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Bulletin N° 312 | Mars 2011

 

KIRKOUK : TENSIONS AUTOUR DU RETRAIT DES PESHMERGAS

La « journée de la colère » organisée dans tout l’Irak le 25 février, et diversement suivie selon les provinces, a eu pour conséquences inattendues d’envenimer le débat sur Kirkouk et son statut, disputé entre Kurdes et Irakiens. Le gouverneur de Kirkouk a, en effet, interdit une manifestation d’Arabes dans la ville et imposé un couvre-feu, alors que les troupes des Peshmergas entourent Kirkouk. Les partis pro-Arabes ont violemment critiqué cette décision, arguant que ses raisons ne tenaient qu’à une des revendications prévues par les manifestants, à savoir le départ des forces kurdes de la province.

Mais le ministre kurde des Peshmergas, Jaafar Sheikh Mustafa, a rétorqué que la présence de ses troupes était nécessitée par le danger que des Arabes extrémistes irakiens faisaient peser sur les Kurdes de Kirkouk. Ainsi, alors que ces derniers refusaient de prendre part aux manifestations du 25, les Kurdes semblaient craindre une attaque des quartiers et des partis politiques kurdes de la part des manifestants. Cette crainte a été confirmée par Jaafar Mustafa, qui a notamment cité une déclaration hostile aux Kurdes de la part des mouvements arabes : « Les Baathistes avaient l’intention de s’attaquer aux institutions dirigées par les Kurdes et les Turkmènes (…) quand les forces de sécurité seront à même d’assurer la sécurité de Kirkouk, alors les Peshmergas se retireront. » Jaafar Mustafa a ajouté que les meneurs arabes incriminés ne représentaient pas le point de vue des « véritables » Arabes de Kirkouk. Le général Aziz Waisi, commandant des Zerevani (forces spéciales kurdes) a confirmé lui aussi que le but des militaires kurdes étaient de protéger leurs compatriotes des attaques extrémistes arabes : « Nous sommes venus à Kirkouk à la demande du gouverneur, nous ne retirerons pas nos forces tant qu’il ne nous le réclamera pas. » Rizgar Ali, Kurde membre du Conseil provincial de Kirkouk, a, pour sa part, rappelé que les Kurdes ne s’étaient pas déployés autour de la ville sans l’accord des USA : « Cela est survenu après un accord passé entre le ministre des Peshmergas et les forces américaines. »

Par ailleurs, les Peshmergas stationnent dans d’autres zones à population kurde non encore rattachées au Kurdistan, dans des districts de la province de Diyala. Ainsi celui de Jalawla, qui avait perdu près de 600 familles kurdes, obligées de fuir dans la Région du Kurdistan après avoir été menacées par des milices arabes. Plus de 400 civils kurdes avaient été assassinés par des groupes insurgés, ces trois dernières années. Depuis, des Peshmergas issus de Suleïmanieh y stationnent en permanence, comme l’explique Mahmoud Samgawi, leur commandant : « Sous couvert de manifestations, des terroristes voulaient attaquer les Kurdes et les massacrer. Maintenant la situation est stable et les Peshermgas restent à Jalawla. »

Dans une conférence de presse commune, des députés kurdes et turkmènes de la province ont décrit la situation comme « très sensible » et ont insisté sur l’urgence d’organiser des élections provinciales. Confirmant les craintes sécuritaires des Kurdes, des bâtiments gouvernementaux et des stations de police ont été attaqués et incendiés le 25 février, dans deux villes de la province, Hawija et Riyadh, alors que trois policiers étaient tués.

La polémique a très vite dépassé les frontières de l’Irak quand le journal turc Milliyet, commentant la visite dans la Région du Kurdistan d’une délégation du ministère des Affaires étrangères turc, menée par Fereydun Sinirlioglu, adjoint du ministre, a rapporté que l’objet de cette délégation venue pour rencontrer Massoud Barzani, était la question de Kirkouk et le stationnement des forces kurdes. Les Turcs auraient ainsi exprimé leur ‘inquiétude’ pour la communauté turkmène de la ville et demandé au président de la Région kurde de retirer ses troupes.

Mais Jabbar Yawar, porte-parole du ministre des Peshmergas a répliqué qu’il s’agissait d’une affaire interne à l’Irak, et que cette requête du gouvernement turc n’avait jamais eu lieu, à sa connaissance. Loin de s’apaiser, le débat s’est enflammé quand le président de l’Irak, Jalal Talabani, a déclaré, le 7 mars, que Kirkouk était ‘la Jérusalem du Kurdistan’, une profession de foi que l’on avait plus l’habitude d’entendre, jusqu’ici, dans la bouche de Massoud Barzani, même si Jalal Talabani s’exprimait moins en président de l’Irak qu’en leader de son parti l’UPK, dans son fief de Suleïmanieh, pour commémorer le soulèvement kurde de 1991.

Si des députés arabes et turkmènes de Kirkouk se sont indignés, d’autres ont vu une possible tentative d’apaiser ou de détourner la contestation à laquelle le gouvernement kurde fait face dans cette même ville. Mais les politiciens hostiles au rattachement ont tous protesté du fait de la fonction politique exercée par Jalal Talabani, qui « ne représente pas un groupe ou un parti quelconque, mais est président de la république d’Irak » comme l’a dénoncé la députée du bloc sunnite Al-Iraqiyya, Wihda Al-Djemeili, ajoutant que « l’inclination » des Kurdes à l’annexion de Kirkouk était « énorme » et qu’ils avaient, à cet égard, une « vision stratégique ». Un membre arabe du Conseil provincial de Kirkouk, Mohammed Khalil al-Jubouri, a lui aussi critiqué cette prise de position, disant qu’en tant que président d’Irak il devait rester impartial. Les Kurdes, par contre, ont répliqué qu’à ce meeting de l’UPK, Jalal Talabani ne parlait qu’en tant que leader de son propre parti. Cela n’a pas empêché des députés irakiens du groupe sunnite Al-Iraqiyya de lancer une pétition réclamant la ‘convocation’ de Jalal Talabani au Parlement, demande rejetée par la Coalition nationale, groupe mené par le Premier Ministre Nouri Al-Maliki, qui a estimé que cela nuirait à la stabilité politique en cours, que Kirkouk était une province irakienne et que les propos de Jalal Talabani n’y changeaient rien.

Pendant ce temps, les pressions ont continué, à la fois de la part des Américains et des Irakiens, pour le retrait des Peshmergas kurdes de Kirkouk, pressions qui se heurtaient au refus persistant des Kurdes. Le site de presse kurde Aknews a même, le 15 mars, parlé d’un ultimatum de deux semaines laissé aux Kurdes par les Américains pour ce retrait. Cette nouvelle a été rapidement démentie, dès le lendemain, par un porte-parole de la coalition parlementaire kurde à Bagdad, Muayyid al-Tayyib. Dans le même temps, le gouvernorat provincial de Kirkouk, ayant démissionné ce mois-ci, un nouveau gouverneur et un nouveau chef du conseil provincial ont été élus, au grand dam de certaines figures politiques arabes de la province qui avaient appelé au boycott de ces élections. C’est en effet un député kurde, le Dr. Najmaldin Karim, qui a été élu au poste de gouverneur, tandis qu’un Turkmène, Hassan Toran, a pris la tête du conseil provincial de Kirkouk. Cette alliance kurdo-turkmène n’a pas été du goût des partis arabes qui ont dénoncé cette « marginalisation ».

Finalement, et malgré les dénégations antérieures de « pressions américaines », les forces des Peshmergas se sont retirées de certaines positions au sud-est de Kirkouk et ont cédé la place aux troupes des USA, le 28 mars. Des troupes kurdes sont maintenues au nord et au nord-est. Le ministre des Peshmergas a annoncé officiellement qu’un accord avait été trouvé avec les forces irakiennes et américaines pour appliquer un nouveau dispositif de sécurité.

KURDISTAN D’IRAK : VISITE HISTORIQUE DU PREMIER MINISTRE TURC

Les 28 et 29 mars le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan s’est rendu en visite en Irak, accompagné de plusieurs ministres et d’une délégation d’hommes d’affaires « pour évoquer les relations politiques et économiques importantes avec ce pays voisin et renforcer la coopération économique et des sujets régionaux » a indiqué une source diplomatique turque, ajoutant que la question de la lutte contre le PKK serait également abordée avec le président de l’Irak, Jalal Talabani et le Premier ministre Nouri Al-Maliki.

Mais le point fort de cette visite a été l’étape d’Erbil, puisque c’était la première fois qu’un chef de gouvernement turc se rendait dans la capitale kurde. Le PKK n’était pas le seul sujet de désaccord entre la Turquie et la Région kurde. La question de Kirkouk et des relations entre Kurdes et Turkmènes a été aussi abordée, comme l’avait annoncé, un jour avant, Saadeddine Arkij, leader du Front turcoman, parti soutenu par Ankara. Mais, signe du réchauffement politique entre Kurdes et Turcs, le chef du Front turkmène a indiqué que le gouvernement turc insistait pour qu’ils règlent « leurs différends avec les Kurdes » : « Un des objectifs de cette visite est d'essayer de réduire les divergences entre Turcomans et Kurdes, mais on ignore ce qui va se décider. »

Recep Tayyip Erdogan a profité de cette visite pour inaugurer avec Massoud Barzani l’aéroport d’Erbil nouvellement agrandi, et qui peut désormais accueillir 150 vols par jour. Dans son discours d’inauguration, le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, a qualifié le nouvel aéroport international de « premier pas dans la construction d’une infrastructure solide dans tout l’Irak, et particulièrement au Kurdistan, et c’est une clef pour beaucoup de projets à plus grande échelle dans le développement du Kurdistan et de l’Irak. » Massoud Barzani a ensuite salué la présence du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères turcs : « Nous considérons cela comme un moment très historique. Nous croyons que cette visite bâtira un pont très solide dans les relations bilatérales entre l’Irak et la Turquie et tout particulièrement entre la Turquie et la Région du Kurdistan. »

Recep Tayyip Erdogan a souligné les « liens historiques et culturels avec l’Irak » et avec « cette belle région » (sans nommer explicitement le Kurdistan). Il a annoncé que les prochains vols Turkish Airlines pour Erbil démarreraient le 14 avril prochain. Jusqu’ici, c’était une compagnie privée, Atlas Jet, qui assurait, d’Istanbul, 4 vols hebdomadaires pour Erbil et Suleïmanieh. Turkish Airlines mettra en place 3 vols par semaines pour Erbil.

En plus du Premier Ministre, la présence de Mehmet Simsek, ministre des Finances, a permis de mettre à la fois cette délégation turque sous le signe de la coopération économique, mais aussi linguistique, puisque Mehmet Simsek, originaire de Batman, a pu prononcer un discours en kurde, en parlant d’une ‘fraternité millénaire’ entre Kurdes et Turcs. Mais alors qu’en Turquie même, les élus kurdes peuvent encore être poursuivis pour avoir prononcé des discours en kurde devant leur électorat, d’aucuns y voient surtout une tentative d’apaiser ou de se concilier les faveurs de l’électorat kurde de Turquie pour les prochaines élections.

Le cortège des officiels s’est ensuite dirigé vers le consulat turc qui, bien que déjà ouvert depuis un certain temps, était ‘inauguré’ ce même jour, pour l’occasion. Cette fois, dans son discours, le Premier ministre turc a insisté sur les liens économiques entre les deux capitales et l’ampleur des investissements turcs au Kurdistan : « L’an dernier, la Turquie a réalisé plus de 7 milliards de dollars de chiffre d’affaire en Irak, dont plus de la moitié dans les provinces du Nord. Il y a actuellement plus de 20 000 Turcs qui ont obtenu des permis de travail dans le gouvernorat d’Erbil et plus de 35 000 si nous y ajoutons Duhok et Suleïmanieh. »

Un entretien privé a ensuite eu lieu entre le président Barzani et le Premier ministre Tayyip Erdogan, portant sur les relations bilatérales, les liens économiques et la coopération énergétique.

SYRIE : FACE À LA CONTAGION DU « PRINTEMPS ARABE », LES KURDES RESTENT PRUDENTS

Le 8 mars, douze organisations syriennes de défense des droits de l’homme, arabes et kurdes, ont réclamé la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis le 8 mars 1963, après l’arrivée au pouvoir du parti Baath. Parmi les signataires du communiqué figurent l'Observatoire syrien pour les droits de l'Homme, la Ligue syrienne de défense des droits de l'Homme, l'Organisation nationale des droits de l'Homme en Syrie, le Centre de Damas pour les études théoriques et les droits civiques, le Comité kurde pour les droits de l'Homme en Syrie, l'Organisation kurde des droits de l'Homme en Syrie. « L'état d'urgence porte atteinte aux droits de l'Homme et aux libertés publiques en Syrie qui font l'objet de violations continues. Nous appelons à la levée de l'état d'urgence et à la libération de tous les détenus politiques » Les mêmes ONG réclamaient aussi la « promulgation d'une loi sur les partis politiques qui permettrait aux citoyens d'exercer leur droit de participer à la gestion des affaires du pays, l'abrogation de toutes les lois empêchant les organisations des droits de l'Homme de travailler publiquement en toute liberté, et les associations de la société civile de jouer leur rôle avec efficacité » et concernant les Kurdes, « de prendre urgemment toutes les mesures nécessaires pour annuler toutes les formes de discrimination envers les citoyens kurdes" qui représentent 9% de la population syrienne. Les Kurdes doivent pouvoir jouir de leur culture et de leur langue, en vertu des droits civiques, politiques, culturels, sociaux et économiques. »

Par ailleurs, le « printemps arabe » qui a réussi à renverser le pouvoir tunisien et égyptien, qui a gagné la Lybie et le Yémen, commence aussi d’agiter la Syrie, avec des manifestations à Damas et Deraa, dans le sud, contre la présidence et le parti Baath. Mais, jusqu’ici, les Kurdes ne se sont pas joints aux manifestants, les oppositions kurde et arabe n’ayant eu, jusqu’ici, que peu d’actions coordonnées, en raison de la méfiance suscitée par un éventuel ‘séparatisme kurde’ : les Kurdes, qui sont le groupe le plus persécuté en Syrie, mènent depuis plus d’une décennie leur propre lutte contre la discrimination particulière dont ils font l’objet, sans avoir, bénéficié d’un grand soutien de la part des autres Syriens, en particulier en 2004, lors des attaques de milices arabes contre des supporters de football kurdes à Qamishlo.

Mais si le mouvement s’étend, beaucoup d’observateurs s’attendent à ce que les Kurdes en profitent pour réaffirmer leurs revendications.

En attendant, Bashar Al-Assad, face à la montée de la contestation dans le sud du pays, a repris la politique de son père, plus souple envers les minorités religieuses et ethniques, afin de mieux tenir la majorité des Syriens sunnites. Ainsi, pour la première fois depuis longtemps, les festivités de Newroz se sont déroulées sans violence ni répression de la part des autorités syriennes, les policiers ayant visiblement reçu des consignes de tolérance. Une conseillère du président, Buthaina Shaaban, a même souhaité publiquement un bon Newroz, « Newroz Mubarak », aux Kurdes de son pays, imitant ainsi les tentatives faites, à la fin des années 90, par les gouvernements turcs pour ‘récupérer’ le Newroz kurde, mais sans toutefois aller jusqu’à décréter, comme la Turquie, que le Newroz était une fête traditionnelle ‘arabe’. Buthaina Nahas a simplement loué la « magnifique coexistence » entre les différentes composantes du peuple syrien.

Mais cela ne résout pas la ‘question kurde’ en Syrie, particulièrement, celle des Kurdes déchus de leur nationalité, et, de façon plus générale, celle de leurs droits culturels et linguistiques. Le 28 mars, 260 prisonniers politiques ont été libérés, dont 14 Kurdes, détenus dans la prison militaire de Saydnaya, de sinistre réputation. Selon les associations de droits de l’homme syriennes, la plupart de ces prisonniers avaient déjà purgé les trois-quarts de leur peine.

TURQUIE : IBRAHIM TATLISES SURVIT À SA TROISIÈME TENTATIVE DE MEURTRE

Dans la nuit du 14 mars, le chanteur turc, d’ascendance kurdo-arabe et originaire d’Urfa, Ibrahim Tatlises, a été victime d’une tentative d’assassinat à Istanbul, alors qu’il quittait un studio de télévision, peu après minuit. Il était accompagné de son attachée de presse, Buket Cakici, et s’apprêtait à monter dans sa voiture, quand il a été atteint d’une balle dans la tête, tirée d’une arme à longue portée. Les meurtriers, sans doute à bord d’un véhicule, se sont enfuis sans avoir pu être identifiés.

Caglar Cuhadaroglu, le chirurgien qui a opéré le chanteur en urgence, a indiqué qu’Ibrahim Tatlises avait reçu une « balle dans la tête, qui est entrée par l'arrière du crâne et est ressortie par le front. Sa vie est toujours en danger mais sa situation s'est améliorée depuis son arrivée à l'hôpital. » L’hémorragie interne consécutive à l’impact de la balle a pu être stoppée mais il est probable que la victime, maintenue en coma artificiel, garde quelques séquelles, notamment une paralysie du côté gauche.

Ibrahim Tatlises est un chanteur très apprécié en Turquie, dans le registre ‘Arabesk’, c’est-à-dire ‘populaire et oriental’. Mais c’est aussi un homme d’affaire à la tête d’un empire, avec sa propre maison de production, une chaîne de télévision et une autre de restaurants, une compagnie d’autocars, une marque de vêtements, une société de construction immobilière active au Kurdistan d’Irak, ainsi que d’une loterie qu’il projetait d’implanter aussi au Kurdistan d’Irak. En 1990 et 1998, il avait déjà essuyé des agressions par balles mais n’avait été atteint que légèrement. À chaque fois, l’origine de ces tentatives de meurtre a été reliée par la presse à la mafia.

Mais le règlement de comptes mafieux peut aussi se mêler à des motifs politiques troubles, Ibrahim Tatlises ayant été candidat aux dernières législatives pour le parti Genç Partisi, appartenant à un homme d’affaires, Cem Uzan, lui-même poursuivi pour des délits financiers, qui s’est présenté, en vain, aux législatives du 12 juin prochain, dans le but d’obtenir l’immunité parlementaire. Aux prochaines élections, l’AKP espérait récupérer ce candidat très populaire à Urfa, au point que même la mairie (AKP) de sa ville natale a organisé une veillée de prières en vue de sa guérison. Le Premier Ministre Erdogan s’est même rendu à son chevet, alors que le chanteur, sorti du coma, avait presque entièrement récupéré.

CULTURE : « SI TU MEURS, JE TE TUE », SORTIE DU DERNIER FILM DE HINER SALEEM

Le dernier film du cinéaste kurde Hiner Saleem, « Si tu meurs, je te tue », est sorti en salle le 30 mars. Comme dans « Les Toits de Paris », toute l’histoire se déroule dans la capitale française. Le héros, Philippe, joué par Jonathan Zaccaï, vient de sortir de prison. Il se lie d’amitié avec Avdal, un Kurde à la recherche d'un criminel irakien. Avdal invite sa fiancée, Siba, en France, où il souhaite s’établir définitivement, mais meurt subitement. Entre temps, Siba (Golshifteh Farahani ) arrive à Paris, sans savoir que son fiancé est mort, est recueillie par six frères kurdes et rencontre Philippe qui tombe vite sous le charme de la jeune fille. Puis, c’est le père d’Avdal, Cheto, qui débarque en France…

« Après « Les Toits de Paris », j’avais envie de revenir à un genre qui m’est proche : la comédie, l’absurde et le burlesque » explique Hiner Saleem. « Ce qui m’a excité c’est d’écrire une histoire déstructurée où on ne sait jamais ce qui va se passer et ou les personnages se découvrent au fur et à mesure. C’est comme une poupée russe … Un scénario où chacun des personnages se passe le relais. Le film débute par une amitié entre deux hommes et se termine par une jeune femme qui décidera de son destin. »

Le film a été unanimement loué par la critique, tant dans la presse papier que sur les sites Web spécialisés dans le cinéma. Dans Événement, il est noté que « le réalisateur Hiner Saleem semble mettre dans son cinéma tout ce qu’il aime dans la vie : la cause kurde, Paris, les belles actrices, les boissons alcoolisées, les variations climatiques et le mélange des tons. Le titre de son premier long métrage donnait la note : ‘Vive la mariée… et la libération du Kurdistan !’ Tous ses films sont des fables, à l’argument ténu et à la morale généreuse. Son sens de l’humour absurde fait souvent merveille, même (ou surtout) quand il parle de sujets sérieux comme l’intolérance religieuse, les préjugés culturels ou les amours impossibles. » Dans l’Express, Thierry Chèze voit le film comme « un conte burlesque sublimé par l'interprétation envoûtante de Golshifteh Farahani ». Jean-Luc Douin, du Monde, y voit un film « voué à honorer un Paris populaire et des comédiens fétiches (Maurice Benichou, Mylène Demongeot, Jane Birkin et son "Jane B." diffusé en sourdine) » et en « retient le meilleur : les dialogues cocasses du début, le dialogue de sourds avec l'employé municipal chargé des pompes funèbres, la présence récurrente d'œufs durs récalcitrants, la façon de dépeindre la diaspora kurde comme une bande de Dalton... » Pierre Murat, de Télérama, relève « l’habileté » du réalisateur « à se faufiler entre le drame et la fantaisie », même s’il considère qu’à ce jour, son meilleur film reste « Vodka Lemon. »

L’actrice iranienne, Golshifteh Farahani, qui joue le rôle de Siba, vit en exil depuis 2008, son rôle dans le film de Ridley Scott, « Mensonges d’État » ayant déplu au pouvoir iranien. Elle a pu quitter son pays juste avant de tomber sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire. Hiner Saleem raconte les raisons de son choix pour incarner Siba : "J’ai rencontré Golshifteh presque un an avant le tournage. Je l’avais déjà vue dans quelques films et je sentais un grand potentiel chez elle. Une relation de confiance mutuelle s’est tout de suite établie. Elle m’a vraiment surpris sur le tournage, c’est une actrice extrêmement talentueuse et très généreuse. Elle a amené au personnage de Siba exactement ce que je recherchais, un mélange de tradition et de modernité." Car pour le réalisateur, Siba, la fiancée kurde, est loin d’être un personnage féminin éploré et passif : « Pour moi, Siba représente la nouvelle génération de femmes de ces régions qui tente de briser les tabous, de se rebeller sans faire une révolution, elle représente une tendance réformiste lente mais décidée qui veut se libérer. Siba est une jeune fille moderne et libre qui ne se laisse pas intimider. C’est un personnage fort. »

Jonathan Zaccaï, qui joue Philippe, a déjà aussi tourné avec Ridley Scott, dans le film Robin des Bois, dans le rôle du roi de France, Philippe Auguste.

Au sujet de Cheto, le beau-père, Kurde traditionnel, qui ne décolère pas que son fils ait été incinéré en France, Hiner Saleem le voit comme « la dernière génération de Kurdes attachée à la tradition. C’est un personnage ambivalent. Pour lui l’homme est le tuteur de la femme. Cheto sait, au plus profond de lui, que Siba est libre. Il pourrait même l’accepter, mais vis-à-vis de la communauté, il réagit différemment pour sauver ce qu’il appelle l’honneur. »

Cheto est joué par un acteur turc, mais dont la mère était kurde, Menderes Samancilar. « Cette expérience pour lui a été très forte », raconte Hiner Saleem, il devait jouer le rôle d’un père et surtout parler le kurde, la langue de sa mère qu’il ne connaissait pas et qui est interdite dans son pays. Il a dû apprendre phonétiquement le kurde et mon assistant lui traduisait mes instructions du kurde en turc. Après tant années, ce magnifique acteur a retrouvé avec une grande émotion sa culture kurde.