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Bulletin N° 338 | Mai 2013

 

TURQUIE : LE RETRAIT DU PKK A COMMENCÉ LE 8 MAI

Moins d’un mois après le début effectif du retrait du PKK de Turquie, un premier accrochage a été signalé le 3 juin dans des conditions invérifiables, car émanant d'un communiqué de l'armée : un poste-frontière aurait été attaqué par des combattants kurdes dans la province de Şirnak, et un soldat aurait été légèrement blessé.

Le PKK avait pourtant obtempéré plus vite, dans son début de retrait, que Murat Karayılan ne l’avait d’abord annoncé : le commandant militaire du PKK avait en effet, le 28 avril dernier, indiqué l’automne prochain comme date probable du retrait, alors qu’Öcalan émettait le vœu que tout cela soit terminé avant la fin de l’été. Comme toujours, c’est le « souhait » d’Imralı qui l’a emporté sur le calendrier de Qandil, et aux premiers jours de mai, des drones turcs montraient les premières images  (vite diffusées sur Youtube) de combattants kurdes s’apprêtant à se replier au Kurdistan d’Irak, en se rassemblant dans les vallées, afin d’être prêts à franchir la frontière, petits groupes par petits groupes. Images confirmées par un député AKP, Galip Ensarioğlu, rappelant que le même type de retraite avait été fait en 1999, quand Öcalan avait appelé au premier cessez-le-feu et à la fin de la guerilla. Mais en plus de certaines poches de résistance, par exemple les troupes de Hamili Yildirim dans le Dersim qui avaient refusé la « reddition », l’armée turque avait tué, alors, selon Galip Ensarioğlu, près de 500 combattants kurdes.

Que ce chiffre soit gonflé ou non, il est certain que tous les cessez-le-feu du PKK ont été unilatéraux et que, jusqu’ici, l’armée a toujours poursuivi ses opérations. L’interrogation de ce mois de mai était donc double : Le PKK accepterait-il unanimement de se plier aux exigences d’Ankara et d’Imralı, en se retirant sans combat, et les forces turques, cette fois, laisseraient-elles les troupes kurdes passer (désarmées ou non, ce point n’étant pas très clair, même si c'est une exigence d’Erdoğan) ? Le 7 mai, le PKK confirmait que le retrait commencerait dès le lendemain et Selahattin Demirtaş, co-président du BDP, assurait que les manœuvres avaient déjà été entamées. Elles devraient se poursuivre sur quelques mois, le PKK en Turquie compterait environ 2000 combattants.

Les premiers retraits ont eu lieu sans que les craintes de Karayılan, évoquant les « forces obscures », c’est-à-dire l’État profond, qui pourraient inciter aux incidents, et pousser ainsi les Kurdes à se défendre, ne s’avèrent fondées, en tout cas pour tout le mois de mai. Le Premier Ministre turc n’a cessé de répéter, pour sa part, que l’on « ne toucherait pas aux rebelles » d’une part, et que leur désarmement devait être la priorité du PKK. Une semaine plus tard, un premier groupe (9 hommes et 6 femmes), venu de Van, était arrivé au Kurdistan d’Irak, et les images des combattants accueillis par leurs frères d’armes se répandaient dans les media et sur Internet, ce qui a permis au gouvernement irakien de protester contre cette violation « flagrante » de sa souveraineté avec autant d'efficacité que lorsqu'il protestait contre les opérations militaires turques à Qandil. Au passage, on pouvait constater que ces Kurdes avaient emmené leurs armes avec eux, au rebours des desiderata d’Erdoğan. Le mauvais temps, neige, pluie et froid, n’a pas facilité la progression des premières unités, qui ont mis 7 jours à gagner la frontière.

Les déclarations de ces combattants à la presse se sont fait l’écho, sans surprise, de la nouvelle ligne politique prônée par Öcalan, nouvelle ère, nouvelle paix, et que le PKK n’abandonnait pas le combat mais faisait confiance à son leader.  Un jour plus tard, le second groupe (15 personnes) arrivait à son tour, de la région du Botan (région de Cizîr/Cizre, près des frontières syriennes et irakiennes). Les pluies abondantes avaient, de même, rendu difficile leur progression et les commandants de cette unité mentionnaient une présence très active des militaires et des gardiens de village, mais sans attaque.

Ce n’est pas pour autant que l’armée a observé une trêve totale. Si l’on en croit les communiqués de Firat News, l’agence de presse du PKK, des bombardements d’obus de mortiers ont eu lieu le 17 mai à Yüksekova (Hakkari), sans qu’il soit fait état de pertes, et les avions de reconnaissance turcs ne cessent de survoler la région. Le 24 mai, c’est dans le district de Lice (Diyarbakir) que trois villages ont été perquisitionnés par des troupes turques qui ont arrêté plusieurs personnes, sans que l’on en sache le motif.

Mais le retrait du PKK s’est poursuivi, à un rythme assez lent, puisque le 27 mai, on annonçait l’arrivée du 6ème groupe, composé de 16 combattants, dont 10 femmes. Même discours d’allégeance inconditionnelle à Öcalan, même accueil cérémonieux du QG à Qandil, la répétition de ces mises en scène ayant sûrement pour but d’affermir toutes les troupes (les nouvelles arrivantes comme celles basées à Qandil) dans la conviction que tout est pour le mieux et qu’il se s’agit pas d’une reddition mais d’une « nouvelle étape », et peut-être plus encore de montrer au public kurde, ceux qui regardent les chaînes TV du PKK, par exemple, que la guérilla reste fidèle à Öcalan et suit le leader dans sa nouvelle ligne.

Le sixième groupe a fait état des mêmes mauvaises conditions climatiques et de la forte surveillance de l’armée. Si les groupes continuent de se retirer en nombre tournant autour de 10-15, c’est entre 130 et 140 unités qui devront arriver progressivement ; et si tout continue d’aller aussi lentement, une période de 4 à 6 mois ne serait pas irréaliste avant que les 2000 combattants aient gagné Qandil, même en comptant que le temps s’améliore. Or plus le délai est long, plus les risques de dérapages sur le terrain ou de retournements politiques augmentent.

Car le maintien du cessez-le-feu tient essentiellement à la volonté d’Erdoğan de poursuivre le processus et à sa capacité à se faire obéir de l’armée (en plus des autres forces de sécurité dans la région). Et justement, à la fin de mai, l’armée turque annonçait qu’un poste-frontière de la province de Şirnax (Şirnak) avait essuyé des tirs du PKK et que les Turcs avaient riposté avec un hélicoptère. Un soldat aurait été légèrement blessé. 

Qui a, en ce moment, intérêt à voir échouer cette phase des négociations d’Imralı ? Certainement pas les Kurdes de la région qui, quelles que soient leur amertume et leur méfiance envers l’État turc, ne souhaitent pas que les combats reprennent et que leur existence redevienne à nouveau un enfer. Ce n’est probablement non plus une preuve de la « duplicité » d’Erdoğan qui s’est tout de même assez avancé auprès de son opinion publique pour qu’un échec de la trêve et de nouveaux soldats şehit (martyrs) n’entament pas fortement sa crédibilité.

Le 29 mai, en visite auprès de responsables de l’Union européenne à Bruxelles, Selahattin Demirtaş a annoncé qu’une autre rencontre entre le BDP et Öcalan était prévue, pour discuter des « derniers développements » politiques.

SYRIE : GUERRE DES CHECK-POINT DANS LES RÉGIONS KURDES

Dans les régions kurdes syriennes, les accrochages se sont poursuivis tout le printemps, bien plus entre les bataillons du FSA (avec parfois des brigades kurdes) et les forces YPG, qu’entre ces dernières et les soldats du régime, même si, sur le terrain, les alliances, les trêves et les conflits ne font que se succéder, sans que cela semble obéir à une stratégie très cohérente.

 

Le « front kurde » se divise en trois poches réparties le long de la frontière nord-syrienne :

– Région de Qamishlo à Dêrik (nord-est Syrie), peuplée de Kurdes, musulmans et yézidis, et de chrétiens, sur les frontières turque et kurde irakienne  :

À Qamishlo, l’Armé syrienne de libération a décidé soudain, à la mi-avril, de prendre cette ville de 200 000 habitants, majoritairement kurdes, avec une très forte minorité chrétienne, et qui est une des rares villes d’où le Baath ne s’est pas retiré en laissant la place aux YPG, les forces du PYD-PKK syrien.  Cette fois unanimes, le Conseil national kurde et le PYD ont exigé de l’ASL et de l’armée syrienne qu'ils s'affrontent loin de Qamishlo, craignant d’autres bombardements de représailles dans les villages alentour, comme cela a été le cas dès que l’ASL prenait position dans la région.

– Serê Kaniyê, plus au centre, région mixte de Kurdes et d’Arabes et de chrétiens, sur la frontière turque.

La ville, à moitié contrôlée par l’ASL et moitié par les Kurdes qui ont conclu une alliance incertaine, après de durs combats entre milices islamistes et YPG, n’est toujours pas totalement sécurisée dans ses alentours et les villages peuvent être investis par des groupes plus ou moins louches. Le 13 mai, selon le site pro PKK Firat News, deux villages, Salihiye et Melle Nuri, à 20 km au nord de la ville, donc vraiment près de la frontière turque, ont été investis par des milices qui ont évacué femmes et enfants, avant de se livrer au pillage. Les hommes en armes arboraient des drapeaux plutôt islamistes avec la mention Allah u Akbar. De façon générale, il est fait état d’une recrudescence des mouvements armés autour de la ville, avec des attaques de villages (arabes ou kurdes) et des enlèvements et des détentions de civils. Parfois le motif en est politique : ainsi le village arabe d’El Soda, à 22 km de Serê Kaniyê, a été attaqué le 6 mai par des groupes qui ont brûlé les habitations et chassé les habitants. Selon ces derniers, ils auraient subi ce sort en raison de leur « soutien aux YPG ».

Comme le PYD est un mouvement kurde, ce « soutien » est à considérer avec circonspection. Mais il se peut que les Arabes ne collaborant pas avec le Front al -Nusrat ou d’autres groupes djihadistes soient accusés de collusion avec les Kurdes sur le principe de qui n’est pas avec nous est contre nous ; il se peut aussi que les villages arabes aient plus à se plaindre des islamistes que des Kurdes en ce qui concerne les pillages (les YPG pratiquent la réquisition, mais disciplinée). Des groupes liés à Al-Nusra ont aussi incendié un centre de soins dans un quartier arabe de Mehet, pour des raisons inconnues. 

En tout cas, à la fin de mai, les combats reprenaient entre les YPG et le Front  al-Nusra à l’initiative de ce dernier, semble-t-il.

Alep-Sheikh Maqsoud et Afrin : nord-ouest de la Syrie, peuplée de Kurdes, musulmans et yézidis, sur la frontière turque :

Dans le quartier kurde alépin de Sheikh Maqsoud, on pouvait voir, début avril, le drapeau du PYD flotter aux côtés du drapeau de l’Armée libre syrienne, et un commandant arabe témoignait à l’AFP que ses hommes avaient été fournis en munitions par les YPG et qu’ils combattaient avec les Kurdes contre l’armée du Baath en tentant de bloquer l’accès de la ville à l’armée syrienne qui se contentait de bombardements aériens.  Mais d’autres check-point tenus par les YPG fermaient aussi l’accès à Sheikh Maqsoud aux rebelles syriens, en faisant état, notamment, de groupes de pillards dans les rangs de l’ASL (beaucoup plus divers et désorganisés sur le terrain que les Kurdes). Les exactions de groupes plus ou moins affiliés à l'ASL mais se comportant, sur le terrain, comme des « seigneurs de guerre » renforcent aussi cette méfiance. Le 13 avril, le corps d’un Kurde de 54 ans, Ibrahim Khalil, qui n’était pas un activiste, a été retrouvé à Sheikh Maqsoud avec des traces évidentes de torture qui ont entraîné sa mort. Il avait été arrêté et détenu arbitrairement avec une dizaine d’autres personnes.

De son côté, au sein de l’ASL, la méfiance demeure concernant les alliances politiques réelles du PYD, soupçonné d’entente secrète avec le Baath. Le résultat de cette collaboration entre ASL et YPG a vu un nouvel afflux de réfugiés kurdes se repliant d’Alep sur Afrin, qui a ouvert ses bâtiments publiques aux familles n’ayant pas de proches dans la région pour les héberger et qui vivent de l’aide humanitaire répartie par le Conseil suprême kurde. Celui-ci faisait état, le 10 avril, d’environ 250 000 arrivants, en une dizaine de jours, après que l’armée a commencé de bombarder Sheikh Maqsoud (les Kurdes forment environ 20% de la population d’Alep).

En tout, Afrin, qui comptait, avant la guerre, 600 000 habitants, serait grimpé à 1, 5 million, avec d’autres réfugiés venus de Homs ou de Deraa. Le principal problème est l’absence d’aide humanitaire internationale, Afrin étant enclavé entre Alep et la Turquie peu encline à ravitailler une région tenue par le PYD. La mainmise sur les check-point est une des causes de conflits.

Le 26 mai, des combats ont éclaté entre les YPG et un groupe armé appartenant aux Frères musulmans, Liwa al-Tawhid, ces derniers accusant les Kurdes de laisser passer les habitants « chiites » (c’est-à-dire alaouites) du village de Nabel via leur check-point pour se ravitailler ; ou bien parce que les YPG auraient refusé de laisser passer des milices de l'ASL qui voulaient attaquer ces villages alaouites : La « montagne kurde » se situe en effet entre Alep et les zones sunnites, et la « montagne des alaouites ». 

Parmi les groupes du FSA menaçant de s’attaquer à Afrin figurent aussi des Kurdes très hostiles au PYD, comme la brigade Salah Ad Din qui considèrent le PKK comme « traitres » et servant de milices pro-Assad.  De part et d’autre, malgré les accords arrachés sur le terrain entre l’ASL et les YPG, les accusations de double-jeu, ou bien de pillages et d’exactions enveniment cette collaboration précaire, qui peut cependant se renforcer avec l’attaque imminente d’Alep par l’armée syrienne, après la chute d’Al Qusayr.

Les Kurdes se plaignent aussi de l’émiettement de l'ASL entre 21 groupes armés, qui rend difficile l'application des accords.

Mais si les Kurdes sont, sur le terrain militaire, plus homogènes que les Arabes (surtout du fait que peu de groupes armés peuvent se poser en rivaux des YPG), il n’en va pas de même sur le terrain politique. Exaspérés par les divisions internes qui s’éternisent depuis le début de la révolte en Syrie, des Kurdes syriens ont organisé un sit-in le 24 avril, devant le parlement d’Erbil, pour réclamer l’unification des partis kurdes de Syrie. Les manifestants demandaient au Parlement kurde de « faire pression » sur le mouvement kurde (syrien) afin qu’il œuvre mieux et de façon plus efficace dans l’intérêt des Kurdes de Syrie. »

C‘est que quatre jours plus tard, Massoud Barzani, réunissait une fois encore les chefs des partis du Conseil national kurde et ceux du Conseil populaire du Kurdistan occidental (une ramification du PYD lui-même surgeon du PKK)  pour débattre des points de litiges entre les deux camps. Le PYD lui-même était absent, donnant, entre autres motifs de refus, celui de siéger avec les représentants du parti Azadî, avec qui il a eu des accrochages sanglants. Le Parti kurde démocratique progressiste en Syrie (proche de l’UPK) a refusé également de siéger, l’UPK et le PKK s’étant récemment rapprochés, au moins sur le terrain syrien pour contrer l’influence du PDK de Barzani à l’ouest. Par contre, le PYD a envoyé une délégation pour rencontrer directement le président kurde.

Mais réunions et délégations n’ont pas aplani les différends et le ton s’est même envenimé entre le GRK et le PYD, quand, le 19 mai, des combattants des YPG ont enlevé 75 membres du Parti démocratique en Syrie (proche du PDK de Barzani) lors d’un raid  dans plusieurs localités. La plupart des membres kidnappés revenaient des camps d’entraînement du GRK, ce qui peut expliquer le pourquoi de ce coup de filet, les YPG n’aimant guère qu’on leur dispute l’hégémonie militaire. 

D’autres sources relient aussi les arrestations à des manifestations organisées les 17 et 18 mai, à l’initiative du PDK syrien contre le PYD à Qamishlo, demandant notamment que le PYD libère des jeunes opposants kurdes qu’il détient depuis plusieurs mois, et lui demandant aussi d'appliquer enfin les accords d’Erbil (sur la gestion commune des régions kurdes et un commandement militaire unifié). Le prétexte avancé du PYD pour les arrestations était le franchissement « illégal » de la frontière syrienne, le parti prétendant gérer les mouvements des Kurdes syriens avec ses Asayish ainsi que leur détention d'armes. 

En riposte, le Gouvernement du Kurdistan a fermé le poste-frontière de Pesh Khabour dès le 20 mai, après avoir exigé du PYD qu’il relâche ses sympathisants. Dans un communiqué sur son site officiel  il a averti le PYD qu’il devait cesser de se considérer comme le seul représentant des Kurdes de Syrie : « Personne ne peut se déclarer lui-même le représentant du peuple kurde en Syrie avant la tenue d'élections. Nous ne permettrons pas de telles initiatives. S’ils (le PYD) ne changent pas d'attitude, nous userons d’une autre méthode. »

Déjà, un mois auparavant, Massoud Barzani avait stigmatisé les meurtres, les arrestations et les enlèvements du PYD visant d’autres partis kurdes. La question de la frontière avait déjà surgi début avril, quand le Conseil suprême kurde (surtout les pro-PYD) annonçait son intention de restreindre, voire d’empêcher l’afflux des réfugiés kurdes de Syrie vers le Kurdistan d’Irak. La raison invoquée n’en était pas l’engorgement du camp de Domiz et la saturation de la capacité d’accueil du Gouvernement Régional du Kurdistan mais le « danger d’une émigration de masse » qui laisserait les régions kurdes de Syrie vidées de sa population originelle, et repeuplée des réfugiés arabes fuyant la violence de leurs villes.

Derrière cette crainte de « l’arabisation » du Kurdistan de Syrie, on peut y voir, certes, le souvenir du plan de la « ceinture arabe » lancé par la Syrie à la fin des années 1960 ou bien la question devenue quasi insoluble de Kirkouk où, là encore, une colonisation arabe forcée avait délogé des milliers de Kurdes. Cela dit, la crainte d’un effondrement de la démographie kurde n’a pas incité le PYD à permettre aux peshmergas syriens non affiliés aux YPG de franchir enfin la frontière, cette fois dans l’autre sens, comme l’avaient prévu les accords d’Erbil.

Mais d’autres membres du CSK dénoncent cette décision comme une atteinte aux libertés et une tentative, pour le PYD et ses forces armées, les YPG, de masquer la raison de la fuite des Kurdes vers le GRK : bon nombre de Kurdes à Qamishlo ne supporteraient plus la gestion et la politique  autoritaires  du PYD, de même que sa façon quelque peu partiale de distribuer les aides humanitaires, en favorisant leurs sympathisants ou activistes, selon des témoignages anonymes recueillis par le journal Rudaw.

De son côté, quand il ne le ferme pas, ce qui semble être toujours le cas jusqu'à aujourd'hui, le Gouvernement régional kurde semble décidé à ouvrir un poste-frontière permanent (en se passant de l'autorisation de Bagdad) en construisant un pont au poste de Pêsh Khabur, afin de permettre un ravitaillement permanent des Kurdes, qui jusqu’ici se faisait par radeaux et barques, avec la circulation de camions. Début mai, le pont était, selon les autorités kurdes, à moitié achevé, pour un coût total de 2 millions de dollars US. 

Mais dans son avertissement au PYD, Massoud Barzani a déclaré que le partage du pouvoir prévu dans les accords d'Erbil ne devait pas être « un pont vers l'autocratie ». Ne voulant pas engager de combats fratricides entre les peshmergas du CNK et les YPG, le pont de Pêsh Khabur sera peut-être le seul moyen de pression efficace sur le PYD qui, si le retrait total du PKK s'accomplit en Turquie, ne pourra plus compter que sur sa frontière avec le GRK pour le passage des renforts en armes et en hommes fournis par le PKK.

De Sheikh Maqsoud et d'Afrin à Pêsh Khabour, la lutte des Kurdes en Syrie, se joue donc, pour le moment, autour du contrôle des mouvements de troupes (amies ou ennemies) et du ravitaillement, entre check-point et poste-frontière, c’est-à-dire de la maîtrise des voies de passage, dans une région kurde morcelée et coincée entre le front de l’intérieur et les incursions de frontières.

IRAK : DÉBAT AUTOUR D’UN PRÉSIDENT « INTÉRIMAIRE »

Le 5 mai, Mme Hero Talabani, épouse de Jalal Talabani, se rendait en Iran à la tête d’une délégation de hauts responsables de l’Union patriotique du Kurdistan, après une invitation officielle de Téhéran. L’objet des rencontres avec des officiels iraniens était, selon l’UPK, de « discuter des liens bilatéraux et des développements régionaux », sans plus de détails. 

Ce n’est pas la première fois que des responsables politiques kurdes irakiens vont en Iran, en raison des relations économiques et politiques étroites entre le Gouvernement régional du Kurdistan et ce pays. Mais la présence de Hero Talabani à la tête de cette délégation a suscité, une fois de plus, des interrogations sur le leadership effectif de l’UPK depuis l’accident cérébral du président irakien, en décembre 2012. Le flou concernant son état de santé favorise toutes les rumeurs et les nouvelles contradictoires. Ainsi, alors que les proches de Jalal Talabani avaient annoncé, depuis des mois, qu’il était sorti du coma et récupérait « miraculeusement » toutes ses facultés, l'agence iranienne Fars News faisait état, le mois dernier, d'une sortie toute récente de coma. Naturellement, le démenti des Kurdes ne s’est pas fait attendre et le 9 mai, le Dr. Najmadin Karim, qui soignait personnellement Jalal Talabani, réaffirmait que son état n’avait pas subi de modifications depuis son dernier bulletin de santé, datant de février, où son retour au Kurdistan était envisagé pour le 10 mars (ce qui n'a pas eu lieu). Najmadin Karim a indiqué également qu’il s’envolerait bientôt pour l’Allemagne où le leader kurde est toujours soigné.

Finalement, 10 jours plus tard, des photographies montrant le président, entouré de son équipe médicale en Allemagne, étaient publiées et circulaient, très vite, sur les réseaux sociaux et les sites de presse kurdes et arabes. Jalal Talabani, vêtu d’un costume de ville, était assis à une table de jardin, dans un parc, avec ses médecins.

Une semaine avant la diffusion des photos, le Conseil suprême judiciaire irakien avait annoncé que le procureur  général avait requis du président du parlement, Osama al-Nujaifi, qu’il agisse en justice en raison de la longue absence du Président de la République de ses fonctions ». Une telle action se ferait en  application des dispositions de l’article 72/II/c sur la base des dispositions de l'article (1) de la loi n °(159) de 1979 (modifiée).

L’article (72 / II / c) de la Constitution irakienne énonce en effet qu’en cas d’absence du président de la république irakienne de ses fonctions pour une raison quelconque, un nouveau président sera élu pour terminer la période du mandat du président en incapacité. Dès l’annonce du Conseil suprême judiciaire, Muqtada as-Sadr, à la tête d’un parti religieux chiite aux actions parfois extrémistes, et fréquemment en conflit avec le Premier ministre chiite Nouri Maliki, a apporté officiellement son soutien à la nomination d’un président « alternatif » pour l’Irak, afin de résoudre, selon lui, des problèmes tels que « la corruption rampante dans le pays, le report des élections [dans les provinces de ] Mossoul et d’Anbar, la pénalisation du Baath, les attaques contre les manifestants, le retour des Baathistes au pouvoir, l’aquittement de la résistance, la dépénalisation des actes ciblant l’occupant, la banque centrale, les cartes de rationnement, le trafic d’armes et de sonar, et de se pencher sur le cas des détenus innocents soumis à la torture. »

Répondant à cette requête, le président du parlement, Osama Al-Nujafi, un sunnite plutôt nationaliste et laïc de Mossoul, a assuré qu’il « n’hésiterait pas à prendre toutes les mesures constitutionnelles nécessaires pour trouver une solution de rechange pour le poste du président Jalal Talabani et qu’il avait transmis la requête du procureur général au Conseiller juridique du parlement : « Nous allons examiner toutes les conclusions sur cette question et nous prendrons des mesures, comme par exemple questionner l’équipe médicale sur la santé de Talabani et ses réponses au traitement. Nous avons reçu les nouvelles d’une amélioration de son état» a ajouté Osama Nujaifi, qui n’a pas paru cependant très empressé de s‘atteler à ce problème, contrairement aux sadristes.

Alors que les tensions et querelles constitutionnelles sont toujours présentes entre Bagdad et Erbil, les Kurdes souhaitent, bien sûr, qu’un des leurs soit à nouveau élu à la présidence. Mais les relations considérablement dégradées entre chiites et sunnites irakiens font aussi qu’un président kurde aurait sans doute l'accord des sunnites. Rappelons que le vice-premier ministre Tareq Hashimi, réfugié en Turquie, a été condamné par contumace pour « terrorisme » (ce qu’il nie), et que des manifestations dans plusieurs villes sunnites ont été réprimées de façon sanglante par l’armée irakienne. Jalal Talabani s’était imposé avec succès comme président d’Irak à un moment où la guerre civile déchirait le pays et ses qualités de diplomate, ainsi que sa grande connaissance des milieux politiques arabes, avaient servi à atténuer les conflits internes à l'Irak, et parfois ceux entre Arabes et Kurdes. Alors que beaucoup de politiques accusent Nouri Maliki, le Premier Ministre, d’accaparer tous les postes-clef de l’Irak, un président kurde peut donc apparaître comme souhaitable à tous ses opposants, même si ce « consensus » datant de 2005 n’est pas inscrit dans la constitution, bien que les Kurdes le voient souvent comme un « acquis politique ».

Toute la question est de trouver un successeur « acceptable » par Nouri Maliki et son cabinet, et aussi quelqu’un qui peut s’imposer dans un climat tendu. À cet égard, un Kurde issu de l’UPK serait sans doute préférable, du point de vue des pro-Maliki, à un membre du PDK, le parti de Massoud Barzani. L’UPK entretenant aussi des relations historiquement plus étroites avec l’Iran que le PDK, le successeur d'Ahmadinejad serait aussi plus susceptible de l’appuyer auprès des chiites. Les rencontres récentes à Téhéran de Barham Salih puis de Hero Talabani pourraient avoir  porté sur cette succession.

En tout cas, le nom le plus souvent avancé par les Kurdes est celui du Secrétaire général adjoint de l’UPK, Barham Salih, qui a été Premier Ministre du Gouvernement régional du Kurdistan de 2009 à 2012, mais surtout, avant cela, Vice-Premier ministre ou ministre de Nouri Maliki, de 2004 à 2009. 

Mais un mois après la requête du Procureur irakien, et après le retour de Nouri Maliki d’Erbil, où il vient de rencontrer Massoud Barzani pour une énième tentative de conciliation, les choses en sont toujours au même point : Jalal Talabani n’est pas revenu d’Allemagne, n’a pas fait de réapparition publique, et si la question de la « solution de rechange » a été abordée, en plus de celle de Kirkouk et de tous les points de litige entre Kurdes et Arabes, rien n’en a percé. Le député Mahmoud Othman a d'ailleurs critiqué les modalités de cette visite, décrivant la rencontre comme « ambiguë et non transparente ». 

Le journal Al-Destur a cependant affirmé qu’une liste de noms avait été examinée par Nouri Maliki et le président du GRK au sujet du « remplaçant » de Talabani, sans que l’on en sache d’avantage, sinon que le bloc parlementaire de Nouri Maliki, État de droit, n’avait émis aucune réserve sur la possibilité que Barham Salih assume ce poste. Une prochaine visite de Massoud Barzani à Bagdad éclaircira peut-être ce point, à moins qu’il faille attendre que l’UPK se soit accordée sur son autre candidat à la présidence, celle du Kurdistan, dont l’élection, initialement prévue le 21 septembre, vient d’être repoussée, afin que la constitution soit réécrite et que la question de la légalité ou non d’un troisième mandat présidentiel pour Massoud Barzani soit résolue. 

Dans ce cas, il n’est pas invraisemblable d’imaginer un échange de bons procédés entre PDK et UPK, le premier soutenant la nomination de Barham Salih à la présidence irakienne, contre l’appui des parlementaires UPK pour amender la constitution, d’une façon qui laisse le champ libre à Massoud Barzani pour se représenter et diriger ensuite un autre gouvernement de coalition.

AIX LA CHAPELLE : LE LYCÉE INTERNATIONAL DE DUHOK LAURÉAT DU PRIX DE LA PAIX

Le 8 mai, le Lycée international de Duhok, fondé par Monseigneur Rabban, évêque d’Amadiyya, a été nommé lauréat 2013 du Prix de la Paix d’Aachen (Aix-la-Chapelle).  

Créé en 1988 par un groupe de 46 personnes qui souhaitaient promouvoir, saluer et aider des hommes, des femmes ou des groupes qui œuvrent pour la compréhension entre les peuples et à restaurer la confiance entre des groupes ennemis, ce prix est décerné sans critère de religion, d’idéologie ou d’appartenance politique. Aujourd’hui, Aachenerfriedenspreis comprend 350 membres et 50 organisations, institutions ou partis, et la ville d’Aix-la-Chapelle.

Le Comité a publié sur son site les raisons de ce choix, à savoir qu’« au Kurdistan, depuis de nombreux siècles, vivent plusieurs communautés : des Kurdes, des chrétiens (Chaldéens, Assyriens, Araméens), des Turkmènes, des yézidis, des shabaks, des Arméniens, des Kurdes feyli, des mandéens, et, jusque dans les années 50, des juifs.

Entre 1961 et 1975, les Kurdes se sont battus dans une guerre interne pour leur auto-détermination. En riposte, le gouvernement central irakien a détruit des milliers de villages. En 1970, une autonomie partielle a été accordée au nord de l’Irak à majorité kurde. L’opération Anfal – nom de code d’une campagne génocidaire menée à parti de 1987 par le régime du Baath irakien sous Saddam Hussein – a fait, selon les estimations de l’ONU, 180 000 victimes kurdes.

Toute la population de la région a été victime de cette violence. Ceux qui le pouvaient ont cherché refuge à l’étranger. Beaucoup de chrétiens ont fui dans le sud du pays, vers Bagdad ou Basra. Après la Deuxième Guerre du Golfe, en 1991, les Kurdes ont gagné un haut degré d’autonomie – avec leur propre constitution, la liberté de culte et une protection des minorités ethniques. 

« L’évêque chaldéen Rabban Al-Qas est né en 1949 à Komané, un village de la province d’Amadiya. Il a été témoin du bombardement de son village, des déportations et des massacres de Kurdes. Après l’obtention de l’autonomie, en 1991, il a fondé une organisation locale qui a joué un rôle dans la reconstruction des villages et des églises dans leur région d’origine. Rabban Al-Qas est un homme à la fois charismatique et pratique, qui met la main à la pâte. Sa vision est celle d’une coexistence pacifique des ethnies et des religions : dans la région traditionnellement multi-ethnique et muti-culturelle du Kurdistan d’Irak, il est possible d'instaurer la tolérance et une culture de paix dans la communauté, si importante pour l’avenir, des enfants et des jeunes. Il est convaincu que le dialogue, le respect et la réconciliation, pratiqués dès le plus jeune âge, sont les fondements de la tolérance et de la confiance:

« Nous pouvons construire beaucoup de maisons, ici comme partout. Mais pour moi, la chose la plus importante est de sensibiliser afin de changer la société – grâce à l'éducation. Après des décennies de guerre et de guerre civile, nous pouvons maintenant établir des règles communautaires pour la paix et le développement. »

Rabban Al-Qas a entrepris de fonder une école moderne, avant-gardiste, selon sa conception : filles et garçons étudient ensemble. On y applique le principe de l’égalité des sexes. Les filles sont renforcées et soutenues dans leur épanouissement social, dans la mesure où il est possible de remédier à la croyance fataliste au destin concernant le rôle des femmes dans la société et à l’existence d’une prétendue domination masculine.

L’appartenance ethnique et religieuse des enfants est sans importance. Les racines culturelles de chacun sont respectées. La séparation du politique et du religieux est essentielle et s’effectue à l’école. L’éducation est une tâche socio-politique où la religion n’a pas sa place.

Rabban Al-Qas a pu persuader le gouvernement kurde du bien-fondé de son idée. En 1999, ce dernier donne à l’église chaldéenne un terrain approprié à Duhok, la capitale de la province de Duhok, près de la frontière turque. La ville (env. 450 000 habitants) est sûre, prospère et dotée d’une université.

En 2004 l’école internationale de Duhok ouvre ses portes à ses 75 premiers élèves. Son directeur est l’évêque Rabban Al-Qas. Le corps enseignant appartient à différentes ethnies et religions. L’école est mixte, filles et garçons apprennent ensemble, l’égalité des droits et des chances est mise en œuvre. Ni l’origine ethnique, sociale et religieuse ne jouent de rôle. Cing langues y sont enseignées : l’anglais, le français, l’arabe, le kurde et l’araméen. La langue anglaise sert de lingua franca entre tous les étudiants. Il n’est pas délivré d’instruction religieuse, qui est du ressort de chaque communauté religieuse.

"Il n’y a pas de place, chez nous, pour les conflits religieux", explique à une délégation autrichienne le professeur kurde Abdul Wahid A. Atrushi, un fervent musulman qui est dans les meilleurs termes avec les chrétiens du pays.

Mgr Rabban explique la philosophie de son école modèle : « Tous les élèves participent à la vie culturelle des uns et des autres, et s’invitent mutuellement, par exemple à une fête religieuse ; ils doivent connaitre très jeunes la diversité culturelle et ainsi former une nouvelle génération qui surmonte la haine. » L’éducation à la paix joue un rôle important dans la pratique de la communication non-violente. Le premier millésime d’élèves (avec une moitié de filles) a quitté l’école en 2011, pour l’université. La plupart étudient au Kurdistan d’Irak, trois préparent leur diplôme à Dortmund mais veulent retourner dans la Région après leurs études, pour être utiles à leur communauté.

À présent, l’école comprend environ 300 élèves. L’école internationale de Duhok est une des plus modernes et des meilleures du Kurdistan d’Irak et la jeune génération détient un « rôle majeur » en ce qui concerne le maintien de la paix.  « La jeunesse est l’avenir du Kurdistan. Ce qu’ils apprennent à l’école, ils le porteront ensuite dans la société » explique l’évêque Rabban Al-Qas.

Selon une étude menée par  Carmen Eckhardt, qui a fait un reportage sur les chrétiens du nord de l’Irak et sur l’école, l’école internationale de Duhok est la seule, dans tout le Moyen Orient, à mettre en œuvre, de façon aussi conséquente, l’éducation à la paix. Et surtout les enfants et les jeunes gens de cette école, qui ont été témoins directs des violences ou les ont subies, apprennent ici, dans la vie de tous les jours, que l’amitié, le rire, l’apprentissage et la paix vont ensemble. Le Comité du prix de la paix d’Aix la Chapelle a donc jugé cette école « exemplaire ». Elle a besoin d’une reconnaissance internationale pour que son existence soit préservée.

Car la paix, dans cette région, est fragile. La situation politique au Moyen Orient est toujours menaçante. Le niveau de sécurité est, au Kurdistan d’Irak, beaucoup plus élevé que dans les régions disputées de Mossoul, de Kirkouk et du reste de l’Irak. Mais même ici, les minorités ont toujours le sentiment qu’il leur manque une sécurité économique et physique durable. 

Le comité d’Aachenerfriedenspreis conclut que « le Kurdistan émergent a créé de bonnes conditions pour une démocratie stable et le respect des droits de l’homme. L’attribution du prix de la Paix 2013 d’Aix-la-Chapelle à l’école internationale de Duhok est un signal fort envoyé à tout le pays. L’école est un projet modèle pour la paix, la réconciliation et la compréhension entre les groupes ethniques et les communautés religieuses. »

CINEMA : DEUX FILMS KURDES SORTENT EN FRANCE

Deux films kurdes sont sortis en mai, et l’un d’eux a été projeté au festival de Cannes.

Le 1er mai, Paris d’exil, de Zîrek, sortait en France avec le synopsis suivant :

« Zîrek est kurde de Turquie. Apatride à Paris depuis plus d’un quart de siècle, il a fait la promesse à son père de lui envoyer son petit-fils sur sa terre natale où il ne peut plus aller. Ce voyage de cinq jours au Kurdistan va raviver ses souvenirs et ses angoisses. Par téléphone, il suivra mentalement les pas de son fils, partagé entre le bonheur de redécouvrir à travers lui son pays et ses coutumes, et l’inquiétude que constitue ce périple dans une région encore soumise au couvre feu. 

Ce voyage va le replonger dans son passé, depuis l’aéroport où il est lui-même arrivé en France, vingt-cinq ans plus tôt. Il refera le parcours de sa vie depuis ses premiers pas de réfugié, habité de la certitude d’un retour proche, jusqu’à sa situation d’exilé. L’éloignement des siens, la perte des illusions et de tout espoir. En progressant vers sa ville natale Hakkâri, le fils va peu à peu redécouvrir son père à distance. Leur relation au départ, difficile, évoluera au fil des appels téléphoniques vers une certaine complicité.»

Projeté régulièrement au cinéma Saint-André des Arts à Paris, le film a reçu des critiques élogieuses de la presse et les sites Web spécialisé.

Ainsi les Fiches du cinéma (du Site Comme au cinéma) parle d’un « film modeste dans sa conception, auquel sa fragilité confère quelques moments d'émotion rare […] Pari(s) d'exil, titre au jeu de mot un peu énigmatique, semble nous dire que, malgré la douleur lancinante qui étreint tous les candidats au départ forcé, le risque de continuer à vivre est un pari qui se tente. Et puisque la vie continue, il faut un lien. C'est son fils qui sera ce lien. Avec le futur bien sûr, mais également avec le passé, grâce à ce voyage en Turquie, qui lui permet de rencontrer sa famille, jusque là inconnue, et d'offrir à son père le souvenir de ses racines arrachées.

Pourtant, Pari(s) d'exil n'est pas à proprement parler un film politique. De la situation des Kurdes en Turquie, on ne saura quasiment rien, si ce n'est par quelques coupures de journaux qui apparaissent le temps d'une scène de colère désespérée. Non, le film de Zirek est une tentative poétique branlante et brinquebalante, qui ne marche jamais sur ses deux pieds, parce qu'on ne peut pas avoir un pied en Anatolie et l'autre à Paris sans avoir un air emprunté. Zirek touche parfois directement a l'intime parce qu'il ne parle que de ce qu'il connait. Ses conversations téléphoniques avec son fils disent ainsi plus qu'elles ne laissent entendre. La démarche de Zirek est profondément honnête. Et ça paraît un peu bête à dire mais c'est hautement appréciable.»

Noémie Luciani (Le Monde) présente Paris d’exil comme un « Autoportrait de l'apatride en saltimbanque esseulé», en rappelant que Zîrek « a fait sa première apparition sur les écrans français lorsque Yilmaz Güney, le grand réalisateur turc d'origine kurde, présenta Le Mur en 1983 au Festival de Cannes. Zirek y interprétait le rôle d'un terrible gardien chargé de surveiller les jeunes délinquants du pénitencier d'Ankara. Il fut destitué de sa nationalité turque à la suite de cette collaboration.» […] Entre les quelques scènes tentées par l'onirisme (la danse traditionnelle turque hallucinée en bord de Seine), les délires conscients de l'homme resté seul et la voix off qui, çà et là, dit calmement quelques lignes poético-méditatives, son film semble fait de bric et de broc. Mais l'aventure humaine qui lui tient lieu de fil rouge se décline avec une telle sincérité qu'il s'avère aisé, et très émouvant, de suivre l'exilé dans son labyrinthe.

Autre film à l’honneur, My sweet pepperland, de Hiner Saleem a été sélectionné pour le festival de Cannes, dans la catégorie Un certain regard.

Au carrefour de l’Iran, l’Irak et la Turquie, dans un village perdu, lieu de tous les trafics, Baran, officier de police fraîchement débarqué, va tenter de faire respecter la loi. Cet ancien combattant de l’indépendance kurde doit désormais lutter contre Aziz Aga, caïd local. Il fait la rencontre de Govend, l’institutrice du village, jeune femme aussi belle qu’insoumise...

Dans Libération, Bruno Icher conte la projection à Cannes avec humour : « Thierry Frémaux, dans un long monologue, appela l’équipe du film à monter sur scène, soit, à vue de nez, un bon quart de la population du Kurdistan dont le film est originaire.» Il relie le genre de ce film à un « western contemporain où le burlesque fait de multiples incursions. Il faut souligner que le contexte solidement bordélique de la construction de ce pays fraîchement indépendant, longtemps occupé par les troupes de Saddam, se prête parfaitement à une transposition de la conquête de l’Ouest, ici figurée par des immensités bourrés de rocaille, de coutumes ancestrales et d’aventuriers plus ou moins fréquentables, mais toujours armés jusqu’aux dents.»

Le côté «western» du film est d’ailleurs approuvé par le réalisateur lui-même, qui dans son dossier de presse, répondant à la question si l’on pouvait parler «d’un «eastern», comme il existe des « westerns » ?

« Absolument ! Je me disais que la légèreté du western me donnerait une grande liberté et que les décors naturels se prêtaient bien à l’exploration du genre. Surtout, je crois que le Kurdistan d’aujourd’hui ressemble à l’Amérique de l’époque du western : on y découvrait le pétrole, on y construisait des routes, des écoles et des infrastructures, et on tentait d’y faire appliquer la loi. Jusqu’à une date récente, au Kurdistan, chaque seigneur de guerre imposait sa loi sur son fief. Aujourd’hui, l’État incarne la même loi pour tous et apporte la modernité dans le pays, ce qui mécontente les potentats locaux. Il y a donc beaucoup de similitudes entre le Kurdistan et le Far-West. Car on a vu un no man’s land se transformer en une nation qui s’est dotée de lois, d’un pouvoir central, et d’institutions légitimes. Ce nouvel État kurde a progressivement mis fin aux trafics de médicaments, d’alcool et de nourriture, et il a accompagné l’émancipation sociale et la libération de la femme. C’est ce contexte sociopolitique qui m’a permis d’écrire cette histoire de cette façon-là. […]

Eastern épique mais aussi histoire d’amour et du « statut de la femme dans une société empreinte d’archaïsme et de religiosité. En effet, l’absence d’égalité entre les sexes me choque profondément : je suis convaincu qu’aucun pays ne pourra accéder à la démocratie sans égalité entre hommes et femmes. Pour moi, c’est un combat qui s’impose, […]

Dans certaines sociétés, la sexualité de la femme ne lui appartient pas, et c’est ce que je condamne, car elle est privée de liberté. Or, la femme ne doit pas être réduite à l’honneur de l’homme : il est temps de séparer la question de l’honneur de la question sexuelle. S’il faut imposer le voile à quelqu’un, que ce soit à l’homme ! Qu’y a-t-il de plus beau que l’amour choisi dans une totale liberté ? Les femmes n’ont pas toujours le choix. Par ailleurs, cette privation de liberté engendre aussi des souffrances et des frustrations chez l’homme qui ne peut pas mesurer le bonheur perdu dans un tel climat. […] Depuis une dizaine d’années, l’ouverture du Kurdistan sur le monde, l’accès à Internet et aux chaînes satellitaires a fait considérablement évoluer les mentalités. Pourtant, la question de l’honneur reste prégnante. Cette contradiction se retrouve chez le père et les frères de Govend – et ceux qui la condamnent se soucient surtout du regard des autres. Curieusement, chez les Kurdes, les femmes ont longtemps travaillé et assumé des responsabilités économiques et politiques. Mais l’annexion du Kurdistan, l’influence des pays limitrophes et certains de leurs courants religieux ont provoqué un épouvantable retour en arrière. Pour l’anecdote, j’adore les Kurdes, car toute la tradition musicale n’est qu’admiration, éloge et amour de la femme ! Mais tout ça, avant le mariage... »