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Bulletin N° 313 | Avril 2011

 

SYRIE : LA RÉVOLTE GAGNE LES VILLES KURDES

Alors que jusqu’ici, les Kurdes avaient observé un retrait relatif par rapport à l’agitation des Arabes syriens, des manifestations ont commencé, en début de mois, dans les régions kurdes du nord. Radif Mustapha, le président du comité kurde pour les droits de l'Homme, a déclaré à l’AFP, le 1er avril : « plusieurs centaines de personnes ont défilé pacifiquement dans les rues, après la prière de vendredi à Qamishli et Amouda en scandant : « nous ne voulons pas seulement la nationalité mais aussi la liberté » et « Dieu, la Syrie et la liberté.

À Hassaké, 150 à 200 personnes ont manifesté avec les mêmes mots d'ordre, avant d'être dispersées par les forces de sécurité. C'est la première fois depuis le début de la contestation que des manifestations ont lieu dans cette région à majorité kurde. »

Les autorités syriennes avaient cependant semblé désireuses d’éviter ce « ralliement » des Kurdes aux contestations de Damas, de Deraa et de Lattaquié : le 21 mars avait vu, pour la première fois depuis des années, une fête de Newroz sans violence de la part des forces de sécurité ; la question des Kurdes privés de leur nationalité avait été, une fois de plus, évoquée publiquement par le président Bachar al-Assad, qui avait ordonné la constitution d'une « commission chargée de régler le problème du recensement organisé en 1962 dans le gouvernorat de Hassaké. Cette commission doit achever ses travaux avant le 15 avril afin que le président Assad promulgue un décret adéquat sur ce problème » selon l’agence officielle Sana. Ce début d’agitation dans des villes kurdes a sans doute incité le gouvernement à lâcher un peu plus de lest en faveur des Kurdes. Le 6 avril, 48 détenus, en majorité kurdes, arrêtés il y a un an lors des affrontements du Newroz, ont été libérés.

Cette libération a été annoncée dans un communiqué rédigé et signé par six organisations kurdes syriennes de défense des droits de l'Homme : « Nous avons pris connaissance de la décision mercredi du juge d'instruction militaire d'Alep de libérer 48 Syriens arrêtés lors des événements qui ont lieu durant la célébration du Norouz le 21 mars 2010. Nous saluons cette décision. Nous demandons au gouvernement de libérer tous les détenus politiques et de cesser la série d'arrestations abusives qui sont un crime contre la liberté personnelle. » La commission chargée d’étudier le cas des Kurdes apatrides, créée le 31 mars, devait rendre ses conclusions avant le 15 avril. Mais la procédure a été finalement accélérée.

Le 5 avril, le président Bachar al-Assad avait reçu des représentants de Hassaké, une des régions les plus concernées par la question des Kurdes apatrides. Le 7 avril, un décret accordant la citoyenneté à ces habitants a été promulgué, comme l’a annoncé l'agence officielle syrienne Sana : « Le président Assad a promulgué un décret octroyant à des personnes enregistrées comme étrangères dans le (gouvernorat de Hassaké) la citoyenneté arabe syrienne. Le décret entre application aussitôt sa publication au Journal officiel et le ministre de l'Intérieur est chargé d'appliquer cette mesure sur le terrain. » Alors que l’agitation se poursuit dans tout le pays, les représentants kurdes syriens n’entendent pas, cependant, baisser leur garde, même s’ils saluent cette décision, survenant après un demi-siècle d’imbroglio administratif et juridique pour les Kurdes de l’est du pays : « Il s'agit d'une mesure positive, a déclaré le président du Comité kurde pour les droits de l'Homme.

Mais les Kurdes continueront à revendiquer leurs droits civiques, politiques culturels et sociaux. » « C'est un pas dans la bonne direction car il répare une injustice d'un demi-siècle », commente, pour sa part, Fouad Alliko, membre du comité politique du parti kurde Yekitî (interdit), un parti qui a été en pointe de la contestation kurde dans le pays, et s’est fait surtout remarquer pour ses manifestations publiques en faveur de ces Kurdes apatrides. Mais les autres revendications kurdes ne sont pas pour autant mises de côté ; ainsi, la question de l’enseignement du kurde et des droits culturels, de façon générale : « Nous souhaitons l'enseignement du kurde à l'école au même titre que le français et l'anglais, pouvoir célébrer nos fêtes sans être harcelés par les services de sécurité et posséder des centres culturels pour faire connaître notre histoire et transmettre notre patrimoine. »

Enfin, Fouad Alliko a souhaité « l'ouverture d'un dialogue entre les dirigeants du mouvement politique kurde et le pouvoir » et « la reconnaissance de notre particularité à travers une forme d'autonomie dans les régions à majorité kurde ». Mais cette politique des « petits gestes » de la part de Damas, intervenant tardivement, n’a pas suffi à dissuader les Kurdes de manifester. Le 8 avril, près de 3.000 personnes ont défilé dans plusieurs villes kurdes, notamment Amude, Derik, Deirbassiyé, Qamishlo et Hassaké, en réclamant l'abolition de la loi d'urgence et la libération des autres détenus.

Fait remarquable, des Arabes s’étaient joints aux Kurdes, et surtout, des chrétiens assyriens, qui, jusqu’ici, avaient observé une politique de neutralité vis-à-vis du régime alaouite, craignant que l’avènement d’un gouvernement à majorité sunnite ne compromette leur liberté religieuse. Si, contrairement aux autres villes syriennes, ces manifestations n’ont pas été réprimées par les armes, les organisations kurdes ont dénoncé, le 29 avril, des raids menés par les forces de sécurité aux domiciles de plusieurs militants kurdes, notamment dans la ville d’Amude. De plus, le même jour, en soirée, les communications téléphoniques (fixes et mobiles) ainsi qu’Internet étaient coupées aussi bien à Amude qu’à Qamishlo et Derbasiyya. Les routes autour étaient bloquées par les forces de sécurité. Plusieurs militants, des jeunes pour la plupart, ont été ainsi arrêtés, par surprise et clandestinement. Mais les familles et proches ont indiqué qu’ils avaient reçu des menaces depuis plusieurs jours, s’ils ne cessaient leurs activités. À Qamishlo, une dizaine de personnes ont été aussi arrêtées, dont l’imam Abdul Samad Omar, qui soutenait et encourageait les protestations lors des prêches du Vendredi, et dont les sermons servaient de point de ralliement à de nombreux manifestants. Un autre dignitaire religieux, le cheikh Abdul Qadi Khaznawi, membre d’une famille soufie influente dans la région, et dont l’un des leaders avait été mystérieusement assassiné en 2005, pour ses prises de position en faveur des Kurdes, a également été arrêté. Le parti Yekitî a aussi fait état de plusieurs arrestations dans ses rangs. Des groupes de jeunes Kurdes ont appelé à des sit-ins devant le siège des forces de sécurité jusqu’à ce que leurs compatriotes soient relâchés.

TURQUIE : SEPT CANDIDATS KURDES INTERDITS D’ELECTIONS PUIS RÉINTÉGRÉS

Le 18 avril, le Haut Conseil électoral (YSK) a déclaré inéligibles sept candidats soutenus par le parti pro-kurde (Parti pour la paix et la démocratie, BDP) pour les législatives qui auront lieu le 12 juin en Turquie. Le Haut Conseil a motivé son interdiction en arguant du « manque de documents officiels requis pour participer aux élections » et des condamnations de plusieurs candidats pour « activités terroristes ou liens avec le PKK ».

Parmi les sept politiciens écartés, figurent deux députés et Leyla Zana, élue députée en 1991, qui avait bravé l'interdiction de parler le kurde en s'exprimant dans la langue de son peuple lors de sa prestation de serment au Parlement, ce qui lui avait valu de passer dix ans en prison, de 1994 à 2004. «C'est un grave coup porté contre la démocratie, déjà faible», a immédiatement dénoncé Selahattin Demirtas, coprésident du BDP. L'éviction des représentants kurdes pourrait conduire à un boycott des élections. » Mais Selattin Demirtas a ajouté que « toutes les options étaient envisagées, y compris un retrait de tous les candidats présentés par sa formation mais sur des listes indépendantes. »

Fait notable, cette décision de la Haute Cour a été condamnée par la majorité des partis politiques turcs, en raison des réactions parmi la population kurde, qui pourraient ensanglanter la campagne électorale. Même Mehmet Ali Sahin, président de l'Assemblée nationale et membre du parti au pouvoir, l'AKP l'a critiquée: «Cette décision affaiblit la mission du Parlement.» La décision des autorités électorales a aussitôt provoqué de violents affrontements au Kurdistan de Turquie, où environ 4000 manifestants ont lancé des pierres contre la police anti-émeute, qui a riposté avec des bombes lacrymogènes et des canons à eau, et fait usage de matraques.

Mais le 20 avril, la police aurait tiré à balles réelles, faisant une victime à Bismil, dans la banlieue de Diyarbakir, en plus de deux autres blessés. Une autre manifestation similaire a eu lieu à Van, causant plusieurs blessés et un sit-in a été organisé à Istanbul sur la place de Taksim. Environ 3.000 personnes y étaient rassemblées. Ils ont immédiatement été encerclés par des centaines de policiers anti-émeutes. Des heurts sont survenus alors que la foule marchait vers des tentes dressées par le BDP dans le quartier voisin d’Aksaray. Des groupes de jeunes ont alors attaqué des stations de métro, des bâtiments scolaires et un bureau de poste, à coups de pierres et de coktails Molotov (source AFP). Les jeunes ont également pris pour cibles des bus, des voitures, des véhicules de pompiers et des journalistes. Les forces de sécurité ont réagi en faisant usage de grenades lacrymogènes.

Le 21 avril avaient lieu les obsèques du manifestant tué, Ibrahim Oruç, âgé de 21 ans. Surveillé par des centaines de policiers d'unités anti-émeute, un cortège de manifestants a suivi le cercueil, lors du trajet qui ramenait le défunt de l’hôpital de Diyarbakir à Bismil, alors que des jeunes manifestants kurdes masqués criaient vengeance, et que d’autres participants scandaient des slogans en faveur des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Selon l’AFP, qui a pu obtenir une copie du rapport d'autopsie, le jeune homme a été tué par une balle qui a pénétré par le bras gauche et est ressortie par la poitrine, sans que la provenance des tirs soit indiquée. Mais un témoin des affrontements a déclaré à cette même agence que la police avait ouvert le feu sur les manifestants, d'abord avec des balles en plastiques, puis à balles réelles.

En tout, 160 personnes ont été arrêtées à Diyarbakir, et 70 cocktails Molotov et 50 petites bombes artisanales auraient été saisis selon l’agence gouvernementale Anatolie. À Istanbul, deux bombes artisanales ont explosé tôt, le 21, sans faire de victimes, devant un local du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir. Jouant la carte de l’apaisement, le président Abdullah Gül a alors appelé le Haut Conseil à revenir sur sa décision, en ne mentionnant que la question des documents administratifs nécessaires à la candidature, sans aborder la question des « liens avec une organisation terroriste » : « Il apparaît que les documents (des candidats éconduits) étaient incomplets. Comme ils les ont maintenant complétés, il ne devrait pas y avoir de problème ».

Finalement, le Haut Conseil électoral est revenu sur sa décision, expliquant dans un communiqué laconique, que de « nouveaux documents judiciaires » avaient été présentés durant la période de l'appel ». Oubliant soudain, eux aussi, la question des liens politiques avec le PKK, les magistrats turcs ont donc réintégré les 7 candidats kurdes après une délibération de plus de 8 heures. Peu après cette annonce, des rassemblements en nombre réduit et pacifiques, cette fois, ont eu lieu à Diyarbakir pour célébrer cette « victoire de la rue kurde ». À Istanbul, des sympathisants ou membres du BDP ont tenté, le vendredi 22, de bloquer la circulation d’un des deux ponts traversant le détroit du Bosphore, mais la police les a dispersés. Contrairement au président Gül, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan n’a commenté que le « vandalisme » à l’œuvre dans les provinces kurdes, et a accusé le BDP d'être à l’origine des manifestations et des jets de cocktails Molotov lancés par de jeunes Kurdes.

PARIS : CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR L’ENSEIGNEMENT EN LANGUE KURDE

Une conférence organisée par l’Institut kurde de Paris a eu lieu à l’Assemblée nationale, le 16 avril. Le thème en était l’enseignement de la langue kurde dans les États où vivent les Kurdes, après le partage de leur territoire défini par le traité de Lausanne, comme l’indiquait la présentation du colloque :

« Le droit à l’enseignement en langue kurde est devenu la revendication politique et culturelle de l’ensemble des mouvements politiques et des organisations de la société civile kurde en Turquie. Ce droit est également revendiqué par les quelques 12 millions de Kurdes en Iran et les 2 millions de Kurdes en Syrie. En Irak, le kurde est reconnu dans la Constitution langue officielle au même titre que l’arabe. Dans la région fédérée du Kurdistan tous les établissements scolaires du premier et du second degré dispensent leur enseignement en langue kurde tandis que dans les universités certaines matières sont enseignées en kurde, d’autres, scientifiques, en anglais. Les minorités linguistiques du Kurdistan (Turkmènes, Assyro-chaldéens) disposent des écoles enseignant dans leur langue.

En Turquie, où selon les estimations de la Commission européenne, on compte 15 à 18 millions de Kurdes, la question linguistique est devenue un élément majeur du débat public. Dans un pays, qui affiche son ambition de construire « une démocratie exemplaire », où les « bienheureux Turcs » disposent en leur langue de plus de 150 universités, leurs « frères kurdes » qui forment près du quart de la population du pays ne possèdent aucune école publique, aucune université dans leur langue. Le Premier ministre turc, M. Erdogan, lors de ses déplacements en Allemagne qualifie publiquement l’assimilation de « crimes contre l’humanité » mais ne dit mot sur la politique assimilationniste systématique pratiquée par la République turque depuis 1923 contre les Kurdes. Il demande que les immigrés turcs d’Allemagne apprennent d’abord la langue et la culture turques avant d’apprendre celles de leur pays d’accueil mais ne reconnaît pas ce même droit élémentaire à ses propres citoyens kurdes qui vivent sur la terre de leurs ancêtres. Cette politique de « deux poids deux mesures » fait débat en Turquie, bien sûr, mais aussi en Europe où la presse allemande a récemment invité M. Erdogan à faire preuve de cohérence en accordant aux Kurdes les droits qu’il revendique pour les immigrés turcs d’Allemagne.

Dans le début public, qui bat son plein dans cette période électorale en Turquie, les nationalistes turcs restent sur le dogme kémaliste d’un Etat unitaire, homogène avec une seule langue, le turc, et une seule culture. Les Kurdes revendiquent pour leur langue, et sa survie, un statut d’égalité juridique avec le turc dans tous les domaines de la vie y compris dans l’enseignement et dans l’administration, à tout le moins dans les provinces peuplées majoritairement de Kurdes. Entre les deux, il y a aussi des libéraux et des intellectuels musulmans qui préconisent la liberté d’usage privé du kurde et son enseignement comme matière optionnelle dans les écoles. Tandis que pour la plupart des Kurdes, la seule chance de sauvegarder leur langue millénaire, déjà victime de décennies d’érosion et d’étouffement, et de la transmettre aux générations futures, est un système d’enseignement public en kurde, nombre de Turcs affirment que cela conduirait à terme à la partition du pays.

Le colloque avait pour objectif d’apporter des éclairages pluriels dans ce débat de haute importance pour les relations turco-kurdes, et pour la démocratie en Turquie et au Proche-Orient.  

A côté des experts évoquant les expériences du multilinguisme en Europe (Espagne, Scandinavie, Suisse), en Asie (Inde), en Afrique du Sud et au Canada et son impact pour la stabilité de ces pays, des personnalités turques et kurdes représentatives de la vie politique et culturelle de Turquie on été invitées à apporter au débat leurs opinions et leurs propositions. Des représentants de la Commission européenne, du Conseil de l’Europe et de l’Unesco, étaient également invités à ce colloque en raison du statut de la Turquie en Europe et aussi parce que la problématique des langues et cultures menacées est désormais une préoccupation universelle. Cependant, seul le Conseil de l’Europe a tenu à se faire représenter.

La première table ronde, modéré par Joyce Blau, était consacrée à l’expérience des multilinguismes dans plusieurs sphères culturelles, et rassemblait Ida Bizri, maître de conférences, responsable de l'enseignement du singhalais à l'INALCO (Paris) ; André Poupart, professeur émérite de droit (Québec) ; Xavier Vila i Moreno, directeur du Centre universitaire de sociolinguistique et de la communication de l'Université de Barcelone, Catalogne et Reşo Zîlan, linguiste et professeur de kurde, Suède. Xavier Vila i Moreno a fait état des expériences polyglottes au pays catalan. Fida Bizri, spécialiste du cinghalais au Sri Lanka et de linguistique indienne comparée, a présenté la situation linguistique de lInde et les diverses politiques qui ont été mises en place depuis l’Indépendance jusqu’à aujourd’hui. André Poupart a tracé la situation du français au Québec et l’histoire linguistique et francophone dans le Nord-est américain, déclarant notamment que « sous plein d’aspects les Québecquois et les Kurdes d’Irak sont, sans le savoir, des frères. » Reşo Zîlan a exposé la situation de l’enseignement du kurde dans les pays scandinaves et principalement en Suède, terre d’asile de beaucoup de Kurdes, en replaçant la question dans la perspective plus large de la politique linguistique de la Suède, où une loi permet l’enseignement dans leur langue maternelle des minorités nationales (finnois, same, romani, yiddish, efdalien), en plus de mesures visant à permettre aux langues immigrantes d’être enseignées aux enfants d’origine étrangère, dont le kurde.

La deuxième table ronde avait pour sujet de débat « La protection des langues minoritaires et le droit international. Présidée par le journaliste Marc Semo (Libération) elle réunissait Salih Akin, maître de conférences à l'Université de Rouen, Baskın Oran, politologue et professeur de relations internationales à Ankara et Mesut Yegen, professeur à Şehir Üniversitesi, Istanbul. Le professeur Baskin Oran a retracé l’histoire et la situation juridique et politique de la langue kurde en Turquie, tandis que Salih Akin commentait la situation du kurde au regard de la Charte européenne des langues minoritaires.

La dernière table ronde, présidée par Kendal Nezan, le président de l’institut kurde avait pour thème « L’Enseignement en kurde » : Problèmes et perspectives et rassemblait Khaman Z. Asaad, représentante du Gouvernement régional du Kurdistan à Paris, Yavuz Önen, président d'honneur de la Fondation des droits de l'homme de Turquie (THIV) d’Ankara, Ümit Tektas, vice-président du parti du Droit et des Libertés (HAK-PAR), Leyla Zana, ancienne députée et lauréate du Prix Sakharov 1995 du Parlement européen. Kendal Nezan a d’abord rappelé la nécessité d’enseigner une langue pour éviter sa « folklorisation » et, finalement, son « érosion et sa mort », en faisant un parallèle avec l’histoire de la langue araméenne au Moyen-Orient. L’enseignement en langue kurde existe depuis le 10ème -11ème siècle, dans les madrassas du Kurdistan et a toujours existé ». Il a produit des esprits remarquables, des poètes, des écrivains, des historiens, comme Ibn Khallikan, Ibn Al-Athir, Ibm Azrak al Farqî qui a écrit l’histoire des princes kurdes marwanides ; la première histoire générale de l’empire ottoman a été écrit par l’érudit kurde Idriss Bitlisî, etc. Ce système d’éducation (interdit en 1924) a duré jusqu’à une époque très récente, dans lequel on enseignait en kurde et en arabe, avant une initiation au persan. Aujourd’hui, l’interdiction de la langue kurde, en plus de la Turquie, concerne aussi la Syrie et l’Iran. Leyla Zana a exprimé sa conviction que la connaissance de sa langue et la connaissance de soi étaient indissolubles. L’ancienne députée a abordé la question de la dispersion en plusieurs dialectes des langues kurdes, et du devenir de la langue kurde, en fonction des changements apportés dans la société kurde, qui auparavant, était une société ‘fermée’, où ses ressortissants étaient coupés du monde extérieur, et qui à présent, s’ouvre au monde à la faveur des nouvelles technologies, comme Internet ou les télévisions satellites. Khaman Z. ASAAD, représentante du Gouvernement régional du Kurdistan, a apporté un éclairage sur la situation de la langue kurde dans la Région du Kurdistan, situation qui a évolué en parallèle avec l’histoire de la question kurde en Irak, de l’empire ottoman jusqu’à nos jours. L’enseignement de la langue kurde dans les écoles a toujours été une revendication du mouvement de libération kurde. Khaman Z. ASAAD a ensuite détaillé le statut actuel de la langue kurde et le soutien, très favorable, apporté au statut des langues minoritaires comme le turkmène et le syriaque, qui est un modèle en Irak et dans tout le Moyen-Orient.

CINÉMA : SORTIE D’UN FILM RETRAÇANT L’HISTOIRE DU JITEM

Le réalisateur Umur Hozatlı vient de sortir un film abordant l’histoire trouble et sanglante du JITEM, cette section spéciale clandestine, utilisée comme commando de la mort lors de la « sale guerre » au Kurdistan de Turquie. Alors que l’État turc a toujours nié l’existence de cette organisation, Umur Hozatlı qualifie son film, intitulé Azadiya Wenda (La liberté perdue), comme un « appel à la confrontation ».

C’est la première œuvre cinématographique consacrée ouvertement à cette page noire de l’Histoire, qui reste ignorée de nombreux citoyens turcs. S’exprimant sur les raisons qui l’ont poussé à faire ce film, Umur Hozatlı rappelle que les Kurdes se sont lancés dans la lutte armée après une longue période d’asservissement et d’emprisonnement. Depuis lors, le peuple kurde vit des moments marqués par une énorme tragédie. Ignorer cette tragédie serait une énorme erreur. Je ne veux pas être de ceux qui ont fermé les yeux sur cette question. « Le film d’Umur Hozatlı a déjà été projeté dans plusieurs festivals. Sa sortie n’a eu lieu que dans deux salles de cinéma à Istanbul. Il a aussi été projeté dans deux villes du Kurdistan de Turquie, à Diyarbakir et à Batman. Cette sortie confidentielle peut s’expliquer par les sujets brûlants qu’il aborde, comme les exécutions extra-judiciaires, les disparitions, et l’impunité des assassins.

Dans une interview au journal Internet Bianet, Umur Hozatlı fait état des difficultés qu’il a eu pendant deux ans pour financer le tournage, ce qu’il n’a pu faire finalement qu’en payant de sa poche. L’histoire démarre à Istanbul, dans les années 1990, avec l’enlèvement d’un jeune homme, Deniz Şahin, par des hommes armés mais en civil, qui s’avèrent ensuite être des officiers du JITEM, agissant clandestinement au sein de la gendarmerie. Deniz est emmené au centre d’interrogatoire d’une unité de gendarmerie, où on l’accuse d’appartenir à une « organisation terroriste ».

L’existence du JİTEM fait débat depuis 1994, quand la journaliste Ayşe Önal a pu établir les faits en les apprenant de la bouche même de son fondateur, Veli Küçük. Après avoir écrit un article sur la question, elle a été renvoyée du magazine Ateş pour lequel elle travaillait, ainsi que dix-neuf autres journalistes. Malgré la dénégation persistante des autorités turques, il est à peu près certain que le JITEM a été utilisé dans la lutte contre le PKK, en l’infiltrant parfois, ou en semant la terreur au Kurdistan de Turquie. L’organisation est aussi soupçonnée d’être à l’origine d’attentats et de meurtres imputés à la guerilla, comme ce fut le cas dans l’attentat de Semdinli en 2005, tâchant ainsi de légitimer la présence militaire et les incursions de l’armée turque au Kurdistan d’Irak. Abdulkadir Aygan, ancien membre du PKK, « retourné » par le JITEM, et ayant ensuite fui en Suède, a, dans une confession ultérieure, indiqué qu’environ 600 à 700 Kurdes avaient été assassinés par le JITEM dans les années 1990. Le JITEM est bien sûr lié à l’organisation Ergenekon. T

uncay Güney, ancien membre d’Ergenekon ayant fui, lui aussi, mais au Canada, a parlé lui aussi de fosses communes où les corps de plusieurs centaines de Kurdes, partiellement brûlés à l’acide, avaient été dissimulés près de Silopi, sur la fonrtière turco-irakienne, ou dans des puits entre Şirnak et Cizre. Umur Hozatlı est né en 1969 dans la ville de Dersim. Il a commencé une carrière de journaliste en 1992, travaillant pour les journaux pro-kurdes Özgür Gündem, Özgür Ülke, Yeni Politika, Demokrasi, Özgür Bakış et Yeni Gündem,en tant que reporter, rédacteur et éditorialiste.

KURDISTAN D’IRAK : UN SITE ARCHÉOLOGIQUE PRÉHISTORIQUE IMPORTANT MIS À JOUR À DUHOK

Le directeur des fouilles archéologiques, Hasan Ahmed, de la province de Duhok a fait état de la découverte et de la mise à jour d’une centaine d’objets datant de la Préhistoire, s’échelonnant d’environ 200 000 ans (Paléolithique moyen) jusqu’au 1er millénaire avant J-C. Hasan Ahmed a indiqué que cette découverte spectaculaire était l’aboutissement de recherches de sites et de fouilles pratiquées sur plusieurs années dans la province de Duhok.

Parmi les artefacts les plus spectaculaires, des outils à moudre le grain et des percuteurs remontant au néolithique (– 10 000), une statue de terre cuite d’environ 2200 ans, et surtout, 43 lampes, peut-être utilisées lors de cérémonies religieuses ou pour le dépeçage d’animaux, datant de 200 000 avant J-C (Paléolithique moyen). Ces objets, dont la datation est donc très variée, ont tous été retrouvés à l’ouest de la province de Duhok, dont les sites sont probablement loin d’avoir tous été repérés. Les trouvailles les plus récentes, appartenant à l’Antiquité et non plus à la Préhistoire vont du 3ème millénaire avant J-C (2300 ans, époque des ‘dynasties archaïques’) et se suivent sur près de 300 ans. Ce second groupe comprend une statue, 8 pièces de monnaie, 34 lampes, des pilons et des morceaux de colonnes.

Un autre lot remontant à 1000 ans avant J-C (époque médio-né-assyrienne, invasion des Araméens) comprend lui aussi des pilons et des tessons de poterie. Les statuettes, taillées dans la pierre calcaire propre à la région sont des productions locales et non des importations. Le directeur des fouilles archéologiques a indiqué que les fouilles se poursuivaient. Les 3 sites étudiés remontent au plus tôt à – 70 000 (Paléolithique moyen). La totalité des sites découverts dans la région dépassent les 700.

La région du Kurdistan d’Irak, avec les sites majeurs de Shanidar et de Jarmo, a été le berceau d’une importante occupation d’abord néanderthalienne et plus tard d’homo sapiens. La culture du paléolithique supérieure y a été brillante, et le village néolithique de Jarmo a été longtemps considéré comme le plus ancien habitat néolithique connu (- 5000 ans) avant d’être supplanté par celui de Çattal Hüyük en Anatolie (- 6000 ans).