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Bulletin N° 296 | Novembre 2009

 

IRAN : L’EXÉCUTION D’UN PRISONNIER KURDE ÉMEUT L’OPINION PUBLIQUE INTERNATIONALE

Le 11 novembre, Ehsan Fattahian, un Kurde âgé de 28 ans, condamné à mort par le tribunal révolutionnaire de Sanadadj a été pendu, malgré les nombreuses protestations et appels de différentes ONG, comme Amnesty International. Ehsan Fattahian avait été arrêté le 20 juillet 2008. Il avait reconnu appartenir au Komala et avait été d’abord condamné par la Première Chambre du Tribunal révolutionnaire de Sanandadj à 10 ans de prison, au cours d’un procès où tout droit à la défense lui avait été refusé. Il avait fait appel, ainsi que le procureur et, au mépris de la loi iranienne, avait été condamné à la peine capitale par la Quatrième Chambre de la cour d’appel de la province du Kurdistan en janvier 2009.

Dans une lettre, Ehsan Fattahian mentionnait les tortures subies dès le premier jour de son arrestation et donnait aussi la cause de l’agravation de sa peine : Il avait refusé de “confesser ses crimes” devant une caméra et de renier ses convictions politiques. Selon l’article 285 de la loi iranienne, cependant, une peine ne peut être alourdie en appel que si elle est plus légère que le minimum prévu pour un délit. Dans le cas d’Ehsan Fattahian, la peine minimale pour les charges dont il était accusé était d’un an, et il avait été condamné à dix ans d’emprisonnement en exil (c’est-à-dire hors de sa province natale). Avant son exécution, Ehsan Fattahian avait, avec d’autres prisonniers politiques kurdes, participé à une grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention. Il n’avait jamais admis les accusations retenues contre lui, hormis celle d’appartenir au Komala. Le 10 novembre, il a été transferré au secret et a été pendu le lendemain, sans avoir pu revoir sa famille, qui n’a pu obtenir non plus la restitution du corps avant d’apprendre qu’il avait été inhumé anonymement dans un cimetière de Kermanshah, sa ville natale. Les autorités ont par ailleurs averti les parents du jeune Kurde qu’ils ne devaient pas se livrer à une cérémonie de deuil trop ostensible, ni organiser de manifestation à sa mémoire. L’annonce de cette exécution a indigné de nombreuses organisations ou personnalités, en Iran comme à l'étranger.

L’avocate Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix en 2003, a dénoncé cette sentence et son application comme "hâtive" et “sans précédent”, ainsi que le fait que la famille Fattahian n’a pu voir Ehsan avant d’être exécuté : “il est très inhabituel d’exécuter quelqu’un dans une telle précipitation qu’ils n’ont pas permis à sa famille de le voir lors de sa dernière nuit. C’est très inhabituel et cela ne fait qu’augmenter les suspicions sur les causes réelles de sa mort”, a-t-elle déclaré sur la BBC en persan. “Je ne veux préjuger de rien... mais en raison de traitements inappropriés dans les prisons d’Iran, en particulier le traitement des prisonniers, qui sont malheureusement devenus la norme, il est juste de s’interroger sur les causes de la mort d’Ehsan.” Un peu plus tard, sur le site Internet Rooz, Shirine Ebadi conseillait à la famille Fattahian de faire examiner par un médecin de confiance le corps de leur fils. Si les circonstances de la mort d’Ehsan Fattahian resteront probablement inconnues, il faut rappeler que ce ne serait pas le premier cas de détenu mort sous la torture : En juin 2003, Zahra Kazemi, une photographe irano-canadienne avait été ainsi battue à mort et probablement violée, selon le rapport des légistes. Akbar Mohammadi, un étudiant condamné à 15 ans de prison pour avoir participé aux manifestations de 1999, est mort de façon suspecte à la prison d’Evin, en juin 2006, ainsi que Zahra Bani Yaghoub, un médecin de 27 ans, morte en octobre 2007 dans la prison de Hamadan. Ebrahim Lotfallahi, un étudiant mort en détention a, comme Ehsan Fattahian, été enterré en hâte et clandestinement dans un cimetière de Sanandadj, avant que sa famille soit informée de sa mort, le 15 janvier 2008. Le 30 octobre 2008, c’est un membre des Moudjaïddin, Abdolreza Rajabi, qui décédait lors de son transfert de la prison d’Evin à celle de Rajaei Shahr. Le 6 mars 2009, Amir Hossein Heshmat Saran, fondateur d’un mouvement politique, le Front national uni, mourait après 5 ans de détention. Moins de deux semaines plus tard, Omid-Reza Mir Sayafi, un bloggeur qui avait été condamné six semaines plus tôt à 30 mois d’emprisonnement, mourrait à Evin.

Par ailleurs, Ehsan Fattahian n’était pas le seul Kurde en attente de son exécution. Douze autres encourent le même sort : Zeynab Jalalian, Habib Latifi, Shirkouh Moarefi, Ramezan Ahmad, Farha Chalesh, Rostam Arkia, Fazih Yasamini, Rashid Akhkandi, Ali Heydarian, Farhad Vakili, Hossein Khazari, et Farzad Kamangar. Parmi eux, Shirkouh Moarefi, âgé de 24 ans, a été, quelques jours après la mort d’Ehsan Fattihian, transféré lui aussi en cellule d’isolement, prélude à une exécution possible. Peu de temps avant de mourir, Ehsan Fattahian avait relaté les circonstances de son arrestation, celle de ses deux jugements et de sa dernière condamnation, dans une lettre faisant figure de testament politique, qui a largement circulé dans des journaux et sur Internet et a été traduite dans plusieurs langues :

« Les dernières lueurs du soleil couchant M'indiquent le chemin sur lequel écrire Le bruit des feuilles mortes sous mes pas Me dit " Laisse-toi tomber, Et tu retrouveras le chemin de la liberté." [Margot Bickel, poétesse allemande traduite par Ahmad Shamlou]

Je n'ai jamais craint la mort, même à présent que je la sens si proche de moi. Je sens son odeur et elle m'est familière, car c'est une vieille connaissance de cette terre et de ce peuple. Je ne parlerai pas de la mort, mais des raisons de cette mort. Puisque elle est devenue le salaire de la justice et de la liberté, comment craindre d'en finir ? "Eux" qui "nous" ont condamnés à mort pour avoir cherché une mince ouverture vers un monde meilleur, délivré de l'injustice, savent-ils ce qu'ils font ? Ma vie a commencé dans la ville de Kermanshah, un nom qui, pour mes compatriotes a toujours voulu dire Grandeur ; le berceau de la civilisation dans notre pays. Très tôt, j'ai vu la discrimination, l'oppression, je les ai ressenties au plus profond de mon être ; cette cruauté et le pourquoi de cette cruauté, et les tentatives d'y remédier ont fait naître une foule de pensées en moi. Mais hélas, ils avaient bloqué toutes les routes menant à la justice et rendu l'atmosphère si répressive que je n'ai pu trouver le moyen de changer les choses de l'intérieur et je suis parti pour un autre lieu [le Kurdistan d'Irak] : Je suis devenu un peshmerga du Komala ; c'est le désir de me trouver moi-même, de trouver mon identité qui m'a fait prendre cette direction. Quitter mon lieu de naissance fut difficile, mais je n'ai jamais coupé les liens qui me rattachaient à la ville de mon enfance.

De temps à autre, je souhaitais rentrer chez moi pour retrouver mes vieux souvenirs, et c'est l'une de ces fois-là que par "eux", cette visite a tourné à l'aigre ; ils m'ont arrêté et emprisonné. Dès ce premier instant et devant l'hospitalité témoignée par mes geôliers, j'ai réalisé que le destin tragique de beaucoup de mes camarades serait aussi le mien : torture, dossier falsifié, jugement à huit-clos et sous influence, un verdict injuste et politisé, et pour finir la mort. Permettez-moi de vous raconter cela de façon plus décontractée : Après avoir été arrêté à Kamyaran le 20 juillet 2008, et après quelques heures passées en tant qu'"invité" du bureau de renseignements de cette ville, alors que des menottes et un bandeau m'ôtaient le droit de voir et de me mouvoir, une personne qui s'est présentée comme étant l'adjoint du procureur a commencé à me poser une série de questions sans rapport les unes avec les autres, et remplies d'accusations fausses (je tiens à souligner que tout interrogatoire judiciaire en dehors d'une salle d'audience est interdit par la loi).

Ce fut la première de mes nombreuses séances d'interrogatoire. La nuit même, j'ai été transféré au bureau de renseignements de la province du Kurdistan, dans la ville de Sanandadj, et c'est là que j'ai su que la partie était véritablement engagée : une cellule sale, des toilettes dégoûtantes et des couvertures qui n'avaient probablement pas vu d'eau depuis des décennies ! À partir de ce moment, mes nuits et mes jours se sont déroulés dans les salles d'interrogatoire et les couloirs du sous-sol, où j'ai été soumis à une torture extrême, et des coups. Cela a duré trois mois et durant ces trois mois, mes interrogateurs, sans doute dans l'espoir d'une promotion ou d'une petite augmentation, ont émis des accusations aussi étranges que fausses, bien qu'ils savaient mieux que personne combien ils étaient loin de la réalité. Ils ont fait beaucoup d'efforts pour tenter de prouver que j'étais impliqué dans un attentat armé ayant pour but de renverser le régime. Les seules charges qu'ils ont pu retenir contre moi étaient d'être membre du Komalah et d'avoir pris part à des activités de propagande contre le régime. La première chambre du tribunal de la république islamique de Sanandadj m'a condamné à 10 ans en exil dans la prison de Ramhormoz [Est du Khouzistan]. Les structures politiques et administratives du gouvernement souffrent constamment de la centralisation, mais dans mon cas, ils ont essayé de décentraliser la justice et ont donné aux cours d'appel de la province du Kurdistan le pouvoir de rejuger les crimes des prisonniers politiques, même avec des sentences aussi lourdes que la peine capitale. Dans mon cas, le procureur de Kamyaran a fait appel du verdict de la première chambre, et la cour d'appel du Kurdistan a commué une peine de dix ans de prison en condamnation à mort, ce qui va à l'encontre des lois de la république islamique. Selon l'article 258 de la loi "Dadrasi Keyfari", une cour d'appel peut alourdir le verdict initial uniquement dans le cas où ce verdict est inférieur à la peine minimale prévue pour le crime. Dans mon cas, le crime était celui de 'Moharebeh" (animosité envers Dieu), dont la peine minimale est d'un an de prison ; ma sentence était de dix ans et en exil, nettement au-dessus du minimum. Si vous comparez ma condamnation à la peine minimale pour ce crime, vous comprendrez la nature illégale et politique de cette peine de mort. Je dois cependant mentionner que, peu avant de changer le verdict, ils m'ont amené de la prison centrale de Sanandadj au bureau d'interrogatoire des Renseignements et m'ont demandé d'avouer des crimes que je n'ai pas commis dans un entretien filmé, et de dire des choses auxquelles je ne croyais pas. En dépit de fortes pressions, je n'ai pas accepté de faire cette confession filmée, et ils m'ont alors carrément dit qu'ils allaient faire changer mon verdict en condamnation à mort, ce qu'ils ont fait en peu de temps, démontrant à quel point les tribunaux obéissent à des pouvoirs étrangers au département de la Justice. Par conséquent, sont-ils à blâmer ? Un juge doit prêter serment de rester juste en toute situation, en tout temps et envers toute personne, et de regarder le monde d'un point de vue uniquement juridique. Quel juge dans ce pays funeste peut prétendre n'avoir jamais rompu ce serment et être toujours resté juste et équitable ? À mon avis, ces juges-là se comptent sur les doigts d'une main. Lorsque tout le système judiciaire de l'Iran, sur la suggestion d'un interrogateur (sans aucune connaissance des questions juridiques), arrête, juge, emprisonne et exécute les gens, peut-on vraiment le reprocher aux petits juges d'une province qui est depuis toujours réprimée et victime de discrimination? Oui, cette maison a ses fondations en ruines.. Ceci en dépit du fait que, lors de ma dernière rencontre avec le procureur, ce dernier a admis que la peine de mort était illégale ; mais pour la seconde fois, ils m'ont notifié qu'ils allaient procéder à l'exécution. Inutile de dire que cette insistance à appliquer une sentence de mort résulte de pressions de forces politiques et sécurité étrangères à la justice. Dites-vous que ces gens ne regardent la vie et la mort des prisonniers d'opinion que du point de vue de leurs fiches de paie et des nécessités politiques, rien d'autre ne compte pour eux que leurs propres buts, même s'il s'agit du plus fondamental des droits humains, celui de vivre. Oubliez les lois internationales, ils se moquent complètement de leurs propres lois et procédures...

Mais voici mes dernières paroles : Si dans l'esprit de ces dirigeants et de ces oppresseurs, ma mort va les débarrasser du «problème» appelé Kurdistan, je dois dire que ce n'est qu'une illusion. Ni ma mort, ni la mort de milliers de personnes comme moi ne seront un remède à ce mal incurable, et peut-être même seront-elles le carburant de cet incendie. Il ne fait pas de doute que chaque mort tend vers une vie nouvelle. »

TURQUIE : LES MESURES POUR RÉSOUDRE LA QUESTION JUGÉES DÉCEVANTES

Annoncé depuis le début de l’été, le plan du gouvernement turc pour résoudre la question kurde a finalement été révélé au public, suscitant des déceptions de la part des Kurdes qui jugent les mesures très insuffisantes, mais provoquant les protestations des partis nationalistes turcs, toujours prompts à dénoncer les compromis avec le « séparatisme ».

Parmi ces mesures, l’autorisation pour les localités kurdes ou syriaques de recouvrer leur ancien nom, turquisé d’office, lever les interdictions sur l’usage public du kurde dans les meetings électoraux, autoriser les familles de prisonniers à parler kurde au parloir. Le gouvernement souhaite également créer une commission indépendante pour résoudre les problèmes de torture et de discrimination. Mais ces mesures ne sont pas jugées suffisantes, selon la plupart des analystes, pour mettre fin au conflit. Comme le fait remarquer l’éditorialiste Murat Yetkin, dans le journal Radikal, « si ce qu’annonce Atalay [le ministre de l’Intérieur] sont de véritables pas en avant vers le développement de normes démocratiques, c’est une bonne chose... mais le PKK ne descendra pas de ses bastions montagneux uniquement parce qu’il y a une commission indépendante pour les droits de l’homme et que les gens peuvent parler leur langue maternelle en prison. » Le PKK a, pour sa part, déclaré dans un communiqué à l’agence Firat que « la question kurde ne pouvait être résolue sans reconnaître la volonté du peuple kurde et entamer un dialogue avec ses interlocuteurs [c’est-à-dire le PKK lui-même]. »

Une des revendications récemment lancées par le PKK est la reconnaissance du peuple kurde au niveau constitutionnelle, ce qui est une ligne rouge qui semble pour le moment infranchissable, au moins psychologiquement, pour la classe politique ou l’opinion turque, d’autant que l’AKP ne dispose plus des 367 députés sur 550 nécessaires pour faire passer un changement constitutionnel au parlement. C’est lors du débat parlementaire autour de la question kurde que le vice-président du CHP, Önür Öymen, a incidemment lancé une polémique annexe, concernant cette fois l’histoire kurde et la version officielle de la Turquie sur les révoltes au Kurdistan et la terrible répression qui s’en est suivie au Dersim, notamment.

Le 9 novembre, en effet, répliquant aux partisans des réformes et à l’AKP, cet ancien ambassadeur a déclaré que l’argument selon lequel la paix épargnerait à de nombreuses familles turques de porter le deuil de leurs enfants soldats n’était pas recevable : « Est-ce que les mères ne pleuraient pas pendant la guerre d’indépendance, pendant la révolte de Cheikh Saïd, et celle de Dersim ou à Chypre ? Est-ce que quelqu’un a demandé alors d’arrêter les combats pour que les mères cessent de pleurer ? » Mais l’envolée a non seulement indigné l’opinion kurde mais les Alévis en général, qui ont blâmé le fait qu’un élu turc compare une guerre contre un ennemi extérieur (les Puissances Alliées ou Chypre) à une répression militaire contre des citoyens comptés comme officiellement « turcs ». Les premiers concernés, les Alévis kurdes de Dersim, dont les grands-parents ont été victimes des massacres de 1937-1938 ont été les plus virulents. Des portraits d’Önür Öymen grimé en Hitler ont été affichés dans les rues de la ville. Les Alévis, par hostilité aux partis religieux et attachement à la laïcité votaient pourtant traditionnellement CHP, malgré une certaine poussée électorale en faveur de l’AKP en 2007 et aux dernières élections, le DTP avait fait un bon score à Dersim. Les propos du vice-président ont en tout cas eu le mérite de porter sur la place publique une des pages les plus sombres de l’histoire de la république, ignorée par la plupart des Turcs. Il remet aussi sur le devant de la scène la question religieuse des Alévis qui, officiellement recensés comme musulmans et relevant donc de la Diyanet (Direction des Affaires religieuses) de l’islam, réclament le statut de minorité religieuse qui ne leur est pas reconnu, au contraire des chrétiens et des juifs. Les élèves alévis doivent aussi suivre les cours de religion islamique sunnite obligatoire à l’école.

IRAK : LA PRÉPARATION D’UNE NOUVELLE LOI ÉLECTORALE DIVISE LE PAYS

Les débats autour de la loi électorale pour les législatives de 2010 en Irak ont suscité de telles controverses qu’il est apparu impossible de garder la date de janvier, initialement prévue et tout le long du mois, de sérieux doutes sont apparus sur la possibilité de tenir un scrutin en février. Plusieurs groupes religieux ou ethniques en Irak ont en effet protesté contre le nombre de sièges, jugés insuffisants, réservés aux minorités.

C’est le président irakien lui-même, Jalal Talabani, qui a demandé au Parlement d’accroitre le nombre de députés pour représenter les chrétiens, ainsi que les Irakiens vivant à l’étranger. Lors de sa visite en France, il avait même indiqué souhaiter que les 5% réservés à ces groupes passent à 15%. Mais cette fois-ci, la menace de veto apposé au projet de loi présenté au conseil de présidence n’est pas venu de Jalal Talabani mais du vice-président sunnite, Tariq Al-Hashemi, qui a publiquement déclaré à la télévision qu’il ne ratifierait pas cette loi si les sièges réservées aux Irakiens en exil ne triplaient pas en nombre. Actuellement, 8 sièges sont réservées aux minorités (chrétiens, mandéens, yézidis) et 8 autres aux Irakiens, très nombreux, vivant en exil. Lors des élections législatives de 2005, ce pourcentage était de 15% et a été par la suite réduit à 5%. Le président Talabani et son vice-président réclament donc un retour aux dispositions antérieures, afin, officiellement, de promouvoir « la réconciliation nationale », même Jalal Talabani n’a pas approuvé le veto de son vice-président, semblant en tout cas s’en désolidariser dans ses déclarations sur la chaîne française France 24 : « Je crains un nouveau report des élections, c’est pourquoi j’ai décidé de ne pas m’opposer à la loi électorale. »

Les Kurdes ne sont pas davantage satisfaits de la répartition et le président du parlement du Kurdistan, Kamal Kirkouki, a appelé le président Talabani á ne pas ratifier cette loi, estimant estimant que le pourcentage des sièges réservés aux provinces kurdes n’était « pas normal ». Le président de la Région du Kurdistan a même menacé de boycotter ces élections si la répartition des sièges n’était pas modifiée de façon « équitable ». En effet, sur les 48 sièges supplémentaires prévus dans la nouvelle loi, seuls trois reviennent aux trois provinces de la Région du Kurdistan. S’opposant donc aux sunnites et aux Kurdes, des Irakiens des provinces chiites du sud ont manifesté devant les bâtiments gouvernementaux de Basra, pour protester contre le veto du vice-président Al-Hashemi. Ils ont reçu l’appui indirect des États-Unis, qui souhaitent que ces élections se déroulent au plus tôt, en raison de leur propre calendrier de retrait des troupes. Jalal Talabani n’a ainsi pas caché dans ses propos à la presse que Christopher Hill, l’envoyé américain en Irak insistait personnellement auprès des députés irakiens pour qu’ils approuvent la loi.

Joe Biden, le vice-président des États-Unis, a, quant à lui, téléphoné aux moins à trois reprises aux leaders kurdes, en leur demandant de ne pas bloquer le processus électoral. Le 21 novembre, la Cour suprême de Bagdad rejetait le veto du vice-président Al-Hashemi, arguant que la répartition des sièges ne dépendait pas de la loi électorale mais des organisateurs du scrutin. Le veto du conseil de présidence ne pouvant porter que sur des litiges constitutionnels, la Cour suprême a donc statué qu’il ne pouvait s’appliquer dans ce cas précis. La nouvelle répartition des sièges entre les différences provinces irakiennes a été faite par la Commission électorale en se basant sur les cartes de ration alimentaires renouvelées chaque année.

Les chiffres donnés par le ministère du Commerce indiquaient que la population irakienne était de 32 millions en 2009 contre 27 millions en 2005. Se fondant sur ces chiffres, la Commission a estimé le nombre des électeurs irakiens à 19 millions ; chaque siège au Parlement représente 100 000 électeurs. Un quart d’entre eux est réservé aux femmes, 5% aux 2 millions de réfugiés irakiens en exil, 5 sièges sont alloués aux chrétiens des trois provinces kurdes et de Ninive, et un siège chacun aux yézidis, mandéens et shabaks. Mais ces chiffres sont contestés, notamment par les Kurdes, qui mettent en avant le fait que la province de Ninive reçoit 13 sièges supplémentaire avec seulement un peu plus de 2 millions d’habitants, alors que la Région du Kurdistan qui en compterait au total 5 millions n’en reçoit que 5.

Dr. Mahmoud Othman, député de l’Alliance kurde au parlement de Bagdad a, lui aussi, contesté fortement les chiffres du ministre du Commerce irakien, affirmant que le nombre des cartes de rations n’était pas du tout fiable dans certaines régions, comme Ninive, où il avait été artificiellement gonflé. Au total, la répartition des nouveaux sièges a été annoncée comme suit : 68 pour Bagdad, 31 pour Ninive, 24 pour Basra, 18 pour Dhiqar, 16 pour Babil, 14 pour Anbar, 13 pour Diyala, 12 pour Salahaddin et Nadjaf, 11 pour Wasit et Diwaniyah, 10 pour Karbala et Misan, 7 pour Muthana. Pour la Région du Kurdistan : 15 pour Sulaymaniyeh, 14 pour Erbil, 9 pour Duhok. Kirkouk reçoit 12 sièges. 8 sièges de plus sont alloués par quota aux minorités. Ainsi, sur les 323 sièges, les Kurdes n’en auraient que 38, soit 12%, contre 57 en 2005. Comme le dernier recensement date de 1957, il est impossible d’avoir les chiffres exacts de la population irakienne.

SYRIE : TROIS PRISONNIERS POLITIQUES KURDES ENTAMENT UNE GRÈVE DE LA FAIM

Le 15 novembre, trois Kurdes ont été condamnés à trois ans de prison chacun pour appartenance à un parti politique interdit, Azadî, bien qu’il n’ait jamais mené que des actions pacifiques (appels, manifestations) en faveur des droits culturels kurdes et de la situation des Kurdes de Djézireh déchus de leur nationalité lors d’une campagne d’arabisation de la région. Mustafa Djuma Bakr, Mohammed Saïd Husseïn Omar et Saadoun Mahmoud ont été cependant reconnus coupables d’inciter à la « haine raciale », d’ « atteinte à la dignité de l’État et d’avoir voulu affaiblir le sentiment national », des chefs d’accusation courants concernant les militants kurdes.

Une semaine auparavant, quatre autres Kurdes avaient été condamnés à six ans de prison chacun pour appartenance au Parti de l’union démocratique du Kurdistan, également interdit. Dans le même temps, plusieurs prisonniers kurdes syriens poursuivent, depuis le 30 octobre dernier, une grève de la faim dans la prison d’Adra et la prison militaire de Sednaya, à Damas, pour protester contre leurs conditions de détention. Ils réclament aussi un jugement régulier, pouvoir sortir dans la cour de leur prison, recevoir les visites de leur famille, avoir accès aux media, radio, journaux et télévision, au même titre que les autres détenus. Plusieurs manifestations ont été organisées en soutien à cette grève de la faim.

Le 14 novembre, des Kurdes, membres et sympathisants du Parti de l’union démocratique, ont relayé cette grève de la faim, pour un jour, à l’Institut kurde de Bruxelles. La même manifestation s’est déroulée le même jour à Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Le 15 novembre, le parti kurde syrien Yekitî faisait une déclaration de soutien aux prisonniers. Le 16 novembre, un rassemblement avait lieu devant l’ambassade syrienne à Bruxelles. Le 18 novembre, des représentants de l’Union démocratique et du Congrès national kurde rencontraient des responsables de l’Union européenne et du gouvernement de Belgique. Le 19, c’est devant l’ambassade syrienne de Londres que des Kurdes ont manifesté. Le 20, des Kurdes ont observé une grève d ela faim à Genève, devant les bâtiments des Nations-Unies.

Le 23 novembre un rassemblement principalement composé des familles de ces prisonniers a stationné devant les prisons de Damas, et a réclamé un droit de visite, sans succès. Cinq prisonniers, Munthir Abdulfattah Rasho, Ciwan Mohammed Ahmed, Hassan Khalil Qudo, Khalil Fidi Khalil, qui devaient passer en jugement le 17 novembre ont vu leur date de procès reportée au 12 décembre.

PARIS : COLLOQUE SUR LES MASSACRES DU DERSIM (1937-1938) À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Le 27 novembre, à l’Assemblée nationale, un colloque organisé par l’Institut kurde de Paris a réuni une vingtaine d’historiens et chercheurs autour des massacres de Dersim, en 1937-1938, devant 300 participants.

La première table ronde, dirigée par Joyce Blau, portait sur le contexte idéologique dans lequel ces massacres et la persécution de toute une population ont pu être perpétrés. Le docteur Ugur Umit Ungor, de l’University College de Dublin a analysé l’idéologie pan-turque du mouvement des Jeunes Turcs, instigateur du génocide arménien de 1915 et les planificateurs des massacres de Dersim. Hovsep Hayreni, chercheur à Bruxelles, est revenu lui aussi sur le génocide arménien en évoquant les nombreux réfugiés qui trouvèrent abri dans cette région. L’écrivain Mehmet Bayrak replace, lui, plus généralement ces événements dans une tradition de persécution des Alévis, tout au long de l’Empire ottoman, jusqu’à la république turque. Enfin Sêvê Evîn Çîçek, écrivain et chercheuse, rappelle que les massacres de Koçgiri, en 1920-1921, doivent être vus comme un « prélude aux événements de Dersim ».

La seconde table ronde, présidée par le professeur Hamit Bozarslan (EHESS) aborde la question, à la fois juridique et historique, de l’aspect génocidaire des massacres. Le docteur Hans-Lukas Kieser, de Genève, expose le contexte, le cadre et les « questions ouvertes » autour de la « campagne du Dersim en Turquie kémaliste ». Le docteur Ali Murat, de l’Institut alévi d’Ankara analyse le Dersim à travers le prisme de l’État ». Erdogan Aydin, chercheur et écrivain (Istanbul) se penche lui aussi sur la politique de l’État vis-à-vis du Dersim et les caractéristiques de la résistance qui lui fut opposée. Une chronologie des événements est exposée par Mete Tekin, chercheur à Paris et Ali Kiliç examine la question du Dersim à travers les archives françaises de l’époque.

La troisième table ronde, présidée par Gérard Chaliand, traite du Dersim dans la mémoire collective, avec la lecture d’un témoignage d’Ihsan Sabri Çaglayangil (1908-1993), ancien président de la République de Turquie en 1980, reconnaissant que l’armée a utilisé des gaz toxiques contre les civils, femmes et enfants réfugiés dans des grottes, et qu’ils ont été « exterminés comme des rats ». Le docteur Bilgin Ayata, de l’université John Hopkins, traite de la question de la mémoire et de l’amnésie des populations victimes et le professeur Mithat Sancar, de la Faculté de Droit d’Ankara, plus spécifiquement du Dersim dans les mémoires collectives kurde et turque. Son intervention est suivie de celle de Marie Le Rey, doctorante à l’IREMAM d’Aix en Provence : Mémoires croisées: "Dersim 1938" au coeur d'une réinvention disputée du local » et de celle de Serafettin Halis, député de Dersim : « La confrontation avec l'Histoire: faire face au massacre de Dersim ».

Enfin le colloque se conclut par la lecture d’un message du sociologue Ismail Besikçi, sociologue, qui qualifie les massacres de Dersim qui ont fait entre 50 000 et 90 000 morts selon les sources, de « génocide »et appelle les chercheurs à mieux étudier cette page noire de l’histoire de la Turquie et dans son discours de clôture, Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, a lui aussi parlé de la nécessité de multiplier ce genre de colloques et de rencontres, pour mieux connaître l’histoire kurde du 20ème siècle et en tirer des enseignements pour la nouvelle génération.