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Bulletin N° 207 | Juin 2002

 

STRASBOURG : LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE LA TURQUIE POUR AVOIR « VIOLÉ LE DROIT À DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES LIBRES EN PRONONÇANT LA DÉCHÉANCE DE 13 DÉPUTÉS KURDES »

Dans l’affaire des 13 députés kurdes du parti de la démocratie (DEP) dont Leyla Zana, la Cour européenne des Droits de l’Homme a, le 12 juin, condamné à l’unanimité la Turquie pour la violation de l’article 3 du Protocole n° 1 (droit à des élections libres). En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour a alloué à chacun des requérants 50 000 euros toutes causes de préjudice confondues, ainsi que 10 500 EUR globalement à sept d’entre eux, et 9 000 EUR globalement aux six autres requérants, pour frais et dépens.

Les 13 députés kurdes du parti de la démocratie (DEP) se plaignaient d’avoir été déchus de leur mandat parlementaire à la suite de la dissolution du DEP et alléguaient la violation des articles 7 (pas de peine sans loi), 9 (liberté de pensée), 10 (liberté d’expression) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Ils dénonçaient également une atteinte à leur droit à la liberté d’association garantie par l’article 11, et soutenaient que la privation de leurs émoluments parlementaires a porté atteinte à leur droit de propriété en violation de l’article 1 du Protocole n° 1. Enfin, invoquant l’article 6§ 1, ils se plaignaient de n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable.

Les requêtes ont été introduites devant la Commission européenne des Droits de l’Homme les 23 août et 16 décembre 1994. Elles ont été jointes le 22 mai 1995 et transmises à la Cour le 1er novembre 1998. Par une décision du 30 mai 2000, la Cour a déclaré les requêtes recevables, à l’exception de la requête n°25144/94 qu’elle a déclaré partiellement irrecevable pour autant qu’elle concerne l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention. Par une décision du 6 janvier 2000, la Cour a décidé que les requêtes devaient aussi être examinées au regard de l’article 3 du Protocole n° 1 à la Convention. L’arrêt a été rendu par une chambre composée de sept juges dont un juge turc.

Ainsi, la Cour rappelle que “ l’article 3 du Protocole n° 1 consacre un principe caractéristique d’un régime politique véritablement démocratique, et qu’il revêt dans le système de la Convention une importance capitale ”. Elle relève qu’en l’espèce, les requérants furent déchus automatiquement de leur mandat parlementaire à la suite de la dissolution du DEP, et que cette dissolution fut prononcée par la Cour constitutionnelle en raison de discours tenus à l’étranger par l’ancien président du parti, et d’une déclaration écrite émanant de son comité central. “ Cette déchéance est indépendante des activités politiques individuelles des requérants et n’est que la conséquence de la dissolution du parti dont les requérants étaient membres ”. La Cour note également que depuis un amendement constitutionnel de 1995, seul le mandat du député dont les propos ou actes ont entraîné la dissolution du parti prend fin. “ Elle estime que la mesure prise en l’espèce, à savoir la dissolution immédiate et définitive du DEP ainsi que l’interdiction faite aux membres du parti d’exercer leur mandat et activités politiques revêt un caractère d’une extrême sévérité ”.

La Cour considère que “ la sanction infligée aux requérants ne saurait passer pour proportionnée à tout but légitime invoqué par la Turquie ”, que cette mesure est “ incompatible avec la substance même du droit d’être élu et d’exercer un mandat, et qu’elle a porté atteinte au pouvoir souverain de l’électorat qui a élu les requérants ”. Elle conclut par conséquent à la violation de l’article 3 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit “ la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ”.

En revanche, la cour, estimant suffisant de reconnaître la violation “ d'un principe caractéristique d'un régime politique véritablement démocratique ”, a refusé “ d'examiner séparément ” les accusations de violations de sept autres articles (7, 9, 10, 11 et 14 et 6§1) de la Convention européenne et de son Protocole numéro 1.

Par ailleurs, le 18 juin, cette même cour a condamné la Turquie pour la destruction d'un village kurde par des soldats et pour la disparition de trois villageois.

Le 6 mai 1994, des soldats avaient rassemblé les habitants de Debovoyu en leur donnant une heure pour évacuer leurs maisons. Ils mirent ensuite le feu aux habitations. Le lendemain, les villageois se rendirent dans la ville kurde de Kulp pour se plaindre auprès du commandant de la gendarmerie du district. Ils reçurent l'autorisation de revenir au village pour faire les récoltes. Le 24 mai, les soldats revinrent au village et emmenèrent trois hommes de la famille Orhan pour leur servir de guides. Ils ont été revus un peu plus tard dans un village voisin, puis ont disparu à jamais.

La Cour européenne a estimé que l'Etat turc avait violé le droit à la vie de la famille Orhan ainsi que l'interdiction de la torture et les droits à la liberté, au respect de la vie privée et familiale, à la propriété, au recours effectif et au recours individuel des requérants. La Turquie n'a mené que des enquêtes superficielles et tardives sur la disparition des trois hommes, selon les juges. En outre, la destruction délibérée des biens de cette famille constitue des faits “ particulièrement graves et injustifiés ” pour les requérants, ont-ils dit.

Ankara devra verser plus de 150.000 euros de dédommagement matériel et moral à une famille kurde qui a perdu trois de ses membres et dont les maisons et certains biens ont été délibérément incendiés et détruits.

DIYARBAKIR : 25 ENFANTS POURSUIVIS POUR AVOIR DEMANDÉ L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE KURDE ET DES PARENTS POUR DES PRÉNOMS KURDES DE LEURS ENFANTS

Vingt-cinq enfants et adolescents, âgés de 11 à 17 ans, ont comparu le 11 juin devant la cour de sûreté de Diyarbakir (DEP) qui les accuse d'avoir “ soutenu le séparatisme en reprenant des slogans en faveur de l'enseignement en langue kurde ”. L'accusation souligne que “ les enfants et les adolescents avaient scandé des slogans réclamant l'instruction en kurde lors d'un rassemblement en décembre dernier ” alors qu'il est interdit d'enseigner ou de diffuser des programmes dans cette langue. Les autorités turques affirment que “ le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) se cache derrière cette campagne appelant à un enseignement en langue kurde dans les écoles et les universités ”.

Lors de l'audition, les mineurs, qui encourent une peine de trois ans de prison, ont nié avoir scandé de tels slogans lors du rassemblement. La cour a prévu de nouvelles auditions en septembre.

Depuis plusieurs mois, les autorités turques sont extrêmement nerveuses. Elles essayent d’étouffer par la répression toute forme de revendication de droits culturels des Kurdes, en n’hésitant pas à poursuivre des familles ayant donné des prénoms kurdes à leurs enfants. Ainsi, En donnant à son bébé le prénom de Berivan (trayeuse), sa chanteuse préférée, Tufan Akcan, père de famille turc d'Ardahan (nord-est) originaire de la Géorgie voisine, ne se doutait pas qu'il allait se retrouver poursuivi par la justice pour “ tentative de sabotage de l'Etat ”. C'est pourtant le titre d'une série télévisée très populaire où l'une des grandes stars de la chanson turque, Sibel Can, incarne une jeune Kurde prénommée Berivan. Mais un procureur a décelé dans ce nom kurde “ un symbole anti-turc ” et Akcan a soudain été soupçonné de “ terrorisme et soutien aux séparatistes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ”. Le procureur s'est appuyé dans la procédure engagée contre Akcan sur les lois anti-terroristes draconiennes adoptées pour lutter contre le PKK. Également sur la sellette : les employés de la municipalité qui avaient accepté le “ sulfureux prénom ”.

Tufan Akcan n'est cependant pas le seul à avoir eu ce genre de problèmes récemment. À Ardahan, un autre père a été convoqué par le procureur pour avoir prénommé ses enfants Rojin (ensoleillé) et Rohjan (coucher de soleil). À Izmir (ouest), la police a fait irruption en pleine nuit chez 11 familles qui avaient donné des prénoms kurdes à leurs enfants. Une procédure a été ouverte contre 9 parents soupçonnés de “ propagande pour une organisation terroriste ”. Mais les tribunaux turcs ne suivent pas systématiquement les procureurs. Le parquet de la Cour de sûreté de l'Etat (DGM) d'Erzurum a refusé de donner suite à la procédure contre Akcan et l'autre père de famille d'Ardahan. Un tribunal de Dicle a lui aussi refusé les procédures ouvertes contre 7 familles ayant en tout 23 enfants aux prénoms kurdes. Une affaire qui a d'autant plus attiré l'attention que la juge elle-même se prénommait Sirvan, un prénom kurde qui veut dire “ laitière ”.

TENTATIVE DE DÉSTABILISATION AU KURDISTAN IRAKIEN : ATTENTATS À LA BOMBE DANS PLUSIEURS VILLES KURDES

Alors que pour la première fois depuis des années les principaux mouvements kurdes sont en paix et que le Kurdistan irakien connaît une période de liberté et de relative prospérité des groupes liés à des services spéciaux irakiens ou iraniens tentent de déstabiliser la région par des attentats terroristes. Ainsi, selon le quotidien kurde Kurdistani Nuwe du 29 juin, les forces de sécurité kurdes ont procédé la veille à l’arrestation d’un homme en train d’installer un dispositif explosif dans un marché très fréquenté de la ville de Halabja. Le département de sécurité de Halabja a déclaré qu’“ en une semaine, c’est la troisième tentative de ce genre dans ce marché ”.

Par ailleurs, le quotidien kurde Brayati (Fraternité) rapporte dans son édition du 27 juin que vingt personnes, principalement des femmes et des enfants, ont été blessées après un attentat à la bombe perpétré dans un restaurant à Erbil. De plus, deux villégiatures, Gali Ali Beg et Shaqlawa, ont également été le théâtre d’attentats à l’explosif début juin. Le quotidien kurde Kurdistan Newsline daté du 17 juin, rapporte pour sa part que les forces de l’ordre de L’Union patriotique du Kurdistan (UPK) avaient procédé à l’arrestation d’un membre d’un groupe armé islamique kurde, soupçonné de préparer un attentat suicide contre le centre de commandement militaire de l’UPK. La police suspecte des membres du groupe armé islamique kurde, Ansar al-Islam ou Supporters d’Islam, AIK, pour ces récentes attaques. Le parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) ont vivement condamné les attaques et les deux principaux partis ont conjointement fondé “ un centre de commandement d’opération anti-terreur ” pour combattre les attentats terroristes dans la région du Kurdistan.

BRUXELLES : L’UNION EUROPÉENNE REFUSE DE FIXER UN CALENDRIER À LA TURQUIE

Alors que le Danemark prend le 1er juillet le relais de la présidence semestrielle de l'Union européenne qui doit conclure impérativement un accord sur les conditions d'élargissement de l'UE au sommet de Copenhague, en décembre 2002, le commissaire européen chargé de l’élargissement, Gunter Verheugen, a déclaré au quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, qu’aucun calendrier ne pourrait être fixé à la Turquie pour son adhésion à l’UE.

En recevant à Copenhague le président de la Commission européenne, Romano Prodi, et tous les commissaires, M. Rasmussen a “ émis l'espoir que tous les dix pays candidats seront prêts pour entrer dans l'UE ”. [ndlr : la Turquie est onzième candidat à l’UE] M. Rasmussen a mis une nouvelle fois en garde “ contre tout petit retard dans les négociations d'adhésion qui résulterait en un report de plusieurs années de cet élargissement ”, faisant référence à l'agenda très chargé de l'UE dans les années à venir. Il a indiqué que “ l'Union européenne présentera au tout début novembre sa position commune aux pays candidats, et qu'il restera à mener des négociations intenses avec ces pays jusqu'au sommet de Copenhague ” des 12 et 13 décembre. Ce sommet pourrait même être prolongé d'un ou deux jours, au besoin, a-t-il ajouté. Malgré des promesses réitérées de réformes, le régime turc n’a encore fait aucun pas sérieux dans la direction de satisfaction des critères de Copenhague.

LA VISITE DU PRÉSIDENT TURC EN IRAN

Le président turc Ahmet Necdet Sezer a commencé, le 17 juin, une difficile visite officielle de deux jours en Iran, accompagné d'une délégation forte de 120 hommes d'affaires et de 20 journalistes. Il a été reçu par son homologue iranien Mohammad Khatami au cours d'une cérémonie haute en couleurs au palais de Saadabad, dans le nord de la capitale, suivie de deux heures d'entretiens privés, sur lesquels aucun détail n'a filtré.

La Turquie est politiquement opposée à l'Iran sur nombre de questions régionales. De ce fait, les rencontres sont difficiles alors que les relations économiques s'améliorent. Ankara s'est inquiété de l'essai iranien d'un missile balistique capable d'atteindre la Turquie. Téhéran de son côté proteste contre l'étroite relation militaire et sécuritaire de la Turquie avec Israël, son ennemi juré. La Turquie laïque et l'Iran islamique s'accusent fréquemment de tous les maux, Ankara reprochant à Téhéran de soutenir le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), et l'Iran à la Turquie d'héberger l'opposition iranienne des Moudjahidine du peuple. L'alliance turco-israélienne est “ l'un des principaux obstacles ” aux relations bilatérales, soulignait le quotidien modéré en anglais "Iran News" le 17 juin.

Malgré ces querelles politiques, les relations commerciales ont progressé, s'élevant à 1,4 milliards de dollars l'année dernière. Et, surtout, en janvier 2002, l'Iran a commencé à exporter du gaz naturel vers la Turquie via un gazoduc de plus de 2.500 km de long, dans le cadre d'un accord s'élevant à 30 milliards de dollars.

ANKARA : BULENT ECEVIT, MALADE, AFFRONTE UNE VASTE OPPOSITION OFFENSIVE QUI DEMANDE SA DÉMISSION

Le Premier ministre turc Bulent Ecevit, a semé la plus grande confusion le 27 juin en admettant pour la première fois la probabilité d'élections législatives anticipées avant de revenir peu après sur ses propos en affirmant avoir été “ mal compris ”. “ Je crois avoir été mal compris. Il est hors de question d'organiser des élections anticipées avant 2004, j'y suis catégoriquement opposé ”, a-t-il déclaré à la presse devant son domicile où il est en repos médical assisté. “ Quand j'ai évoqué des élections, c'étaient les prochaines, en 2004 ”, a-t-il dit.

Un peu plus d'une heure auparavant, M. Ecevit avait pourtant indiqué devant le groupe parlementaire de son parti de la Gauche démocratique (DSP), première réunion politique à laquelle il participait depuis près de deux mois, que des “ élections se profilent à l'horizon ”, tout en s'affirmant opposé à une telle éventualité. Il avait même demandé aux 128 députés de sa formation de se rendre dans leurs circonscriptions respectives afin de préparer le terrain à un scrutin.

Pourtant M. Ecevit avait accru les doutes sur sa capacité à gouverner en renonçant, le 7 juin, pour raisons de santé à participer à une réunion cruciale sur les réformes à entreprendre afin d'intégrer la Turquie à l'Union européenne (UE). Ce sommet convoqué par le président Ahmet Necdet Sezer pour tenter de dynamiser le processus de réformes pour intégrer l'UE avait réuni les dirigeants des 5 partis politiques représentés au Parlement, dont les trois au gouvernement et les deux partis islamistes. Le chef du parti d'opposition de la Juste Voie (DYP) Tansu Ciller a annulé sa participation au sommet en déclarant : “ Il y a un vide de gouvernement. Si le Premier ministre n'est pas là, cela veut dire qu'il n'y a pas de gouvernement. S'il n'y a pas de solution au problème du gouvernement, la solution à d'autres problèmes ne peut être trouvée ”.

Le sommet avait également mis en outre au jour les profondes divergences des trois partenaires gouvernementaux concernant les réformes --l'abolition complète de la peine de mort, et une télévision ainsi qu'un enseignement en kurde-- auxquelles s'opposent les ultranationalistes du MHP de M. Devlet Bahceli. Ce dernier a même menacé à l'issue du sommet de démissionner si ses partenaires s'appuyaient “ trop fréquemment ” au Parlement sur l'opposition pour faire passer ces réformes, notamment l'octroi de droits culturels aux Kurdes.

M. Ecevit dirige depuis 1999 une coalition tripartite, mais sa mauvaise santé et les divisions de son gouvernement sur les réformes à mener font planer une lourde incertitude sur la vie politique du pays, avec des répercussions sur son économie en crise. Ses propos ont ainsi provoqué une onde de choc sur les marchés financiers volatils, la livre turque (TL) perdant du terrain contre le dollar (1,64 million de TL), avant de se redresser pour revenir à son niveau de la veille (1,60 million TL). La Bourse d'Istanbul, qui était tombée la veille à son niveau le plus bas de l'année, chutant de 5,1 % à la clôture, s'est toutefois reprise le 27 juin, en hausse de 4,4 %, à 9.009 points, un phénomène lié, selon les analystes, à la reprise —même très partielle— des activités politiques de M. Ecevit ce jour.

AINSI QUE...

BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME AU KURDISTAN DE TURQUIE POUR LES MOIS D’AVRIL ET DE MAI


La section de Diyarbekir de l’Association turque des droits de l’homme (IHD) a rendu public le 11 juin le bilan des violations des droits de l’homme dans la région kurde pour les mois d’avril et de mai 2002. Voici de larges extraits de ce bilan :

- Nombre de meurtres non élucidés ou d’exécutions extrajudiciaires : 5 morts et 1 blessé en avril et 5 morts en mai.
- Nombre de personnes torturées ou ayant subi des sévices : 16 en avril et 25 en mai
- Nombre de personnes placées en garde-à-vue : 224 en avril et 352 en mai
- Nombre d’arrestations : 66 en avril et 72 en mai
- Nombre de publications interdites dans la région sous état d’urgence (OHAL) : 29 en avril et 29 en mai
- Nombre d’associations interdites : 1 en avril


ITALIE : QUATRE KURDES JETÉS À L’EAU PAR DES PASSEURS SANS SCRUPULES

Quatre immigrés kurdes, âgés approximativement de 25 et 40 ans, ont trouvé la mort et deux autres ont été blessés après que des passeurs eurent contraint une quarantaine de clandestins kurdes à se jeter à l'eau à proximité de la côte italienne, dans la région des Pouilles (sud de l'Italie), a annoncé la police italienne le 8 juin.

Selon la reconstitution effectuée par les policiers et les carabiniers, plusieurs clandestins se sont rebellés lorsqu'on leur a ordonné de quitter le navire à l'aube et deux d'entre eux ont été blessés à coups de couteau. Les immigrés kurdes ont alors obtempéré aux injonctions des passeurs et ont plongé. D'après les premiers éléments de l'enquête, trois de ces hommes se sont noyés. Les passeurs, deux Albanais, ont réussi à s'enfuir et les forces de l'ordre, qui ont retrouvé 39 immigrés clandestins, ont transféré ces derniers dans un centre d'accueil dans la région de Lecce.

Les Etats-Unis avaient récemment mis en garde la Turquie contre des mesures de rétorsions économiques qui pourraient être prises contre elle si elle ne luttait pas sérieusement contre le trafic d’êtres humains sur son sol. C’est une nouvelle fois l’armée turque qui a réagi par la voie du général Aytac Yalman, commandant de la gendarmerie, qui a déclaré le 12 juin que “pour la question de l’immigration, on est injuste avec la Turquie qui héberge un million de clandestins” et que “l’année dernière 92 000 clandestins ont été arrêtés” dans le pays.

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE À NOUVEAU LA TURQUIE POUR VIOLATION DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

La Turquie a été condamnée le 4 juin par la Cour européenne des droits de l'Homme pour “violation de la liberté d'expression” d'un ressortissant turc accusé par les autorités turques d’avoir prononcé un discours favorable au parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Esber Yagmurdereli, avocat de formation, écrivain et docteur en philosophie, avait été condamné à la prison à perpétuité en 1985 pour “tentative de renversement de l'ordre constitutionnel”. Remis en liberté conditionnelle en 1991, il avait été à nouveau condamné pour “propagande séparatiste” après avoir prononcé un discours dans lequel il utilisait le terme de “Kurdistan” et parlait de “la lutte pour la démocratie et la liberté” du PKK. Il était finalement élargi en janvier 2001. La Cour européenne a estimé que “les propos du requérant avaient la forme d'un discours politique et que survenant lors d'un débat public portant sur une nouvelle loi relative au terrorisme, ils revêtaient le caractère d'une question d'intérêt général”. Les juges, considérant que ces propos n'étaient pas une “incitation à attiser la haine et la violence entre citoyens”, ont rejeté l'argument de la Turquie qui mettait en avant la nécessité de protéger la sécurité nationale et l'intégrité territoriale.

La Turquie a ainsi été condamnée pour violation de l'article 10 (liberté d'expression). Elle a également été condamnée pour violation de l'article 6-1 (droit à un procès équitable) car un juge militaire siégeait dans la cour de sûreté de l'Etat qui avait condamné le requérant.

UNE MAISON DE PRODUCTION DE MUSIQUE INTERDITE POUR PROPAGANDE KURDE

Le ministère turc de la culture a, le 5 juin, décidé d’interdire Kalan Muzik, une maison de production réputée pour, entre autres, avoir produit la cassette de poèmes du Premier ministre Bulent Ecevit. Le ministère reproche à Kalan Muzik d’avoir produit en 1993 un album dont une des chansons, vieilles de 82 ans, contient le mot Kurdistan. En Turquie, il appartient au ministère de la culture de contrôler tout album en langue kurde, laz ou arménienne, exception faite de ce qui est fait en anglais, allemand, français ou encore en toutes autres langues d’Afrique. Leur traduction en turc devrait être envoyée au ministère de la culture… Ne sachant pas le kurde c’est le groupe produit qui s’est chargé de la traduction. “Je n’ai pas fait attention” déclare Hasan Saltik, au quotidien Hurriyet le 6 juin qui sous le titre de “fermeture de la maison de production d’Ecevit pour propagande kurde” publie une photo de B. Ecevit accompagné de Hasan Saltik, copyright Husamettin Ozkan [ndlr : ministre d’Etat bras droit de Bulent Ecevit]. “Quand nous arriverons au pouvoir tous ces interdits vont cesser” avait pourtant promis H. Ozkan à l’époque du cliché au producteur qui est qualifié d’ “archéologue de la musique” par la presse turque.

FESTIVAL CULTUREL DE DIYARBAKIR : ARRESTATION D’UN GROUPE DE CHANTEUSES ACCUSÉES D’AVOIR CHANTÉ EN KURDE ET DE PORTER DES COSTUMES KURDES

Le festival culturel de Diyarbakir organisé du 25 mai au 2 juin par la municipalité kurde s’est clos dans le tourment avec l’intervention musclée de la police turque et l’arrestation de Koma Asmin, un groupe amateur de 11 jeunes filles du centre culturel de Mésopotamie d’Istanbul, dont le seul crime fut de chanter en kurde une chanson très populaire du folklore kurde.

La cour de sûreté de l'état de Diyarbakir (DGM) qui a remis le 3 juin en liberté provisoire les membres du groupe, reproche à Koma Asmin d’avoir chanté en kurde mais également de provoquer les autorités en s’habillant avec des costumes traditionnels kurdes. De son côté, Feridun Çelik, maire de Diyarbakir, devait déposer une plainte contre le Directeur de la Sûreté.

L’ÉCRIVAIN TURC FIKRET BASKAYA LIBÉRÉ

L'écrivain, universitaire et journaliste turc de gauche, Fikret Baskaya, a été libéré de prison le 27 juin après avoir purgé une peine d'un an pour un article sur le problème kurde. M. Baskaya, 62 ans, a été accueilli par des défenseurs des droits de l'Homme à la sortie de sa prison de Kalecik, près d'Ankara.

M. Baskaya, un universitaire spécialiste de l'économie, qui a purgé dans le passé vingt mois de prison entre 1993 à 1995 pour sa défense des droits des Kurdes, avait été condamné à 16 mois de prison pour “propagande séparatiste” par une Cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul pour un article publié en 1999 dans le journal Ozgur Bakis qui a cessé de paraître depuis.

UN ÉCONOMISTE TURC POURSUIVI POUR AVOIR APPELÉ “MONSIEUR” ABDULLAH OCALAN

Un économiste turc réputé risque un procès pour avoir appelé Abdullah Ocalan, “Monsieur Ocalan”, au cours d'un colloque à Istanbul le 8 juin. Un procureur a ouvert une enquête le 10 juin contre Atilla Yesilada, commentateur à la télévision et éditorialiste de la presse écrite, qui a fait scandale en appelant à plusieurs reprises Abdullah Ocalan “Monsieur Ocalan”, utilisant le terme “sayin” qui comporte une nuance de respect et d'estime.

Le ministre du Commerce extérieur Tunca Toskay, du parti ultranationaliste MHP, a claqué la porte de la conférence pour protester. “ Nous ne resterons pas à une réunion où un individu qui a le sang de 30.000 personnes sur les mains est appelé "Monsieur" ”, a-t-il déclaré.

Dans une lettre envoyée par e-mail aux organisateurs de la conférence, M. Yesilada s'est défendu en affirmant : “Je n'ai jamais eu le moindre respect pour le PKK et le lâche qui le dirige (...) J'ai toujours défendu la juste lutte de la Turquie contre le PKK. Mais je suis un défenseur des droits de l'homme jusqu'au bout”.

LE CONSEIL NATIONAL DE SÉCURITÉ DONNE SON FEU VERT POUR CERTAINES RÉFORMES : VERS LA LEVÉE DU RÉGIME D’EXCEPTION DANS DEUX PROVINCES KURDES

Le Conseil national de sécurité turc (MGK) a décidé 30 mai de recommander au parlement de mettre fin à partir du 30 juillet à l'état d'urgence en vigueur depuis 14 ans dans deux provinces kurdes, celles de Hakkari et de Tunceli (Dersim). Servant de chambre d’enregistrement des décisions prises par le MGK, le Parlement turc a ensuite adopté le 19 juin la levée de l'état d'urgence.

Le MGK, organe dominé par l'armée et qui réunit chaque mois les plus hauts responsables civils et militaires pour tracer les grandes lignes de conduite du pays, a décidé en outre de recommander la prolongation à partir du 30 juillet “pour la dernière fois” pour quatre mois de l'état d'urgence dans les deux autres provinces où cette pratique reste en vigueur, celles de Sirnak et Diyarbakir, souligne un communiqué publié à l'issue de la réunion de mai.

La levée de l'état d'urgence dans les provinces kurdes fait partie des mesures politiques réclamées à “moyen terme” à la Turquie par l'Union européenne (UE) pour ouvrir des négociations d'adhésion. Le gouvernement turc s'était engagé à le lever, mais sans donner de date, dans son “programme national”, vaste catalogue de mesures devant mettre la Turquie en conformité avec les normes européennes en matière de politique et d'économie, adopté en 2001.

La réunion du MGK, à laquelle le Premier ministre Bulent Ecevit- qui vient de fêter ses 77 ans et actuellement en convalescence - n'assistait pas, a par ailleurs demandé l'accélération des réformes pour l'ouverture des négociations d'adhésion à l'UE. Le MGK a aussi appelé les Quinze à fixer avant la fin de l'année une date pour ces négociations, réclamée avec insistance par Ankara.

Le gouvernement tripartite de M. Ecevit est divisé sur ces réformes, dont l'abolition complète de la peine capitale la création d'une chaîne de télévision ainsi qu'un système d’éducation en kurde. Son partenaire ultra nationaliste, le MHP de Devlet Bahceli, les freinant ouvertement

La Commission européenne a salué le 31 mai les recommandations avancées par le MGK. Un porte-parole à Bruxelles s'est également félicité qu’un organe dominé par l'armée, ait recommandé la suppression de la peine de mort, ainsi que “l'éducation et la diffusion de programmes audiovisuels en langues autres que le turc”. “Ce sont là des signaux positifs qui vont dans la bonne direction”, a souligné le porte-parole. “Nous encourageons maintenant la Turquie à traduire ces recommandations en actes concrets le plus vite possible, au bénéfice de tous les citoyens turcs”, a poursuivi le porte-parole. “Une mise en œuvre concrète, a-t-il averti, est d'autant plus urgente et importante qu'elle déterminera la teneur et la tonalité du rapport régulier” que la Commission européenne publiera en octobre sur les treize pays candidats à l'Union. Le porte-parole a enfin invité Ankara à poursuivre ses réformes de façon à pouvoir répondre à “tous les critères politiques” d'adhésion à l'Union européenne (UE). “Des progrès sont encore à effectuer dans les domaines du droit d'expression, de celui d'association et du droit à la liberté de la presse”, a-t-il conclu.