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Bulletin N° 351 | Juin 2014

 

IRAK : L’EIIL S’EMPARE DES PROVINCES SUNNITES ARABES

Au matin du 7 juin les premières attaques de l’État islamique en Irak et au Levant contre les forces irakiennes à Mossoul entraînèrent une débandade aussi surprenante que spectaculaire des militaires, et les milices djihadistes, en deux jours, purent occuper la totalité de la ville, dont les bâtiments du gouvernorat, l’aéroport international et toutes les bases de la police et de l’armée. Cinq cent mille habitants se jetèrent alors sur les routes, dans un exode peut-être autant dû à la panique de possibles bombardements de l’aviation irakienne  qu’aux combats qui faisaient déjà rage dans la ville.

 

Malgré ses appels télévisés où il avait enjoint au préalable toutes les forces combattantes de Mossoul à faire face, le gouverneur de la province, Osama Al-Nudjaïfi,  encerclé par une centaine de militants d’EIIL, a fini par s’échapper lui aussi, et à être évacué sur Erbil, avec l’aide des Peshmergas, ainsi que la majorité des étrangers, hormis le personnel du consulat turc qui, pour des raisons inconnues, refusa d’évacuer les lieux et est actuellement otage de l’organisation. De même une trentaine de chauffeurs routiers venus de Turquie ont été faits prisonniers.

 

Les peshmergas ont aussi réussi, sans aucune perte, à libérer et évacuer environ 600 étudiantes, originaires de diverses provinces irakiennes, et prises au piège parmi les combats, trois jours durant dans les dortoirs de leur université, qui ont ensuite été convoyées au nord de Mossoul, dans les régions sécurisées par les Kurdes.

 

Enfin, le 10 juin, la fuite désordonnée des soldats irakiens et la perte de la province de Ninive ne faisait plus de doute. Les images de soldats ayant laissé sur place toutes leurs armes, y compris des chars (au profits d'EIIL), et s’étant débarrassés de leurs uniformes pour se camoufler en civils, ont stupéfié les Irakiens comme le reste du monde, en raison de la disproportion numérique des combattants (au départ environ trois mille pour EIIL, 73 000 pour les Irakiens en plus des forces de police) et de l’armement incontestablement supérieurs des Irakiens, armement fourni par les USA.

 

Dans une allocution cette fois donnée d’Erbil, Osama Al-Nudjaïfi, a accusé les généraux de « déloyauté » et d’avoir fui en laissant la ville seule face à l’avancée des djihadistes.

 

Les réfugiés, de Mossoul même ou de ses environs, craignant tout autant les bombardements de représailles de l’armée que la terreur d’EIIL, pris sous le feu et voyant s'enfuir toute l'armée, se ruèrent en direction du Kurdistan, alors que les Peshmergas se dépêchaient de prendre position dans presque tous les territoires à majorité kurde, et assuraient ainsi la protection de régions dont la population non musulmane pouvait apparaître comme des cibles de choix, comme Shingal  et ses yézidis, al-Qosh et Qarqosh, peuplées de chrétiens et/ou de shabaks et de yézidis, régions qui elles-mêmes, accueillaient le flot de fuyards en provenance de Mossoul. Le poste-frontière de Rabia, attenant à la province kurde de Hassaké en Syrie, a vu même une certaine coordination des forces YPG passant peut-être de l’autre côté (au dire des YPG mais sans confirmation des Peshmergas), le temps que les troupes kurdes arrivent d’Erbil, afin d’en chasser EIIL et de boucler ainsi la région de Shingal. 

 

Mais c’est surtout la ville de Kirkouk et d’autres localités kurdes plus au sud, comme Djalawla, qui ont vu un grand renfort de Peshmergas, comblant le vide laissé par les troupes irakiennes, lesquelles ont fui comme à Mossoul.

 

Au soir du 10 juin, Osama Al Nudjaïfi pouvait annoncer que toute la province de Ninive était occupée par les djihadistes, hormis les régions gardées par les Kurdes. La province de Salahaddin est tombée rapidement aux mains de l’EIIL et malgré les propos de Nouri Maliki assurant que ses troupes allaient réoccuper Mossoul dans les 24 heures, il est apparu très vite que l’Irak était à présent coupé, militairement et politiquement en 3 zones : kurde, sunnite et chiite.

 

Les explications données par les premiers témoins de la défaite irakienne ont été contradictoires et confuses. Les soldats, réfugiés au Kurdistan en attendant d’être évacués chez eux via l’aéroport d’Erbil, ou bien soignés dans les hôpitaux de la capitale ou de Duhok, faisaient état de groupes trop bien entraînés (le manque de formation et de bonne forme physique de l'armée irakienne sont relevés depuis des années), aguerries au combat de rue (ce que ne sont pas les soldats, hormis les Peshmergas). Mais de nombreuses voix indiquaient aussi une fuite subite et désordonnée des officiers, dont les généraux eux-mêmes, soit après avoir lancé un mot d’ordre de retraite à leurs troupes, soit en les ayant laissées à elles-mêmes, sans aucune instruction. 

 

Pour finir, il apparaît surtout que la politique de débaathisation de l'armée initiée par les Américains en 2003, qui a fini par être une désunnisation, a fait des troupes de Mossoul une armée d'occupation détestée, composée d'hommes qui n'avaient aucune envie de mourir pour cette ville et sa province. Les relations très conflictuelles du gouvernement central avec la population sunnite d’Irak ont, en tout cas, induit une certaine passivité de cette population à l’approche des djihadistes. 

 

Le 11 juin, EIIL avait pris Tikrit à moins de 200 km de Bagdad (et assiégé la raffinerie de Baiji, ce qui a plongé tout le pays et le Kurdistan dans une pénurie générale d’essence). Le porte-parole d’EIIL, Abou Muhammad Al Shami Al-Adnani, annonçait que leur ambition était de marcher sur Bagdad. 

 

Il est cependant peu probable que Bagdad et les provinces chiites puissent tomber aussi facilement que les régions sunnites, dont le sentiment anti-Maliki les pousse, au mieux à l’indifférence, au pire à collaborer ouvertement avec EIIL, notamment avec ses mouvances post-baathistes. Les chiites, par contre, comme les Kurdes, ne livreront jamais leurs villes (et encore moins les lieux saints de Nadjaf et Kerbelah, directement menacées par l'EIIL dont le programme de destruction des tombeaux, lieux de culte et de pèlerinage rejoint celui des Wahabites, mais en plus radical). 

 

La réponse de Nouri Maliki et de son entourage politique à l’avancée des milices et à ce qui est aussi une insurrection sunnite irakienne, a été à la fois incohérente et dangereuse. Il a ainsi appelé l’armée à combattre l’ennemi jusqu’au bout, tout en menaçant ses officiers déserteurs de cour martiale et de mort. Il a aussi demandé à la population (surtout les chiites) de former des milices volontaires, ce qui redonne du poids à son vieil ennemi Moqtada as-Sadr et fait courir le risque d’exactions ou de règlements de compte sommaires entre groupes armés ainsi que des menaces sur les populations non chiites (notamment les Kurdes et les sunnites vivant à Bagdad, ouvertement désignés comme traitres et complices d’EIIL). Enfin, il refuse  de quitter ses fonctions de Premier Ministre, de chef des armées et de police en faveur d'un gouvernement national d'urgence, comme le suggéraient les USA et l’UE. 

 

Le 12 juin, le Parlement irakien s’est réuni mais n’a pu voter faute d’avoir atteint son quorum (seulement 128 députés présents sur 328). La session a donc été annulée, sans pouvoir aboutir sur l’élection d’un nouveau président.

 

L’action des milices d’auto-défense a aussi ses limites en fonction du terrain. Ainsi la ville des chiites turkmènes de Tell Affar avait refusé la proposition des Peshmergas d’entrer dans la ville pour en assurer la défense. Quelques jours plus tard, ayant attendu en vain l’arrivée des troupes irakiennes, ils ont dû fuir à leur tour en masse vers le Kurdistan, pris entre le feu des djihadistes et les bombardements aériens des Irakiens demandant les secours des Peshmergas. De même à Qaraqosh, les Peshmergas ont dû intervenir pour sauver la ville d'une tentative de prise d'EIIL, ce qui a entraîné un nouvel exode éclair de chrétiens.

 

Quant aux États-Unis, rendus « responsables » de la situation de l’Irak post-Saddam, notamment en raison du soutien politique et militaire qu’ils n'ont cessé d’accorder à Maliki, sans écouter les mises en garde des Kurdes sur le danger que courait l’Irak, ils ont annoncé, par la voix du président, Barack Obama, qu’il n’y aurait aucun retour de troupes américaines sur place ni frappes aériennes, malgré la demande ouverte de plusieurs responsables politiques au sein du parti de Maliki. Le « soutien » pourrait se résumer à des vols de drones, en plus de l’envoi de 300 conseillers militaires ainsi que celui de 200 membres de forces de sécurité dans Bagdad, notamment pour protéger l’ambassade. Barack Obama a clairement reconnu que le problème  et sa solution résidaient plus dans la gestion politique du gouvernement actuel que dans un déficit de force de frappe. Des experts militaires, comme le Lt Colonel Ralph Peters, s'exprimant sur Fox News n'ont pas hésité à qualifier l’Irak de « fini » et la réconciliation impossible entre toutes ses composantes ethniques et religieuses, tant les haines semblent « trop profondes ».

 

Le 23 juin, le secrétaire d’État John Kerry partait pour Bagdad, pour y rencontrer les principales forces politiques du pays, hormis les Kurdes qui ont décliné l’invitation à se rendre dans la capitale irakienne, obligeant John Kerry à faire le voyage à Erbil le lendemain.

 

Fin juin, le front s’était stabilisé autour de Tikrit où l’armée irakienne piétine, sans pouvoir reprendre la ville en attendant des renforts, notamment l’arrivée de cinq bombardiers Soukhoy venus de Russie. 

 

Si à Bagdad semble régner un certain immobilisme, les troupes d’EIIL ne bougeant guère en direction des zones chiites, l’organisation a assuré la jonction avec ses bases syriennes, en s’emparant de tous les postes-frontières irakiens bordant la Syrie, hormis celui de Rabia tenu par les Peshmergas (le côté syrien, Yaroubia, est tenu par les YPG). Ainsi se forme, en arc, la continuité territoriale de l’État islamique, qui court le long de provinces sunnites arabes, de Deir ez Zor à Tikrit. En parallèle, au nord, longeant presque cet État, les Kurdes forment aussi un arc, à cheval sur les deux frontières, allant de Hassake à Kirkouk.

 

Au-delà de l'Irak et de la Syrie, le but d'extension à tout le Proche-Orient d'EIIL était affiché dès le départ dans son nom même (Levant traduit 'Sham', qui n'est pas l'actuelle Syrie). Le 30 juin, EIIL a élevé encore son ambition territoriale en revendiquant tout le Dar al Islam, puisque son leader, qui se faisait appeler ‘Abu Bakr Al Baghdadi », s’est auto-proclamé calife de tout l'Islam, sous son vrai nom, Ibrahim, lors de la première nuit de Ramadan et l’organisation a changé son nom en État islamique tout court (EI) ce qui indique que ses prétentions territoriales dépassent maintenant le Proche-Orient et concernent l’ensemble du monde musulman.

 

En même temps que la proclamation califale, le porte-parole d’EI vient de révéler la généalogie qui « prouverait » son lignage de qurayshite descendant du Prophète. Car si, en principe, le califat des sunnites était, au contraire des chiites, électif, comme l’aurait recommandé sur son lit de mort Muhammad, après la mort d’Ali, le titre de commandeur des croyants est devenu dynastique et les Abbassides qui renversèrent les Omeyyades étaient aussi des parents du Prophète. 

 

Enfin le terme « Dawla », que l'on traduit par État, signifiait à l'origine « victoire, succès, bonne fortune » et fut surtout utilisé en ce sens au début des Abbassides, peut-être pour indiquer que leur accession au califat était dans l’ordre des choses. Il finit par être tellement attaché au pouvoir en place qu’il en vint à être synonyme de dynastie, puis signifier État. Ainsi al-Dawla al-Islamiyya peut être traduit comme État islamique, mais aussi comme nouveau cycle de règne, au sens de révolution, avènement, victoire politique de l'Islam face au monde, divisé dans cette acception en « territoire de la guerre » (celui des infidèles, de l'ennemi) et « territoire de l’Islam »  (soumis au calife). Ibrahim appelle logiquement à une allégeance immédiate de tous les musulmans sous peine d'apostasie de leur part et de se voir basculer dans le Dar al Harb ou territoire de la guerre). C'est pour cela qu'il destitue de toute légitimité les dirigeants religieux et séculiers des États musulmans. 

 

Le nouveau « calife » Ibrahim avait annoncé ce programme dans ses noms de guerre antérieurs : Abu Bakr est le premier calife de l'Islam, peu apprécié des chiites, car ayant été le premier « usurpateur », selon eux, à prendre ce titre en lieu et place d’Ali. C’est aussi le père d’Aïcha, la benjamine des épouses du Prophète et sa favorite, qui affronta le même Ali à la bataille dite du Chameau. C’est aussi le seul des quatre premiers califes – les autres étant Omar, Othman et Ali – à ne pas avoir été assassiné, ce qui indique un certain optimisme de la part du leader d'EI. Ces quatre califes sont dits « rashidun », les droits, les bien-guidés, parce que considérés par les sunnites comme ayant dirigé l’Islam selon la pure voie de la religion. 

 

En prenant Mossoul et les régions sunnites, l"EI a aussi appelé à s’unir contre « l’armée safavide ». Ce nom fait référence à la dynastie fondée par Chah Ismaïl Safavi, d’abord alévie et puis chiite, qui fit basculer l’Iran dans le chiisme à partir du 16e siècle. Saddam Hussein s’en était déjà servi dans sa guerre contre l’Iran, dans un mot d’ordre qui usait du nationalisme arabe contre la Perse, mais aussi lui permettait de brandir l'étendard du sunnisme et de s’assurer le soutien des États voisins contre la République islamique qui inquiétait nombre de pays du Golfe. C’est aussi en tant que « safavides » que furent massacrés ou déportés des milliers de Kurdes chiites (faylis)  puis des centaines de milliers de chiites arabes, après 1991. L'ennemi immédiat, la cible principale de ces djihadistes semble bien être le chiisme arabe,  mais aussi le monde iranien (c'est en tout cas ainsi que l'Iran l'a compris).

 

Ce programme totalitaire ne va évidemment pas leur rallier tous les musulmans ni ne leur faire que des amis, même au sein des autres groupes djihadistes. Cependant, les succès stupéfiants d’EI en Irak (les victoires militaires sont, depuis le début de l’islam, vues comme un signe de l’assentiment divin aux entreprises) galvanisent les nostalgiques d’un âge d’or de l’Islam, en décadence depuis l’époque moderne, de par la division des croyants et leur sujétion à l’Occident.

 

 

En Irak et en Syrie, plus encore que les minorités chrétiennes, les premières cibles d'EI sont donc les chiites, qualifiés d’apostats ou d’hérétiques, ce qui est puni de mort, et puis les religions non comprises dans la protection recommandée par la sharia, c’est-à-dire les Yézidis, les Shabaks, les Mandéens, tour à tour vus comme des apostats ou des polythéistes, voués aussi à une mort immédiate à moins de conversion. Les chrétiens, eux, peuvent espérer s'en sortir dans un premier temps avec le statut de soumis-dhimmis, qui pourrait leur permettre de survivre mais dans une sujétion totale à la sharia telle qu’elle est comprise par l’État islamique et son nouveau « calife ».

 

KURDISTAN D’IRAK : KIRKOUK ET TOUTES LES RÉGIONS KURDES SOUS LE CONTRÔLE DU GOUVERNEMENT RÉGIONAL DU KURDISTAN

La réaction du GRK à la chute de Mossoul et à l’avancée d’EIIL en terre irakienne a été immédiate : aussi rapidement que s’enfuyaient les soldats irakiens, les Peshmergas (250 000 soldats, 240 chars d’assaut, 40 hélicoptères de combat) maintenaient leurs positions dans les régions kurdes de Ninive, Kirkouk, Khanaqin, Diyala, etc., dont le GRK réclame la restitution par référendum en vertu de l’article 140 de la constitution irakienne et se déployaient aussi dans celles laissées sans défense par les Irakiens. Dès le 11 juin, le commandement militaire pouvait annoncer que les Kurdes tenaient 95% de ces territoires et qu’au contraire des Irakiens, ils avaient l’intention d’y rester, « jusqu’à leur dernière goutte de sang » et le ministre des Peshmergas assurait que la Région kurde n’avait rien à craindre d’EIIL, jugé incapable de battre les Peshmergas sur le terrain militaire. Il confirmait même que les troupes kurdes avaient repris le contrôle du principal aéroport de Mossoul qui était auparavant tombé aux mains des djihadistes et qu’elles contrôlaient aussi l’aéroport Huriya à Kirkouk.  Tout au long du mois de juin, les accrochages n’ont  cessé dans les régions au sud de Kirkouk, entrecoupés de « trêves » avec EIIL. Les peshmergas cherchent surtout à convaincre les chefs tribaux sunnites de ne pas abriter les combattants djihadistes et les unités terroristes, même s’ils ont réussi à établir une ceinture de sécurité au sud de Touz Khormatou afin que les combats entre EIIL et Irakiens ne débordent pas dans les zones kurdes. Il semble d’ailleurs qu’EIIL ne cherche pas la confrontation quand il est engagé dans des combats contre les forces irakiennes dans le sud pour ne pas être pris sur deux fronts. Parfois EIIL attaque les positions kurdes, parfois il adopte une attitude de non-agression mutuelle. Il est probable que cela n’obéisse pas à une stratégie concertée, ni que d’ailleurs les lignes de front entre armées irakienne et kurde soient bien connues, ainsi que la configuration du terrain, par ces combattants internationaux venus de Syrie.  Mais les régions sunnites abritent aussi d’autres groupes armés locaux, comme dans Diyala, habitués au terrain et aux affrontements avec les Kurdes. Ainsi, Mohammad Ihsan, le représentant du GRK à Bagdad, interrogé par le journal Rudaw, a estimé que 100% des territoires kurdes de la province de Ninive étaient sous leur contrôle, et selon le gouverneur de Kirkouk, Najm ad Din Karim, 70% de la province de Kirkouk était aux mains de l’armée et des Asayish (forces de sécurité kurdes). Le reste, constitué de districts peuplés d’Arabes, est passé sous le contrôle d’EIIL. Mais dans ces zones de montagnes et de déserts, selon un commandant des Peshmergas sur place « à Hawidja, Zab, Rashad et Abasiya, il est très difficile pour les forces Peshmergas de rester 'sans migraine'. Parce ces zones ont été des abris de terroristes, et ils connaissent très bien la région ». À Djalawla, le maire du district, Anwar Hussein, reconnaît ainsi que si sa ville est sous contrôle des Peshmergas, des combattants djihadistes se sont infiltrés dans des zones de plantations fruitières denses, qu’il ne sera pas facile de quadriller et nettoyer. Les attaques les plus dangereuses et les plus probables de la part des djihadistes ne viendront cependant pas d’assauts militaires classiques mais d’actes terroristes. Aussi des combattants des forces « Dijî Terror, (forces anti-terrroristes de 5000 hommes, spécialement formées par les Américains aux combats urbains) sont arrivés à Djalawla et Saadia (sud de Diyala) en prévision des attentats contre les civils, alors que non loin des combats avaient lieu contre l’armée irakienne. Le 12 juin, une bombe a d'ailleurs explosé à Kirkouk, au passage de la voiture du ministre des Peshmergas, tuant un Peshmerga et depuis, d’autres attentats à la bombe  ou des tirs de mortiers ont visé des militaires kurdes, faisant des victimes. Le danger majeur vient de l’afflux de familles réfugiées des régions arabes et qui pourraient aisément servir de base pour des « cellules dormantes », comme il y en avait à Mossoul. Si les familles venues de Mossoul pour Erbil ont été contrôlées et filtrées (les hommes seuls ont été refoulés) et maintenues dans des camps extérieures, la même consigne n’a pas été appliquée à Kirkouk, non encore administrée par les directives d’Erbil, même si, au cours du mois, des règles de restrictions ont été mises en place.  L’autre répercussion qui affecte, cette fois, tout le Kurdistan d’Irak, est la pénurie générale de carburant à la suite de l’arrêt de la raffinerie de Baïdji, dont le Kurdistan dépendait à 60% pour son carburant. Le gouvernement a imposé en hâte un système de rationnement par immatriculation et le marché noir explose, d’autant que la pénurie affecte aussi les autres régions d’Irak, et que des acheteurs arrivent de Mossoul et d’ailleurs pour revendre au double ou au triple le carburant en provenance du Kurdistan. Le litre d’essence a ainsi augmenté de 300% en quelques jours, malgré l’arrivage de 400 camions citernes de Turquie, à la demande du GRK, ce qui est un premier convoi, 1200 étant espérés. Priorité a été d’approvisionner les ambulances et les véhicules militaires. Le ministre turc de l’Énergie, Taner Yildiz, a confirmé que la fermeture de la raffinerie de Baidji laissait le Kurdistan en manque de 4000  tonnes d’essence, que la Turquie allait tenter de répondre à ces besoins, mais que cela occasionnerait de longue files d’attente à la frontière. Le Kurdistan d'Irak raffine lui-même 96 000 barils pour une demande de 140 000 barils (source GRK de Londres). Ses deux raffineries (Khabat et Bazian) sont aussi à court de produits pétroliers.  Si le réflexe de stockage préventif au sein de la population a aggravé les choses, l’autre cause en est qu’Erbil a commencé d’acheminer de l’essence vers la province de Kirkouk. Patrick Osgood, qui dirige le bureau du Kurdistan pour Oil Report Iraq affirme dans Rudaw que le Kurdistan ne peut subvenir qu’à 40% de ses besoins, les 60% étant jusqu’ici assurés par Baidji, et que cela annonce une crise dans tout l’Irak, dépourvu de « plan B » et qui importait déjà de l’essence avant l’arrêt de la raffinerie. Le GRK envisage d’importer de l’essence à un prix « raisonnable », pas plus de 1250 dinars par litre, tout en continuant de vendre le sien à 500 dinars. La grande question politique propre aux Kurdes est évidemment la décision, prévisible, de Massoud Barzani, de soumettre à l'assentiment populaire l'indépendance de la Région, à présent coupée totalement de Bagdad par un EIIL-Sunnistan.  Dès le 23 juin, le président kurde, lors d’une interview sur CNN, après avoir répété que Kirkouk et les autres régions kurdes ne feraient plus l’objet d’aucune discussion et que l'article 140 était caduque, a affirmé qu’après l’effondrement de l’Irak, les Kurdes allaient saisir cette occasion :  « Il est temps pour le peuple du Kurdistan de déterminer son avenir et nous ferons respecter la décision du peuple ». Les mêmes propos furent redits quelques jours plus tard à la BBC et le président a précisé que ce référendum pourrait avoir lieu dans quelques mois. Le 26 juin, Massoud Barzani s’est rendu à Kirkouk pour s’adresser solennelement à la population et à ses troupes, tandis que son Premier Ministre, sur invitation de la Turquie, partait rencontrer à Ankara Ahmet Davutoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, le chef des services turcs, et finalement Recep Tayyip Erdogan, le Premier Ministre turc. Les rencontres allaient fatalement porter sur les derniers événements – les otages turcs, la sécurité en Irak – mais aussi sur Kirkouk et la question de l’indépendance. Au sujet de Kirkouk, alors qu’au même moment, Massoud Barzani exprimait dans son discours, l'aboutissement d’un combat de 60 ans pour que les Kurdes d’Irak récupèrent cette ville, il ne fait pas de doute qu’à Ankara, ce n’est plus matière à discussion. L’indépendance n’a pas dû être non plus une si grande surprise, puisque dès le 14 juin, Huseyin Çelik, le  porte-parole de l’AKP, le parti au pouvoir, avait déclaré qu’il était du droit des Kurdes d’Irak de décider de leur destin si l’Irak se divisait et que la Turquie continuerait de les soutenir. Le Vice-Premier ministre turc, Bulent Arinc a tenu, lui, des propos plus nuancés : « Que le monde entier connaisse notre position : ne laissons pas l’Irak se diviser, ne laissons pas les armes se viser les unes les autres, ne laissons personne verser le sang de quelqu'un d'autre, que des puissances extérieures retirent leurs mains de l’Irak et qu’il poursuive son chemin vers une société intégrative ». Ces derniers jours, la Turquie a réitéré son « opposition » à une division de l’Irak, mais sans proférer de menaces particulières, au contraire de la période d’hostilité 2003-2008. Autre soutien bien moins discret, celui d’Israël, qui a ouvertement appelé de ses vœux un État kurde, d’abord en la personne de Shimon Peres, venant rencontrer Barack Obama et lui donnant ce conseil « pragmatique »  : « Accrochez-vous à vos amis, quels que soient leurs défauts, et ils vous aideront à combattre vos véritables ennemis ». Et d’énumérer parmi les « bons camps » à soutenir au Moyen Orient, celui des Kurdes contre un Irak « unifié » – qualifié de « cause perdue …à moins d’investir dans une intervention militaire massive » – et de soutenir le Kurdistan, déjà « à demi-démocratique et à demi indépendant ». Le Premier Ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a de façon encore plus explicite soutenu la future indépendance des Kurdes : « ce peuple combattif qui a prouvé son engagement politique, sa modération politique et mérite l’indépendance politique. »  Quant au ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, il a présenté cette indépendance comme un fait accompli, même s’il a affirmé que son pays ne se livrerait à aucune action concrète pour aider les Kurdes en ce sens : « La réalité, telle qu’elle nous apparaît, est qu’un État kurde indépendant existe déjà, de facto. » Cependant, ces déclarations outrancières ont été désapprouvées par les États-Unis qui semblent faire preuve d’un immobilisme obstiné, autant pour ne pas s'engager militairement en Irak (ou en Syrie) contre EIIL, que pour ne pas reconnaître le changement politique irréversible qui a eu lieu, en s’accrochant (ou feignant de s’accrocher) à l’illusion d’un retour en arrière et d’un pays qui finira par s’unifier, se pacifier et se réconcilier. La visite du Secrétaire d’État John Kerry à Erbil, afin de demander aux Kurdes de s’engager aux côtés de l'Irak contre EIIL et de former un gouvernement pluraliste et uni à Bagdad était frappante à cet égard, par le décalage entre les vœux de John Kerry et la réalité de terrain. Massoud Barzani lui a rappelé qu’ils se trouvaient maintenant devant une « réalité nouvelle et un nouvel Irak ». Les déclarations les plus hostiles et les plus virulentes viennent bien sûr d’Iran, principal soutien de Maliki et qui voit d’un mauvais œil une partition qui jetterait davantage les Kurdes d'Irak dans les bras de la Turquie. La porte-parole du ministre iranien des Affaires étrangères, Marzieh Afgham, a déclaré que la division de l’Irak venait de ses ennemis et que tous les partis politiques irakiens étaient pour l’unité : « Quiconque cherche à diviser l’Irak sert les intérêts américains ». Lors de la visite de Nêçirvan Barzani en Iran le 16 juin, Téhéran a tenté en vain d’obtenir l’appui militaire et politique des Kurdes en faveur de Maliki contre l’EIIL, ce qu'ils ont fermement repoussé.

ERBIL : FORMATION D’UN GOUVERNEMENT D’UNION NATIONALE

Le 18 juin, la formation du 8ème cabinet du Gouvernement régional du Kurdistan était annoncée au Parlement du Kurdistan, réuni en session extraordinaire.

Le Premier Ministre Nêçirvan Barzani, le Vice-Premier Ministre Qubad Talabani et tous les ministres du nouveau cabinet, issus de la majorité et des principaux partis d’opposition, ont prêté serment devant l’assemblée. Exposant le programme politique de ce nouveau cabinet, le Premier Ministre a rappelé que le pays vivait des moments critiques et qu’en 2003, au moment de la chute de Saddam Hussein et de la formation du nouvel Irak, « le peuple du Kurdistan avait eu besoin de parler d’une seule voix et d’œuvrer ensemble afin de protéger et préserver les réussites et les intérêts de la Région du Kurdistan ». En cette « période difficile pour l’Irak », le « peuple du Kurdistan a la responsabilité historique » d’adopter une stratégie semblable afin d’assurer la sûreté et la sécurité des habitants de la Région du Kurdistan et des régions auparavant en dehors de son administration. Le Premier Ministre a aussi remercié le peuple du Kurdistan pour la « patience » dont il a fait preuve dans le processus de formation du nouveau cabinet ainsi que devant la crise née du gel des salaires des fonctionnaires ordonné par Nouri Maliki, une décision « injuste et inconstitutionnelle » qui a eu « un impact négatif sur l’économie et les investissements au Kurdistan ». Mais « l’étape nouvelle » que connaît à présent le Kurdistan laisse espérer que la Région ne sera plus confrontée à une telle crise financière et politique. Nêçirvan Barzani a ensuite exposé les principes avec lesquels il entend mener sa politique, dont un mode de gouvernement plus transparent, la séparation des pouvoirs, une justice et une paix sociales, le respect des droits de l’homme et particulièrement les droits des femmes et des enfants, la protection de l’environnement, et des solutions appropriées pour lutter contre la corruption…

Le Premier Ministre a insisté à plusieurs reprises sur le concept de citoyenneté sur lequel doit se fonder les principes et les valeurs du gouvernement, avec l’égalité des chances pour tous les habitants du Kurdistan, quelles que soient leurs origines ethniques, leur appartenance religieuse ou leurs affiliations politiques. Le nouveau cabinet s’engage à aussi à assurer la séparation des institutions et du gouvernement, des partis politiques. Le Premier Ministre a aussi rappelé que le Huitième Cabinet était un gouvernement de coalition et que la participation de différents partis politique dans cette coalition renforcerait les bases de la démocratie et d’une coexistence pacifique, dans le respect des différences et des opinions et de la liberté de la presse. Au sujet des conflits entre Bagdad et Erbil, le Huitième Cabinet souhaite mettre en œuvre une politique de « réconciliation » afin de résoudre toutes les questions pendantes entre la Région et le gouvernement fédéral, notamment l’application de l’article 140, au sujet des territoires kurdes devant opter par référendum pour leur rattachement ou non au Kurdistan. Un autre objectif est l’indépendance économique du Kurdistan et la diversification de ses sources de revenus, en plus de ses ressources naturelles.

Le Premier Ministre a exprimé la volonté de développer les secteurs agricoles, industriels, commerciaux, de services et d’aplanir les disparités des conditions de vie entre les campagnes et les villes. L’électricité, l’eau, le réseau routier devront être améliorés et une certaine décentralisation encouragée, ainsi que les investissements locaux et étrangers. Les secteurs de l’industrie et du tourisme feront l’objet d’une attention toute particulière.

Le nouveau gouvernement souhaite aussi poursuivre sa réforme de l’éducation et de l’enseignement supérieur et lutter contre l’illettrisme. Enfin, en ce qui concerne la santé, le Premier Ministre a expliqué que son cabinet travaillera à adopter un système plus moderne et à distinguer les secteurs publics et privés. Les familles des martyrs, des victimes de la campagne Anfal, des armes chimiques et des anciens prisonniers politiques feront encore l’objet d’attentions de la part du gouvernement.

Enfin, le secteur de l’habitat sera modernisé et le gouvernement travaillera à résoudre les problèmes de logement rencontrés par les familles à faible revenu.

Composition du Huitième Cabinet du Gouvernement régional du Kurdistan :

Premier Ministre : Nêçirvan Barzani (PDK)

Vice-Premier Ministre : Qubad Talabani (UPK)

Chef du Cabinet présidentiel : Fuad Hussein (indépendant)

Ministre des Affaires étrangères : Falah Mustafa Bakir (PDK)

Porte-Parole du Gouvernement : Safin Muhsin Diyazee (PDK)

Ministre de l’Agriculture et des Eaux : Abdulstar Majeed (Komal)

Ministre du Commerce et de l’Industrie : Samal Sardar (Goran)

Ministre de la Culture et de la Jeunesse : Khalid Doski (UPK)

Ministre des Dotations et des Affaires religieuses : Kamal Muslim (Goran)

Ministre de l’Éducation : Pishtiwan Sadiq (PDK)

Ministre de l’Électricité : Salahaddin Babakir (Yekgirtu)

Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique : Yousif Muhammad (UPK)

Ministre de l’État et des Affaires parlementaires : Abdulrahman Abdulrahim Hama Reza (Yekgirtu)

Ministre des Finances et de l’Économie : Rebaz Muhammad (Goran)

Ministre de l’Intérieur : Karim Sinjari (PDK)

Ministre de la Justice : Sinan Abdulkhakiq Chalabi (PDK)

Ministre du Logement et de la Construction : Darnaz Kosrat Rasul (UPK)

Ministre des Martyrs et de l’Anfal : Mahmoud Haji Salih (UPK)

Ministre des Municipalités et du Tourisme : Newroz Mawlud Amin (PDK)

Ministre des Peshmergas : Mustafa Sayid Qadir (Goran)

Ministre de la Planification : Ali Sindi (PDK)

Ministre des Ressources naturelles : Ashti Hawrami (indépendant)

Ministre de la Santé : Rekawt Hama Rasheed (UPK)

Ministre des Transports et de la Communication : Jonson Siyawash (Chaldéen)

Ministre du Travail et des Affaires sociales : Mohammad Qadir (Goran)

SYRIE : L’EEIL AFFRONTE LE PYD ET l’ASL POUR AFFERMIR SON NOUVEL ÉTAT

Les prises de guerre, en armes, en matériel et en argent de l'État islamique ou EI (anciennement EIIL) qui s’est emparé du trésor de la banque de Mossoul, ne peuvent avoir qu’un lourd impact en Syrie, puisqu’à la faveur de la débandade irakienne, les djihadistes se trouvent être le groupe terroriste le plus riche au monde, et munis d’un armement américain certainement plus performant que l’équipement de l’Armée syrienne de libération (ASL) et du PYD kurde. La continuité territoriale du « nouvel État » offre aussi un accès continu et sûr pour la circulation de ses combattants, entre Deir ez-Zor, Raqqa et Mossoul.

La question est de savoir si le front « majeur » d’EI va continuer d’être la Syrie, et notamment Deir ez-Zor, ou bien si c’est l’Irak qui passera en premier dans ses priorités offensives. Mais l’établissement du nouvel État islamique passe autant par un renforcement des attaques contre les milices djihadistes rivales ou l’ASL que par une consolidation de leurs positions à Mossoul. Il s’agit d’assurer la sécurité et la continuité des routes et de garder la main sur les champs pétrolifères saisis, que ce soit À Deir ez-Zor ou à Ninive. 

Par contre, EI s’est livré à plusieurs appels rassurants en direction de milices djihadistes adverses, dont certaines relevant de Jabhat al Nusra, qui ont fait défection en sa faveur, en des points locaux de la province. La politique d’EI, ici, suit la ligne prêchée en direction des sunnites irakiens : une « clémence » en cas de repentance.

La ville de Deir ez-Zor est toujours disputée entre le régime, Jabhat al Nusra et l'État islamique. Jusqu’ici, EI a combattu principalement les rebelles syriens, adoptant envers le régime la même politique d'évitement qu’envers le Kurdistan d'Irak en Irak, mais ses récents gains militaires orientaux peuvent changer la donne. Les frappes de l’armée syrienne et sa concentration sur l’ouest syrien changent aussi de cap, et visent maintenant Raqqa, Deir ez-Zor et Hassaké, sur les positions tenues par EIIL. Cela peut alléger la pression sur l’ASL à l'ouest, d’autant que les milices irakiennes chiites présentes en Syrie sont rappelées à Bagdad pour soutenir la défense du sud Irak. 

Le 15 juin, les forces aériennes syriennes auraient ainsi pilonné durant 24 h des places fortes tenues par EI, dans les régions de Raqqa et de Hassake. Si cet allégement du front ouest peut voir un déplacement de l’effort militaire syrien contre EI, ce dernier, dont la puissance de feu est maintenant accrue et les déplacement facilités, concentre aussi ses assauts sur les territoires kurdes qui coupent ses propres zones, et d’abord Kobanî, enclavé entre la Turquie et EI d’ouest en est. Hassaké est plus difficile à faire tomber, de par la persistance d’une présence des forces gouvernementales, et Afrin est, elle, bouclée entre l’ASL et le bastion alaouite. Entre Raqqa et Deir ez-Zor, les lignes de front d’EI se mêlent ainsi à celles des Kurdes YPG, tout comme à Ninive et Kirkuk, ils côtoient de près les Peshmergas du GRK. Mais si, au Kurdistan et en Irak, EI évite généralement de disperser ses forces entre les Kurdes et les Irakiens, il n’en va pas de même en Syrie, d’autant que les YPG sont vus comme des alliés du camp chiite (Baath + Maliki + Iran) et que si les Peshmergas du GRK adoptent une attitude strictement défensive, de leur côté, les YPG tentent, en vain, de déloger EI des  régions qu’il occupe et qui coupent les trois ‘cantons du Rojava’. 

En riposte, l’EIIL sème la terreur dans les villages autour de Ras al ‘Ayn- Serê Kaniyê et Tell Abyad, avec des massacres de civils et des exécutions par décapitation ou crucifixion dont la diffusion sur Internet, par différents réseaux sociaux (tant d’eux-mêmes que des Kurdes) a pour effet de frapper les esprits et de servir d’avertissements ou d’intimidations (mais aussi de mobiliser davantage les Kurdes et tous ceux qui ont à craindre EI). La réaction du PYD à la chute de Ninive et au déploiement des Peshmergas sur les régions abandonnées par les Irakiens a été, dans les premiers jours des attaques, un appel à « l’unité » et à la défense générale du Kurdistan au cas (improbable) où EI menacerait son existence. Le porte-parole des YPG assurait même, dans une déclaration, être prêt à combattre aux côtés des Peshmergas. Les peshmergas de Rabia et les YPG de Yaroubia se sont même rencontrés le 10 juin afin de coordonner la défense des frontières contre EI (source YPG).

Depuis le départ des Irakiens, les positons respectives des Kurdes restent les mêmes : Yaroubia tenue par les YPG, Rabia par les Peshmergas. Plus au sud, c’est EI qui contrôle la frontière syro-irakienne, qui est ainsi totalement perdue par l’armée irakienne. 

Interviewé le 13 juin par le journal turc Bianet, Salih Muslim, le co-président du PYD, a aussi réitéré les appels à l’unité des Kurdes, en se plaignant une fois de plus que jusqu’ici, son parti avait été le seul à combattre EI (faisant mine d’ignorer l’ASL et Jabhat al Nusra) et que la Turquie n’avait jamais saisi la main tendue pour une collaboration commune ;  la chute de Mossoul en était le résultat direct : « Nous avons constamment frappé à la porte, tendu une main, mais elle fut laissée pendante. La Turquie doit faire face aux faits, maintenant. Faisons quelque chose ensemble, ou le danger est sur nous tous. » En parallèle, au moment où EI entrait en Irak, où le PYD comme le PKK appelaient à l’unité, le journal Basnews rapportait une rencontre entre le PYD et le PDK de Barzani à Ankara, dont le sujet principal était l’avenir du Kurdistan syrien. Les deux parties avaient convenu, semble-t-il, de cesser de s'attaquer mutuellement dans les media et de tenter de trouver un accord au sujet de l’ouverture du poste-frontière Sêmelka-Pêsh Khabur. Selon le même journal, le KCK (les Communautés kurdes proches du PKK) avait participé aux discussions. En mars dernier, le régime syrien était accusé par le PYD de soutenir en secret EI contre le PYD, que ce soit par le porte-arole des YPG, Rêdûr Xelîl, qui nommait directement Al Assad  ou par Salih Muslim, qui déclarait, également dans le Monitor (27/3/14) que Damas était derrière les attaques d’EI contre les Kurdes, ce qui justifiait une collaboration entre l'ASL et les YPG. 

Mais le 24 juin, dans un entretien accordé à Al Monitor, Salih Muslim a changé de ton envers la Turquie, et l’a accusée de soutenir EI, ne serait-ce qu’en laissant passer ses militants par la frontière, ou bien en soutenant directement des groupes armés. Salih Muslim fait ainsi état de « divers documents » trouvés sur le corps de combattants d’EI tués qui prouveraient leur séjour en Turquie. Il assure aussi ne pas croire à la thèse de « l’État profond » qui agirait sans le consentement d’Ankara. Au minimum, selon lui, le pays ferme les yeux devant les allées et venues de l’organisation.

Sur le terrain militaire du Kurdistan syrien, comme prévu, c’est à Kobanî, le point le plus vulnérable des régions tenues par le PYD, que se concentre l’effort de guerre d’EI contre les YPG. Depuis un peu moins d’une semaine, le front a évolué, d’attentats quasi quotidiens ou des escarmouches entre villages, vers une offensive qui rappelle celle du printemps. Ce serait une centaine de djihadistes venus dans la zone (source YPG) et un lourd bombardement au mortier des environs. Le canton de Kobanî a décrété la mobilisation générale et ses commandants, ainsi que Qandil (PKK), ont appelé toute la « jeunesse kurde » de tout le Kurdistan à se joindre au combat. Dans ces opérations, l’alliance militaire entre l’ASL et les YPG se poursuit avec des opérations conjointes à l’ouest du canton (proche des positions ASL).

LA COUR SUPRÊME IRAKIENNE REJETTE LA DEMANDE D’INJONCTION TEMPORAIRE CONTRE LES EXPORTATIONS DE PÉTROLE KURDE

Le 24 juin, la Cour suprême irakienne a rejeté la requête d’injonction temporaire soumise par le ministre irakien du Pétrole, Abdul Karim Al-Luaibi, à l’encontre des exportations de pétrole kurde, injonction qui aurait eu pour effet d’ordonner la cessation des exportations avant que le jugement soit rendu concernant la plainte du Gouvernement central. À l’unanimité, la Cour suprême a donc refusé de délivrer cette injonction, la jugeant « contraire au contexte légal applicable en Irak », ce qui ne signifie nullement que le jugement définitif a été rendu et que les exportations ont été jugés « légales » par cette même cour.

Le ministère kurde de l’Énergie a déclaré : « Avec la décision de la Cour, le Gouvernement régional du Kurdistan obtient une autre clarification importante de ses droits tels qu’énoncés par la Constitution. Une telle décision par la plus haute cour du pays astreint le ministre [irakien du pétrole] et ne peut être contestée en aucune façon » en ajoutant que le ministère fédéral du Pétrole et SOMO, l’agence d’État chargé de la commercialisation du pétrole irakien devaient cesser leurs « interventions illégales et anticonstitutionnelles » visant à empêcher les exportations de pétrole du Kurdistan. « Ils doivent aussi cesser d’envoyer des lettres de menace et d’intimidation, ainsi que de fausses déclarations aux négociants et acheteurs potentiels du pétrole exporté légalement par le Gouvernement régional du Kurdistan ».

Mais le rejet de cette injonction temporaire se fonde sur une base légale qui ne permet pas son application mais ne statue en rien sur le fond de la plainte : à savoir si le GRK, en exportant directement son pétrole, viole ou non la constitution irakienne. Sur ce point, l’affaire n’est pas encore jugée mais, en attendant, les Kurdes n’ont pas à stopper leur activité. Selon un expert juridique de Bagdad, s’exprimant sous couvert d’anonymat au journal Rudaw, la requête a été refusée car improprement rédigée, « mais le ministre du Pétrole peut redéposer une autre plainte sur cette même question. Le rejet de la Cour ne signifie pas son consentement aux exportations de pétrole du GRK. »

PARIS : COLLOQUE À LA MÉMOIRE DU DR. GHASSEMLOU

Le 21 juin l’Institut kurde organisait dans la salle Victor Hugo de l’Assemblée nationale, un colloque intitulé « Hommage à Abdul Rahman Ghassemlou », assassiné avec deux de ses collaborateurs, il y a 25 ans, le 13 juillet 1989, à Vienne, par des « émissaires » du président iranien au cours de « pourparlers de paix ». Ce crime d’État n’a malheureusement pas été sanctionné.

Les exécutants identifiés, munis de passeports diplomatiques, ont pu librement quitter l’Autriche pour regagner l’Iran où ils ont été félicités et promus. La justice autrichienne n’a pas cherché à identifier les commanditaires de ce terrorisme d’État au cœur de l’Europe, encore moins à les inquiéter.

Au-delà de cette injustice, qui reste encore très vive dans la mémoire collective kurde, le message politique du Dr. Ghassemlou, les idéaux qui ont guidé son combat pour l’émancipation du peuple kurde, pour un Iran démocratique et laïc respectueux de sa diversité politique, culturelle et linguistique gardent toute leur actualité au Kurdistan, en Iran et au Proche-Orient. Au-delà du témoignage sur les facettes multiples de la personnalité du leader kurde disparu, les intervenants ont été invités à débattre de l’actualité de sa pensée politique ainsi que des perspectives pour le Kurdistan iranien et pour l’Iran.

La première table ronde était intitulée « Abdul Rahman Ghassemlou, homme privé, homme politique kurde et iranien ». Elle était présidée par Mme Joyce Blau, professeur émérite, et animée par M. Hamit Bozarslan, professeur à l’EHESS, M. Bernard Granjon, médecin et ancien président de Médecins du Monde, M. Mostafa Hijiri, secrétaire du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, Mme Hélène Krulich, épouse d’Abdul Rahman Ghassemlou, M. Frédéric Tissot, ancien Consul général de France à Erbil. Hélène Krulich, qui fut l’épouse du Dr. Abdul Rahman Ghassemlou, rappelle que ses assassins n’int jamais été inquiétés, ils ont même été « promus ».

Elle évoque l’enfance et la jeunesse de son mari, son désir de justice devant la pauvreté au Kurdistan et en Iran, et son engagement précoce contre le régime du Chah : « C’était un patriote iranien qui aimait son Kurdistan natal ». Il partageait avec son épouse, rencontré en Tchécoslovaquie quand il avait 20 ans, un même désir de « mettre fin aux cruautés du monde ».

Elle a également fait part de son souhait de voir un jour un « Iran libre », ce qui fut le rêve de son époux, rêve pour lequel « il a combattu toute son existence et auquel il a donné sa vie. »

Hélène Krulich a terminé sur un éloge des « frères kurdes d’Irak » et de ce qu’ils accomplissent actuellement « dans une région où nulle part ailleurs les droits de l’homme et la démocratie sont respectés », ce qui aurait fait « la fierté » d’Abdul Rahman Ghassemlou. Elle a salué particulièrement le combat et le courage des Peshmergas qui, en ce moment-même, luttent contre les djihadistes venus du monde entier.

Le secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, Mustafa Hijri, estime « important de rendre hommage à la vie du Dr. Ghassemlou et à son combat sans répit pour la démocratie en Iran et pour les droits nationaux du peuple kurde au Kurdistan d’Iran. « Le Dr. Ghassemlou était un homme de principes tout en étant sensible aux réalités politiques. En d’autres termes, il ne voyait aucune contradiction à défendre des principes fondamentaux tout en faisant preuve de prudence politique. Au fond, c’était un humaniste qui avait compris qu’un changement politique allant dans le bon sens prendrait du temps. » Les idéaux qu’il s’est attaché à défendre et à poursuivre au sein du PDK-I sont « la démocratie, l’égalité des sexes, la liberté et l’indépendance des prises de décisions, sans égard aux courants internes, régionaux ou internationaux. »

Vingt-cinq ans après l’assassinat du Dr. Ghassemoul, la situation générale des Kurdes, au Moyen Orient, s’est améliorée, sauf en Iran où l’on assiste à « l’oppression grandissante de tous ceux qui réclament la liberté, particulièrement les militants politiques qui se battent pour les droits nationaux des Kurdes, des Arabes, des Baloutches, des Turkmènes et des Azéris. » « La population en Iran attend des puissances occidentales qu’elles ne fassent pas de compromis sur la situation des droits de l’homme en parvenant à un accord avec le régime islamique sur son programme nucléaire. Il est important que les puissances occidentales réalisent que le régime islamique ne fait de concessions que s’il subit des pressions. La volonté du régime de négocier et d’accepter les conditions posées par les puissances mondiales en est la preuve. Nous croyons que si priorité est donnée à la situation des droits de l’homme en Iran par les puissances occidentales, le régime islamique répondra de même à la pression internationale. »

 

Le Dr. Bernard Granjon, médecin et ancien président de Médecins du Monde, évoque sa première rencontre avec Abdul Rahman, il y a trente ans, alors en pleine guerre Iran-Irak, et « l’accueil d’une extrême simplicité et d’une extrême chaleur » de cet homme « qui parlait sept, huit ou neuf langues », dont le français. Citant Malraux, dans « La voie royale », « que la victoire revienne à ceux qui ont fait cette guerre sans l’aimer », Bernard Granjon témoigne qu’Abdul Rahman Ghassemlou n’a jamais aimé la guerre, qu’il pouvait en admettre la nécessité, mais que « ce n’était jamais un choix. C’était un humaniste, un voyant, qui avait des vues à très long terme. » Abudl Rahman Ghassemlou préférait à toute chose la démocratie, et refusait d’enlever des otages, de se livrer à des actes terroristes, pour faire « une guerre aussi propre que possible ». Ainsi, les prisonniers iraniens du PDK-I s’y trouvaient, de leur propre aveu, mieux traités que dans l’armée iranienne. Médecins du Monde et Aide Médicale Internationale ont alors, sur place, aidé à la construction d’un hôpital et à la formation d’un personnel médical, allant d’infirmières aux chirurgiens, qui continua d’être opérationnel durant l’embargo au Kurdistan d’Irak et même actuellement.

Bernard Granjon a revu régulièrement Abdul Rahman Ghassemlou lors de ses séjours en France. Le dernier souvenir qu’il a de lui, le 3 juillet 1989, à Paris, dix jours avant son assassinat. Sur les raisons pour lesquelles le leader du PDK-I s’est rendu à ce rendez-vous fatal avec les faux négociateurs iraniens, il soumet deux hypothèses : « Ces pourparlers avaient une importance très grande, il y avait déjà eu deux pourparlers, c’était le troisième […} Khomeiny était mort depuis, et il a fait un pari audacieux, qu’il a perdu, pensant que la cause kurde valait la peine de prendre ce risque. L’autre explication, était que cet homme était grand, trop grand pour imaginer la bassesse et la félonie de ses ennemis. »

Comme Barnard Granjon, le Dr. Fréderic Tissot, ancien consul général de France à Erbil, a connu Abdul Rahman Gassemlou, en 1981, quand il était « french doctor ». Il se souvient de lui comme « un livre d’histoire absolu » avec qui il a appris ce qu’étaient les Kurdes et le Kurdistan. « Abdul Rahman Ghassemlou m’a appris qu’il n’était pas facile de faire avancer la démocratie dans une situation de guerre. » Frédéric Tissot s’est souvenu de cet enseignement en prenant ses fonctions dans le tout nouveau Gouvernement régional du Kurdistan.

Pour lui, l’implantation de la représentation diplomatique de la France au Kurdistan ne serait peut-être pas faite de la même façon si Bernard Kouchner et lui-même n’avaient connu le Dr. Ghassemlou, ce qui, notamment, leur valu d’être si appréciés des autorités et de la population kurdes.

Le professeur Hamit Bozarslan aborde la pensée d’Abdul Rahman Ghassemlou à partir de son ouvrage écrit en 1965, « Le Kurdistan et les Kurdes », dont il a rédigé la préface de l’édition turque. Avec sa génération, il fait partie de cette intelligentsia kurde des années 1950-1960, qui renonce à ses privilèges de classe en faveur d’une cause. Il tend aussi, dans ses idées relevant d’une gauche démocratique, qui annonce le Printemps de Prague, à une réflexion critique, prenant en contre-modèle le parti Baath, qui se dit, lui aussi, de gauche. Son analyse d’alors sur la situation du Kurdistan et en Iran est qu’il n’y a alors, « ni prolétariat ni bourgeoisie ». Son engagement à gauche « est le biais par lequel il est possible de concilier l’intérêt particulier et l’intérêt universel : l’intérêt particulier étant celui des Kurdes, de leur lutte nationale et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; mais cette lutte serait creuse sans perspective d’émancipation universelle. Son livre est très riche en données sur le Kurdistan et sur l’Iran de l’époque : les rapports de classe, la dynamique urbaine, la question des revenus, les structures tribales, le système rentier, l’immobilier, etc. : « Pour quelqu’un qui voudrait aujourd’hui travailler sur le Kurdistan des années 1950 et 1960, ce livre est indépassable. On voit là un homme prendre au sérieux les chiffres, les faits, les kmª, le prix du terrain, le nombre de tracteurs…Ces données nous permettent de faire une cartographie extrêmement fine du Kurdistan de l’époque. » Les dynamiques du nationalisme kurde ont, pour lui, une double solution : l’union libre, dans laquelle on ne remet pas en cause les structures d’État, mais en négociant une unité libre sur une base égalitaire ; la seconde solution est la fédération moyen-orientale. Ce livre est un ouvrage de recherche que l’on peut encore utiliser avec un grand bénéfice.

Cette première partie a été suivie de la projection d’un documentaire : « Abdul Rahman Ghassemlou par lui-même ».

La seconde table ronde était présidée par Kendal Nezal et s’intitulait « Abdul Rahman Ghassemlou, citoyen du monde » ; y participaiet M. Marc Kravetz, grand reporter et journaliste à France-Culture, M. Bernard Kouchner, ancien ministre des Affaires étrangères et européennes, M. Abdol Karim Lahidji, avocat et ancien président de la Fédération internationale des droits de l’homme, M. Jonathan Randal, ancien grand reporter au Washington Post.

Bernard Kouchner fut un ami très proche de Ghassemlou. Pour lui, un seul homme peut lui être comparé dans ceux qu’il a connus et c’est Vaclav Havel, avec une communauté de pensée dans leur conception de la démocratie socialiste, avec une même intelligence, un même humanisme et un réalisme total. « La lutte du PDK-I a changé notre vision : on pouvait être en faveur de la lutte armée imposée par l’oppresseur et, en même temps, avoir une vision d’un espoir socialiste et d’un profond espoir nationaliste ». La situation actuelle en Irak montre combien Abdul Rahman Ghassemlou avait raison, avec son idée d’un fédéralisme : « Il y aura une indépendance et une souveraineté du Kurdistan d’Irak… Le seul endroit stable, pacifique et en plein développement est le Kurdistan d’Irak. À partir de là, on peut commencer à penser à une fédération, pour les Kurdistan de Turquie, de Syrie, d’Iran… »

Abdol Karim Lahidji, avocat et ancien président de la Fédération internationale des droits de l’homme, était un ami de Ghassemlou, qu’il a rencontré à Téhéran en 1979, quatre mois après la révolution, alors qu’ils étaient tous deux candidats aux premières élections législatives. Malgré des fraudes massives, A. Ghassemlou a été élu au Kurdistan, en raison de la faveur exceptionnelle dont il y jouissait. Mais la guerre éclate immédiatement au Kurdistan et il n’a pu siéger dans cette assemblée « dont 70% étaient des Mollahs » ni participer à la première constitution de cette république islamique. La répression s’intensifie et dans les années 1980 des milliers d’activistes politiques sont emprisonnés ou exécutés après des procès-minutes. Pour les survivants, l’exil était la seule alternative.

À Paris, Abdol Karim Lahidji revoyait régulièrement A. Ghassemlou et la dernière fois fut quelques jours avant son assassinat, où il ne souffla mot de sa future rencontre avec les émissaires iraniens. Mais il était toujours à la recherche d’une grande coalition pacifique de l’opposition iranienne.

Quelques mois avant son assassinat, ce même régime avait organisé une purge au sein des prisonniers politiques, où 3000 d’entre eux, qui purgeaient des peines d’emprisonnement, parfois depuis des années, ont été exécutés sur ordre de Khomeiny. Comment a-t-il pu faire confiance aux émissaires d’un tel régime ? Son assassinat était le début d’un plan organisé par la république islamique d’Iran, au cours duquel une centaine d’opposants iraniens, dont son successeur, Sadiq Sharafkandi, ont été assassinés, soit en Iran, soit à l’étranger. Cette politique d’élimination relève des crimes contre l’humanité définis par la Cour pénale internationale et ne sont pas prescriptibles. Ils doivent être élucidés devant une juridiction indépendante.

Marc Kravetz fut aussi un ami proche de Ghassemlou. Il a aussi mené une enquête sur ce triple meurtre de Vienne. Il l’a rencontré la première fois à Mahabad, en 1979, quand le Kurdistan d’Iran était encerclé par l’armée iranienne, ainsi que par les Pasdarans (Gardiens de la révolution islamique) qui, à l’époque, n’étaient que des milices de volontaires, dont certains revenaient du Liban, dont la violence et la cruauté n’étaient pas poussées à ce point dans l’armée.

L’une des caractéristiques les plus frappantes de Ghassemlou était son calme et sa sérénité, même dans de telles circonstances, qui tranchait avec ce que sont, en général, les chefs de mouvements de libération armés. La ville fut en quelques jours investie par les Pasdarans, ville dont toute la résistance militaire des Kurdes s’était retirée afin de ne pas occasionner des pertes considérables dans la population.

C’est en le suivant dans les montagnes kurdes, avec les Peshmergas, que Marc Kravetz a pu longuement l’entendre développer ses visions politiques, surtout celle d’une « fédération » ou « confédération », qu’il résumait ainsi, en parlant des pays qui se partageaient le Kurdistan : « Nous sommes leur problème à tous, mais nous pouvons être aussi leur solution ». Il disait aussi : « Personne ne nous permettra de créer un pays en en détruisant trois autres ». Ghassemlou essayait de penser un peuple et une nation sans nécessairement l’identifier à des frontières et à une territorialité.

La dernière rencontre avec Abdul Rahman Ghassemlou précédait de peu son voyage à Vienne et suivait le retour d’Iran de de Marc Kravetz qui avait assisté aux obsèques de Khomeiny. Il est ensuite parti à Vienne pour enquêter sur ces assassinats : « Il n’y a aucun mystère sur ce qui s’est passé. Mais 25 ans après, les assassins courent toujours. Mais le message d’Abdul Rahman Ghassemlou, lui, continue de vivre.

Jonathan Randall évoque dans les années 1988-89 la rencontre de Ghassemlou et de l’ambassadrice américaine en Irak, April Glaspie. Cette dernière lui a raconté sa première rencontre avec Ghassemlou, à Bagdad, durant l’été 1988, lors du cessez-le-feu dans la guerre Iran-Irak, où ils ont discuté du sort des Kurdes d’Irak. Elle se souvient d’un « diplomate accompli, fin tacticien… et doté d’une extraordinaire capacité à poursuivre la mission de sa vie. » En été 1988, Ghassemlou était plus libre de ses mouvements dans « l’État policier irakien » que sous le régime des mollahs, bien qu’il était à peine toléré en Irak au moment où Saddam y faisait régner la terreur au Kurdistan. Mais le moment du cessez-le-feu contre l’Iran allait voir se déchaîner la campagne de l’Anfal contre les Kurdes dans les régions jusqu’ici épargnées, comme le Behdinan, déclenchant l’exode de réfugiés en Turquie.

C’est dans ce moment critique qu’eurent lieu les entretiens d’April Glapie et de Ghassemlou, qu’elle décrit « se faufilant entre les sbires de Saddam » pour la rencontrer, c’est-à-dire risquant sa vie en lui rendant visite à sa résidence officielle : « À cette époque, le monde entier disposait de très peu d’informations fiables  sur le sort infligé aux Kurdes d’Irak » et April Glaspie souhaitait savoir ce qui se déroulait au Behdinan, totalement isolé de l’Irak arabe. Ghassemlou, même si cela était risqué, pouvait se rendre au Kurdistan d’Irak sans trop éveiller de soupçons, au contraire de l’ambassadrice, dont la voiture était filée en permanence par les agents de Saddam.

Jonathan Randal dîne avec lui la veille de son voyage à Vienne, quand il revenait de l’Internationale socialiste en Suède, en juillet 1989. Il était alors très optimiste, avec la fin de la guerre Iran-Irak, la mort de Khomeiny, et il avait bon espoir que les États-Unis lui accordent enfin un visa. Il était aussi convaincu de pouvoir revenir prochainement en Iran.

Le président de l’Institut kurde, Kendal Nezan, a ensuite lu un message du géopoliticien Gérard Chaliand,qui tenait à saluer la mémoire de Ghassemlou, « un ami et un compagnon » et « sans conteste, la figure politique kurde la plus remarquable » du siècle dernier. Son projet de Kurdistan autonome dans un Iran démocratique s’opposait à la dictature de Khomeiny et sa mort a privé ses proches et son parti de quelqu’un d’irremplaçable.

Enfin, Kendal Nezan évoque sa rencontre avec Ghassemlou en 1976, au moment où ce dernier avait choisi de quitter Prague pour Paris et où il enseigna le kurde à l’INALCO. Ils travaillèrent ensemble sur le livre « Les Kurdes et le Kurdistan », auquel participa aussi Ismet Cheriff Vanly, livre qui avait pour but d’exposer le point de vue des Kurdes sur leur propre histoire et qui a été, depuis, traduit en une dizaine de langues. Sa connaissance du Kurdistan iranien fut précieuse pour l’association France-Kurdistan qui tâchait à l’époque de faire connaître les Kurdes à l’opinion publique française et au-delà. Il apportait aussi une nouvelle vision de la cause kurde, alors que tous les mouvements kurdes étaient encore sous influence marxiste et pro-soviétique. À l’époque la droite française était favorable au Shah pro-occidental et à Saddam Hussein, tandis que la gauche voyait les Kurdes comme pro-Américains, en raison de l’alliance du général Barzani et des États-Unis. L’approche de Ghassemlou, pour un « socialisme démocratique », et son refus de remettre en cause les frontières existantes, rencontra un écho favorable dans différentes composantes de la gauche française, notamment le parti socialiste.

En mars 1979, au moment du « printemps iranien », après la chute du Shah et au moment où les Peshmergas du PDK-I contrôlaient la plupart des villes kurdes, Kendal Nezan put amener au Kurdistan une équipe de Tf1, pour y rencontrer Ghassemlou et témoigner de l’extraordinaire printemps de la liberté du Kurdistan iranien. Dès le mois d’août, le Djihad de Khomeiny fut lancé contre les Kurdes, qualifiés d’ « enfants de Satan » et à la demande de Ghassemlou, Kendal Nezan assura les fonctions « d’ambassadeur des Kurdes d’Iran » en Europe, auprès des media, des ONG pour une action médicale et humanitaire, dont, en premier, Médecins sans frontière, puis Aide médicale internationale, et Médecins du monde en 1984. Ces équipes, de retour, apportaient leur témoignage et formèrent un réseau pour sensibiliser l’opinion. Le Secrétaire international du Parti socialiste mit cette représentation des Kurdes en contact avec ses homologues scandinaves, allemands et autrichiens et ils purent même rencontrer, le chancelier autrichien Bruno Kreisky, ainsi que des hauts responsables suédois, norvégiens, yougoslaves, etc.

Le message d’Abdul Rahman Ghassemlou, au cours de toutes ces rencontres, a toujours été :

– de ne pas remettre en cause les frontières existantes, mais de souhaiter un Iran démocratique, laïque et fédéral, qui accorderait aux Kurdes une large autonomie ;

– que la fin ne justifiant jamais les moyens, les Kurdes ne recourraient jamais à des actions terroristes, de sorte que leur cause sera jugée légitime, même si cela prendrait plus de temps ;

– que le contexte régional les obligeait parfois à des alliances « contre nature et très douloureuses » mais ces alliances ne devaient jamais se faire au détriment d’une autre partie du Kurdistan.

Pour la question kurde dans son ensemble, il était partisan d’une conférence nationale kurde qui désignerait un conseil national parlant au nom de tous les Kurdes, pour une diplomatie commune et nom éparpillée entre divers mouvements. Si cela n’a pu se réaliser sur le plan politique, en raison de la mésentente des partis kurdes, cette idée a inspiré l’action de l’Institut kurde au plan culturel.

IRAN : UNE RÉPRESSION POLICIÈRE ET JUDICIAIRE CONSTANTE SUR LES KURDES

En Iran, la situation des droits de l’homme ne s’est aucunement améliorée depuis la nouvelle présidence et les Kurdes continuent de payer le prix d’une politique qui vise à la fois les minorités ethniques et religieuses, ainsi que toute dissidence politique. Les arrestations, opérées sans motif connu, sont souvent suivies de mises au secret sans que leurs familles aient la moindre nouvelle des détenus, même quand les faits reprochés sont des plus légers ou ne peuvent même pas être qualifiés de délits.

Ainsi, depuis avril dernier, on est sans nouvelles de dix Kurdes arrêtés dans les villes de Bokan et Mahabad, pour le seul crime d’avoir pratiqué ostensiblement l’islam en célébrant les fêtes religieuses d’après le calendrier fixé par les pays sunnites et non celui décrété par les autorités religieuses iraniennes chiites. À Urmiah et Tabriz, une manifestation reprochant aux autorités leur passivité devant la mort écologique du lac d’Urmiah et son assèchement dramatique a été suivie d’arrestations. Un certain nombre de personnes a été relâché depuis.

Certaines morts imputés à la « contrebande » sont en fait des crimes déguisés. À Piranshahr, Hadji Rasooli a été abattu le 2 juin par la police qui patrouille dans les montagnes. La Human Rights Activists News Agency a recueilli des témoignages locaux qui contredisent la version des autorités, un contrebandier pris sur le fait et abattu : la victime se déplaçait dans les montagnes mais sans aucun produit de contrebande sur elle. L’ayant peut-être tué par erreur, les policiers auraient déposé près du corps plusieurs bouteilles d’alcool et faussé leur rapport afin d’éviter tout blâme. Hadji Rasooli était marié et père de trois enfants.

Le 27 juin, un jeune Kurde a été tué par les forces militaires alors qu’il roulait sur la route entre Paveh et Kermanshan. L’armée a chargé la victime de délit de contrebande, ce que l’avocat de sa famille met en doute, avançant que la façon dont les tirs ont touché le jeune Farsahd montre qu’il n’y a pu avoir aucune des trois sommations d’usage. Les bavures des patrouilles chargées de réprimer la contrebande sont fréquentes au Kurdistan iranien et ne donnent lieu à aucune poursuite, les responsables falsifiant les faits dans les rapports, ou bien ces morts sont considérées simplement comme « accidentelles » et ne font l’objet d’aucune poursuite ni enquête.

Les conditions de vie dans les prisons sont toujours aussi déplorables et menacent gravement la santé ou la vie des détenus. Ainsi, depuis plusieurs années, les organisations des droits de l’homme alertent régulièrement sur le cas de Zeynab Djalalian, condamnée pour motifs politiques et incarcérée dans la prison de Kermanshan. Atteinte de ptérygion, les autorités refusent depuis longtemps son transfert à l’hôpital, pour qu’elle subisse l’intervention chirurgicale qui préviendrait des atteintes graves et irréversibles à sa vision. Quatre prisonniers politiques kurdes dans les couloirs de la mort sont en grève de la faim depuis 75 jours. Arrêtés en 2009, Jamshid Dehgani, Jahangir Dehgani, Ahmed Hamadi et Kamal Molayee n’ont, à ce jour, jamais vu un avocat depuis leur arrestation en 2009. Ils ont, par contre, été sujet à plusieurs simulacres d’exécution, une forme de torture morale très répandue dans les prisons iraniennes. Leur récent transfert dans la prison de Ghezel Hasar, au nord ouest de Téhéran, fait craindre leur exécution imminente et non simulée, cette fois.

Un détenu de nationalité turque, Shakir Begi, originaire de Van et capturé en 2007 entre Sanadadj et Mariwan purge 30 ans de prison. Il a été transféré ce mois-ci de la prison de Diesel-Abad (Kermanshan) à celle de Kashmar dans le Khorassan. Mis en cellule avec les droits communs et non les politiques sa condition physique serait mauvaise.

Dans cette même prison de Diesel-Abad, un autre détenu politique a entamé une grève de la faim et s’est même cousu les lèvres, pour protester contre ses mauvaises conditions de détention et le rejet de sa demande de transfert dans la prison de Paveh, proche du lieu de résidence de sa famille. En 2011, Layegh Kordpoor a été arrêté par les services de renseignements et tenu au secret pendant 2 mois. Condamné à 5 ans de prison pour « soutien à des groupes salafistes », sans que des faits précis et des preuves aient été établis lors de son jugement, il a bénéficié d’une remise de peine d’un an et huit mois mais n’a toujours pas été remis en liberté.

CULTURE : LA CITADELLE D’ERBIL INSCRITE AU PATRIMOINE MONDIAL DE l’UNESCO

Le 1er juin, le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) a publié ses « Évaluations des propositions d'inscription de biens mixtes et culturels en 2014 » au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce dernier devait décider, lors de sa réunion à Doha, ce même mois, d’inscrire sur sa liste ou non les sites et monuments examinés par l’ICOMOS. Parmi eux figurait la Citadelle d'Erbil, dont, après examen, l’ICOMOS avait estimé qu’il fallait différer l’inscription mais non la désapprouver (la troisième option étant la recommandation) en raison de certaines faiblesses du dossier, et, surtout, les réserves émises par le Conseil sur l’évacuation de la population qui vivait dans la Citadelle.

Voici les conclusions et les recommandations finales soumises à l’UNESCO et à la Haute Commission pour la Restauration de la Citadelle d’ Erbil :

« La citadelle d’Erbil, avec sa position en hauteur au sommet d’un impressionnant tertre artificiel s’élevant au- dessus de la plaine dans une région qui fut le berceau des premières villes, continue de produire une impression visuelle forte. D’abondantes traces écrites et épigraphiques évoquent aussi la longue histoire du site, documenté depuis l’époque éblaïte et qui a prospéré en tant que centre politique et religieux à la période néo- assyrienne. La permanence de son nom au fil des siècles renforce l’idée d’une longue continuité d’occupation. 

La proposition d’inscription semble influencée par ces trois facteurs mais, dès qu’il s’agit d’apporter des éléments matériels pour appuyer les justifications des critères sélectionnés, le dossier révèle un certain degré d’ambiguïté et de confusion. L’analyse comparative, les délimitations et les arguments avancés dans le dossier de proposition d’inscription ne contribuent pas à démontrer la justification de la valeur universelle exceptionnelle proposée à ce stade. 

En effet, le tissu bâti subsistant, fragmentaire, du bien proposé pour inscription et de la zone tampon témoigne de la plus récente période historique d’Erbil, entre le XVIIIe et le début du XXe siècle. En ce qui concerne les phases historiques antérieures, les traces subsistantes du bien proposé pour inscription n’étayent pas les arguments présentés dans le dossier de proposition d’inscription, pas plus qu’elles ne démontrent dans quelle mesure et comment les précédents tracés d’occupation ont déterminé la configuration présente de la citadelle.

Des études historiques, documentaires et morphologiques supplémentaires, ainsi que l’archéologie, pourraient apporter un éclairage sur ce point. 

Le tell constitue la seule manifestation physique massive des anciennes phases d’occupation, mais en l’absence de fouilles archéologiques systématiques, l’information sur les précédentes strates demeure hypothétique et ne peut concourir à appuyer les arguments exposés dans le dossier de proposition d’inscription. À ce stade, il existe peu d’éléments matériels et de documentation scientifique démontrant que le tell recèle d’importantes traces archéologiques et coïncide avec le site de la cité assyrienne d’Arbèles.  L’intégrité du bien proposé pour inscription est également préoccupante : la plupart des composants qui constitueraient un établissement urbain fortifié historique n’existent plus ou ont subi des transformations majeures. Il ne subsiste que quelques groupes de bâtiments résidentiels du XIXe siècle, dans un état précaire et fragmentaire. 

L’ICOMOS félicite la région autonome du Kurdistan pour ses importants apports à la préservation de la citadelle d’Erbil. Toutefois, il note que l’ambitieux programme de conservation et de revitalisation initié en 2008 en est encore à ses débuts et nécessite un engagement politique à long terme et une capacité institutionnelle substantielle pour être mené à bien. 

Certains projets majeurs – par exemple la reconstruction en cours de la grande porte, basée sur une documentation historique et graphique limitée de sa configuration pré-1980, et le musée national du Kurdistan – directement face à la citadelle – suscitent aussi des inquiétudes concernant le maintien de l’intégrité déjà entamée du bien proposé pour inscription et de son authenticité. 

Les 8 Recommandations concernant l’inscription étaient : L’ICOMOS recommande que l’examen de la proposition d’inscription de la citadelle d’Erbil, Irak, sur la Liste du patrimoine mondial soit différé afin de permettre à l’État partie de : 

  approfondir la recherche sur le patrimoine urbain- architectural et le contexte archéologique du bien proposé pour inscription et de son environnement afin de mettre en évidence les zones potentiellement importantes du bien en termes d’éléments matériels et de compléter l’analyse comparative, afin de comprendre si le bien pourrait être considéré comme ayant une valeur universelle exceptionnelle ; 

  si cette étude suggère que de solides arguments justifient la valeur universelle exceptionnelle du bien, alors : 

o modifier les délimitations du bien proposé pour inscription et de la zone tampon si et là où cela est nécessaire ; 

o formaliser par des moyens juridiques appropriés le rôle, la structure et les compétences de la Haute Commission pour la revitalisation de la citadelle d’Erbil en tant qu’autorité de gestion et la doter de ressources financières et humaines appropriées et stables pour permettre son bon fonctionnement sur le long terme. 

L’ICOMOS considère que toute proposition d’inscription révisée devra être étudiée par une mission d’expertise qui se rendra sur le site. 

Recommandations complémentaires  :

L’ICOMOS recommande également que l’État partie prenne en considération les points suivants : 

  s’occuper de toute urgence de la stabilisation des pentes du monticule archéologique ; 

  reconsidérer l’emplacement du musée national du Kurdistan ou réviser substantiellement la conception architecturale du projet actuel pour l’harmoniser avec la citadelle et sa relation avec son environnement ; 

  étudier, documenter et cartographier les vestiges de surface subsistants de tout type et instaurer des mécanismes pour documenter et protéger les vestiges archéologiques enfouis des activités de construction ;    élaborer une stratégie pour attirer des investisseurs privés et construire un partenariat public/privé solide pour mettre en œuvre le programme de conservation et de revitalisation ; 

  entreprendre des études juridiques en vue d’améliorer le cadre légal existant en introduisant des mécanismes de soutien aux propriétaires privés concernant leurs obligations d’entretien de leurs biens patrimoniaux ; 

  renforcer l’implication des anciens habitants et de la société civile d’Erbil en général dans la revitalisation de la citadelle et fournir des instruments appropriés pour assurer leur participation effective au processus. 

Le rapport entier peut être lu en ligne ou téléchargé à cette adresse (la fiche d'Erbil se trouve aux pages 242-252) :

http://whc.unesco.org/archive/2014/whc14-38com-inf8B1-fr.pdf

Mais finalement, le 21 juin, l’UNESCO réuni à Doha n’a pas suivi les avis de l’ICOMOS et a inscrit d’emblée la Citadelle sur la liste du Patrimoine mondial et elle figure à présent sur son site, à la page des nouveaux inscrits, avec la présentation suivante :

« La Citadelle d’Erbil (Iraq) est un établissement anciennement fortifié bâti au sommet d’un imposant tell ovoïde - un monticule créé par les générations qui se sont succédées sur le site et ont reconstruit au même endroit. Elle est située dans la région autonome du Kurdistan en Iraq, au nord du pays. Le mur ininterrompu de façades de maisons du 19e siècle continue de donner l’impression visuelle d’une forteresse imprenable surplombant  la ville d’Erbil. La Citadelle présente un tracé de rues particulier, en éventail, datant de la phase ottomane tardive d’Erbil. Les sources écrites et iconographiques documentent l’antiquité de l’occupation du site –Erbil correspond à l’ancienne Arbelès, un important centre politique et religieux assyrien- tandis que les découvertes et fouilles archéologiques suggèrent que la colline cache les strates et les vestiges d’établissements plus anciens. »

La Citadelle d’Erbil devient ainsi le premier site historique du Kurdistan à figurer sur la prestigieuse liste du Patrimoine de l’Humanité de l’UNESCO.