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Bulletin N° 212 | Novembre 2002

 

PARIS : CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR « L’AVENIR DES KURDES EN IRAK » À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

L’Institut kurde de Paris a organisé le vendredi 29 novembre dans la Salle Victor Hugo de l’Assemblée nationale française une conférence internationale sur « L’avenir des Kurdes en Irak ».

Plus de quatre cents personnes, dont 112 journalistes, des diplomates, des parlementaires, des chercheurs, des responsables de partis politiques et des ONG ont participé à cette importante journée d’information et de réflexion qui s’est tenue à un moment où la perspective d’une guerre en Irak suscite beaucoup d’inquiétudes sur le sort de la population kurde.

Après des décennies de guerres et de persécutions, une grande partie des Kurdes d’Irak vivent dans une zone de sécurité vaste comme la Suisse protégée par l’aviation anglo-américaine. L’administration de Saddam Hussein est absente de cette zone mais elle contrôle encore une partie du Kurdistan irakien, en particulier les provinces pétrolifères de Kirkouk et Khanaqin. Dans le Kurdistan libre, les Kurdes gèrent eux-mêmes leurs affaires.

Après des débuts difficiles, l’expérience d’auto-gouvernement a permis aux Kurdes de reconstruire leur pays dévasté, de mettre en place un Parlement élu, une administration, des universités et des institutions qui assurent à leur région, un essor économique, culturel et démocratique sans précédent. Cela malgré les contraintes du régime des sanctions appliqué à l’ensemble de l’Irak, à l’embargo interne que Bagdad fait subir au Kurdistan et aux menées hostiles de certains Etats voisins. Cependant, l’autonomie de fait ne profite actuellement qu’à 3,7 des 6 millions de Kurdes irakiens. Les autres, toujours sous la férule de Bagdad, subissent une politique d’arabisation et tentent de fuire par tous les moyens la répression pour se réfugier en Europe occidentale dans des conditions de plus en plus dramatiques.

Que va devenir l’autonomie kurde en cas de conflit ? le statu quo actuel est-il tenable ? Quelle est la situation des Kurdes et des minorités du Kurdistan ? Quel avenir politique pour les Kurdes en Irak ? Et quel rôle pour la France et pour l’Europe dans l’Irak de demain ?

Tels étaient le thèmes principaux abordés dans les tables rondes de la conférence. Pour débattre dans un esprit pluraliste de ces questions, la conférence a réuni des experts occidentaux comme Alain Gresh, rédacteur en chef du Monde diplomatique, Gérard Chaliand, expert en géopolitique, de retour du Kurdistan, Pierre-Jean Luizard, spécialiste de l’Irak, Jonathan Randal, ancien correspondant du Washington Post au Proche-Orient, et Hamit Bozarslan, maître de conférence à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales, mais aussi des personnalités arabes et kurdes représentatives des principaux courants politiques de la société irakienne : Adnan Mufti, vice-Premier ministre du Gouvernement régional kurde, Fuad Hussein, vice-président de l’Institut kurde de Paris, Dr. Najmattin Karim, président de l’Institut kurde de Washington, Dr Mowaffaq Al Rubaie, opposant chiite irakien, Mme Nasrine Berwari, ministre de la reconstruction du gouvernement régional kurde, Pir Khidir, directeur du centre culturel yézidi Lalesh, Jewdat Najar, ministre d’Etat turcoman du Gouvernement régional kurde, Albert Yelda, homme politique assyro-chaldéen, Ghassan Attiya, opposant irakien, Siyamend Othman, analyse irakien indépendant, Adil Abdul Mahdi, porte-parole du Conseil suprême de la révolution islamique et Hushyar Zibari, chef du département des relations internationales du PDK.

De plus, la participation des deux leaders kurdes, Massoud Barzani et Jalal Talabani, conférait un caractère tout à fait exceptionnel à cette conférence. De nombreuses personnalités politiques occidentales comme Bernard Dorin, ambassadeur de France, Bernard Kouchner, ancien ministre de la Santé, Peter Galbraith, ancien ambassadeur américain en Croatie, François Loncle, vice-président de la commission des affaires étrangères, Aymeri de Monstesquiou, sénateur, de retour de Kurdistan et Hubert Vedrine, ancien ministre des Affaires étrangères, ont bien voulu accepter de participer à la conférence pour faire partager leur expérience et leur vision de l’avenir de l’Irak.

Dans son allocution d’ouverture de la conférence, Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, a notamment déclaré : « que l'on soit pour ou contre la guerre, on ne peut faire l'économie d'une réflexion, sur l'après-Saddam Hussein » et la situation des Kurdes, d'autant plus qu' « avec les deux grands partis kurdes qui depuis onze ans administrent le Kurdistan, la paix, la démocratie et une relative prospérité ont été établies dans une région dévastée par des décennies de guerre ». Il a souligné que la conférence a été entièrement organisée par l’Institut et que ce n’était ni à la demande du gouvernement français, ni à l’initiative de tel ou tel parti politique.

Gérard Chaliand, de retour du Kurdistan a indiqué que « les Kurdes savent ce qu'ils veulent et, contrairement à ce que pensent les dirigeants turcs, ils se situent dans le cadre d'un Etat irakien, au sein duquel ils souhaitent partager le pouvoir avec les autres composantes de la population ». Le Kurdistan « est un exemple unique au Moyen-Orient traitant les minorités ethniques et la religion avec autant d'ouverture », a-t-il poursuivi M. Chaliand avant de rappeler les progrès réalisés (infrastructures, santé, éducation) dans cette région. « Reste à savoir où l'on va », a-t-il demandé. M. Chaliand s'est aussi inquiété du fait que « les Etats-Unis comptent se servir de la démocratie comme d'une arme contre des pays comme l'Iran et l'Arabie saoudite ». « L'objectif de la guerre est infiniment plus facile à réaliser que la vision de l'après-guerre », a-t-il estimé.

Pour l'opposant chiite irakien installé à Londres Mouaffaq al Rubaïe, il est essentiel que « les Kurdes soient incorporés dans un Etat irakien unifié, mais décentralisé, et que la majorité chiite (55 % de la population environ) cesse d'être aliénée » de la vie politique . « Pour éviter son démembrement, l'Irak devra être doté d'une structure fédérale » afin d'en finir avec un système où les sunnites conduisent seuls les affaires de l'Irak comme ils le font depuis la création de cet Etat en 1921, a-t-il indiqué. « Trois maux caractérisent la situation de l'Irak : la dictature, la persécution des Kurdes et la discrimination contre les chiites. La démocratie, le fédéralisme et l'abolition de la discrimination sont des solutions à ces maux », a estimé cet opposant.

« Démocratie et fédéralisme agissent comme des mots magiques. Mais il appartient avant tout aux Kurdes de définir leur choix », a indiqué de son côté Adel Abdul Mahdi, porte-parole du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (ASSRI, principal mouvement chiite basé en Iran), rejetant toute idée de « tutelle sur les Kurdes ».

Mme Nasrine Berwari, ministre de la reconstruction, a apporté son expérience de terrain : « L'Irak est un pays de divisions, la plupart anciennes, mais d'autres engendrées par le régime. Au Kurdistan irakien, le développement d'institutions politiques et de services publics contribuent à la promotion de l'intégration et à la coopération. Un grand pas a été fait avec des élections libres et justes en 1992, où un Parlement régional a été établi. Des efforts volontaires ont été faits pour inclure tous les membres des différents groupes religieux et ethniques dans ce processus. Des procédés qui encouragent la participation civique ont été mis en place pour développer les expériences en lien direct avec les systèmes et les procédures que requière la démocratie. L'année dernière, pour la première fois depuis 1957, des élections libres et justes sous le contrôle d'observateurs internationaux ont eu lieu dans une douzaine de municipalités. Et plus récemment, la réunification de l'Assemblée nationale kurde, après une période d 'interruption regrettable. Nous vous assurons que nous aimons et nous protégeons notre diversité de longue date, où tous les groupes ethniques et religieux vivent ensemble, et participent même de façon active aux festivités des uns et des autres. »

« Aujourd'hui, il y a plus de 700 000 garçons et filles qui vont à l'école, dans 3000 écoles. En 1991, il n'y avait que 800 écoles construites par le régime baathiste dans la région. Nous croyons en l'éducation (…)L' éducation primaire et secondaire peut être suivie en langue kurde, arabe, syriaque et turque. Nous avons trois universités… En partenariat avec le secteur privé qui devient de plus en plus dynamique dans la région, nous avons développé l'accès illimité à l'Internet par satellite. Et actuellement, tout le monde peut avoir l'accès Internet à domicile, sans aucune restriction. Mon ministère de la reconstruction est particulièrement attentif à la situation des personnes qui ont été déplacées à l'intérieur du pays: ce qui est le cas, selon un rapport de l'ONU, pour 23% des habitants du Kurdistan irakien, pour des raisons de sécurité, des problèmes de mines, et de la politique d' arabisation des régions kurdes sous contrôle du régime actuel. La réinstallation de ces personnes a été très populaire durant ces 11 dernières années (…). Et notre effort de réinstallation des populations peut être un bon exemple pour l'ensemble de l'Irak en cas de chute du régime (…)« Les Kurdes et les groupes minoritaires qui vivent au Kurdistan irakien ont leurs propres écoles, chaînes de télévision, journaux, partis politiques et ONG (…) Les femmes jouent un rôle de plus en plus important sur la scène politique, sociale et économique (…) »

« Depuis 1990, 25 résolutions ont été passées pour résoudre seulement la question humanitaire en Irak (…)L'une de ces résolutions est le numéro 986, ou pétrole contre nourriture, qui est appliquée depuis 6 ans maintenant (…) Un trait important du programme est que des fonds spéciaux sont réservés à des projets strictement humanitaires. Ils ne peuvent être utilisés pour autre chose (…) La gestion et la direction de l'ONU est faible à l'heure actuelle. Pour chacune de ses agences, ce programme représente le programme le plus grand dans le monde. L'ONU n'a pas le personnel le plus apte en Irak, la plupart ont des contrats à durée déterminée, qui ne dépassent pas souvent 12 mois. Beaucoup ne sont pas professionnels. Il est probable qu'aucun autre programme onusien n’est meilleur que celui-ci. »

Pour Siyamend Othman, analyste irakien indépendant, « On spécule beaucoup sur les objectifs des Américains, mais il y a peu de discussions sur les aspirations des Irakiens ». Il a conclu en mettant en garde contre la tentation des « divisions ethniques ».

La table-ronde consacrée au rôle de l’Europe et de la France en Irak était évidemment très attendue : Voici des extraits des interventions des personnalités qui s’y sont exprimées :

Bernard Kouchner : « Nous revenons du Kurdistan. Les changements sur place sont exceptionnels… sont prodigieux… dans les deux zones. Félicitons-nous, la pensée y est semblable et félicitons-nous, il y a peu de temps les deux zones s’affrontaient. »

« Au Kurdistan il y a actuellement un esprit d’unité et non d’affrontement. L’exercice de la démocratie quotidienne y est visible. Le Parlement fonctionne. Il s’attache, avec toutes les communautés représentées, à travailler sur une Constitution qu’ils veulent fédérale et même si c’est un peu prématuré. C’est un formidable exemple que ce travail précis, militant et politique. La vie quotidienne y est raisonnablement normale pour un pays, pour une région, non pas un pays assiégé (…) Au Kurdistan, la mortalité infantile a baissé de 88 pour 1000 à 62 pour 1000 depuis 1988, 1994 et 2002. C’est-à-dire que la mise en scène de la mort des enfants à Bagdad est une chose qui vient du gouvernement de Saddam Hussein… Je pourrais vous dire que plus de 20 hôpitaux ont été construits dans cette région du Kurdistan, avec le même argent. Je pourrais vous dire que les hôpitaux fonctionnent malgré les pressions et … à Suleimanieh, l’université qui n’existait pas il y a six ans, a 7500 étudiants [aujourd’hui], plus de la moitié sont des filles et j’en ai vu aucune qui portait le voile… il y a une presse libre et des réunions politiques. »

« Il me semble quant même plus positif, même dans une situation dangereuse, de faire accéder, d’aider à accéder, de constater la maturité d’un peuple qui va vers la démocratie et qui en emprunterait les formes qu’elle soit sous l’influence grâce à l’ONU… ou à l’UE… Dans l’histoire, il sera quant même très spectaculairement injuste que nous ne laissions pas, que nous n’aidions pas, ne facilitions pas ou nous ne rangions pas du côté de la démocratie pour un peuple, le peuple irakien qui voudrait s’y diriger, au nom de la crainte de terrorisme alors que nos amis kurdes qui sont ici en majorité n’ont jamais dans toute leur lutte depuis des siècles accepté le terrorisme comme un instrument politique, qui n’ont jamais posé une bombe chez des innocents, jamais assassiné des innocents… »

Hubert Védrine, l’ancien ministre des affaires étrangères a, pour sa part, déclaré : « Même si le désarmement de l’Irak a effectivement eu lieu, même si tout le monde est convaincu y compris les Américains, si on a affaire au même type de régime qui par hypothèse pourrait ne pas avoir changé… Qu’est ce qu’on fait après ? Je le dis très simplement : ça me paraît impossible de se borner à supprimer les sanctions de surveillance, c’est impossible en réalité. Alors je ne sais pas quel type de vigilance il faut maintenir après, mais si on ne maintient pas une forme de pression, sous une forme ou sous une autre, je ne vois pas comment on pourrait mettre en œuvre le fédéralisme dont vous parliez. Je ne vois pas comment on pourrait préserver pour les Kurdes, tous les acquis, les acquis de la résolution 688, les acquis des années récentes, les acquis de ces réalisations kurdes politiques et économiques… »

« Je crois que sans attendre il faudrait imaginer une conférence internationale sur l’avenir de l’Irak, y compris les Kurdes… l’Irak du Nord, démocratique aujourd’hui. Une conférence internationale qui sera préparée sous l’égide de l’ONU avec toutes les forces politiques irakiennes concernées, y compris bien sûr les Kurdes, mais d’autres forces aussi pour commencer à réfléchir à l’ensemble de ce processus. Il faut ouvrir le processus de préparation de l’avenir. Il faut y associer tous les pays potentiellement concernés, toutes les forces politiques potentiellement concernées et un moment ou un autre ça devrait conduire à une nouvelle résolution du conseil de sécurité qui devrait encadrer le processus dont j’ai parlé… engager les membres permanents, engager les membres non permanents, engager les groupes régionaux, engager les grands pays voisins ; une résolution pour définir pour l’Irak de demain et donc aussi pour les Kurdes dans ce système fédéral auquel nous pensons tous, un régime international de réinsertion contrôlée dans l’environnement régional de l’Irak ».

De son côté, le vice-président socialiste de la commission des affaires étrangères, François Loncle a déclaré qu’il était pour « un groupe à vocation internationale, un groupe d’étude… enfin dans cette Assemblée sur la question kurde, permettant que l’on traite avec toutes les formations politiques réunies à l’Assemblée nationale les questions qui concernent directement le peuple kurde…»

« Songez, mes chers amis, que depuis plusieurs années il n’y a dans notre Assemblée, et je considère cela comme une honte, il n’y a pas de groupe d’étude sur les Kurdes, mais il y a un groupe d’amitié France-Corée du Nord, France-Biélorussie, et un groupe France-Irak, qui n’est pas un groupe d’amitié mais qui est quant même un groupe à vocation internationale. Il est grand temps que nous ayons une attitude éthique toutes formations politiques confondues qui correspondent à l’engagement de certains d’entre nous… l’Irak de demain a besoin des Kurdes qui pourraient être les éléments déterminants d’une construction démocratique et fédérale… L’idée d’Hubert Védrine d’une conférence internationale préparant cet avenir est une idée qui devrait pouvoir faire son chemin »

Le sénateur Montesquiou, UMP, de retour du Kurdistan a, de son côté, indiqué qu’« il y a une grande exemplarité dans ce qui se passe dans cette partie nord de l’Irak. Peshmerga veut dire… l’homme qui va au-devant de la mort, les peshmergas ont choisi aujourd’hui la paix… La paix en un peu plus de 10 ans a créé quelque chose d’extraordinaire… on roule parfois sur des routes à deux voies, j’ai fait des centaines de kilomètres dans cette région et j’ai été vraiment bluffé et dans la liste qu’a fait Bernard Kouchner tout à l’heure il a oublié un point important, 12 000 écoles créées… Et je compte aussi faire venir des amis afghans pour leur dire vous pouvez désespérer devant l’état de votre pays, l’état de ruine de votre pays, venez voir ce que les Kurdes ont réussi à faire dans le nord de l’Irak. »

L’ex-ambassadeur américain en Croatie, Peter Galbraith, a, quant-à-lui, souligné que « dans son cœur, chacun d’entre eux [les Kurdes d’Irak] aspire à un Etat indépendant et il faudrait que les décideurs politiques prennent cela en considération », il a également indiqué qu’ « une quelconque intervention militaire turque dans une future guerre ou l’après-guerre sera un désastre non seulement pour l’Irak mais aussi pour la Turquie »

Les deux dirigeants du Kurdistan irakien Massoud Barzani et Jalal Talabani qui ont été reçus le 26 novembre par Christian Poncelet, le président du Sénat, le 27 novembre par Renaud Muselier, secrétaire d'Etat français aux Affaires étrangères--en l'absence du ministre Dominique de Villepin en déplacement d’urgence en Côte d’Ivoire –et le 28 novembre par le ministre français de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, et le 29 novembre le Haut représentant européen Javier Solana, ont clos la conférence en se prononçant clairement pour un Etat fédéral en Irak.

Longuement ovationnés par la salle, se tenant par la main pour marquer leur réconciliation et leur unité, les deux leaders kurdes ont tenu des propos tout à fait semblables sur l’avenir des Kurdes et celui de l’Irak.

« Notre projet s'inscrit dans le cadre d'un Etat fédéral, pluraliste et doté d'un gouvernement central », a déclaré Jalal Talabani, qui a précisé que les Kurdes irakiens n'ont pas de velléités d'indépendance, dans l'éventualité d'un renversement du régime de Saddam Hussein, et que les dirigeants turcs ne doivent pas s'en inquiéter. « Bien sûr le peuple kurde, comme beaucoup d’autres, a droit à son auto-determination, mais ce droit peut conduire à un Etat indépendant, comme à une confédération ou encore à une fédération. Le peuple kurde n’a pas choisi l’indépendance, mais la fédération dans le cadre des frontières existantes, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, nos voisins ne sont même pas en faveur de l’autonomie kurde ou d’une fédération kurde, alors que dire de l’indépendance du Kurdistan. La communauté internationale n’est pas en faveur de l’indépendance également.… L’opposition irakienne a unanimement accepté une fédération kurde. Mais, le statut fédératif nous donne un autre droit, celui de devenir partenaire du gouvernement central», a affirmé Jalal Talabani qui a ajouté : « Nous avons décidé de céder certains de nos droits en faveur d’un régime irakien fédéral (…) Nous devons être demain partenaire dans l’esquisse de la politique irakienne, dans les affaires étrangères, dans la défense, les affaires générales (…) un vrai partenaire du gouvernement central qui doit être un gouvernement de Kurdes, de Turcomans, d’Arabes chiites et sunnites, ensemble réunis. Ils doivent être sur un pied d’égalité pour gouverner l’Irak (…) Le régime irakien a tout fait contre nous. Nous ne pouvions l’anéantir et il ne pouvait nous réduire au néant. C’est la raison pour laquelle nous sommes obligés de négocier, notamment avec un nouveau régime, avec un régime démocratique en Irak (…) pour obtenir un accord concernant les droits des Kurdes. Mais il nous faut des garanties, pas seulement dans la Constitution mais aussi de façon pratique »

Jalal Talabani a également salué le combat de la diaspora kurde en soulignant : « Nous pensons qu’ils doivent aussi regarder de près nos réalisations et critiquer notre travail à l’intérieur du pays et en mettant parfois la pression sur les leaders kurdes quand ils font des erreurs ; ils doivent nous conduire à une solution ultime pour la cause kurde »

« Nous voulons un Irak démocratique, unifié, et nous voulons voir la fin du nettoyage ethnique contre le peuple kurde », a, de son côté, déclaré Massoud Barzani, dans son intervention de clôture de la conférence avant d’ajouter : « Désormais nous avançons main dans la main et nous espérons que la division ne reviendra plus. Nous ne pouvons nous contenter d'être des spectateurs de l'Histoire, nous devons jouer un rôle déterminant et positif dans l'Irak de demain. Nous souhaitons protéger la paix et la démocratie mais aussi l'équilibre ethnique et religieux. Nous souhaitons lutter contre l'extrémisme. Il est indéniable qu'en tant que peuple nous ayons des droits, mais nous savons tous qu'il y a une grande différence entre ce qu'on a et ce qu'on peut obtenir. C'est pourquoi, sans état d'âme ni précipitation, nous avons élu un Parlement. Nous avons élaboré un projet de fédéralisme car nous pensons qu'il s'agit là de la meilleure formule pour l'Irak. Que ceux qui accusent les Kurdes de séparatisme soient attentifs à la situation irakienne et au fait que le peuple kurde organise l'Irak. »

« Le fédéralisme n'est pas une séparation mais plutôt une organisation de l'unité irakienne. C'est le renforcement de l'unité et de la fraternité des Kurdes, des Arabes et de l'ensemble des ethnies qui vivent en Irak. Nous voulons, en tant que Kurdes, un Irak fédéral, parlementaire, démocratique et pluraliste. Nous ne voulons plus que les Kurdes soient des citoyens de seconde catégorie, nous ne voulons plus d'Irakiens de seconde catégorie. Nous voulons que les citoyens d'Irak aient enfin la chance de clarifier leurs droits et leurs devoirs » a-t-il ajouté.

Il a également souligné : « Nous n'accepterons de menaces de personne et nous ne nous permettrons pas d'en faire usage (…) C'est par la paix, la fraternité et la compréhension mutuelle que nous ferons avancer les choses. C'est pourquoi nous tendons une main amie à nos voisins et nous leur proposons de vivre dans le respect mutuel. Nous n'entendons pas intervenir dans les affaires de nos voisins ni représenter une menace pour eux. Au nom de la liberté et de la dignité de notre peuple, nous n'accepterons aucune pression extérieure dans le règlement de nos affaires intérieures, ni aucune humiliation de qui que ce soit »

Pour conclure, il a précisé sa position sur la ville de Kirkouk en déclarant : « Nous disons que Kirkouk est une ville du Kurdistan, la réalité historique et géographique le prouve. La ville de Kirkouk est située sur le sol kurde mais cela ne signifie pas que cette ville soit réservée aux seuls Kurdes. Kirkouk peut être aux Kurdes, aux Arabes, aux Turkomans, aux Assyriens (…)Mais faire des concessions sur l'identité kurde de la ville de Kirkouk n'est pas possible. »

La conférence, qui a fait salle comble, a également donné la parole aux participants qui ont interpellé les intervenants sur différents points. Une grande partie des interventions de la conférence peuvent déjà être consultées sur le site Internet de l’Institut : www.institutkurde.org

Les actes seront ultérieurement publiés.

ELECTIONS TURQUES : DÉROUTE DES PARTIS DE LA COALITION GOUVERNEMENTALE, VICTOIRE DES DEUX PRINCIPAUX PARTIS DE L’OPPOSION

La coalition qui, depuis 1999, gouvernait la Turquie a été très largement désavouée lors des élections du 4 novembre. Les 3 partis qui la composaient et qui avaient ensemble obtenu 53,2 % des suffrages des électeurs en avril 1999 n’ont, cette fois-ci, réalisé qu’un score total de 14,6 %. La chute la plus vertigineuse a été enregistrée par le Parti de la gauche démocratique (DSP) de Bulent Ecevit qui, en 3 ans est passé de 22,1 % des suffrages à 1,1 %. Le Premier ministre sortant achève ainsi sa longue carrière politique, marquée du sceau d’un nationalisme turc intolérant et d’une hostilité viscérale aux droits du peuple kurde, sur une débâcle humiliante. Son partenaire d’extrême-droite, le Parti de l’action nationaliste, malgré ses surenchères chauvines a, avec 8,3 % des voix, perdu la moitié de son audience et la totalité de ses sièges au Parlement. Le Parti de la mère-patrie (ANAP) de Mesut Yilmaz, malgré ses engagements pro-européens et son ouverture à certaines revendications culturelles kurdes, a été également sanctionné pour sa participation à une gestion gouvernementale qui s’est traduite par l’appauvrissement de la grande majorité de la population et l’enrichissement d’une petite minorité d’affairistes pillant, avec la complicité des gouvernants, les richesses du pays. Avec un score de 5 %, contre 13,2 % en 1999, l’ANAP est aussi éliminé du Parlement.

Le vainqueur incontesté du scrutin du 4 novembre est le Parti de la justice et du développement (AKP) de l’ancien maire d’Istanbul, Recep Tayyip Erdogan, qui obtient 34,3 % des suffrages. Le système électoral turc, conçu pour marginaliser les partis indésirables selon l’armée (kurdes, musulmans, extrême-gauche) et amplifier la représentation des partis nationalistes turcs agréés, se retourne cette fois-ci contre ses auteurs, en permettant à l’AKP, issu de la mouvance islamiste, de disposer d’une large majorité de sièges (363 sur 550) au Parlement. Ce parti, qui se veut conservateur et pro-européen, va donc gouverner le pays. Il aura, entre temps, réussi à marginaliser la formation rivale plus traditionaliste, le Parti du bonheur (SP), fondé par les fidèles de l’ancien Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan, qui obtient tout juste 2,2 % des voix. Au total, les deux partis issus de l’ancien parti Refah, avec un score total de 36,8 %, auront, en 3 ans, presque doublé les voix de la mouvance islamiste. Celle-ci a puisé l’essentiel de ses voix supplémentaires chez les électeurs traditionnels d’ANAP et du Parti de la juste voie (DYP) de Tansu Çiller. Ce dernier parti, bien que dans l’opposition depuis plus de 3 ans n’a pas réussi, avec 9,5 % des suffrages, à franchir la barre des 10 % et restera donc absent du Parlement. Son électorat semble conserver encore un fort mauvais souvenir de la gestion du gouvernement Çiller.

Enfin le Parti de la nouvelle Turquie, créé récemment par l’ex-ministre des Affaires Etrangères, Ismail Cem, avec 1,4 % des voix, semble condamné à disparaître de la scène politique. Le Jeune Parti (GP) animé par le magnat des médias, Cem Uzan, jouant les Berlusconi turcs, offrant à tour de bras des concerts et des banquets gratuits pour séduire l’électorat n’a pu, malgré le soutien massif de ses chaînes de télévision, franchir la barre fatidique des 10 %. Son score de 7,5 % l’autorise cependant à persévérer et à se préparer pour des échéances futures.

Dans le Kurdistan, la compétition électorale a opposé l’AKP au parti pro-kurde DEHAP. Celui-ci est arrivé premier dans les provinces d’Agri, de Bitlis, de Diyarbakir, de Hakkari, de Mardin, de Mus, de Kars, de Siirt, de Dersim, de Van, de Batman, de Sirnak, d’Igdir.

De son côté, l’AKP l’a emporté à Adiyaman, Ardahan, Bingöl, Elazig, Erzincan, Erzurum, Antep, Maras, Kilis, Malatya. Le DEHAP qui a, dans l’ensemble de la Turquie, obtenu 1 953 627 voix, soit 6,2 % des suffrages exprimés, ne franchissant pas la barre des 10 %, n’aura pas de députés, tandis que l’AKP obtient 73 sièges dans les provinces kurdes où le CHP, malgré son faible score, aura 24 élus.

En raison d’un système électoral particulièrement injuste, près de la moitié de l’électorat (45 %) ne sera donc pas représenté dans le Parlement d’Ankara. Un système plus équitable aurait donné la configuration suivante au Parlement (seuil 5 %) : AKP : 266 sièges ; CHP : 117 ; DEHAP : 51 sièges ; DYP : 43 sièges ; MHP : 33 sièges ; GP : 28 sièges; ANAP : 8 sièges ; INDÉPENDANTS : 4 sièges

NEW-YORK : LA RÉSOLUTION 1441 SUR LE DÉSARMEMENT DE L’IRAK, ADOPTÉE À L’UNANIMITÉ À L’ONU

La résolution anglo-américaine sur le désarmement de l'Irak a été adoptée en quelques minutes, le 8 novembre, à l'unanimité, par les 15 membres du Conseil de sécurité de l'Organisation des nations unies (ONU), réunis en session publique. Cette résolution, 1441, durcit le régime d'inspection de l'arsenal irakien tout en offrant une « dernière chance » à Bagdad avant une éventuelle intervention militaire.

Le texte, qui a été négocié, mot à mot, par les 5 membres permanents du Conseil de sécurité, rappelle que l'Irak a été plusieurs fois mis en garde contre les « sérieuses conséquences » auxquelles il s'exposerait s'il continuait à faire obstacle au travail des inspecteurs en désarmement. Ce texte prévoit que la Commission de contrôle de vérification et d'inspection de l'ONU (Cocovinu) et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) commencent leurs inspections d'ici 45 jours, c'est-à-dire d'ici le 23 décembre.

La résolution déplore que « l'Irak n'ait pas fourni d'état définitif, exhaustif et complet, comme il est exigé dans la résolution 687 (1991), de tous les aspects de ses programmes de mise au point d'armes de destruction massive et de missiles balistiques d'une portée supérieure à 150 kilomètres et de tous les stocks d'armes de ce type, des composantes, emplacements et installations de production ainsi que de tout autre programme nucléaire, y compris ceux dont il affirme qu'ils visent des fins non associées à des matériaux pouvant servir à la fabrication d'armes nucléaires ». De même, elle déplore que « le gouvernement irakien ait manqué à ses engagements en vertu de la résolution 687 (1991) pour ce qui est de mettre fin à la répression de sa population civile et d'autoriser l'accès des organisations humanitaires internationales à toutes les personnes ayant besoin d'aide en Irak, en vertu des résolutions 686 (1991), 687 (1991) et 1284 (1999) pour ce qui est du rapatriement et de l'identification des nationaux du Koweït et d'Etats tiers détenus illégalement par l'Irak, ou la restitution de biens koweïtiens saisis illégalement par l'Irak ».

La résolution rappelle que le cessez-le-feu de février 1991 mettant fin à la guerre du Golfe reposait « sur l'acceptation par l'Irak » de la résolution 687 lui demandant d'éliminer ses armes de destruction massive sous l'égide de l'ONU et ainsi « décide que l'Irak est et demeure en violation patente des obligations » qui lui incombent. La résolution souligne que l’Irak devrait permettre aux inspecteurs « d'avoir accès immédiatement, sans entraves, inconditionnellement et sans restriction à la totalité des zones, installations, équipements, relevés et moyens de transport qu'elles souhaitent inspecter, y compris sous terre, et d'avoir accès à tous les fonctionnaires et autres personnes que la Commission ou l'AIEA souhaitent entendre, selon des modalités ou dans des emplacements que choisiront la Commission ou l'AIEA, dans l'exercice de leurs mandats respectifs sous tous leurs aspects, décide, en outre, que la Commission et l'AIEA pourront à leur gré mener des entretiens dans le pays ou à l'extérieur, qu'elles pourront faciliter le voyage à l'étranger des personnes interrogées et des membres de leur famille et que, lorsque la Commission et l'AIEA le jugeront bon, ces entretiens pourront se dérouler sans la présence d'observateurs du gouvernement irakien » et que les inspecteurs « auront le droit d'entrer en Irak et d'en sortir sans restriction, le droit de se déplacer librement, sans restriction (...) et le droit d'inspecter tout site et bâtiment, y compris (...) présidentiel (...) malgré les dispositions de la résolution 1154 » (de 1998 - ndlr: plus favorable à l'Irak pour ces sites).

La résolution précise que « la Commission et l'AIEA auront le droit, afin de bloquer un site à inspecter, de déclarer des zones d'exclusion, zones voisines et couloirs de transit compris, dans lesquels l'Irak interrompra les mouvements terrestres et aériens de façon que rien ne soit changé dans un site inspecté ou enlevé de ce site ».

Par ailleurs, le Conseil de sécurité décide que « la présentation d'informations fausses ou l'existence d'omissions dans les déclarations soumises par l'Irak en application de la présente résolution et le fait de ne pas se conformer à tout moment à la présente résolution et de ne pas coopérer pleinement à son application constitueront une nouvelle violation patente des obligations de l'Irak et seront signalés au Conseil aux fins d'évaluation ».

Bagdad a, par ailleurs, 30 jours pour faire une déclaration complète et exacte de ses programmes de développement d'armements biologiques, chimiques et nucléaires ainsi que de son programme de missiles balistiques. La France et la Russie ont également obtenu des Etats-Unis que la résolution prévoie explicitement, en cas de violation, que le Conseil de sécurité se réunira immédiatement pour discuter de la conduite à tenir.

ANKARA : ABDULLAH GUL NOMMÉ PREMIER MINISTRE

Abdullah Gul, vice-président du Parti de la justice et du développement (AK), a été nommé le 16 novembre Premier ministre à la place du chef de ce parti, Recep Tayyip Erdogan, qui ne pouvait prétendre au poste en raison de son inéligibilité parlementaire. M. Gul, qui a immédiatement promis des réformes pour relancer l'économie et promouvoir les normes démocratiques du pays, a été nommé par le président Ahmet Necdet Sezer, mais choisi par le charismatique Erdogan, qui conserve son poste de dirigeant du parti AK. M. Erdogan a d'ailleurs quasiment volé la vedette à M. Gul, en convoquant une conférence de presse sur les objectifs politiques du parti, une heure avant la nomination de ce dernier, dont l'arrivée à la présidence en a presque été occultée sur les chaînes de télévision. « Nous introduirons des mesures pour combattre la torture, et les droits et libertés de base seront élevés aux normes internationales dans le cadre du processus pour rejoindre l'UE », a notamment affirmé M. Erdogan, qui quittait le pays peu après, pour une courte visite à la communauté chypriote-turque de Chypre du nord. « Tous les obstacles à l'éducation seront levés », a encore affirmé M. Erdogan, évoquant le problème du foulard islamique dont le port est interdit dans les universités et les administrations publiques, en raison de son association avec l'islam politique.

M. Gul, 52 ans, un économiste au langage pro-occidental, a affirmé être prêt à relever les défis auxquels le pays est confronté, et notamment ceux de l'économie, cause première de la défaite de la coalition sortante, dirigée par le Premier ministre, Bulent Ecevit.

Le 58ème gouvernement de la Turquie a été formé le 18 novembre. Avec trois vice-Premier ministres, le gouvernement comprend 24 noms dont une femme. Ainsi, Abdullatif Sener, Mehmet Ali Sahin, Ertugrul Yalçinbayir, sont nommés vice-Premiers ministres, Yasar Yakis, ministre des Affaires Etrangères, de même que Vecdi Gonul, ministre de la Défense, Abdulkadir Aksu, ministre de l’Intérieur, Huseyin Çelik, ministre de la Culture, et Cemil Çiçek, ministre de la Justice. Deux anciens ministres de la précédente législature, Erkan Mumcu, ministre de l’Education Nationale, Murat Basesgioglu, ancien ministre de l’Intérieur, devenu ministre du Travail, siègent également au gouvernement, Güldat Aksit, ministre du Tourisme, est la seule femme.

VALERY GISCARD D’ESTAING DÉCLARE QUE L’ENTRÉE DE LA TURQUIE DANS L’UNION EUROPÉENNE REPRÉSENTERAIT « LA FIN DE L’UE »

Valéry Giscard d'Estaing, président de la Convention européenne chargée de préparer une Constitution pour l'Europe élargie a jeté un gros pavé dans la mare au cours d’un entretien accordé au Monde daté du 8 novembre, au moment où les 105 conventionnels achevaient à Bruxelles une session plénière consacrée notamment à l'Europe sociale. « La Turquie est un pays proche de l'Europe, un pays important, qui a une véritable élite mais ce n'est pas un pays européen », a-t-il déclaré dans un entretien accordé le 7 novembre à 4 journalistes, dont ceux du Monde. « Sa capitale n'est pas en Europe, elle a 95 % de sa population hors d'Europe ». Son adhésion représenterait « la fin de l'Union européenne », puisqu'on ne pourrait plus dire « non » aux nombreux autres pays qui, comme le Maroc, caressent l'idée d'une adhésion.

Les réactions à ces déclarations n'ont pas tardé, même si le sujet n'a pas été évoqué au sein de la Convention. Les représentants du Parlement turc n'ont pas caché leur colère d'être ainsi traités par « leur » président comme des membres de seconde zone qui n'ont pas voix au chapitre. « Il est l'équivalent des intégristes musulmans », a déclaré Ali Tekin, un parlementaire du Parti de la mère patrie (ANAP) qui représentait son pays à la Convention. « C'est un intégriste chrétien. Il pense que l'Union est un club chrétien ». Le vice-président de la Convention, le Belge Jean-Luc Dehaene, a implicitement critiqué cette contribution, dont il se dit certain qu'elle a été « émise à titre personnel », alors qu'à aucun moment Valéry Giscard d'Estaing ne le précise.

Valéry Giscard d'Estaing prend en effet à contre-pied la position officielle de l'UE, qui a déclaré en décembre 1999, au sommet d'Helsinki, que la Turquie « est un pays candidat qui a vocation à rejoindre l'Union européenne sur la base des mêmes critères que ceux qui s'appliquent aux autres candidats ».

L’ETAT D’URGENCE OFFICIELLEMENT LEVÉ DANS LES DEUX DERNIÈRES PROVINCES KURDES DE DIYARBAKIR ET DE SIRNAK

L'état d'urgence imposé depuis 15 ans au Kurdistan de Turquie en proie à la répression des forces armées a pris fin officiellement le 30 novembre, conformément à une décision votée en juin 2002 par le Parlement et saluée en son temps par l'Union européenne. L'Union européenne réclame de profondes réformes politiques et une amélioration de la situation des droits de l'Homme en Turquie, comme préalables à l'ouverture de négociations d'adhésion souhaitées par Ankara. « Une période nouvelle, normale, a commencé pour la région », a déclaré le ministre de l'Intérieur, Abdulkadir Aksu, à Diyarbakir.

Les mouvements de défense des droits de l'Homme critiquaient depuis longtemps cet état d'urgence octroyant de larges pouvoirs en matière d'arrestation et de détention aux forces de sécurité. Il avait été imposé en 1987, 3 ans après le début du lancement par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de la lutte armée, qui a fait plus de 30.000 morts, pour la plupart kurdes, depuis cette date. Les combats se sont fortement atténués depuis la capture, en 1999, du chef du PKK Abdullah Öcalan, qui a ordonné à ses hommes de transposer leur lutte sur le terrain politique et culturel.

Les habitants kurdes de Diyarbakir ont salué cette levée de l'état d'urgence comme une première étape, espérant qu'elle permettra d'apporter la paix et d'améliorer la situation économique. Selon un rapport du Conseil de l'Europe de juillet 2002, la police à Diyarbakir reste largement en retard par rapport au reste du pays en matière de respect des droits de l'Homme. Les détenus sont souvent privés d'avocats et des cas de torture perdurent.

L'état d'urgence donnait des pouvoirs accrus aux autorités civiles et militaires, leur permettant notamment de limiter la liberté de la presse et les droits civils. Les affrontements dans le Kurdistan ont donné lieu à de nombreuses violations des droits de l'Homme à l'encontre des autorités. Pour les milieux d'affaires, la fin de cette situation « anormale » devrait augmenter les investissements dans la région la plus défavorisée du pays, depuis l'ouest industrialisé de la Turquie.

Par ailleurs, la presse kurde rapporte que quelques 400 villageois du district d’Andaç, province de Sirnak, ont, le 6 décembre, quitté leur village pour la frontière kurde d’Irak, après avoir été humiliés et menacés par le commandant de la gendarmerie qui ne semble pas se soucier du retour du régime ordinaire dans la région. Les villageois ont menacé de demander l’asile au Kurdistan d’Irak si les exactions ne cessaient pas.

AINSI QUE...

MASSOUD BARZANI REÇU PAR BASHAR AL-ASSAD À DAMAS


Massoud Barzani, président du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) s’est rendu le 16 novembre à Damas sur invitation du gouvernement syrien. Après des entretiens avec Abdal-Halim Khaddam, vice-président syrien, Abdallah Al-Ahmar, secrétaire adjoint du parti Baas, et des officiels européens et américains à Damas, Massoud Barzani a été, le 20 novembre, reçu par le président syrien Bashar Al-Assad.

Selon le quotidien kurde Brayati daté du 21 novembre, les discussions ont porté sur la situation en Irak et le Kurdistan irakien. Massoud Barzani s’est ensuite envolé pour Paris pour participer à la conférence internationale sur l’avenir des Kurdes en Irak, organisée, le 29 novembre, par l’Institut kurde de Paris.

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME DÉCLARE IRRECEVABLE L’APPEL DE LA TURQUIE CONDAMNÉE DANS L’AFFAIRE DES DÉPUTÉS DU DEP


La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme a, le 6 novembre, déclaré irrecevable l’appel formé par la Turquie contre la décision de la Cour européenne condamnant, le 11 juin 2002, Ankara dans l’affaire des 13 députés kurdes du parti de la Démocratie (DEP). La Cour européenne des droits de l’Homme avait condamné la Turquie pour avoir « violé le droit à des élections législatives libres en prononçant la déchéance de 13 députés kurdes » et avait fixé le montant de la compensation à 50 000 euros pour chaque député. La Turquie devrait également régler 19 500 euros pour lfrais et dépens.

VISITE À WASHINGTON DU CHEF D’ETAT-MAJOR DES ARMÉES TURQUES


Le chef d’état-major turc, Hilmi Ozkok, s’est, le 4 novembre, rendu aux Etats-Unis sur invitation des autorités américaines pour rencontrer le secrétaire d’Etat, Colin Powell, ainsi que Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la Défense, son adjoint, Paul Wolfowitz et Mme Condolezza Rice, conseiller à la Sécurité Nationale du président américain. Le véritable patron de la Turquie, le général Özkök a négocié avec Washington les conditions de la collaboration de la Turquie à une éventuelle intervention militaire américaine contre l’Irak, sans éprouver le besoin d’attendre la formation du nouveau gouvernement issu des urnes afin de tenir éventuellement compte de ses orientations. Les résultats des entretiens du général Ozkok n’ont pas été communiqués.

TROIS NOUVELLES VICTIMES DE LA GRÈVE DE LA FAIM LANCÉE DANS LES PRISONS TURQUES


Deux détenus en grève de la faim sont décédés le 30 novembre et le 1er décembre, portant à 60, au moins, le nombre de prisonniers morts d'inanition depuis le lancement fin 2000 de la campagne de protestation contre une réforme des conditions pénitentiaires. Un autre détenu, Serkan Karabulut, 32 ans, s'était éteint le 8 novembre dans un hôpital d'Ankara après un jeûne de 400 jours, ne consommant que des vitamines et de l'eau sucrée.

La réforme pénitentiaire prévoit le transfert des prisonniers dans des établissements plus modernes dotés de cellules individuelles. Ses adversaires estiment qu'elle exposera les détenus à des brutalités policières. Le gouvernement turc affirme que les nouvelles prisons répondent aux normes européennes et les juge nécessaires pour briser l'emprise des bandes criminelles et des mouvements d'activistes politiques sur les grands quartiers de prison.

Alors que la plupart des grévistes de la faim, qui sont issus de groupes de gauche, ont mis fin à leur mouvement, une vingtaine continuent d'observer des jeûnes, d'après les estimations des mouvements de défense des droits de l'homme. Ils prolongent leur vie de plusieurs centaines de jours en buvant de l'eau salée ou sucrée et en absorbant des vitamines.

AFFRONTEMENTS ENTRE LE PKK ET DES SOLDATS TURCS AU KURDISTAN D’IRAK


3 Turcs ont été tués et 2 autres blessés dans une embuscade tendue fin novembre dans le Kurdistan irakien par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, rebaptisé Kadek), a rapporté le 2 décembre le journal kurde indépendant Jamawar. Selon le journal, publié à Erbil (Kurdistan), les 5 personnes se trouvaient au moment de l'attaque à bord d'un véhicule des services de sécurité turcs près de Sarsang, dans la province kurde de Dohuk, non loin de la frontière avec la Turquie, où sont déployées des unités militaires turques. « Trois occupants de la voiture ont été tués et deux autres grièvement blessés dans l'embuscade tendue fin novembre près de Sarsang par des hommes armés du Kadek », a indiqué le journal. La région de Sarsang est située à plus de 100 km de la frontière irako-turque.

LA PRESSE KURDE DÉNONCE L’INGÉRENCE TURQUE DANS LES AFFAIRES DU KURDISTAN IRAKIEN


Selon le quotidien kurde Hawlati daté du 11 novembre, un officier turc des forces de contrôle de la paix (PMF), déployées dans la région kurde depuis 1997, a été nommé au poste de responsable de la branche de Koy-Sinjaq du Front turcoman d’Irak. « Walid Ali, d’origine turque, doit remplacer Muwaffaq Muhammad, un Turcoman irakien » écrit le journal.

Le PMF a été établi et déployé au Kurdistan irakien en avril 1997 à la suite de l’accord d’Ankara, soutenus par les Etats-Unis entre le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), pour contrôler le cessez-le-feu décrété entre les deux formations. Cette force, fondée par l’administration Clinton, est essentiellement composée de Turcomans irakiens, mais commandée par les officiers d’Etat turc. Les membres turcomans du PMF appartiennent au Front turcoman irakien, une organisation de coalition directement soutenue aussi bien politiquement que financièrement par la Turquie.

Selon Hawlati, cette nomination constitue « une ingérence directe dans les affaires du Kurdistan [irakien] et démontre sans ambages le soutien de la Turquie au Front turcoman ».

Par ailleurs, 5 partis politiques turcomans ont, au cours d’une conférence de presse à Erbil, le 5 novembre, annoncé l’établissement d’une Association nationale turcomane, une nouvelle formation de coalition turcomane. Ces 5 partis ne partagent pas la ligne politique du Front turcoman irakien, fondé en 1994, qui ne reconnaît pas l’administration régionale du Kurdistan irakien.

La nouvelle organisation turcomane, regroupe l’association culturelle turcomane, le Parti de la fraternité turcomane d’Irak, le Parti de la libération nationale turcomane, le Parti de l’union turcomane irakienne et le Parti démocratique turcoman du Kurdistan. La nouvelle coalition se donne comme objectif de promouvoir les droits culturels, politiques et à l’éducation de la minorité turcomane du Kurdistan irakien.

Les Turcomans se sont progressivement établis au nord de l’Irak au 16ème siècle, le long des routes militaires et commerciales reliant Constantinople à Bagdad. Faute de statistiques fiables, le nombre de Turcomans en Irak est estimé entre 300 000 et 350 000 personnes. Aujourd’hui, la grande majorité d’entre eux vivent dans la région sous contrôle irakien, où, comme les Kurdes, ils font objet de déplacements par les autorités irakiennes.

DÉFECTIONS ET MISÈRE DANS L’ARMÉE IRAKIENNE


Selon le numéro de novembre de Tariq Al-Sha’b (La voie du peuple), publication du Parti communiste irakien, les unités militaires du 5ème corps d’armée irakienne, déployé le long de la frontière délimitant la région sous administration kurde et le reste de l’Irak, souffrent de plus en plus de l’affaiblissement de leur moral et vivent dans une situation misérable, alors que la corruption est largement répandue parmi les officiers.

« Une bonne partie des soldats se rassemble à Mossoul devant l’entrée des mosquées et des commerces chaque vendredi, mendiant de l’argent pour pouvoir manger correctement ou payer le voyage à destination de leurs gouvernorats, particulièrement depuis que la majorité des soldats sont originaires des gouvernorats du sud » souligne le journal.

Il précise que la situation concerne particulièrement le 1er régiment de la brigade 606, bataillon 16, déployé dans le secteur de Shekhan. « Actuellement la présence réelle des quatre compagnies de ce régiment n’excède pas 150 soldats, alors qu’ils devraient être entre 400 et 500… »

Le journal souligne que l’officier de sécurité interdit aux soldats d’écouter la radio. « Ceux qui possèdent une radio risquent d’être emprisonnés pour un mois et voient leur radio confisquée » ajoute-il.

La corruption et la misère sévissent largement dans l’armée régulière irakienne, alors que les forces paramilitaires irakiennes ,telles que les Fedayis de Saddam et autres forces militaires comme les gardes républicaines et les gardes républicaines spéciales, reçoivent un traitement tout autre.