelle, garanti par l’article 15 de la Constitution iranienne. Le mouvement a touché les villes d’Ilam, Marivan, Saqqez, Kermanshah, Sine (Sanandadj), et Javanrud, dont les enseignants ont posté sur les réseaux sociaux des vidéos de leurs «sit-ins» dans les rues. Autre revendication, la sécurité dans les écoles: en début de mois, une élève de 7 ans a été tuée par l’effondrement d’un mur de son école dans la province de Sine… (Kurdistan 24) En réponse aux revendications, le régime a lancé des enquêtes visant sur les organisateurs du mouvement. La Sécurité (Etelaat) a selon KMMK interrogé 6 enseignants à Saqqez et a aussi arrêté 6 Kurdes accusés d’appartenir à des partis illégaux…

La répression touche aussi des villageois accusés d’aider les combattants des partis kurdes interdits. Le 18, la Sécurité a ainsi arrêté 3 habitants d’un village de Marivan, puis un quatrième le lendemain, tandis que la police arrêtait 2 autres villageois (KMMK). Le 21, ce sont des dizaines d’étudiants kurdes qui ont été arrêtés dont 3 ensuite emprisonnés. Hengaw donne le chiffre de 32 étudiants, dont 3 femmes, arrêtés depuis le début 2018. L’un d’entre eux, Taleb Basati Vand, est mort sous la torture. Trois autres ont été condamnés chacun à 16 ans de prison.

Pour empêcher les villageois de regarder les chaînes de télévision indépendantes, la police a lancé à Marivan et Sanandadj de nouvelles campagnes de raids sur les habitations durant lesquels les antennes satellites ont été confisquées.

Par ailleurs, 5 militants de défense de l’environnement qui protestaient contre le dépôt et l’incinération sauvage de déchets par les forces de sécurité à côté d’un village de Marivan ont été arrêtés le 25, ce qui a provoqué une manifestation devant la mairie de la ville. Depuis le début de l’année, les pasdaran ont déjà arrêté plus de 60 militants écologistes dans tout le pays, les accusant d’espionnage, et récemment, le 21, le procureur général de Téhéran a requalifié les charges contre 5 d’entre eux en «corruption», leur faisant risquer la condamnation à mort. En août, 4 militants kurdes de l’environnement avaient péri en luttant contre un incendie de forêt provoqué des tirs d’artillerie des pasdaran (Kurdistan 24).

Au chapitre des exécutions, le mois d’octobre a battu un sinistre record. Rien que dans la semaine du 15, sept condamnés ont été exécutés dans 5 prisons différentes, dont 3 Kurdes. Mawloud Sha-Husseini, de Diwandara, condamné en 2014 pour trafic de drogue, a été pendu le 16 à Isfahan après 4 ans d’attente. Le 14, un Kurde de Miandoab, Aslan Shirani, condamné en 2015 pour «meurtre avec préméditation», a été exécuté à Maragha. Puis le 17, à Ilam, un 3e prisonnier kurde, Kurosh Behzadian, condamné en 2012, a lui aussi été pendu pour les mêmes charges. Il ne s’agit là que d’une partie des exécutions rapportées par Kurdistan 24… Selon Amnesty international, l’Iran a procédé au moins à 507 exécutions en 2017, dont 31 au moins étaient publiques, et Hengaw a compté de mars à septembre 40 Kurdes iraniens exécutés…

Enfin, Amnesty a attiré l’attention sur le sort de Zeynab Sekaanvand, pendue le matin du 2 octobre dans la prison d’Ourmia. Âgée de 24 ans, elle a été arrêtée quand elle en avait 17 sur l’accusation d’avoir tué son mari, auquel elle avait été mariée de force quand elle en avait 15, et qui avait abusé d’elle de manière répétée… Selon Amnesty, torturée par les policiers qui l’interrogeaient, elle n’a pas eu accès à un avocat à son procès, sauf durant la dernière audience en 2014, durant laquelle elle a rétracté ses aveux. Enceinte après avoir épousé un autre détenu dans sa prison, elle a vu son exécution retardée, mais après qu’elle ait accouché d’un enfant mort-né en 2017, elle a de nouveau été placée dans le «couloir de la mort». Elle a finalement été exécutée malgré les demandes répétées d’Amnesty international pour qu’elle soit jugée de nouveau en un procès juste et respectant les principes de la justice pour mineurs.

LE PRIX NOBEL DE LA PAIX ATTRIBUÉ À LA MILITANTE KURDE YÉZIDIE NADIA MOURAD

Durant le mois d’octobre, plusieurs récompenses internationales ou nationales ont été attribuées à des Kurdes ou à des personnes ayant travaillé à la défense de leurs droits.

Le 5 octobre, le Prix Nobel de la paix 2018 a été attribué conjointement à deux champions de la lutte contre les violences faites aux femmes et en particulier l’usage des violences sexuelles comme arme de guerre. Il s’agit de l’activiste kurde yézidie Nadia Mourad, qui partage le prix avec le gynécologue congolais Denis Mukwege. La présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen, a souligné: «Denis Mukwege est quelqu'un qui a dédié toute sa vie à la défense des victimes des violences sexuelles perpétrées en temps de guerre. Sa colauréate Nadia Murad est le témoin qui relate les abus perpétrés à son encontre et d'autres». Nadia Mourad, 25 ans, qui avait été capturée au Sindjar en août 2014 et réduite en esclavage sexuel par les djihadistes de Daech avant de parvenir à s’échapper après 3 mois, a déclaré: «Je partage ce prix avec les Yézidis, les Irakiens, les Kurdes, les autres minorités persécutées et les innombrables victimes de violences sexuelles dans le monde».

Mourad, qui a décidé de consacrer sa vie à faire connaître les atrocités commises par les djihadistes de Daech et la souffrance de leurs victimes, avait déjà été lauréate du Prix Sakharov du Parlement européen en octobre 2016, juste après être devenue le 16 septembre ambassadrice de bonne volonté de l'Organisation des Nations unies pour la dignité des victimes de la traite des êtres humains. Elle avait témoigné en décembre 2015 devant le Conseil de sécurité des Nations unies pour demander une intervention internationale contre Daech, qu’elle avait alors accusé de génocide contre les Yézidis. En mars 2018, l’ONG qu’elle a créée, Nadia’s Initiative, a publié un rapport sur la situation au Sindjar, indiquant que depuis le génocide, 300.000 yézidis se trouvaient encore dans des camps de personnes déplacées, principalement au Kurdistan d’Irak, et que 90.000 avaient fui l’Irak, principalement vers l’Allemagne, alors que seulement 70.000 ont pu regagner leurs habitations originelles.

C’est aussi suite à une rencontre entre Nadia Mourad et le Président français que le Cabinet de celui-ci a annoncé le 25 que la France recevrait sur son territoire 100 femmes yézidies se trouvant actuellement dans des camps de personnes déplacées au Kurdistan d’Irak. Nadia Mourad se trouvait à Paris pour présenter un rapport de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) sur les atrocités commises par Daech, un document accessible en ligne (->). Le Président français a indiqué que 20 de ces femmes actuellement privées de soins, y compris psychologiques, pourraient gagner la France d’ici la fin de l’année, les autres devant arriver en 2019. Emmanuel Macron a ajouté qu’il appuierait l’initiative de Mourad quant à la création d’un fonds pour la reconstruction du Sindjar et la construction dans cette région d’hôpitaux et d’écoles afin d’aider au retour de ses habitants (Arab News).

Autre récompense attribuée à des survivants du génocide perpétré par Daech contre les Yézidis, le Prix Mère Thérésa pour la Justice Sociale, reçu le 21 octobre par Layla Taalo et Idris Bachar Silo Taha à Mumbai (Inde). Comme Nadia Mourad, Layla Taalo, capturée puis échappée des griffes des djihadistes de Daech, s’est ensuite consacrée à une campagne pour faire connaître les crimes commis contre sa communauté (Rûdaw).

Le 24, c’est l’avocate turque Eren Keskin qui a été nominée pour le prix qu’on appelle parfois le «Nobel des Droits de l’homme», le Prix Martin Ennals, du nom du premier secrétaire général d’Amnesty International, décédé en 1991. Le prix sera annoncé le 13 février 2019 à Genève. Condamnée et emprisonnée à de nombreuses reprises, Keskin milite depuis plus de 30 ans pour les droits de l'homme, défendant en particulier les Kurdes, les femmes et la communauté LGBTI. Après avoir accepté de devenir rédactrice en chef du journal d'opposition Özgür Gündem, fermé par décret d’urgence, elle a été condamnée le 30 mars 2018 à 12 ans et 6 mois de prison pour publication d’articles «dégradant» la nation turque et «insultant» le Président Erdoğan. Keskin a été laissée en liberté en attendant son jugement en appel (VOA Afrique).

Enfin, mentionnons le «Prix néerlandais du réfugié», qui récompense des réfugiés talentueux et persévérants. Le 7 octobre, c’est Peshmerge Morad, un Kurde d’Afrîn prénommé en hommage aux combattants kurdes pechmergas, qui l’a reçu. Depuis son arrivée dans le pays, Morad, après avoir appris le néerlandais, s’est inscrit dans un des Instituts de formation permanente les plus connus du pays et y a obtenu «avec les félicitations du jury» (cum laude) un diplôme d’informatique grâce auquel il travaille maintenant comme ingénieur (Kurdistan 24).

FRANCE: NOUVELLE ÉVACUATION D’UN CAMP DE MIGRANTS KURDES

Les migrants continuent de payer un lourd tribut dans leurs tentatives pour gagner l’Europe. Le 11, la chaîne kurde d’Irak Rûdaw a indiqué qu’un bateau transportant 35 migrants, majoritairement des Kurdes d’Irak, mais aussi des Afghans, avait chaviré dans la Mer Égée en face des côtes turques, et que seule une femme avait survécu. La survivante du naufrage, Mahabad Ismail, qui a perdu ses 5 enfants et son mari, a indiqué que la plupart des Kurdes à bord venaient de 2 familles de Dohouk et de Zakho. Selon des proches, parmi les noyés se trouve un ancien pechmerga ayant participé à la lutte contre Daech, qui avait décidé de partir pour tenter de trouver un traitement pour son fils aîné atteint d’une forme grave de diabète.

Le 23 octobre, le campement du Puythouck, à Grande-Synthe, occupé par 1.800 migrants, en grande majorité des Kurdes irakiens, a été évacué dans le calme par les forces de l’ordre déployées en un important dispositif. Les migrants ont été orientés vers des structures d’accueil dans les régions Hauts-de-France, Normandie, Île-de-France et Grand Est. C’était la 3e opération d’évacuation à Grande-Synthe, la première ayant eu lieu le 6 septembre pour 539 personnes, à 95% des Kurdes d’Irak, la seconde le 28 du même mois pour 4 à 500 personnes. Après le 6 en effet, quelques 200 migrants n’ayant pu trouver de place en centre d’hébergement étaient revenues à quelques centaines de mètres de l'ancien camp… Faute de solution pérenne, une quinzaine d'associations avaient entrepris de distribuer nourriture, vêtements et couvertures, tandis que des cliniques mobiles tentent de traiter les problèmes de santé. Il n’est pas dit que cette 3e évacuation règle le problème définitivement. En raison des nombreux retours depuis les centres d’accueil, le maire (écologiste) de la ville, Damien Carême, envisage toujours de rouvrir le camp de la Linière, détruit par un incendie en 2017 et qui accueillait 1.500 personnes (AFP).