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Bulletin N° 401 | Août 2018

 

ROJAVA: NOUVELLES PREUVES D’EXACTIONS TURQUES À AFRÎN, POURSUITE DES DISCUSSIONS ROJAVA-DAMAS

Alors que les troupes turques et leurs supplétifs syriens occupent toujours la région d’Afrîn, et que plusieurs agences et organisations internationales continuent à dénoncer les violations des droits de l’homme dont les occupants se rendent coupables, les Kurdes syriens poursuivent des discussions délicates avec le régime de Damas, qui prépare la reprise de la région d’Idlib, juste au sud d’Afrîn. La perspective d’une bataille à Idlib, comme celle d’un rapprochement des Kurdes avec Damas, ne peuvent qu’inquiéter Ankara…

Après l’ONU, c’est Amnesty International qui accuse directement la Turquie dans un rapport du 2 août dénonçant la situation intolérable faite par les occupants aux habitants d’Afrîn. Ceux-ci «endurent de multiples atteintes aux droits de l'homme, qui sont pour la plupart le fait de groupes armés syriens équipés et armés par la Turquie. […] Ces violations, sur lesquelles les forces armées turques ferment les yeux, englobent des détentions arbitraires, des disparitions forcées, la confiscation de biens et des pillages». L’ONG demande à Ankara, «puissance occupante», responsable de la sécurité des résidents et du maintien de l'ordre à Afrîn, de «mettre sans délai un terme aux violations» (AFP). Dans une enquête distincte, l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) parle de 1.000 personnes arrêtées par divers groupes rebelles depuis l’invasion. S’appuyant sur des dizaines de témoignages, les deux rapports dépeignent une situation d’anarchie et d’impunité.

Selon l’agence ANF, les Yézidis sont particulièrement visés par les exactions des djihadistes, qui tentent de les convertir de force et de les obliger à envoyer leurs enfants à la mosquée suivre des cours de religion. Ceux qui refusent peuvent être torturés, et les protestataires arrêtés, comme la semaine du 13 dans les villages de Kurzele (district de Sherawa), de Qestal Kishk (district de Shera) et Rajo, dans la région d'Afrin, où une vingtaine de Kurdes ont été incarcérés. Les exactions contre les biens, et notamment les oliviers, la richesse la plus importante d’Afrîn, se poursuivent, ainsi à Rajo, où les djihadistes ont encore incendié de nouveaux arbres.

Parallèlement, la Turquie organise l’annexion des territoires conquis en installant un réseau routier (Al-Monitor, 27/08). La première route, qui relie al-Bab à al-Ray, a été terminée fin juillet, et une autoroute reliant Azaz, à la frontière, à Mare, au nord d’Alep, est en projet. Une autre rejoindra la ville de Jerablous, sous contrôle turc. Ce réseau facilitera le déplacement des troupes mais aussi l’entrée des marchandises turques… Les territoires syriens sous contrôle turc sont-ils destinés à connaître le sort du Nord de Chypre? Déjà, les enfants des écoles apprennent le turc et une «Armée nationale» aux ordres d’Ankara voit le jour. La déclaration d’un de ses officiers en dit long sur sa «discipline»: il a dû ordonner à ses hommes de «cesser d’ouvrir le feu au hasard»! (Challenges, Reuters, 12/08). Le 29, l’OSDH a également rapporté des combats internes entre milices djihadistes à Jerablous, et à Idlib, un chaos fait d’explosions et d’enlèvements alors que Hayat Tahrir al-Sham, ex-Front al-Nusra, branche syrienne d’Al-Qaïda, traque toute personne suspecte d’aider Damas ou Daech (Xinhua).

Autre intervention publique d’une ONG de défense des droits de l’homme, celle de Human Rights Watch (HRW), qui a accusé le 3 août les Unités de protection du Peuple (YPG), aile militaire du PYD kurde et colonne vertébrale des Forces démocratiques syriennes (FDS) combattant Daech, de recruter des enfants dans les camps de déplacés (AFP). Le 5, le Conseil démocratique syrien (CDS), bras politique des FDS, a réagi à ces accusations en dénonçant de possibles «abus individuels irresponsables» ne représentant aucunement «la stratégie générale du CDS» et en promettant, si les faits sont avérés, de «restituer aux familles les enfants enrôlés [...] et de faire rendre des comptes aux responsables». L'ONU avait en 2017 répertorié 224 cas de recrutement d'enfants par les YPG et son unité féminine, soit cinq fois plus que l’année précédente. Par ailleurs, dans une lettre datée du 16 juillet et publiée le 3 sur le site de HRW, le PYD explique que dans certains cas, les enfants ont été retirés des camps pour leur propre protection, comme cette fillette de moins de 12 ans du camp d’Al-Arisha, violée et mise enceinte, que sa famille voulait assassiner à cause de sa grossesse, et qui a demandé protection aux combattantes YPJ. Sa famille, qui les a accusées de l’avoir enrôlée de force, a évidemment omis de préciser ces faits…

Tout le mois, la résistance à l’occupation d’Afrîn s’est poursuivie. Le 1er août, les YPG ont publié une vidéo montrant l’exécution d’un responsable islamiste et revendiqué l’attaque d’un QG de la Brigade Sultan Mourad le 28 juillet dans le district de Shara, où 2 combattants ont été tués et un autre blessé. Le 3, un nouveau bilan a fait état de la mort dans des attaques d’au moins 9 rebelles entre le 29 juillet et le 2 août, ainsi que d’une attaque utilisant une moto piégée à Basutah, dans le district de Sherawa, ou «1 soldat turc et 4 mercenaires ont été tués, 3 autres grièvement blessés». Le 2, un autre soldat turc et «trois terroristes [ont été] tués et deux autres blessés» dans une embuscade contre une jeep. Le 4, un bilan des YPG couvrant tout juillet a compté 54 occupants tués, incluant 23 militaires turcs, dont 2 capitaines et un lieutenant, et 31 combattants de l’Armée Syrienne Libre (Al-Masdar News). Le 5, la vidéo de l’exécution d’un Kurde, Akash Haji Ahmed, a été mise en ligne. Ayant servi d’informateur à l’armée turque, «membre du conseil de traîtres installé par les occupants turcs dans le village de Deir Swan», il avait aussi envoyé aux déplacés des SMS menaçants pour les dissuader de revenir… Un groupe s’intitulant «Opération Colère des Oliviers» (Olive Wrath) a revendiqué l’exécution, dans une déclaration qui n’a été confirmée ni par les YPG ni par le PYD. Au contraire, après que le groupe ait averti le 15 les habitants d’Afrîn de «demeurer à l’écart des lieux où se tiennent les mercenaires» en prévision de nouvelles attaques, et après qu’une bombe ait causé le soir du 21 la mort de 3 civils à Afrin, les YPG ont nié toute implication, mettant en cause les services de renseignements turcs. Entre temps, le 14, ils ont publié un bilan couvrant la deuxième semaine d’août, dans lequel ils revendiquent la mort dans 2 attaques séparées de plusieurs combattants syriens et d’un soldat turc, et des dizaines d’autres blessés (Al-Masdar). Le 20, a été annoncée l’exécution d’un commandant de haut rang de Jabhat Al-Shamiyah, Mohammad Mahhou, la nuit du 18 dans une embuscade.

Le 26, les YPG ont revendiqué 2 autres embuscades où des chefs rebelles ont trouvé la mort. La première, le 19 sur la route de Mabata, a tué l'un des mercenaires du Jabhat al-Shamiya, Muhammad Ardwan. Dans la deuxième opération, c’est un membre du groupe Faylaq al-Sham, Abu Muhammad al-Shamali, responsable de l’établissement de points de contrôle dans le district de Bulbul, qui a été tué le 24. Le 30, les YPG ont déclaré avoir tué la veille près d’Afrîn dans un attentat à la bombe le chef militaire du groupe Faylaq al-Sham, Khaled Obeidat, et 18 autres combattants. Selon l’OSDH, les cellules des YPG ont tué au moins 108 rebelles et soldats turcs dans des attaques depuis mars (Kurdistan-24). Le 31, ce sont 2 militaires turcs et 2 combattants syriens de la division al-Hamza qui ont été tués près du village de Barbana (Rajo) dans une attaque sur un poste de contrôle, qui a été totalement détruit. Plusieurs autres combattants ont été blessés.

A Manbij, la situation ne change guère, même si cette ville suscite toujours les convoitises… Le 1er août, l’agence iranienne Tasnim a annoncé que l’armée syrienne attendait d’y entrer suite au retrait des FDS, reprenant des informations du journal pro-régime al-Watan, selon lequel la population locale aurait installé des bannières de bienvenue aux entrées principales de la ville! Le 19, l’armée turque a annoncé le début de «patrouilles conjointes» avec les Américains, une annonce probablement destinée à la fois à l’usage politique intérieur et à forcer la main aux Américains.

Dans la province de Deir Ezzor, à la frontière avec l'Irak, les FDS ont poursuivi leurs opérations anti-Daech avec un important soutien aérien de la coalition internationale (20 frappes du 30 juillet au 5 août). L’objectif est de chasser les djihadistes de la poche où ils sont acculés. Selon l’OSDH, le 6, «au moins 28 djihadistes […] ont été tués dans des frappes aériennes et des tirs d'artillerie sur la région de Bir al-Meleh». Fin juillet, le commandant des forces françaises de la coalition, le général Parisot, avait indiqué que «quelques centaines» de djihadistes ne contrôlaient plus qu'une bande de territoire entre les villes de Hajine et Boukamal, avertissant cependant que les combats pourraient encore durer deux ou trois mois (AFP). Le 17 au soir, les FDS ont repoussé dans l'est de la province de Deir Ezzor une attaque djihadiste contre des bâtiments abritant des soldats américains et français sur le champ pétrolier d'Omar, l'un des plus importants de Syrie. Sept djihadistes ont été tués dans les affrontements qui ont duré jusqu'à l'aube. Il s'agit de la plus importante attaque de ce type depuis que les FDS ont repris Omar en octobre dernier (OSDH). Le 26, les FDS ont capturé vivants six djihadistes cachés dans une ferme au sud de Hasakah après avoir fui les combats en Irak l’année dernière (Al-Masdar).

Parallèlement, après l’annonce le 28 juillet de la création de «comités» conjoints devant rechercher une solution politique à base de «décentralisation», les autorités de la Fédération du Nord Syrien ont poursuivi les discussions avec Damas. Bien que des accords aient été conclus récemment sur le barrage de Tabqa et le pétrole, les désaccords sont si importants qu’il est difficile d’imaginer un accord rapide… Les employés de l’État ont obtenu d’accéder au barrage pour procéder à son entretien, en échange d’un pourcentage de l’électricité produite, et pour la production pétrolière, le régime aurait accepté d’apporter son expertise en échange d’un partage des revenus.  C’est ce genre d’accords «techniques» que rechercheront d’abord ces comités pour restaurer les services gouvernementaux dans les zones tenues par le CDS (Asharq al-Awsat arabe). Ceci permettra peut-être d’établir une certaine confiance, malgré le souvenir que conservent les Kurdes de l’oppression subie du temps du régime… Le 5, la présidente exécutive du CDS, Ilham Ehmed, a démenti formellement toute remise de Raqqa et Hasakah à Damas et défendu une Syrie «décentralisée», ajoutant que c’était la centralisation qui avait causé la crise actuelle (al-Masdar). Le 12, un autre membre du CDS, Hesen Eli, a indiqué que les rumeurs selon lesquelles les territoires libérés de Daech par les FDS seraient remis au régime étaient sans fondement et qu’il n’y aurait aucune discussion à ce sujet avec Damas. Eli a ajouté que le CDS et le régime s’accordaient pour caractériser la présence turque comme une occupation, ajoutant: «Des discussions sont en cours avec divers gouvernements mondiaux car l'invasion d'Afrîn est un problème international et nous défendons l'intégrité territoriale de la Syrie. […] La libération d'Afrîn est notre priorité» (ANF). Le 13, le porte-parole des FDS, Kino Gabriel, a démenti les rumeurs de participation conjointe avec l’armée du régime à des opérations sur Idlib.

De son côté, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Muallem, interrogé à Moscou le 30 lors d’une conférence de presse conjointe avec Sergueï Lavrov par le correspondant de Kurdistan 24 sur les futurs droits des Kurdes dans la constitution en préparation, a botté en touche, déclarant ne pas s’occuper de ces aspects qui relèvent du «Comité constitutionnel»…

Enfin, le 27 août, la coalition TEV-DEM au pouvoir au Rojava a élu deux nouveaux coprésidents lors de son troisième congrès, tenu à Rmeilan (province de Hasakah). Il s’agit de Mme. Zelal Cegar et M. Xerîb Heso (Rûdaw).

TURQUIE: LA POLITIQUE D’ERDOĞAN ACCROÎT ENCORE L’ISOLEMENT INTERNATIONAL DU PAYS

Alors qu’il touchait au pouvoir absolu dont il rêvait, voici M. Erdoğan rattrapé par les échecs de sa gestion économique hasardeuse et de sa politique régionale… À force de tensions avec les États-Unis, la Turquie se retrouve dans une grave crise financière. Le 10 août la livre turque, en un «vendredi noir», a chuté de 19% pour tomber au taux historiquement bas de presque 7 livres pour un dollar (contre 1,9 en 2013). Mais Erdoğan, refusant toujours de relever les taux d’intérêt de sa banque centrale (nominalement indépendante), une mesure classique pour défendre sa monnaie, a préféré crier au «complot» international. Après tous ses discours anti-occidentaux, il prend conscience combien la Turquie dépend économiquement de l’Occident…

Le 1er août, après le placement en résidence surveillée du pasteur américain Andrew Brunson, la Maison Blanche annonçait des sanctions contre les ministres turcs de l’Intérieur et de la Justice, une mesure sans précédent entre alliés de l’OTAN! Si son impact financier demeure faible, l’effet symbolique ne pourrait être plus fort. Le Département du Trésor, qui supervise les sanctions américaines, a déclaré que ces deux Ministres étaient «les dirigeants des organisations gouvernementales turques chargées de mettre en œuvre les graves violations des droits de l’homme», montrant que l’affaire Brunson n’est pas seule en cause. Autre facteur de tension turco-américaine, le procès à New York du négociant irano-turc Reza Zarrab, pour les violations turques des sanctions américaines contre l’Iran. Zarrab, qui coopère avec les enquêteurs, a directement mis en cause Erdoğan comme donneur d’ordres et corrupteur en chef. Celui-ci a violemment attaqué le procès comme un «complot» contre son gouvernement, tandis que la Turquie déclarait ouvertement s’opposer à de nouvelles sanctions contre l’Iran… Enfin, face aux projets turcs d’acheter le système russe de défense antiaérienne S-400, fin juillet, les sénateurs américains ont proposé de bloquer les livraisons à la Turquie de l’avion de chasse F-35, dont pourtant une partie des pièces est produite en Turquie! Le projet de loi appelle également la Turquie à libérer les citoyens américains «détenus à tort»: Andrew Brunson, bien sûr, mais aussi Serkan Gölge, un scientifique binational arrêté le 23 juillet 2016 lors d’une visite à sa famille sur soupçon de participation au coup d’État (Business insider).

Les relations se sont tellement dégradées que certains analystes conseillent aux États-Unis de préparer une alternative à la base d’Incırlık au cas où la Turquie leur en interdirait l’usage…

À l’intérieur, le HDP a été le seul grand parti du Parlement à refuser de condamner les sanctions américaines (poussant certains journaux américains à qualifier le HDP de seul ami des États-Unis dans le pays). Le leader du CHP (kémaliste), Kemal Kilicdaroğlu, pourtant dans l’opposition, a appelé à des «sanctions contre les États-Unis», alors qu’un responsable de l’İyi (extrême-droite, scissionniste du MHP) suggérait la confiscation des tours Trump à Istanbul…

Le 10, en plein effondrement de la livre, Donald Trump a annoncé l’augmentation de 100% des taxes d’importation sur l’aluminium turc et surtout l’acier, qui représente 15 % des exportations turques… Le 12, alors que ces sanctions entraient en vigueur, le discours (deux fois reporté) du ministre turc des Finances, Berat Albayrak (le gendre du Président), n’a fait qu’augmenter les inquiétudes des milieux d’affaires. Le 14, la Maison Blanche comme le Département d’Etat se sont montrés intransigeants, renouvelant leur demande de libération de Brunson avant toute discussion et menaçant de «nouvelles mesures».

Les relations avec d’autres pays se tendent également. Le 1er août, un tribunal danois a prononcé la libération d’un Kurde arrêté le 14 juillet suite à l’une des dizaines de demandes d’extradition turques envoyées à Interpol depuis 2016. Raison invoquée: non-respect de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment l’absence de torture. Le Danemark avait déjà invoqué cette raison en 2017 pour refuser l’extradition d’un autre Kurde. En février, le dirigeant kurde syrien Salih Muslim avait été libéré par un tribunal tchèque; la semaine dernière, un autre Kurde résidant en Suisse a été libéré malgré des accusations turques de liens avec le PKK (Kurdistan 24). Les arrestations ou intimidations par la Turquie sur son sol de binationaux d’origine kurde sont aussi un facteur de tensions internationales. Le 2, un Autrichien né en Turquie venu pour l’enterrement de son oncle, a été arrêté avec sa compagne pour avoir partagé sur Facebook des reportages de la télévision allemande critiquant la politique kurde d’Ankara et du «Sultan Erdoğan» (Kronen Zeitung). Mis en garde à vue 4 jours puis expulsé, il a été interdit d’entrée pour 5 ans. Le 18, un Allemand d’origine kurde a été arrêté pour «propagande pro-PKK» (Der Tagesspiegel). Selon des chiffres officiels, au moins sept autres Allemands sont actuellement en prison pour «raisons politiques».

Mais arrestations et condamnations continuent aussi pour les citoyens turcs, au bon plaisir du «sultan», qui a dès le 1er août promis de «poursuivre la lutte contre les terroristes jusqu'au dernier» après la mort à Yüksekova (Hakkari) d'un nourrisson et de sa mère dans un attentat à la bombe qui a suscité une vive émotion (AFP). Flattant toujours les sentiments nationalistes, M. Erdoğan a encore répété qu'il ne s'opposerait pas à la réintroduction de la peine de mort si le Parlement la votait…

Le même jour, pourtant, en une rare bonne nouvelle judiciaire, la Cour constitutionnelle turque a ordonné le versement d’une indemnité de 20.000 livres turques à la députée HDP Meral Danış Beştaş pour un jugement qui avait «violé son droit à la liberté». Elle avait été condamnée en janvier 2017 pour avoir participé à la réunion du Conseil exécutif du HDP ayant appelé à manifester contre l’attaque de Daech sur Kobanê. Ces manifestations avaient provoqué la mort de 53 personnes, dont la justice avait considéré comme responsables les personnes ayant appelé à manifester. La Cour constitutionnelle a considéré que le tribunal n'avait pas prouvé que Beştaş avait voté en faveur des manifestations.

Le 5, le Président turc a directement menacé les électeurs du HDP, déclarant qu’ils seraient «tenus pour responsables» (Ahval). 10.000 de ses membres, soit un quart d’entre eux, sont incarcérés, ainsi que plus d’une centaine de maires et 9 députés. Le 6, la journaliste Hülya Emeç, actuellement exilée, a reçu 6 mois de prison pour avoir rapporté la mort par crise cardiaque d’un Kurde de Van de 48 ans, Şefik Tunuç, suite au harcèlement de la police, qui avait mené 3 raids sur son domicile en une semaine en 2014. Elle a été condamnée selon l’article 301 du code pénal qui punit les insultes au pays ou à ses institutions (SCF, Stockholm Center for Freedom). Le 10, un ancien candidat HDP à Kayseri, Kenan Marasli, a été arrêté avec 3 autres personnes pour «propagande pro-PKK» sur les réseaux sociaux (Turkey Purge). Le 17, le maire DBP (Parti des Régions démocratiques, allié régional du HDP) d’un sous-district de la province d’Adıyaman, Yusuf Yaka, a été arrêté avec 12 autres suspects après la mort de 4 soldats turcs dans des attaques du PKK. Les jours suivants, d’autres membres du BDP ont été arrêtés, notamment à Urfa, puis le 21, 6 membres du HDP à Ankara lors de raids chez eux. Le 24, l’ancienne députée HDP Leyla Birlik a préféré fuir le pays pour demander l’asile en Grèce (SCF). Condamnée en janvier dernier à 21 mois de prison pour insulte au Président, elle avait été libérée dans l'attente de son procès avec interdiction de quitter le pays. Selon la Grèce, 1.839 citoyens turcs ont demandé l'asile de janvier à juillet 2018, dont 687 en juillet… (T24)

Le 25, pour la première fois depuis des années, la police d’Istanbul a attaqué au canon à eau et aux gaz lacrymogènes la manifestation des «Mères du Samedi» (Cumartesi Annelerı), qui protestent chaque semaine depuis mai 1995 contre la disparition de leurs proches. 23 personnes ont été arrêtées, dont l’une des dirigeantes du mouvement, Emine Ocak, âgée de plus de 80 ans.

Par ailleurs, les discriminations anti-kurdes se font de plus en plus courantes. Un article de la revue Turkey Dispatches relève d’ailleurs que les journalistes kurdes emprisonnés risquent davantage d'être détenus loin de leurs familles. Se trouvant parfois à des centaines de kilomètres du lieu de leur procès, ils doivent pour défendre leurs droits devant les tribunaux comparaître par le biais du système de vidéoconférence SEGBİS (Ses ve görüntü bilişim sistemi), connu pour son mauvais fonctionnement, dont l’usage a été multiplié par 10 depuis 2013… (International Press Institute). Le 20, le Ministère des sports a refusé un terrain pour la cérémonie d’ouverture de la saison au club de football Amedspor. Le nom du club fait référence au nom kurde de Diyarbakir, Amed… Le prétexte invoqué: des canalisations percées, alors qu’aucune maintenance n’était prévue. Amedspor avait déjà payé une amende à la Fédération turque de football quand il avait changé de nom… (Ahval). Le 22, un concert du chanteur kurde Mem Ararat, originaire de Mardin, a été interdit sans explication, alors que l’autorisation avait été obtenue et la salle réservée (SCF, Kurdistan-24). Le 23, c’est le journal Welat, le dernier journal national en kurde, qui a été interdit. Frappé durant des années par des dizaines d’interdictions, il avait dû changer de nom autant de fois: Welat, Hawar, Welatê Me, Dengê, Azadiya Welat… Cette fois-ci, la mort du périodique pourrait bien être définitive.

Les opérations militaires contre le PKK se sont poursuivies, notamment au Kurdistan d’Irak, l’état-major turc continuant d’inonder littéralement les médias d’annonces rapportant la mort de terroristes ou la destruction de caches d’armes ou d’abris. Les premières du mois ont été publiées les 2 («neutralisation» d’au moins 5 combattants PKK), puis les 8 et 9 août; le 10, l’armée a annoncé la «neutralisation» d’un commandant, Ahmet Dorak, plus connu sous son nom de guerre Sahin, près de Khwakurk. Le 4, un policier a été tué et 8 autres blessés dans la province de Hakkari par l’explosion d’une bombe au passage de leur véhicule. Le 12, le ministère de l’Intérieur a annoncé la «neutralisation» dans la province de Tunceli d’un autre responsable militaire du PKK, Ibrahim Çoban, de son nom de guerre Atakan Mahir, puis le lendemain le 13, que 2.218 opérations avaient été menées depuis le 6, dans desquelles «35 terroristes du PKK» avaient été tués, et que 128 personnes soupçonnées d’assister le PKK avaient été arrêtées. La nuit du 22, l’armée de l’air turque a de nouveau intensément bombardé plusieurs villages dans la région de Bradost, au Kurdistan d’Irak, et un autre commandant du PKK, Baris Oner, appelé «Tarik le Turc», a été tué dans la région de la mer Noire – l’une des seules zones non-kurdes où opèrent des combattants du PKK (Kurdistan 24). Le 26, l’état-major a annoncé que le 24, un commandant du PKK, Fecri Demir, de son nom de guerre Tolhildan, avait été tué lors d’une offensive soutenue par des avions militaires dans la région de Dogubayazit. Le 27, le ministère de l’Intérieur turc a de nouveau annoncé «2.156 opérations» depuis le 20, où «12 terroristes ont été tués»… Le 28, un civil a été tué dans une frappe aérienne turque près de Sidakan au Kurdistan d’Irak, ainsi que les vaches d’un troupeau, et le 31, l’armée turque a annoncé la mort de 19 combattants kurdes au Kurdistan d’Irak.

Cependant, c’est l’assassinat ciblé par une frappe turque le 15 de ce mois d’un leader yézidi dans la région de Shingal (Sindjar), Zekî Şingalî, 66 ans (de son vrai nom Îsmaîl Özden), qui a suscité le plus de condamnations. Les avions ont frappé son convoi alors qu’il revenait d'une cérémonie commémorative pour 800 personnes massacrées dans le village de Kocho il y a quatre ans. Quatre membres des YBŞ (Unités de protection du Sindjar) ont également été tués et un commandant blessé. L'Union des communautés du Kurdistan (KCK), coordination de plusieurs partis proches du PKK, dont Şingalî était membre du conseil exécutif, a accusé l'Irak, les États-Unis et le PDK de «violation de l'espace aérien de Shingal» et d’avoir «autorisé les avions de l'État turc à attaquer Shingal». La coalition anti-Daech dirigée par les États-Unis a déclaré qu’il s’agissait d’une «décision unilatérale» de la Turquie. Le HDP a condamné la frappe turque, la qualifiant d'attaque contre les Yézidis. Le 17, la coordination de la communauté yézidie a demandé l’interdiction de l’espace aérien du Sindjar et des sanctions contre la Turquie, accusant l’Irak, pourtant responsable de la sécurité de ses citoyens yézidis, d’avoir laissé faire.

L’article consacré le 16 par le New York Times à la mort de Şingalî a suscité la rage de la Turquie: il mentionne qu’il «était considéré comme un héros par de nombreux membres de la minorité Yézidie», qu’il avait secourus contre Daech. Ibrahim Kalın, porte-parole officiel du Président turc, a accusé le journal de «justifier […] le terrorisme du PKK» (Spoutnik). Le samedi 18, alors qu’avaient lieu à Shingal les funérailles de Şingalî, de nombreuses manifestations, au Kurdistan et dans le reste du monde, ont condamné son assassinat et lui ont rendu hommage (Rojinfo).

IRAK: RATIFICATION DES RÉSULTATS, POURSUITE DES TRACTATIONS POST-ÉLECTORALES… ET DE L’ARABISATION

Le 9 août, la Commission électorale irakienne, après des dizaines de contestations et un recomptage manuel partiel, a finalement annoncé des résultats définitifs presque identiques aux résultats initiaux… Les tractations entre coalitions pour décider du prochain gouvernement se sont poursuivies, les Kurdes tentant, malgré leurs divisions, d’y participer unis pour faire valoir leurs demandes. Le Kurdistan a parallèlement poursuivi la préparation de ses propres législatives, fixées au 30 septembre. Tout ceci dans un contexte de violence touchant l’ensemble du pays: manifestations anti-corruption au Sud, réémergence de Daech au Nord, particulièrement dans les territoires disputés entre Kurdistan et gouvernement fédéral, qui subissent une politique d’arabisation…

Les résultats définitifs des élections du 12 mai, ratifiés le 14 par la Cour fédérale, sont identiques aux résultats initiaux dans 13 des 18 provinces irakiennes, dont le Kurdistan (certains recomptages ont dû être annulés suite à l’incendie d’un entrepôt où étaient conservées des urnes). La coalition Sayrûn de Moqtada Sadr reste en tête avec 54 sièges sur 329, suivie de Fatih (liste des milices pro-iraniennes du Hashd al-Shaabi, 47 ou 48 sièges) et de Nasr (liste du Premier ministre sortant Haider al-Abadi, 42 sièges). Le 10, Nasr a annoncé un accord préliminaire avec Sayrûn, Hikma («Sagesse», d'Ammar al-Hakim), et Wataniya (Coalition «nationale», d'Iyad Allawi) pour former le prochain gouvernement. Le chef négociateur de Nasr, Khaled al-Obeidi, a ajouté avoir également conclu un accord avec le PDK. Mais le 13, selon Rûdaw, une autre coalition, comprenant Fatih, État de droit (Maliki) et Fadhila (Parti de la vertu islamique) négociait également avec les Kurdes…

Dans ces négociations, se pose la question de l’unité des Kurdes face à Bagdad. Alors que 4 partis d'opposition kurdes, Goran, l'Union islamique du Kurdistan (Yekgirtû), la Coalition pour la démocratie et la justice (CDJ) et le Groupe islamique (Komal), ont maintenu leur rejet des résultats, PDK et UPK ont élaboré un agenda commun en 30 points et appelé les autres partis kurdes à les rejoindre. L’agenda stipule entre autres que la question de la gouvernance de Kirkouk doit être résolue selon l’article 140 de la Constitution: par référendum des populations concernées. Les 4 partis mentionnés, tout en décidant de se rendre à Bagdad séparément, ont finalement accepté un dialogue sous conditions pour tenter d’arriver à un agenda commun dans les négociations avec les coalitions arabes. Le 18, la délégation PDK-UPK a même retardé son départ vers la capitale irakienne, espérant convaincre l’opposition de la rejoindre…

Le 19, Sayrûn, Nasr, Hikma et Wataniya ont annoncé une coalition interreligieuse, tandis que le leader du PDK, Massoud Barzani, recevait à Erbil une délégation sunnite de haut niveau (Kurdistan 24). Comme pour les Kurdes, les coalitions chiites ont proposé des concessions aux sunnites pour qu’ils les rejoignent. Le 20, pour convaincre la coalition sunnite du «Front national» de rejoindre la coalition Fatih – État de droit, le commandant adjoint des Hashd al-Shaabi a ordonné à celles-ci de fermer leurs bureaux et de se retirer des villes à population sunnite.

Le 24, en prévision de la première session du nouveau Parlement, le Président sortant Fouad Massoum a rencontré les dirigeants de coalitions Abadi et Maliki. Selon la Constitution, le Parlement doit élire le nouveau Président dans les 15 jours suivant la ratification des résultats par la Cour fédérale. Celui-ci a alors 15 jours pour désigner un Premier ministre, qui doit nommer dans les 30 jours son cabinet, dont chaque ministre doit être approuvé individuellement par les députés. En cas d’échec, le Président a 15 jours supplémentaires pour recommencer le processus avec un autre premier ministre… Le 27 août, Massoum a annoncé par décret que le Parlement se réunirait le 3 septembre, ce qui a accéléré les tractations entre chiites, sunnites et Kurdes (PDK-UPK), Maliki et Sadr se disputant le soutien de ces derniers. «Il y a des signes d'accord entre les Kurdes et les Sunnites pour s'allier à Sayrûn», a déclaré le 26 Ra’ad Fahmi, leader du Parti communiste et membre influent de Sayrûn. Un haut responsable de Nasr, Ahmed al-Hamdani a même déclaré être prêt à accepter le retour des pechmergas à Kirkouk… avant d’être démenti le lendemain par Abadi, qui a déclaré que le sujet n’était pas sur la table… Le 27, une délégation conjointe SayrûnNasrHikmaWataniyya s’est rendue à Erbil pour discuter de l’intégration du bloc PDK-UPK. Ses membres ont rencontré l'ancien Président de la région du Kurdistan, Massoud Barzani. Parallèlement, des représentants sunnites de l’alliance «Axis», qui avaient également rencontré le leader du PDK, ont déclaré être parvenus à un «projet commun» avec les Kurdes. Cette alliance pourrait choisir le prochain président du parlement irakien, poste attribué à un sunnite depuis 2005. Le lendemain, des rencontres ont rassemblé PDK, UPK et opposition…

Dans le Sud du pays, les manifestations contre la corruption se sont poursuivies, peut-être moins intenses. Le Premier ministre Abadi a tenté fin juillet et début août de calmer la colère des manifestants par plusieurs mesures: remplacement de plusieurs ministres (notamment celui de l’électricité) et responsables électoraux, rééchelonnement des dettes des agriculteurs, attribution de fonds aux hôpitaux et aux projets de développement (ISHM-Epic). Ceci n’a pas empêché la reprise des manifestations le 10 dans la province de Najaf, et à Bagdad, où les manifestants se sont rassemblés sur la place Tahrir. Le 15, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme en Iraq a annoncé la mort d'un manifestant arrêté à Bassorah, et des affrontements ont éclaté dans cette ville avec la police. Le 31, de nouvelles manifestations violentes ont éclaté, notamment dans le port d’Oum Qasr.

Dans le Nord, c’est la persistance de Daech, notamment dans les territoires contestés, qui est à relever. Le 13, un rapport des Nations-Unies estimait qu’il restait 20 à 30.000 djihadistes répartis à peu près également entre Irak et Syrie, dont de nombreux combattants étrangers (Kurdistan 24). Le 6 au matin, Daech a pris des militaires irakiens en embuscade près de Makhmour (60 km au Sud-Ouest d’Erbil). Le 10, les gardes-frontières irakiens ont tué 5 djihadistes et en ont capturé 2 autres; le 11, 2 autres ont été tués au nord de Bayji. Le 14 août, des informations ont fait état de la «mort clinique» du leader de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, et de l’ascension d’un nouveau leader, le Tunisien Abou Othman al-Tounisi. Mais le 22, l’organisation a diffusé un message audio de Baghdadi où celui-ci appelait ses partisans à «rester inébranlables dans les combats» et mentionnait des événements récents comme la question du pasteur américain détenu en Turquie… Le 29 août, 20 membres des forces de sécurité irakiennes ont été tués ou blessés dans un attentat à la voiture piégée dans la province d’Anbar. Daech a revendiqué 28 morts. Le soir, au moins 11 djihadistes ont été tués par des frappes aériennes sur Makhmour, et le lendemain matin, une autre attaque à la voiture piégée a tué 2 officiers irakiens à un point de contrôle près de Hawija, au Sud-Ouest de Kirkouk (Kurdistan 24). Pour le vice-ministre GRK des pechmergas, les forces irakiennes et les milices du Hashd sont incapables de sécuriser les territoires disputés sans la coopération des pechmergas, et c’est un problème que devra aborder en priorité le nouveau gouvernement irakien (Kurdistan 24).

Parallèlement, le bilan des atrocités de Daech continue d’être établi. Votée en 2017 à l’unanimité par le Conseil de sécurité, l’enquête des Nations-Unies va rapidement démarrer. Elle donnera les éléments permettant de traduire les responsables devant la justice. Selon le GRK, plus de 2.500 Yézidis ont perdu la vie dans les exactions de Daech, et 6.000 autres – principalement des femmes et des enfants – ont été enlevés. Quatre ans plus tard, plus de 3 000 femmes et enfants sont encore portés disparus et 300.000 Yézidis vivent dans des camps au nord de l’Irak…

Par ailleurs, la politique d’arabisation menée dans plusieurs territoires suscite toujours des protestations. Le 2, des représentants des communautés shabak, yézidie et assyrienne du Conseil provincial de Mossoul (Ninawa) ont écrit au Président du Conseil et au ministère irakien de l’Intérieur une lettre conjointe où ils protestent contre le projet d’installation de 450 familles arabes originaires d’autres parties de l’Iraq, dénonçant le non-respect de l'article 23 de la Constitution de 2005, selon lequel «l’acquisition d'un bien aux fins d'un changement démographique est interdite». Dans la province de Kirkouk, des Kurdes se plaignent d’être poursuivis en justice par des Irakiens du Centre et du Sud du pays ayant reçu des titres de propriété sous Saddam Hussein. Ceux-ci, soutenus par le gouverneur intérimaire de Kirkouk nommé par Bagdad, réclament maintenant ces biens, qu’ils avaient à la chute du régime restitués en échange d’une compensation financière, conformément à la nouvelle Constitution. Le 14, Kamal Kirkouki, responsable du PDK à Kirkouk, a dénoncé une «nouvelle campagne d'arabisation» par laquelle 12.000 familles ont été amenées en un an du centre et du sud du pays.

Autre aspect de cette même politique, depuis sa prise de contrôle de la province de Kirkouk, le gouvernement irakien a démis de leurs fonctions 47 responsables kurdes, à commencer par le gouverneur de Kirkouk (Rûdaw). Cette politique suscite des résistances. Ainsi le maire kurde de Daquq, Amir Khwakaram, a contesté son limogeage devant la Cour suprême, qui doit l’entendre ainsi que le gouverneur courant octobre. Le 22, une délégation de Turkmènes et de Kurdes de Kirkouk a obtenu du ministre de l'Agriculture la suspension pour enquête d’un décret autorisant des familles arabes à s’installer sur leurs terres. Si l’enquête montre qu’aucun consensus n’est possible, le ministre a promis d’annuler définitivement le décret contesté.

Enfin, l’arabisation concerne aussi les documents officiels: le ministère du Pétrole a interdit par écrit le 13 l’usage de termes kurdes dans les documents de la Northern Oil Company, menaçant même les contrevenants de poursuite… (Kurdistan 24)

Autre point de tension, les exportations de pétrole. Alors que le 14, la cour fédérale différait pour la 4e fois sa décision sur la constitutionnalité des exportations du GRK vers la Turquie, arguant d’articles contradictoires dans le texte constitutionnel et confiant le dossier à un expert, le même jour, le Premier ministre irakien rencontrait le Président turc pour discuter l’ouverture d’un nouveau point de passage frontalier permettant de renforcer le «commerce direct» entre les deux pays – c’est-à-dire «sans passer par le Kurdistan». Il a été aussi question d’exporter le pétrole de Kirkouk vers la Turquie par un oléoduc traversant le même territoire. Il s’agit en fait de la bande de terre de Pêsh Khabour, au point frontalier triple Irak-Turquie-Syrie, que l’armée irakienne avait tenté en vain de prendre aux pechmergas en octobre 2017, et où passe déjà un oléoduc, contrôlé celui-là par le GRK… Les responsables kurdes ont souligné qu’il faudrait bien sûr leur accord pour un tel projet, qui était de toute manière irréaliste tant que la sécurité ne serait pas pleinement rétablie à Kirkouk…

Sur d’autres plans, les relations semblent meilleures. Le 21, sur la demande du gouverneur de Suleimaniyeh, l’Aviation civile irakienne a soulevé avec la Turquie le problème de l’interdiction par ce pays de vols de et vers l’aéroport de Suleimaniyeh (Rûdaw).

Enfin, la Région du Kurdistan a engagé les préparatifs pour ses élections législatives, fixées au 30 septembre, pour lesquelles 111 sièges sont à pourvoir (100 «généraux» plus 11 «sièges de quota» réservés aux minorités). Dès fin juillet, UPK et PDK ont publié les listes de leurs candidats respectifs, dont une partie sont des députés en cours de mandat. La Commission électorale du Kurdistan a approuvé 38 listes pour plus de 800 candidats. La plupart des partis présentent 100 candidats (1 par siège); le 13, «Nouvelle Génération», mouvement de l’ancien homme de médias Shaswar Abdulwahid Qadir, a annoncé 50 candidats.

Les autorités ont par ailleurs averti du faible taux de réinscription des électeurs. Ceux-ci doivent visiter les centres de la Commission électorale pour renouveler leur carte d'électeur. Le 8 août, 4 jours avant la date-limite, moins de 5% des électeurs l’avaient fait. Suleimaniyeh a le taux de réinscription le plus bas, avec 28.000 réinscrits sur 1,19 million, soit à peine 2,4%. Erbil suit avec 41.449 sur 1,1 million (3,7%), puis Duhok avec 30.000 sur 722 000 (4,2%). À Halabja, nouvelle province, 6.000 électeurs avaient renouvelé leur carte d'électeur sur 68.300 (8,8%).

Le 12, la Commission électorale a fixé la période de campagne du 5 au 28 septembre, puis a annoncé le 19 avoir nettoyé la liste électorale de 200.000 personnes décédées ou en double. Selon certains partis – Goran, CDJ, Union islamique (Yekgirtû), Groupe islamique (Komal) – la liste comporterait pourtant encore des problèmes de ce type.
Concernant les relations entre partis kurdes, le Bureau politique de l’UPK a présenté le jour de l’Eïd à Goran des excuses pour son attaque du soir des élections contre son siège de Suleimaniyeh, excuses que Goran a acceptées. Le 27, une délégation de l’UPK (ne comprenant pas le responsable de l’attaque…) a visité les lieux pour compléter la réconciliation.

IRAN: TENSIONS MILITAIRES ET RÉPRESSION INCESSANTE AU KURDISTAN

Durant le mois d’août les tensions militaires qui s’étaient accrues dans les mois précédents ont persisté, donnant lieu à des affrontements violents entre partis kurdes et forces de répression du régime. Chacun a revendiqué des morts chez ses adversaires, et les pasdaran (Gardiens de la Révolution) ont poursuivi leurs exactions contre les porteurs transfrontaliers kurdes (kolbars) et les habitants des villages frontaliers. Parallèlement, le sort des prisonniers politiques, et particulièrement de Ramin Hossein Panahi, toujours menacé d’exécution, continue à susciter des inquiétudes.

En début de mois, l’Association des droits de l’homme du Kurdistan a signalé que les forces de sécurité du régime avaient arrêté sans charges dans des villages kurdes proches de la ville de Mariwan 27 hommes qui ont été emmenés dans des lieux inconnus sans qu’aucune information soit donnée aux familles (WKI, Washington Kurdish institute). Le PDKI comme les pasdaran ont annoncé des combats les ayant opposés durant plusieurs heures la nuit du 11 près de la ville d'Oshnavieh (Shno), non loin de la frontière avec la région du Kurdistan irakien, chacun revendiquant une dizaine de tués chez son adversaire. Un communiqué iranien a qualifié les pechmergas du PDKI de «terroristes […] affiliés à l’arrogance internationale»… Dans un contexte de nombreux bombardements turcs contre le PKK et d’incursions iraniennes au Kurdistan d’Irak contre les partis kurdes du Rojhelat, la gendarmerie turque et la police des frontières iranienne se sont rencontrés le 10 dans le district de Boralan, près de Maku (Iran), affirmant leur détermination à lutter contre le PKK et son parti-frère en Iran, le PJAK, ainsi que contre la contrebande.

En réponse, le PJAK a lancé le 12 un appel à l’unité des partis kurdes contre Téhéran. Il a proposé la création d’une Commission multipartite pour résoudre les rivalités, une force armée combinée et à une plate-forme médiatique partagée, ainsi que la formation d'un Conseil national démocratique pouvant ensuite s’élargir à de nouveaux membres et d’un Conseil diplomatique conjoint. La proposition a cependant été rejetée par les autres partis kurdes. Le responsable du Komala a estimé le plan irréaliste vu l’absence de dialogue dans le passé, tandis qu’un responsable du PDKI déclarait que le projet de PJAK ne correspondait pas à ses propres objectifs stratégiques, les feuilles de route des deux partis étant totalement différentes. En janvier dernier, après les attentats meurtriers contre la base du PDKI à Koya au Kurdistan d’Irak, avait été créée une Commission permettant aux partis kurdes d’Iran d’échanger des renseignements pour faire face aux menaces contre leur sécurité, mais le PJAK n’en fait pas partie…

Le 16, le PDKI a revendiqué la mort de 3 pasdaran dans l’attaque d’une de leurs bases près de Sardasht (Azerbaïdjan occidental), et le même jour, un nouveau groupe armé, «Les Combattants du drapeau rouge», a revendiqué l’exécution d’un policier dans la province de Kermanshah pour les «années de souffrance» qu'il avait infligée à la population kurde locale. Selon le communiqué, repris dans une publication du Komala, le major Hassan Maliki harcelait constamment les familles de militants politiques et d'autres citoyens de Rwansar.

Selon les nouvelles du Kurdistan d’Iran, le harcèlement est bien permanent, et notamment contre les porteurs transfrontaliers, les kolbars. La pauvreté endémique ne laisse souvent aux habitants que cette activité pour survivre, comme en témoigne la grève déclenchée le 8 par les employés municipaux de Sardasht, impayés depuis des mois. Considérés par les forces de répression comme des contrebandiers, ces kolbars sont fréquemment abattus dans la montagne, véritables «assassinats légaux» impunis. Le 9, l’un d’eux a été ainsi tué près de Salmas, à la frontière irano-turque. Puis une douzaine d’autres ont été arrêtés dans un raid des forces de répression à Birwan, près de Sardasht. Le 22, un autre encore, âgé d’à peine 19 ans, a été tué à la frontière irakienne, près d’Oshnavieh (Shno). Le 25, un autre porteur a été tué par l'explosion d'une mine près de Penjwîn, à la frontière Iran-Kurdistan d’Irak. Trois blessés ont été emmenés côté irakien dans un centre médical à Penjwîn. Bien qu’il reste des mines antipersonnel de la guerre Iran-Irak, les habitants accusent le régime d’en avoir placé récemment de nouvelles contre les combattants kurdes…

Les pasdaran n’hésitent d’ailleurs ni à s’en prendre aux civils ni à détruire l’environnement. Le 21, selon l’Association des droits de l'homme du Kurdistan, ils ont «pour des raisons de sécurité nationale» expulsé les habitants de 500 villages frontaliers de la province de Kermanshah, convertissant toute la région en zone militaire (WKI). Le 25, ils ont bombardé les montagnes près de Mariwan, provoquant un incendie de forêt qui a tué quatre pompiers et des militants écologistes venus lutter contre les flammes, ce qui a déclenché des manifestations à Mariwan (Kurdistan 24). Le 28, un nouvel incendie a éclaté près de Sardasht de cause inconnue, mais les activistes soupçonnent son déclenchement volontaire par les forces de répression pour empêcher les groupes d'opposition kurdes de se cacher dans les zones boisées… (WKI)

Enfin, le 31, Voice of America a rapporté la désertion d’un officier kurde de la police iranienne, qui a dû fuir l’Iran après avoir refusé d’arrêter des participants à des manifestations anti-gouvernementales. Selon son témoignage, il y aurait eu récemment d’autres désertions, même au sein de l'armée et des pasdaran

La situation des prisonniers politiques en Iran continue à inquiéter les défenseurs des droits de l’homme. En particulier, la famille de Ramin Hossein Panahi, condamné à mort au terme d’un procès inique, a exprimé en début de mois ses craintes pour sa vie. Il semble que les médias affiliés aux pasdaran mènent une véritable campagne de presse pour préparer l’opinion publique à son exécution. Selon une source anonyme proche de sa famille, «La [situation dans la] région du Kurdistan [d’Iran] est très tendue suite aux combats avec le PJAK et la mort de gardes-frontières. […] Depuis quelques semaines, certains sites gérés par l'IRGC [pasdaran] et le ministère du Renseignement publient des articles chaque jour pour justifier la condamnation à mort de Ramin». L’avocat de Panahi, Hussein Ahmadi Niyaz, qui défend aussi d’autres prisonniers politiques, ainsi que les écolières victimes de l’incendie de leur école à Shin Abad (Piranshahr) en 2012, a été lui-même brièvement arrêté le 5 à Sanandaj, où il s’était rendu pour suivre l’affaire de Panahi, avant d’être libéré sous caution. Raison invoquée: il n’avait pas répondu à la convocation d’un tribunal révolutionnaire l’accusant d’avoir accordé des interviews à des médias étrangers.

Mais le 15, Niyaz a publié une déclaration conjointe avec deux collègues où ils indiquent avoir été informés par la famille de Panahi que celui-ci avait été transféré deux jours plus tôt sans son consentement de Sanandaj vers la prison de Rajaei Shahr, dans la banlieue ouest de Téhéran (VOA). Ce transfert, opéré sans informer la famille, est illégal, les prisonniers devant être détenus près de chez eux et de leur famille, à moins qu’ils ne demandent eux-mêmes un transfert. Le 27, le frère de Ramin, Amjad, a déclaré que le condamné avait entamé une grève de la faim et avait été placé à l’isolement dans la nuit, opération durant laquelle il aurait été blessé par des gardiens. «Nous pensons qu'il est peut-être dans l'un des hôpitaux de Téhéran, mais pour l'instant, nous ne savons pas […] s'il a été pendu ou non», a déclaré Amjad (Kurdistan 24).

D’autres prisonniers politiques, auxquels, comme pour Panahi, des aveux ont fréquemment été arrachés par la torture, risquent aussi l’exécution. Le 19, Amnesty International a appelé l’Iran a réexaminer sa décision d'exécuter Kamal Hassan Ramezan, un Kurde du Rojava arrêté à Ouroumieh en 2014 et accusé au terme d’un procès inique, sans avocat, d’avoir participé en 2011 à une attaque menée par un groupe armé du PJAK où un pasdar avait été tué. Le 23, un autre prisonnier, l’écrivain Ali Baderkhani, a été sévèrement battu par des prisonniers de droit commun encouragés par un responsable pénitentiaire. Après une grève de la faim d’une semaine, Baderkhani s’était entendu promettre un transfert vers le quartier des prisonniers politiques. En fait, il a été transféré de l'isolement cellulaire au quartier des travailleurs où il a été agressé. Baderkhani a publié plusieurs ouvrages sous le nom de plume de Shiwan, dont Démocratie et Kurdes

Les journalistes tentant de défendre les droits de leurs concitoyens sont aussi réprimés. C’est le cas du journaliste kurde et défenseur des droits de l’homme Ejlal Ghavami, qui a été convoqué pour la 3e fois en quelques mois pour un interrogatoire au bureau de Sanandaj du Renseignement iranien. D’abord inquiété en rapport avec les manifestations anti-gouvernementales de janvier dernier, Ghavami avait été accusé en mars de diffusion de fausses informations et de propagande anti-gouvernementale. Il avait ensuite été acquitté, mais les procureurs ayant fait appel de cette décision, il doit de nouveau comparaître devant la Cour d’appel en novembre. Cette nouvelle convocation correspond, pense-t-il, à l’ouverture encore d’un nouveau dossier contre lui…

Au chapitre des autres nouvelles, le 26 au matin, un séisme de magnitude 6,0 a tué au moins deux personnes dans la province de Kermanshah et en a blessé plus de 300 autres. Son épicentre se situait près de la ville de Gezen (Kermanshah), il a été ressenti jusqu'à Erbil et Bagdad.

SCIENCES ET CULTURE: UN RÉFUGIÉ KURDE IRANIEN REÇOIT LA PLUS HAUTE DISTINCTION MATHÉMATIQUE

Le 1er août, le Kurde iranien Caucher Birkar (un nom qui pourrait se traduire par «le nomade mathématicien», bîrkarî signifiant «mathématiques»), 40 ans, réfugié au Royaume-Uni depuis 2000, a reçu à Rio de Janeiro avec 3 autres lauréats la médaille Fields, une distinction considérée comme équivalent au prix Nobel pour les mathématiques. Birkar, qui enseigne à l'Université de Cambridge, a été récompensé pour sa contribution aux études géométriques sur le plan de Fano. La médaille Fields, créée à la fin du 19e siècle, est attribuée tous les quatre ans depuis 1936 lors du Congrès international des mathématiques à au maximum quatre mathématiciens de moins de 40 ans. Après avoir reçu sa récompense, Birkar, faisant allusion au peuple kurde, a twitté: «J'espère que cette nouvelle va faire sourire 40 millions de personnes».

L’attribution de la médaille à Birkar a eu d’autant plus de publicité que celle-ci lui a été volée quelques minutes après qu’il l’ait reçue, en même temps que son portefeuille, dans la pochette où il avait placé les deux! Au-delà de sa valeur hautement symbolique, la médaille est en or 14 carats et vaut environ 3.440 €. Une médaille de remplacement a cependant pu être remise à Birkar, les organisateurs ayant prévu en cas d'imprévu une 5e médaille sur laquelle son nom a été de nouveau gravé.

La distinction de ce jeune mathématicien kurde a été largement médiatisée et célébrée dans toutes les régions du Kurdistan. Les Kurdes sont fiers que l’un d’eux ait pu s’illustrer dans une discipline où à ce jour aucun ressortissant du monde musulman n’a été récompensé.

Le 6 août, les autorités turques ont procédé au déménagement d’un hammam du 14e siècle, construit à Hasankeyf, pour le préserver de l’engloutissement dans les eaux de retenue du barrage d’Ilisu. L’opération, qui a nécessité d’énormes moyens, a donné lieu à une publicité importante. Le bâtiment a été installé sur une plate-forme roulante faite sur mesure et a mis plusieurs heures le long d’une route construite spécialement pour atteindre son nouvel emplacement, à 2 km de l’ancien, au sein d’un «parc culturel» créé à proximité de la vieille ville. L'an dernier, un tombeau datant du 15ème siècle et pesant plus de 1.100 tonnes y avait déjà été installé. Six autres ouvrages doivent les rejoindre, et selon le gouverneur de la province de Batman, Ahmet Deniz, «Le nouveau Hasankeyf sera une perle touristique» (Anadolu). Cependant, le barrage d’Ilisu, qui fait partie du gigantesque projet du Sud-Est Anatolien (GAP, pour Anadolu Güneydoğu Projesi), est très critiqué pour la destruction qu’il va causer au patrimoine de la région, puisqu’il engloutira la totalité de la ville de Hasankeyf, vieille de 12.000 ans, ancienne étape commerciale sur la «Route de la soie», avec ses vestiges d’époques romaine, byzantine, omeyyade, abbasside, merwanide, ayyoubide, pré-ottomane et ottomane… Bien que se présentant maintenant comme un «projet intégré de développement», le GAP vise essentiellement à apporter des ressources d’électricité d’origine hydro-électrique à l’Ouest du pays, avide d’énergie. Il est aussi générateur de tensions avec les pays d’aval du Tigre et de l’Euphrate, Syrie et Irak, auxquels il coupe l’arrivée d’eau, aggravant les pénuries chroniques dans la région. En juin, la Turquie avait annoncé suspendre pour un mois le processus de remplissage de ses barrages après plainte de l'Irak…

Le 24, le ministre du Patrimoine du Gouvernement britannique, Michael Ellis, a annoncé l’attribution de budgets par son Fonds de protection culturelle pour concourir à la protection de sites archéologiques uniques du Kurdistan irakien datant de plus de 10.000 ans. Le Fonds s’intéresse aux régions touchées par les conflits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, et finance 9 projets. Deux zones du Kurdistan sont concernées: la région de Garmiyan et la ville d’Amêdî. Garmiyan a subi des dommages continus dans la période récente: se trouvant sur la ligne de front de la guerre Iran-Irak, elle a aussi souffert de la répression des Kurdes sous Saddam Hussein dans les années 1990 et s’est aussi trouvé très près de la ligne de front avec Daech. L'Université de Glasgow a reçu plus de 300.000 livres pour évaluer les dommages dans la région à l'aide d'imagerie satellitaire et aérienne et proposer des solutions de préservation. L’équipe britannique formera également des archéologues locaux et collaborera avec les enseignants des écoles de la région pour mettre en valeur le patrimoine culturel dans leurs salles de classe. Concernant Amêdî, le projet, qui a reçu 100.000 livres, vise à documenter le patrimoine de cette ville et collaborer avec les autorités locales pour le protéger (www.gov.uk).