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Bulletin N° 347 | Février 2014

 

IRAK : BAGDAD MENACE DE GELER LE BUDGET DU KURDISTAN

Malgré les multiples rencontres de cet hiver entre des délégations du Gouvernement régional du Kurdistan et le gouvernement central de l'Irak, la crise du budget et du pétrole entre Erbil et Bagdad ne s’est pas apaisée et menace même de tourner au chantage financier.

 

Le ministre des Ressources naturelles de la Région kurde confirmait, début février, que le Kurdistan d'Irak (GRK) avait commencé d’écouler son pétrole vers la Turquie (2 millions de barils de brut en janvier pour un objectif de 12 millions de baril mensuels à la fin de l’année) ce que Bagdad a toujours dénoncé comme illégal. 

 

Le 18 février, une rencontre entre une délégation kurde (conduite par Nêçirvan Barzani, le Premier Ministre kurde) et le gouvernement central avait de nouveau lieu à Bagdad, et fut toute aussi infructueuse que les précédentes. Le bureau du Premier Ministre irakien faisait simplement part, dans un communiqué de presse, de la volonté des deux parties de « parvenir à un accord », tandis que le ministre irakien du Pétrole, Abdul Karim Luaibi, confirmait la poursuite des négociations « jusqu’à la résolution du conflit avec le GRK. »

 

Mais ce ton apaisant contrastait curieusement avec l’autre volet du conflit, celui du budget alloué à la Région du Kurdistan, dont la diminution, de 17 à 11%, envisagé par Bagdad, est contestée par les Kurdes, qu'ils soient du GRK ou du Cabinet irakien. Le jour même où Nêçirvan Barzani achevait sa réunion avec le gouvernement irakien, le ministre-adjoint aux Finances irakiennes, le kurde Fazil Nabi, menaçait de démissionner si le Gouvernement régional du Kurdistan ne recevait pas « sa juste part » du budget. Fazil Nabi a accusé directement Nouri Maliki et Hussein Sharistani (vice-Premier Ministre qui bataille depuis des années avec Erbil sur cette question du Pétrole) : 

 

« Maliki a ordonné de couper le budget afin que la population de la Région du Kurdistan se révolte contre le Gouvernement régional », a-t-il déclaré dans un entretien avec le journal kurde Rudaw. « Bagdad n’a jamais été aussi dure envers les Kurdes. Elle a déjà usé de menaces, mais jamais à ce point. » 

 

Et le ministre-adjoint d’expliquer qu’il avait anticipé cette mesure de son propre ministre et du vice-Premier Ministre irakien en se dépêchant d’envoyer au GRK l'argent destiné au traitement des fonctionnaires kurdes pour le mois de janvier le 8 du mois, avant que ses supérieurs hiérarchiques ne décident de couper les fonds à ses compatriotes, ce qui fut fait peu après. Fazil Nabi a relaté avoir eu un échange « très dur » avec son ministre des Finances, dont il est ressorti convaincu que Nouri Maliki et Hussein Sharistani « étaient derrière tout cela. » Selon lui, Nouri Maliki aurait même insisté pour couper le budget des Kurdes en disant : «  Laissons les Kurdes se révolter contre le GRK ! ».

 

Si les propos du Premier Ministre irakien s'avèrent exacts, la stratégie de Nouri Maliki, anticipant une révolte des Kurdes contre leurs propres dirigeants parce qu'ils se verraient « punis » par Bagdad, en dit long sur la méconnaissance psychologique et l'aveuglement du gouvernement central concernant l’opinion publique kurde », qui, dans une écrasante majorité, opterait plutôt pour l’indépendance si l’occasion lui en était donnée. 

 

Ce réflexe « préventif » de Fazil Nabi en dit aussi long sur la désintégration interne de l’Irak dont les Arabes sunnites sont en état de quasi-insurrection et où les ministres kurdes du Cabinet irakien font de la résistance sur leur lieu de travail pour défendre les droits constitutionnels de leur Région.

 

S’exprimant directement sur la question, et confirmant, sur le fond, les accusations de Fazil Nabi, Hussein Sharistani a déclaré, dans un entretien télévisé, le 20 février, que le ministre des Finances avait finalement envoyé assez de fonds pour couvrir les traitements des employés d'État kurdes (grâce à Fazil Nabi, nous savons pourquoi) mais qu’il faisait face à « une crise de liquidité » et qu’il ne pourrait payer ceux de février, du moins « tant que la Région ne reprendrait pas ses exportations de pétrole vers l’Irak ». 

 

Hussein Sharistani a, dans la foulée, annoncé que les Kurdes avaient enfin accepté d’exporter leur brut via SOMO, l'agence étatique chargée de la commercialisation du pétrole irakien, rattachée au Ministère du pétrole de l’Irak :

 

« Après des heures de réunion, nous avons accepté que nos frères de la Région soient représentés au sein de SOMO qui est le seul débouché national en charge du pétrole. » 

 

Sharistani a assuré que son gouvernement n’avait aucune « objection » à ce que le GRK exporte son pétrole, à condition que SOMO contrôle les mécanismes des ventes, le chiffre d’affaire et  les revenus.

 

Depuis le début du conflit, les annonces de résolution des problèmes émanant triomphalement d'une des parties sont aussitôt contredites par l’autre, et celle-ci n'a pas échappé à la règle. Le porte-parole du GRK, Safeen Dizayee, a immédiatement réagi aux propos de Hussein Sharistani, en rétorquant que son gouvernement n’avait nullement donné son accord concernant la supervision des exportations de brut par SOMO, ce qu’il considère comme mettant le Kurdistan « à la merci de Bagdad », et que « les discussions continuaient. » Les Kurdes ont proposé, au contraire, de  déposer la part des revenus pétrolier du Kurdistan à la Banque centrale irakienne, à condition qu'ils en disposent librement, après la ratification du budget général par le Parlement kurde. 

 

Safeen Dizayee a également accusé Bagdad d’agir ainsi pour satisfaire la base de certains « partis influents » en vue des prochaines élections parlementaires irakiennes. Le porte-parole du gouvernement kurde ne s’est pas privé de brocarder les hommes politiques irakiens, ajoutant que beaucoup d’entre eux devraient remercier la Région de fournir un terrain économique si favorable à l’Irak en terme de sécurité et de stabilité, bien qu’ils l'utilisent surtout à des fins personnelles, par exemple quand la plupart d’entre eux s’y installent avec leurs familles, loin de l’instabilité sécuritaire et du terrorisme de Bagdad et des autres villes irakiennes :

 

« La plupart des officiels et des politiciens de Bagdad s’y rendent pour travailler cinq jours par semaine, ou moins, pour travailler, et passent leurs week-end dans la Région. »

 

Quant à la « rue kurde », elle ne s’est pas révoltée contre son gouvernement. Des grèves avaient commencé d’éclater dans la province de Suleïmanieh, quand des employés s’étaient plaints de ne pas avoir été payés fin janvier, et une manifestation a été organisée par le Parti communiste du Kurdistan et le Partis des Travailleurs le 11 février, devant le Bureau du parlement. La veille, c’étaient les employés des départements d’Eau et d’Électricité de Suleïmanieh qui manifestaient pour la même raison. 

 

C’est alors que le ministère des Finances kurdes a informé, dans un communiqué officiel, que la cause des retards de paiements était due au blocage des fonds par le gouvernement central.  

 

L’Union des investisseurs du Kurdistan a annoncé, dès le lendemain, le 12 février, qu’elle espérait déposer 100 milliards de dinars à la Banque centrale du Kurdistan à Sueïmanieh après avoir organisé une collecte parmi les investisseurs et les hommes d’affaires kurdes, afin de payer les salaires des fonctionnaires locaux. 

 

 

Le 23 février, des représentants du Kurdistan au Parlement irakien et dans le gouvernement fédéral, des représentants des différentes factions politiques de la Région du Kurdistan ainsi que le Gouvernement régional se sont tous réunis en conférence à Erbil  afin de discuter des dernières évolutions politiques et de s’accorder sur une déclaration commune, en quatre points, répondant aux sanctions économiques de l’Irak. La déclaration a été approuvée à l’unanimité par les participants :

 

1.  Le Kurdistan irakien fait partie de l’Irak conformément à la Constitution et est ainsi doté de tous les droits et pouvoirs tels qu’énoncés par cette Constitution. Cela inclut sa quote-part du budget provenant du revenu national. Le gouvernement ne peut sous aucun prétexte réduire les salaires comme moyen de pression contre le GRK.

 

2. Bien que le GRK ait d’autres options pour subvenir aux salaires et aux autres besoins de la population, les négociations doivent se poursuivre entre le Gouvernement fédéral irakien et le GRK sur la base du respect des droits constitutionnels de la Région du Kurdistan.

 

3. Nous appelons le Premier Ministre irakien à mettre fin à cette politique illégale et anti-constitutionnelle. La  part du budget et les salaires de la Région du Kurdistan sont un droit constitutionnel et ne doivent pas être décaissée. Les questions en suspens avec le GRK doivent être résolues par le dialogue et la négociation.

 

4. Nous appelons les autorités religieuses, les Nations Unies, les gouvernements et pays en relation avec l’Irak, les États membres de l’Organisation de la conférence islamique et les États membres de la Ligue arabe à prendre leur responsabilité en usant de leur influence pour mettre fin à la politique de sanctions économiques menée contre la population et le gouvernement de la Région du Kurdistan. Cette politique est totalement injustifiée, en violation flagrante de la loi constitutionnelle et va à l’encontre des accords internationaux et des principes fondamentaux des droits de l’homme.

 

ERBIL : LA FORMATION DU NOUVEAU CABINET MARQUE LE PAS

Six mois après les élections législatives de septembre 2013, qui ont vu la victoire du parti présidentiel, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), et la défaite de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) au profit de Gorran, le principal mouvement d’opposition, le nouveau gouvernement régional kurde n’a toujours pu être formé.

Le 5 février, une rencontre a eu lieu entre le Premier Ministre de la Région, Nêçirvan Barzani, et Nawshirwan Mustafa, le leader du parti Gorran, mais elle n’a pu déboucher sur un accord et aucune des parties n’a fait de déclaration officielle pour conclure l’entretien.

Le principal blocage proviendrait des revendications respectives de l’UPK et de Gorran, ces deux partis rivaux implantés à Suleïmanieh, tous deux prétendant avoir droit à plusieurs postes-clefs, par exemple, celui de vice-Premier ministre de la Région, qui était auparavant donné à un membre de l’UPK quand le Premier ministre était PDK, ce qui est actuellement le cas. 

Gorran aurait commencé par réclamer ce poste en raison de sa victoire incontestable sur l’UPK, qu'il a devancée aux dernières élections, mais l’UPK a argué de son alliance de longue date avec le PDK, en estimant que ce dernier n’a pas à le léser de cette fonction, qui est peut-être importante à ses yeux aussi par ce qu’elle représente : le principe de partage du pouvoir entre ministre et ministre-adjoint fut, pour la première fois, instauré après les élections de 1992, en vue d’éviter (en vain) la guerre civile. Y renoncer entérinerait au grand jour le recul en influence et en poids politique de l’UPK qui est passé de la 2ème à la 3ème place. Aram Sheikh Mohammed, à la tête du bureau des élections du parti Gorran, et qui fait office de porte-parole de Gorran dans les négociations et auprès de la presse sur ce sujet, accuse, de son côté, le PDK et surtout l’UPK de ce retard, en les blâmant d’être incapables de renoncer aux modalités d’un compromis hérité de l’histoire politique kurde, mais qui n’est plus de mise aujourd’hui, en raison de la nouvelle donne issue des urnes.

Le 11 février, alors que l’opinion publique s’impatientait et que des manifestations de protestation étaient tenues à Suleïmanieh, par des organisations et associations civiles, le PDK et Gorran annonçaient être parvenus à un accord, le parti de Mustafa acceptant de recevoir les postes de ministre de l’Intérieur à la place de celui du vice-Premier ministre, et celui de président du Parlement à la place des fonctions de Vice-président de la Région. L’UPK garderait donc les fonctions de vice-Premier Ministre. Quant au poste de ministre de l’Intérieur qui reviendrait à Gorran, l’accord stipulerait d’obtenir pour cela l’assentiment de tous les partis politiques membres du Cabinet. Mais à peine cet accord était-il annoncé dans la presse, que Gorran démentait, en la personne d’Aram Sheikh Mohammed, toute décision définitive : « Il n’y a rien d’officiel qui a résulté des débats menés par le mouvement [Gorran] avec le PDK. »

Le 13 février, une délégation de Gorran, menée par son chef Nawshirwan Mustafa, arrivait à Erbil pour y rencontrer cette fois le président de la Région, Massoud Barzani. Nawshirwan Mustafa aurait insisté pour qu’un cabinet soit formé « le plus rapidement possible », ce qui aurait rencontré l’assentiment du président, comme l’a ensuite déclaré au journal Awene, Aram Sheikh Mohamed. De cette entrevue, il ressortait, selon la chaîne KNN, que le portefeuille du ministre des Ressources naturelles (un poste-clef alors que la crise avec Bagdad sur les questions de Pétrole et des hydrocarbures est à son comble) reviendrait au PDK, tandis que Gorran se serait vu confirmer l’attribution de l’Intérieur et les fonctions de président du Parlement. Cependant les discussions étaient toujours en cours à la mi-février, et le Dr. Ako Hama Karim, un des membres de la délégation de Gorran, répétait que son parti ne céderait jamais sur l’attribution de l’Intérieur, « une ligne rouge », qui conditionnerait toute participation future au huitième cabinet.

Selon l’agence Sharpress, le PDK aurait proposé à Gorran de renoncer à l’Intérieur et de prendre le ministère des Finances, mais sans succès. Selon le journal Shafaaq News, l’insistance de Gorran à mettre la main sur les fonctions de l’Intérieur (cumulées avec le ministère des Peshmergas) tient à son désir de prendre le contrôle effectif de la province de Suleïmanieh devant un UPK récalcitrant à lui laisser le pouvoir. Gorran accuse aussi l’UPK (et dans une certaine mesure le PDK) d’avoir fait pression sur l’électorat, via les forces de l'ordre, et surtout sur les fonctionnaires, pour infléchir leur votes. Il affirme ainsi que le gouvernement précédent a renvoyé 1000 employés de plusieurs administrations, parce que soupçonnés de sympathies ou d’appartenance au parti de Nawshirwan Mustafa.

L’entente entre le PDK et son ancienne alliée l’UPK va-t-elle se détériorer au fur et à mesure que traînent les négociations et que Gorran obtient peu à peu les postes qu’il réclame ? Les deux partis se rejettent en tout cas mutuellement la responsabilité des blocages. L’UPK ne semble pas prête à « lâcher l’Intérieur » s’il faut en croire un membre (resté anonyme) de son bureau politique, se confiant au journal Hawlati : selon lui, son parti n’aurait pas encore accepté l’attribution de l’Intérieur à Gorran et ferait toujours pression sur le PDK en ce sens, souhaitant obtenir soit l’Intérieur, soit les Peshmergas (avec une préférence pour le premier). Wasta Rasul, un autre responsable de l’UPK aurait même affirmé que son parti ayant « la force militaire », l’Intérieur lui revenait donc de plein droit.

En ce qui concerne le poste de Vice-Premier Ministre, trois candidats UPK seraient en lice : Hakim Qadir, membre de l’exécutif du Bureau politique, Imad Ahmed, lui aussi membre du Politburo de l’UPK et actuel vice-Premier Ministre, et enfin Qubad Talabani, le fils du président irakien et Secrétaire général de l’UPK, Jalal Talabani.

Car la situation politique de l’UPK est encore compliquée par les remous internes de ce parti, et sa récente défaite n’a pas apaisé les dissensions entre ses dirigeants se disputant la succession de Jalal Talabani, avant et après les élections. Ainsi, le quatrième congrès de l’UPK, qui devait se tenir le 31 janvier, a été reporté sine die par les instances dirigeantes du parti. Le 2 février, le secrétaire général adjoint de l’UPK, le Dr. Barham Salih a alors démissionné de ses fonctions en déclarant à la presse qu’il n’était plus, dorénavant et jusqu’à ce que son parti tienne son quatrième congrès et réussisse enfin à résoudre ses problèmes, qu’un « membre ordinaire de l’UPK.

La démission de Barham Salih et le report à une date indéterminée du Congrès inquiètent le gouvernement kurde car cela ne peut qu’aggraver le mauvais climat sécuritaire de la province de Suleïmanieh, secouée récemment par plusieurs assassinats à caractère politique. Le Premier Ministre Nêçirvan Barzani, en apprenant la nouvelle, a averti que tout danger menaçant la « sûreté » et la « stabilité » de cette province serait une : »ligne rouge ». Le journal Rudaw a fait aussi état de délégations iraniennes s’efforçant de servir de médiation au sein de l’UPK, l’Iran s’inquiétant de la « descente aux enfers » du parti kurde avec qui il entretient des relations plus étroites qu'avec les autres partis kurdes.

Le 21 janvier, Mme Hero Talabani, épouse du président Talabani, avait réfuté les rumeurs qui lui attribuaient la volonté de différer la 4ème Convention, affirmant au contraire qu’elle faisait de son mieux pour la faire tenir et aboutir. Quoi qu’il en soit, cinq jours plus tard, le conseil de direction et l’assemblée générale de l’UPK, se réunissaient et décidaient d’ajourner le Congrès, jusqu’à ce que la situation du parti soit plus « appropriée » pour une telle tenue. La crise interne de l’UPK risque de se transformer en une crise politique majeure pour l’ensemble du Kurdistan , entravant la formation d’un gouvernement d’union nationale attendu par la population.

DROITS DE LA PRESSE : LES RAPPORTS DE RSF ET DU CPJ POUR 2013

Deux rapports concernant l’état de la liberté de la presse et de l’information dans le monde pour l’année 2013 sont sortis récemment : celui de Reporters sans Frontières et celui du Comité pour la Protection des Journalistes.

Sans surprise, la Syrie arrive dans les rangs les plus bas du classement de Reporters sans Frontières, occupant la 176 position (sur 180). RSF indique que « de tous les pays classés, c’est celui où les exactions contre la liberté de l’information auront été les plus nombreuses. Les professionnels de l’information sont pris pour cibles par les différentes parties au conflit, par l’armée régulière et par les factions d’opposition, qui s’y livrent une guerre de l’information. » Le CPJ classe aussi la Syrie comme le pays le plus meurtrier pour les journalistes qui font face, depuis 2013, aux menaces supplémentaires des groupes islamistes radicaux. Le nombre d’enlèvements a triplé en 2013.

Beaucoup de journalistes kidnappés sont détenus par des groupes affiliés à Al Qaeda ou à l’État islamique au Levant et en Irak. Mais des factions armées issues des rangs de l’Armée syrienne de libération ou pro-gouvernementales sont aussi à blâmer pour des violations de liberté de la presse, des détentions ou des meurtres. Beaucoup de correspondants étrangers refusent maintenant d’entrer dans le pays, et les journalistes syriens ont le choix entre l’exil ou vivre dans la peur. Au moins 61 journalistes syriens et étrangers ont été enlevés en 2013, par différents groupes sur le terrain, parfois par des combattants non syriens (les enlèvements de journalistes étaient au nombre de 23 en 2012). Certains de ces journalistes ont été relâchés ou ont pu s’enfuir, mais à la fin de 2013, le sort de 30 d’entre eux restait inconnu. 29 journalistes, étrangers ou syriens, ont été tués l’année dernière, dont le photographe Olivier Voisin, blessé en Syrie mais mort peu après de ses blessures en Turquie. 

 

L’Iran arrive assez à la 174e place du classement RSF. Le ministère des Renseignements et les Gardiens de la Révolution continuent d’y contrôler toute l’information, que ce soit la presse écrite, les sites Internet, les medias audiovisuels. RSF parle aussi d’une « internationalisation de la répression » du fait que les familles de journalistes iraniens travaillant à l’étranger ou pour des media étrangers basés en Iran sont « prises en otage ». La République islamique remporte aussi le titre de « cinquième plus grande prison du monde pour les acteurs de l’information ».

Durant toute la période électorale, jusqu’aux élections de juin 2013, le gouvernement d’Ahmadinejad s’est livré à des arrestations préventives, à des fermetures de journaux et des interdictions de publications, a exercé des menaces et des pressions sur les familles de journalistes exilés et a ralenti délibérément les connexions et le trafic sur Internet. Les correspondants étrangers ont eu des difficultés à obtenir des visas et ceux qui ont pu se rendre en Iran ont fait face à toutes sortes de restrictions sur le terrain. 

Le gouvernement d’Ahmadinejad a d’ailleurs ouvertement reconnu sa politique de répression des media, arguant qu’il s’agissait de déjouer « un complot de la BBC contre la République islamique ». En mars 2013, le ministre des Renseignements, Heydar Moslehi, a ainsi déclaré que « 600 journalistes iraniens faisaient partie d’un réseau d’espionnage contre l’État, associé à la BBC et que leurs arrestations avaient pour but de prévenir l’émergence d’une sédition durant les élections ». Entre le 26 janvier et le 6 mars, le CPJ a relevé l’arrestation de 20 journalistes, dans une répression de grande ampleur visant à étouffer toute dissidence avant le jour du scrutin. Au moins 24 familles de personnes travaillant pour la BBC ou Radio Farda ont été soumises à un harcèlement et à des intimidations de la part des autorités.

Au-delà de sa censure habituelle de l'Internet, le gouvernement a pris des mesures extraordinaires pour limiter les échanges en ligne, en utilisant des outils de surveillance plus étroits des réseaux privés. De façon générale, Twitter et Facebook sont bloqués dans le pays, même si, paradoxalement, de nombreux responsables du régime ont des comptes officiels ou semi-officiels sur ces deux réseaux.

 

La Turquie (classée 154e par RSF) remporte la première place de « plus grande prison du monde  pour les journalistes », qui dénonce « la paranoïa sécuritaire de l’État, qui tend à voir en chaque critique le résultat de complots ourdis par diverses organisations illégales » [et qui] s’est encore accentuée au cours d’une année marquée par un fort regain de tension sur la question kurde. » La Turquie est aussi désignée par le CPJ comme étant « la pire des geôles pour la presse », avec 40 journalistes emprisonnés, kurdes à une écrasante majorité.

Les autorités continuent de harceler et de censurer toute voix critique, par exemple en faisant renvoyer des personnes travaillant dans les media. Ainsi près de 60 journalistes ont été licenciés ou poussés à démissionner pour avoir couvert les événements de Gezi Park en juin 2013. De façon générale, le gouvernement turc est pointé du doigt pour ses tentatives de censure, de menace et de restriction de l’utilisation d’Internet. 

Le CPJ constate aussi que le processus de négociations amorcé avec le PKK n’a pas, pour le moment, abouti à libérer les journalistes kurdes. Les amendements législatifs pris par le gouvernement n’ont comporté aucune réforme effective des lois entravant la liberté de la presse et d’opinion, hormis une « timide avancée » qui doit limiter l’utilisation des dispositions contre la « propagande terroriste », largement utilisées contre les journalistes, les éditeurs, les auteurs. Mais les amendements ont maintenu un des articles les plus liberticides contre la presse, celui qui a permis de convaincre « d’appartenance à une organisation armée » 60% des journalistes qui étaient emprisonnés en Turquie à la date du 1er décembre 2013.

Parmi les cas de harcèlement et de menaces qui ont cours librement en Turquie contre des journalistes, le CPJ cite la campagne d’attaque sur Twitter, menée par le maire d’Ankara, Melih Gökçek, contre un reporter turc de la BBC, Selin Girit, en juin 2013, publiquement qualifié de « traitre et d’espion » sur le réseau Internet, pour sa couverture des manifestations anti-gouvernementales. 

Durant les événements de Gezi Park, au moins 22 journalistes ont été renvoyés et 37 ont été obligés de démissionner pour avoir uniquement fait leur travail, selon l’Union des journalistes turcs. Durant ces mêmes événements, la police a usé de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour disperser les manifestants mais aussi les journalistes présents.

Mais il n’y a pas que les événements de Gezi Park qui encourent la censure d’État. Ainsi, Hasan Cemal, éditorialiste au journal Milliyet, a été renvoyé, quelques semaines après que le Premier Ministre turc a, en mars 2013, critiqué une publication du journal et le travail de cet éditorialiste en particulier. Milliyet avait en effet publié les minutes d’une rencontre entre la direction du PKK et des députés du parti pro kurde BDP. Hasan Cemal avait, dans ses écrits, approuvé et soutenu la décision de cette publication.

 

En Irak, 10 journalistes ont été tués en 2013, dans des circonstances et des motifs peu clairs. Mais pour cent journalistes tués dans la dernières décennies, sans une seule condamnation, le pays demeure un des pires au monde concernant l’impunité de tels meurtres, alors que bien des cas pourraient élucidés si les autorités en avaient la volonté, selon le CPJ. Les autorités, irakiennes, comme kurdes, continuent d’arrêter pour une courte durée des journalistes mais à la date de décembre 2013, le CPJ n’avait enregistré aucun emprisonnement.

PARIS : UNE CONFÉRENCE DU DR. ISMAIL BEŞIKÇI

À l’invitation de l’Institut kurde, le célèbre sociologue turc Ismaïl Beşikçi, qui a passé dix-sept années de sa vie dans les geôles turques, en raison de ses ouvrages d’histoire et de sociologie consacrés aux Kurdes, a donné une conférence sur « le destin du peuple kurde au XXème siècle et les perspectives », le samedi 22 février, à Paris, dans la salle des fêtes de la mairie du Xème arrondissement.

Devant un auditoire nombreux, composé de Kurdes, de Turcs, mais aussi de militants des droits de l’homme, d’étudiants et d’universitaires français, européens et d’autres nationalités le Dr. Beşikçi a, durant près de trois heures, analysé les raisons du partage colonial du Kurdistan aux lendemains de la Grande Guerre et de l’effondrement de l’empire ottoman qu’elle a entraîné :

« Des frontières arbitraires ont été tracées par les grandes puissances de l’époque, l’empire britannique et la France, en fonction de leurs intérêts coloniaux, au mépris des aspirations des populations locales concernées. Les Turcs ont consenti à la cession du wilayet de Mossoul, peuplé d’une forte majorité kurde et riche en pétrole, à l’État irakien sous mandat britannique, qu’à la condition que les Britanniques refusent aux Kurdes toute forme d’autonomie. La Grande-Bretagne qui, dans son vaste empire, accorde des statuts d’autonomie régionale de « self-rule » aux populations indigènes, a privé les Kurdes irakiens de ce statut minimal malgré des engagements solennels pris devant la Société des Nations.

«  La Turquie kémaliste a mis en application le projet d’assimilation forcée des Kurdes, conçu dès 1911 par les dirigeants pan-turquistes du Comité « Union et Progrès », rêvant d’un empire turc allant des rives d’Adriatique aux steppes d’Asie centrale. Pour ce faire, ils ont mis à profit les circonstances de la Grande Guerre pour éliminer les populations indigènes chrétiennes d’Anatolie (Arméniens, Syriaques). Ce projet fut complété par l’expulsion vers la Grèce, dès le début du régime kémaliste, de la population grecque d’Anatolie.

« On assiste ensuite à un cycle de révolte-répression sanguinaire-révolte dans les États se partageant le Kurdistan et coopérant politiquement et militairement contre les populations kurdes, au moyen de massacres et de déportations, dans le silence d’abord de la Société des Nations, puis de son successeur, l’ONU.

« N’ayant même pas le statut de colonie, le Kurdistan n’a pu bénéficier des dispositions en faveur de la décolonisation adoptées par l’ONU au début des années 1960. En fait, celles-ci concernaient les territoires d’Outre-Mer colonisées par les puissances européennes. On en arrive ainsi à un ordre international anti-kurde, implacable et absolu : Sur les 208 États que comporte le monde actuel, plus des deux-tiers ont une population inférieure à celle du Kurdistan. De l’ONU à des Jeux Olympiques, des territoires peuplés d’à peine quelques dizaines de milliers de personnes, comme Vanuatu, Andorre, le Lichtenstein, Monaco, etc., sont représentés, alors que les quelques 40 à 50 millions de Kurdes, malgré leur culture et leur histoire millénaires, sont absents. Plus qu’une injustice, c’est un scandale pour la conscience humaine » a conclu le Dr. Beşikçi, longuement ovationné par l’auditoire.

Dans le débat, dirigé par le professeur Hamit Bozarslan, de nombreuses questions ont été posées au Dr. Beşikçi, qualifié de « Frantz Fanon des Kurdes », comparé à Nelson Mandela ou à Andreï Sakharov. De sa voix fluette et calme, il a répondu avec une grande humanité à chaque intervenant, en précisant toujours : « Telle est mon opinion. » Pour finir, il a invité les intellectuels kurdes à s’interroger sur les raisons de la fragmentation de la société et de la politique kurde, sur les faiblesses internes qui empêchent ce peuple de faire front et énergie commune, comme une nation dotée d’un État nonobstant l’ordre international défendant farouchement le statu-quo, même lorsque celui-ci est inique et absurde.

Après cette conférence, l’Institut kurde a offert un dîner en l’honneur du Dr. Beşikçi et un appel public a été lancé pour soutenir la fondation portant son nom, créée récemment à Istanbul, notamment pour conserver, gérer et ouvrir au public sa bibliothèque et ses archives.

ATHÈNES : LA PLUS VIEILLE RÉFUGIÉE SERAIT UNE KURDE YÉZIDIE DE 107 ANS

The Globalist a publié, le 11 février, un reportage de Behzad Yaghmian, qui alerte l’opinion publique sur la situation de ce qui pourrait être la plus âgée des réfugiés au monde.

Sabria Khalaf, une Kurde yézidie qui a fui la Syrie en janvier dernier et a gagné la ville d’Athènes serait, en effet, née en 1907, sous l’Empire ottoman donc, et a vécu ensuite sous le mandat français et les divers régimes qui se sont succédés en Syrie, jusqu’à aujourd’hui.

Deux de ses filles, ses petits-enfants et arrières-petits-enfants vivent depuis des années en Allemagne. Mais c’est la première fois qu’elle quitte sa région natale, elle et son fils resté au pays ayant dû fuir les attaques islamistes contre les yézidis.

La Turquie fut la première étape de leur périple. Puis, après quelques mois passés dans un bidonville d’Istanbul où s’entassent les migrants, Sabria et son fils ont pu acheter une place pour un bateau clandestin, devant les emmener en Italie, avec 90 autres migrants de Syrie, d’Afghanistan et d’Afrique. Mais le bateau échoua dans une tempête sur les côtes grecques près d’Athènes. Les naufragés purent être repêchés de justesse par les garde-côtes grecs.

Logée avec son fils dans un appartement insalubre loué par un autre réfugié syrien, les migrants vivent dans la peur des attaques xénophobes du mouvement d’extrême-droite, Aube dorée, qui a plusieurs fois jeté des cocktails Molotov sur les locaux des réfugiés.

Ayant deux filles en Allemagne, le droit au regroupement familial devrait permettre à Sabria d’obtenir un visa, mais les lenteurs administratives des pays de l’Union européenne concernant l’accueil et le droit à l’asile des réfugiés’ s’ajoutant à son grand âge, rendent incertain le fait qu’elle puisse rejoindre ses autres enfants avant de mourir, comme c’est son vœu.