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Bulletin N° 206 | Mars 2002

 

LE PARLEMENT EUROPÉEN « SOUTIENT L’EXPÉRIENCE DÉMOCRATIQUE D’ADMINISTRATION KURDE »

Le Parlement européen a, le 16 mai, adopté avec 354 voix pour, 29 contre et 31 abstentions, une résolution « sur la situation en Irak onze ans après la guerre du Golfe (2000/2329 (INI)) » au cours de la réunion de son Assemblée plénière à Strasbourg. La résolution est fondée sur un rapport présenté par la Baronesse Emma Nicholson du groupe européen, libéral, démocratique et réformiste et soutenu par le parti socialiste européen, les Verts/ALE et le parti populaire européen (PPE).

Le Parlement européen prend en considération « que le gouvernement irakien a continué, au cours des onze dernières années, à accentuer un régime de terreur qui atteint tous les niveaux de la société, et à commettre des violations graves et massives des droits de l'homme, y compris la persécution active des populations kurde, turkmène et assyrienne dans le Nord du pays et des chiites dans le Sud, notamment les habitants des marécages de basse Mésopotamie… ».

Il rappelle « qu'à la suite de la politique d'arabisation et de nettoyage ethnique dans les régions (kurdes) de Kirkouk, Sinjar, Mandali, Jalawla et Mossoul, sous contrôle du régime irakien, plus de 800 000 personnes déplacées d'ascendance kurde, turkmène ou assyro-chaldéenne se retrouvent actuellement dans les trois provinces (kurdes) du Nord Kurdistan ».

Le Parlement européen « demande instamment au Conseil et aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les dirigeants du régime irakien responsables de graves violations du droit international en matière humanitaire sur le territoire de l'Irak ou au-dehors comparaissent devant un Tribunal international ad hoc sur l'Irak ».

La résolution « prend acte, à cet égard, des améliorations déjà réalisées dans les trois gouvernorats (kurdes) du Nord de l'Irak concernant le développement de la société civile, ce qui met en évidence le potentiel du peuple irakien ».

Le Parlement européen constate également « que le programme "Pétrole contre nourriture" n'a été efficace que dans les trois gouvernorats (kurdes) du Nord de l'Irak, où il a été directement géré par les Nations unies ; en conclut que la responsabilité de l'inefficacité de sa mise en œuvre dans les autres régions d'Irak et ainsi que des pénuries consécutives de vivres et de médicaments incombe largement au gouvernement irakien ».

Pour finir le Parlement européen « demande au Conseil et à la Commission européenne d'élaborer dans les meilleurs délais une stratégie active comportant les mesures suivantes :

- rechercher et geler les actifs financiers illicites des dirigeants irakiens dans l'Union européenne ;

- refuser l'accès des dirigeants du régime irakien aux États membres de l'UE ;

- surveiller attentivement les graves violations des droits de l'homme, diffuser publiquement des informations sur elles et les dénoncer activement et régulièrement ;

- renforcer les mesures de démocratisation en coopération avec la communauté des exilés irakiens ;

- soutenir l'expérience démocratique d'administration kurde dans le Nord de l'Irak et les projets de développement de la société civile dans cette région autonome ; évaluer exhaustivement les besoins de cette région, non seulement sur le plan humanitaire mais aussi en ce qui concerne les services de santé, la production alimentaire, l'économie, les besoins sociaux, l'industrie, l'éducation, la liberté d'expression et la presse et tous les secteurs pertinents de la société ; mettre en place un programme d'aide en faveur de cette région, comportant une vaste campagne de déminage ;

- exercer la pression maximale en toute occasion sur le régime irakien pour qu'il réduise sa répression à l'encontre de sa propre population et qu'il mette fin en premier lieu aux exécutions massives, aux arrestations arbitraires, aux campagnes de déportation interne et de nettoyage ethnique dans la région kurde sous son contrôle ;

- assurer une protection à long terme et constante de la population irakienne, en particulier des populations kurdes et chiites »

STRASBOURG : LE COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L’EUROPE DEMANDE À LA TURQUIE DE RÉVISER LE PROCÈS DES DÉPUTÉS KURDES EMPRISONNÉS

Dans une résolution adoptée, le 30 avril, et rendu public le 2 mai, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, s'appuyant sur une décision de la Cour européenne des droits de l'Homme, a demandé à la Turquie de réviser le procès de Leyla Zana et de ses collègues, ex-députés du parti de la démocratie (DEP, dissous), condamnés en 1994 à 15 ans de prison “ pour séparatisme kurde ”. Le comité des ministres “ invite instamment ” les autorités turques à remédier “ rapidement à la situation ” des parlementaires et leur demande également de prendre “ les mesures nécessaires pour rouvrir les procédures incriminées par la Cour dans cette affaire ou d'autres mesures ad hoc effaçant les conséquences pour les requérants des violations constatées.

En termes diplomatiques et courtois, il s’agit en fait d’une injonction à l’adresse de la Turquie à exécuter dans les meilleurs délais la décision de la Cour européenne. En cas de refus et de retard excessif, le comité pourrait prendre des sanctions allant jusqu’à la suspension d’Ankara.

Le 17 juillet 2001, la Cour européenne avait condamné la Turquie pour “ procès inéquitable ”, considérant notamment que la cour de sûreté, avec la présence d'un juge militaire, ne saurait être considérée comme “ un tribunal indépendant et impartial ” au sens de l'article 6 de la Convention européenne.

Voici l’intégralité de la résolution [Résolution Intérimaire ResDH(2002)59] adoptée par le Comité des Ministres, lors de la 794e réunion des Délégués des Ministres des affaires étrangères de 40 pays membres du Conseil de l’Europe :

“ Le Comité des Ministres, vu l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme (“ la Cour ”) rendu le 17 juillet 2001 dans l’affaire Sadak, Zana, Dicle et Dogan contre la Turquie (requêtes n° 29900/96 et autres) et transmis à la même date au Comité des Ministres pour contrôle de l’exécution en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (“ la Convention ”) ;

Rappelant que, dans cet arrêt, la Cour a constaté d’importantes violations des droits des requérants, en vertu de la Convention, à un procès équitable lors de leur procès devant la Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara, en raison :

- du défaut d’indépendance et d’impartialité du tribunal compte tenu de la présence d’un juge militaire dans la composition de la Cour de sûreté de l'Etat (violation de l’article 6§1) ;

- de l’absence d’information en temps utile sur la requalification de l’accusation portée contre les requérants et l’absence de temps et de facilités nécessaires pour préparer la défense des requérants (violation de l’article 6§3a et b combiné avec l’article 6§1) ;

- de l’impossibilité pour les requérants d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge (violation de l’article 6§3d combiné avec l’article 6§1) ;

Rappelant que les requérants ont été condamnés en 1994 à une peine de réclusion de 15 ans à l’issue de cette procédure ;

Soulignant l’obligation pour tous les Etats, en vertu de l’article 46, paragraphe 1, de la Convention, de se conformer aux arrêts de la Cour, y compris en adoptant des mesures individuelles mettant un terme aux violations constatées et effaçant autant que possible leurs conséquences ;

Rappelant que les autorités turques ont déjà pris certaines mesures générales pour prévenir de nouvelles violations semblables avec notamment les réformes supprimant le juge militaire au sein des cours de sûreté de l’Etat (voir la résolution DH (1999)555 dans l’affaire Ciraklar contre Turquie) et la nouvelle garantie constitutionnelle du droit au procès équitable (voir l’amendement de l’article 36 de 17 octobre 2001) ;

Notant que d’autres mesures générales sont en cours afin de donner plein effet à l’arrêt de la Cour ;

Considérant cependant que, dans la présente affaire, l’adoption de mesures individuelles, en plus du paiement de la satisfaction équitable, est également nécessaire vu l’ampleur des violations constatées et le fait que les requérants continuent de purger les lourdes peines d’emprisonnement qui leur ont été imposées (cf. Recommandation du Comité DH (2000)2) ;

Notant l’engagement du Gouvernement turc de prendre les mesures requises pour assurer la réouverture de procédures judiciaires lorsque cela est nécessaire afin de donner effet aux arrêts de la Cour ;

Invite instamment les autorités turques, sans retard supplémentaire, à donner suite aux demandes réitérées du Comité afin que lesdites autorités remédient rapidement à la situation des requérants et prennent les mesures nécessaires pour rouvrir les procédures incriminées par la Cour dans cette affaire, ou d’autres mesures ad hoc effaçant les conséquences pour les requérants des violations constatées ;

Décide, vu l’urgence de la situation, de reprendre son contrôle de la prise de ces mesures individuelles, si nécessaire lors de chacune de ses réunions ”

PARIS : UNE AFFICHE DE REPORTERS SANS FRONTIÈRE OBJET D’ATTAQUES VIOLENTES FOMENTÉES PAR ANKARA

Une affiche de Reporters sans frontière (RSF) installée à l'occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai dernier - une carte du monde qui fait le tour des entraves à la liberté de la presse, avec les portraits des 38 “ prédateurs de la presse ” à la gare Saint-Lazare à Paris où figure notamment le chef des forces armées turques, Huseyin Kivrikoglu, a provoqué une tension diplomatique entre Paris et Ankara.

Le ministère turc de la Défense a menacé de geler les accords militaires avec la France. Le ministère a ajouté que l'attaché militaire français avait été convoqué le 7 mai au Quartier général de l'armée turque pour que soit immédiatement retirée l'affiche. “ Il lui a été notifié (...) que l'attitude insultante envers le général (Huseyin) Kivrikoglu devait cesser ”, a déclaré un officiel. L'ambassadeur de France à Ankara, en outre, a été convoqué au ministère des Affaires étrangères un peu plus tard, et s'est vu signifier que l'affaire portait atteinte à l'image de la Turquie. Le chef de l'Etat turc, Ahmet Necdet Sezer, a “ condamné avec regret ” l'incident, estimant qu'il montrait que RSF ne comprenait pas la Turquie.

Finalement dans un communiqué publié le 10 mai, RSF a annoncé que “ les actions répétées de groupuscules violents ont contraint les responsables de la sécurité de la gare Saint-Lazare à Paris à retirer…les portraits des 38 "prédateurs de la liberté de la presse"… La violence des réactions à l'exposition de RSF témoigne de ce que nous dénonçons depuis des mois : toute mise en cause de l'armée turque provoque une réaction brutale des autorités. Les journalistes turcs qui s'y risquent sont immédiatement traduits en justice et l'un deux, Fikret Baskaya, est maintenu en prison depuis près d'un an pour un article critique envers l'armée ”, a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de RSF. “ La Turquie est censée se conformer aux standards démocratiques de l'Union européenne, plutôt que d'exporter son refus de la libre expression et de la critique jusque dans les capitales de l'Union européenne ”, a ajouté M. Ménard.

Reporters sans frontières a constaté qu'une trentaine de personnes avaient maculé de peinture rouge la mappemonde de l'exposition de RSF, le 9 mai 2002, après que les autorités turques avaient demandé au gouvernement français de “ punir ” RSF. Des voyageurs visitant l'exposition ont été bousculés et agressés au gaz lacrymogène par les manifestants. Ces derniers, qui étaient accompagnés d'une dizaine de journalistes turcs, ont recouvert à la bombe les portraits des 38 dirigeants dénoncés par RSF, et en particulier, celui du chef d'état-major des armées turques, Huseyin Kivrikoglu. RSF a remis en état l'exposition et porté plainte pour “ dégradation volontaire de bien privé ”. Des manifestants s'en sont à nouveau pris aux voyageurs visitant l'exposition le vendredi 10 mai, dans la matinée, décidant le service de sécurité de la gare à démonter l'exposition.

RSF rappelle que plus de cinquante représentants de la presse, de toutes tendances, ont comparu devant les tribunaux pour leurs écrits, en 2001, en Turquie. Les journalistes ayant mis en cause l'armée, d'une façon ou d'une autre, ont été systématiquement inquiétés. Au cours des cinq premiers mois de l'année 2002, de nouveaux procès ont été intentés contre des journalistes. L'un d'eux, Erol Özkoray, rédacteur en chef de la revue trimestrielle de science politique et de relations internationales Idea Politika, doit faire face à au moins trois procès, notamment pour un numéro de la revue ayant accusé l'armée de vouloir freiner le rapprochement de la Turquie avec l'Union européenne. Ce harcèlement judiciaire a finalement contraint M. Özkoray à arrêter la publication de sa revue. Le journaliste Fikret Baskaya est incarcéré depuis le 29 juin 2001 après avoir été condamné à un an et quatre mois de prison pour un seul article, publié le 1er juin 1999, critiquant la gestion du problème kurde par les autorités civiles et militaires.

L’ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L’EUROPE DEMANDE À LA TURQUIE D’AGIR POUR LA POPULATION KURDE DÉPLACÉE

La Commission permanente agissant au nom de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté un texte [recommandation 1563], le 29 mai 2002, sur la « Situation humanitaire de la population déplacée kurde en Turquie ».

L’Assemblée de Strasbourg, représentant une quarantaine de pays d’Europe, s’y déclare profondément préoccupée par les informations selon lesquelles les forces de sécurité turques auraient récemment évacué des villages et des hameaux. Ces actions devraient cesser immédiatement. Elle condamne également « fermement les violences et le terrorisme perpétrés par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui ont contribué aux déplacements de populations », et exhorte les derniers combattants armés de la région à cesser toute violence.

L’Assemblée souligne que « l’assistance aux fins de la reconstruction des villages détruits devrait bénéficier d’un degré de priorité élevé. Elle ne devrait pas être subordonnée à l’obligation de faire partie du système des gardes villageois ou de déclarer que la cause de la fuite des personnes déplacées était la peur inspirée par le PKK. ».

« Les organisations humanitaires internationales devraient pouvoir accéder à la région. L’Assemblée ne saurait accepter que des organisations respectées comme Médecins sans frontières se voient refuser l’accès au motif qu’elles soutiendraient le terrorisme », relève le texte.

L’Assemblée parlementaire recommande, en conséquence, au Comité des Ministres d’exhorter la Turquie à « lever l’état d’urgence encore en vigueur dans quatre provinces dès que possible », « d’éviter toute nouvelle évacuation de villages, « d’assurer un contrôle civil sur les activités militaires menées dans la région et rendre les forces de sécurité davantage responsables de leurs actes », « d’appliquer correctement les arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme », « d’abolir le système des gardes villageois ».

Pour finir, « l’Assemblée demande fermement aux deux parties d’entamer un dialogue et de trouver une solution pacifique à la question kurde, tout en reconnaissant les droits culturels et sociaux du peuple kurde.

ANKARA : LYNCHAGE MÉDIATIQUE CONTRE MME KAREN FOGG, LA REPRÉSENTANTE DE L’UE EN TURQUIE

On ne sait pas ce que l’Union européenne compte faire pour défendre l’honneur bafoué de sa représentante à Ankara. Un véritable lynchage médiatique est lancé contre la représentante de l’UE depuis déjà quelques mois en Turquie. Après une campagne de dénigrement suite à la publication de son courrier électronique dans la presse turque, voilà que les éditorialistes connus pour être proches de l’armée menacent ouvertement la diplomate européenne qui, pourtant, est restée très prudente, voire indulgente vis-à-vis d’Ankara sur des sujets “ sensibles ” comme la question kurde. Cette fois-ci c’est le président du comité des journalistes de Turquie, l’inusable éditorialiste en chef du quotidien turc à grand tirage Hurriyet qui donne de la grosse artillerie contre celle qui est devenue la “ tête de Turc ” des media et politiciens nationalistes turcs. Extraits de cet éditorial au vitriol publié à la Une de Hurriyet du 8 mai :

“ Les propos les plus forts que l’on peut employer à propos d’un ambassadeur est de lui dire “dégage“ ! ” “ Mme Fogg a affiché une performance aussi sale et grossière au cours de sa période de représentation (en Turquie) qu’aucun égard diplomatique n’est nécessaire pour elle maintenant. Elle mérite ainsi de la part de l’opinion publique turque une réaction violente et intense jusqu’alors jamais manifestée contre un représentant diplomatique ” poursuit-il appelant ainsi ouvertement à orchestrer une campagne contre Mme Karen Fogg.

La raison de cette attaque ouverte est due pour cette fois-ci aux propos que Mme Fogg auraient tenus en privé et en petit comité au sujet de Chypre. Selon Hurriyet, elle aurait “ appelé les Chypriotes turcs à la révolte en les invitant à se libérer de la tutelle de la Turquie et de celle de Rauf Denktas ”. L’autre grief retenu contre elle est son souhait de voir un civil au poste de secrétaire général du Conseil national de sécurité (MGK). “ Elle se mêle de tout ! ” s’insurge l’éditorialiste qui affirme qu’il faudrait “ la tenir par l’oreille et la mettre dehors ” et qu’“il faudrait qu’elle fasse attention… Elle peut vraiment sortir perdante ” conclut-il.


BRUXELLES : LE PKK ET LE DHKP-C AJOUTÉS SUR LA LISTE DES ORGANISATIONS TERRORISTES DE L’UNION EUROPÉENNE

Pour répondre à certaines préoccupations de Washington 11 groupes supplémentaires, parmi lesquels le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le mouvement turc du Front-Parti révolutionnaire de libération populaire (DHKP-C, marxiste), dont les membres mènent une grève de la faim pour de meilleures conditions de détention en Turquie, ont été ajoutés le 2 mai sur la liste des organisations terroristes par l'Union européenne. Lors d'une réunion confidentielle entre diplomates des Quinze, ces derniers sont tombés d'accord le 29 avril sur les organisations à ajouter sur la liste qui a été envoyée dans toutes les capitales européennes pour un accord final. Alliée essentielle au sein de l'OTAN et candidate à l'adhésion à l'Union européenne, la Turquie se voit ainsi récompensée de sa fidélité aux options prises par les Etats-Unis, de la guerre du Golfe jusqu'à la guerre en Afghanistan. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Josep Piqué, a déclaré que d'autres groupes pourraient être ajoutés à la liste dans les prochaines semaines.

Le PKK a changé son nom en Kadek (Congrès pour la liberté et la démocratie du Kurdistan) il y a quelques jours et a renoncé officiellement à la lutte armée, mais l'Union européenne a suivi le ministre turc des Affaires étrangères, Ismail Cem, selon lequel la nature de cette organisation n'a changé en rien. Pour Osman Ocalan, frère d'Abdullah et membre dirigeant du PKK, la décision des Quinze, qui n'avaient pas voulu franchir le pas en décembre dernier, entraînera de nouveaux affrontements et l'Europe en sera indirectement responsable. “ L'inclusion sur la liste des terroristes sera vue comme une décision de guerre, et nous préparerons la plus forte des résistances sur ce dossier sur la base de la légitime défense ”, a-t-il déclaré à une chaîne de télévision kurde Medya-TV. “ Je souligne que les pays de l'UE seront responsables de cette guerre. Le peuple kurde doit savoir que l'Europe est responsable pour la guerre ”, a-t-il ajouté. On précisait à Bruxelles que l'UE citait bien le PKK et que le Kadek ne serait pas sur la liste noire parce qu' “ il n'existe que depuis quelques jours ”.

La liste terroriste, établie le 27 décembre dernier après les attentats du 11 septembre contre les tours du World Trade Center, a été mise à jour afin de correspondre avec celles des Etats-Unis, en prévision du sommet UE-Etats-Unis à Washington. Le sommet réunissant le président George W. Bush, le président de la Commission européenne Romano Prodi et le président du gouvernement espagnol Jose Maria Aznar, qui assure la présidence tournante de l'UE, promettait d'être l'un des plus tendus de ces dernières années, en dépit d'une étroite collaboration dans la lutte contre le terrorisme depuis les attentats du 11 septembre.

La presse turque a salué le lendemain la présence du PKK et du DHKP-C sur la liste européenne des organisations terroristes, appelant le gouvernement turc à accélérer les réformes pro-européennes, notamment à abolir la peine de mort. “ Les assassins sur la liste ” de l'Union européenne, titre à la Une le journal à gros tirage Hurriyet. “ L'UE a finalement réparé son erreur. Le PKK et le DHKP sont sur la liste des organisations terroristes ”, titre pour sa part le journal populaire Sabah qui précise dans son éditorial que “ la Turquie doit accélérer ses réformes pour l'ouverture des négociations d'adhésion. La peine de mort bloque la voie de la Turquie ”. L'éditorialiste du journal libéral Radikal rappelle de son côté que la Turquie est le seul pays membre du Conseil de l'Europe qui maintient la peine de mort dans ses lois. “ C'est maintenant à la Turquie d'agir. La peine de mort et l'éducation dans une autre langue que le turc (kurde) doivent être à l'ordre du jour ” du gouvernement du Premier ministre Bulent Ecevit, écrit-il.

La liste comprenait jusqu'à présent 27 personnes, presque tous des activistes de l'organisation de lutte armée basque ETA ou de son bras politique Batasuna, ou organisations, dont l'ETA, la branche armée du Hamas, le Djihad islamique palestinien, des groupes armés grecs, l'Armée républicaine irlandaise (Ira) et plusieurs milices protestantes nord-irlandaises.

LA TURQUIE LANCE UNE OFFENSIVE CONTRE LES ONGs INTERNATIONALES POUR “ SOUTIEN D’ORGANISATION TERRORISTE ”

Selon la presse turque [cf : NTV du 6 mai et Milliyet du 7 mai], Ankara s’apprêterait à soumettre aux Etats membres de l’Union européenne un rapport détaillé sur 17 organisations en Europe, soupçonnées par les autorités turques de “ soutenir le PKK ”. Parmi les organisations citées figurent rien moins que Médecin sans frontières, prix Nobel de la paix 1999, Reporters sans frontières, qui lors de sa dernière campagne qualifie le chef d’état-major turc, Huseyin Kivrikoglu d’ “ ennemi de la liberté de presse ”, la Fondation France-Libertés, la Fédération mondiale des cités-unies, le comité Helsinki danois, des personnalités, des parlementaires et de nombreuses autres organisations kurdes.

L’information issue des services de renseignements turcs précise que la Turquie lancera une offensive diplomatique pour demander “ un arrêt des soutiens au PKK et au KADEK ” par ces organisations citées. Le rapport en question montrerait du doigt quelques 450 organisations en Europe, qualifiées “ d’organe ou de soutien du PKK ” et demanderait leur fermeture.

L’Union européenne qui est restée longtemps aveugle face au terrorisme d’Etat turc coupable de la destruction de plus de 4000 villages kurdes, de l’assassinat par des escadrons de la mort des forces de sécurité turques de 4 500 civils suspectés de “ nationalisme kurde ”, avait, il y a quelques jours, pour complaire à Ankara et à Washington, placé sur sa liste noire d’organisations terroristes un PKK qui, depuis trois ans, a renoncé à la lutte armée en Turquie et à toute action violente en Europe. Ce n’est assurément pas assez pour Ankara qui veut étendre sa conception du terrorisme et du soutien au terrorisme à l’Union européenne en incriminant des grandes organisations européennes de droits de l’homme. Si malgré tous ses efforts, l’Union européenne ne parvient pas à européaniser la Turquie, on peut craindre dans le climat sécuritaire actuel qu’Ankara finisse par turquiser progressivement ses partenaires européens.

KIRKOUK : LES AUTORITÉS IRAKIENNES CONSTRUISENT DES MAISONS POUR LA POPULATION ARABE VENUE S’IMPLANTER SUR LES TERRES DES KURDES EXPROPRIÉS

Selon le quotidien kurde Brayati (Fraternité) du 9 mai, les autorités irakiennes ont lancé un projet de construction de centres d’hébergement pour les Arabes dans la région kurde de Kirkouk. « Sur un terrain vaste dégagé à la suite de la destruction de plus de 800 maisons kurdes, s’étendant des districts de Shorja, Musalaw à Qasabkana de la province de Kirkouk, les autorités irakiennes ont lancé un programme de construction de 8000 appartements pour les Arabes déplacés des gouvernorats du centre ou du sud de l’Irak », écrit Brayati.

À la suite de la répression du soulèvement kurde en mars 1991 et le retour de l’armée irakienne à Kirkouk, « 800 habitations appartenant à des citoyens kurdes ont été dynamitées et détruites par des explosifs TNT » poursuit le journal.

Par ailleurs, dans son numéro daté du 15 mai, ce journal indépendant souligne que « récemment, les autorités irakiennes à Kirkouk… allouent une somme de 3 millions de dinars comme cadeau de mariage aux fils et petits-fils des Arabes implantés à Kirkouk. De même, ces derniers appelés selon la terminologie officielle « les fils des bénéficiaires » se voient attribuer une parcelle de terrain et 6 millions de dinars pour les aider à construire leur maison ».

LA MARCHE TURQUE : UN PAS EN AVANT DEUX PAS EN ARRIÈRE

L’évolution en dents-de-scie de la classe politique turque dans ses relations avec l’Union européenne ressemble, par ses mouvements contradictoires à la fameuse marche turque (Mehter), où les janissaires évoluaient un pas en avant deux pas en arrière pour donner l’impression de bouger. Ainsi, d’une part, la puissante armée turque s'est dit prête à accepter l'abolition de la peine de mort en Turquie à condition que le Parlement vote une loi assurant que le chef de l'ex-PKK, Abdullah 0calan ne puisse jamais sortir de prison, rapporte le 29 mai la presse turque.

Le quotidien turc Hurriyet annonce en sa Une que l’armée turque se prononce pour l’abolition de la peine de mort en Turquie. Sous le titre de “ Ce pas courageux est venu de l’armée ”, le quotidien explique qu’alors que le Premier ministre turc sollicitait des “ pas courageux ” de la part de Devlet Bahçeli, son principal partenaire de la coalition et leader du parti ultra nationaliste de l’Action nationaliste (MHP), c’est l’armée turque qui s’est enfin décidée à rompre le silence sur le sujet en se déclarant pour l’abolition de la peine de mort et pour la suppression de l’amnistie. L’armée turque, qui jusqu’alors déclarait publiquement qu’étant “ partie ”, elle ne pouvait pas se prononcer sur le sujet, opterait selon le quotidien pour une formule qui abolirait la peine de mort et substituerait à la place la réclusion criminelle à perpétuité sans libération conditionnelle ou possibilité de bénéficier d’une quelconque amnistie. Le général de l’armée, resté anonyme, auteur de cette déclaration souligne qu’il faut prendre en considération la sensibilité de l’opinion publique concernant le sort d’Abdullah Ocalan et donc lui “ appliquer le même sort que celui de Rudolf Hess ”.

En visite officielle en Chine, Devlet Bahçeli, a, quant à lui, affiché un durcissement en affirmant le 28 mai depuis Pékin que quelle que soit la décision de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’affaire Ocalan, son dossier devrait être envoyé rapidement devant le Parlement turc pour qu’il puisse se prononcer. En réponse à Bulent Ecevit qui avait déclaré “ j’attends des pas courageux de la part de Bahçeli sur la question de l’Union européenne ”, D. Bahçeli a rétorqué qu’il avait cinq conditions pour l’UE : Le transfert d’Abdullah Ocalan à une prison de type-F, le renvoi de son dossier devant le Parlement turc, l’inscription du KADEK (ex-PKK, Congrès pour la liberté et la démocratie au Kurdistan) sur la liste des organisations terroristes de l’UE, capitulation des responsables de l’organisation et déclaration publique convaincante de la part de ces responsables sur l’arrêt de la terreur et sur leur fidélité à la Constitution turque. D. Bahçeli a affirmé que c’est sous ces conditions qu’il prendrait en considération l’élargissement du domaine de la démocratie, des droits et de la liberté des citoyens.

L'avis de l'influente armée turque a quelque peu adouci les positions de la droite turque. Ainsi, Tansu Çiller, chef du parti de la juste voie (DYP) et ancienne Premier ministre, qui jusqu’alors affichait une position très arrêtée sur la question pour séduire l’électorat du MHP, a fait volte-face en déclarant qu’ “ entre Apo ou l’UE, nous choisirons l’UE ”.

De son côté, le 29 mai, la principale organisation patronale turque (TUSIAD) a appelé le gouvernement de coalition à abolir “ dans les plus brefs délais ” la peine de mort et à accorder des droits culturels aux Kurdes pour pouvoir ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Union européenne (UE).

“ Les partis politiques et le Parlement doivent prendre leurs responsabilités dans ce projet vital pour l'avenir du pays et faire les pas nécessaires sur la voie de l'intégration à l'UE ”, souligne l'influente organisation. Elle indique que des réformes pour respecter les critères de Copenhague sur les droits de l'homme, notamment l'abolition complète de la peine de mort et un enseignement ainsi qu'une télévision en kurde, doivent le plus rapidement être adoptées.

L'organisation estime que si la Turquie n'entreprend pas ses réformes, les Quinze ne fixeront pas de date pour l'ouverture des négociations d'adhésion, réclamée avec insistance par Ankara. “ Nous serons alors dépassés par les autres pays candidats et resterons seuls ”, souligne la TUSIAD. Elle estime que l'incertitude à laquelle sera alors confrontée la Turquie lui compliquera considérablement la tâche pour atteindre ses objectifs économiques, en référence à la grave crise qu'elle traverse depuis février 2001, avec l'aide massive du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.

Cependant le 15 mai, le Parlement turc a adopté une loi très controversée introduisant des sanctions pour la propagation de fausses informations sur l'Internet et aggravant les pénalités pour les infractions aux lois sur la radio et télédiffusion. Largement contestée en Turquie, en premier lieu par le président turc, la moitié du Parlement, les organisations professionnelles journalistiques, comme les média locaux et les ONGs, qui dénoncent l’incitation au monopole de la loi et de sérieuses violations de la liberté de la presse, cette loi a été adoptée après un débat houleux de dix heures durant lequel les députés d'opposition et du gouvernement en sont presque venus aux mains. 202 députés (sur 292 députés présents pour un total de 550) ont voté pour, 87 contre et 4 se sont abstenus.

Le président Ahmet Necdet Sezer avait opposé son veto en juin 2001 à cette loi, faisant valoir qu'elle est contraire aux normes démocratiques que la Turquie s'est engagée à respecter dans le cadre de sa candidature à l'Union européenne, et qu'elle ouvrait la voie à des ingérences politiques et à la formation de monopoles et cartels.

La loi stipule que la diffusion de fausses informations et de diffamation sur l'Internet sera désormais passible de lourdes amendes allant jusqu'à 100 milliards de livres turques (environ 72.000 $). Les autorités ne pourront plus suspendre la diffusion des chaînes de radio et télévision, pratique courante à l'heure actuelle, et l'organisme de contrôle des médias, le RTUK, leur demandera seulement de s'excuser. Mais le RTUK pourra annuler la licence des chaînes qui s'en prennent à “ l'unité de la Turquie ” et diffusent de la “ propagande subversive et séparatiste ”.

Par ailleurs, la nouvelle loi réprime toute diffusion provoquant “ la désespérance ou la démoralisation ”, concept vague qui mettra certainement à mal la presse locale déjà éprouvée. De plus l’autorité chargée de délimiter “ le cadre stratégique ” des diffusions audiovisuelles y compris sur Internet sera confiée à une organisation appelée le Haut conseil à l’information dirigée par le Premier ministre et un ministre d’Etat désigné par ce dernier et composé de non seulement des ministres de l’Intérieur et de communication mais aussi du secrétaire général du Conseil national de sécurité (MGK) et du directeur de la communication électronique de l’état-major des armées turques.

La nouvelle loi affirme également que les diffusions pourront se faire “ en turc mais aussi en toutes langues universelles ” (sous-entendu les langues officielles de l’ONU ?),formule qui écarte la langue kurde qui pour les autorités turques n’existe pas ou n’est qu’un assemblage de patois alors même que cette langue est parlée par plus de 30 millions de Kurdes, qu’elle est utilisée dans les médias, des écoles et les universités du Kurdistan irakien ainsi qu’à la radio-télévision d’Iran.

Jean-Christophe Flori, porte-parole de Gunter Verheugen, commissaire européen chargé de l’élargissement a déclaré le même jour que cette loi “ n’était pas conforme aux critères de Copenhague ” et que “ le Parlement turc devrait la réviser immédiatement ”.

Créé en 1994, le Haut Conseil de l'audiovisuel (RTUK) a suspendu des centaines de chaînes de radio ou télévisions nationales et locales. Depuis la fin du monopole d'Etat en 1990, les radios et télévisions se sont multipliées en Turquie, où l'on compte 13 télévisions nationales et 200 locales, et environ 2.500 stations de radio. RSF rappelle, par ailleurs, que RTÜK maintient un contrôle étroit sur les médias audiovisuels. Si la majorité des chaînes de télévision et des radios qui ont été suspendues par RTÜK, en 2001, ne l'ont pas été pour des raisons politiques, la durée des suspensions est néanmoins particulièrement longue dans les cas plus politiques. Elle peut aller jusqu'à un an de suspension pour diffusion de musique kurde ou “ mise en cause de l'ordre constitutionnel ”. Dans ces derniers cas, le RTÜK est souvent saisi par les autorités militaires elles-mêmes.

PROCÈS DES PRÉNOMS KURDES : RELAXÉ À DICLE, NOUVELLES MISES EN EXAMEN À IZMIR ET À ARDAHAN

Alors que le tribunal de Dicle rejetait la veille une demande similaire, un procureur d’Izmir a lancé une poursuite le 23 mai contre neuf autres familles kurdes d’Izmir accusées d’avoir donné des prénoms kurdes à leurs enfants. Les prénoms incriminés sont Zozan (Alpage), Medroj (Soleil de Mèdes), Rojhat (Aurore), Siyar (éveillé), Helin (Nid) et Baran (Pluie), les deux derniers pourtant communément utilisés par les Kurdes aussi bien que les Turcs. Au moment où l’Union européenne demande à la Turquie d’entamer de sérieuses réformes pour le respect des droits culturels des Kurdes, le procureur qualifie de “ désobéissance civile ” le fait de donner des prénoms kurdes aux enfants.

Dans la série de la chasse aux noms kurdes, la presse turque annonce le 30 mai qu’une autre famille d’Ardahan de même que l’officier d’état civil responsable, sont également traduits en justice pour le choix et l’inscription du prénom kurde Berivan (trayeuse). L’affaire est si burlesque que Berivan n’est autre que le titre d’une des séries télévisées les plus regardées en Turquie.

“ Alors que l’on parle des critères de Copenhague, on régresse au point de poursuivre nos prénoms centenaires. J’ai pitié pour l’Union européenne. Il paraît qu’ils vont nous accepter parmi eux. À quoi donc serviraient à l’Europe ces têtes ? On va tout simplement perturber la tranquillité de ces gens aussi ” écrit Fatih Altayli le 30 mai dans son éditorial du quotidien Hurriyet.


LU DANS LA PRESSE TURQUE

COMMENT LES TURCS SE VENGENT DE LEURS ENNEMIS EUROPÉENS


Bekir Coskun, journaliste au quotidien Hurriyet, dénonce d’une plume caustique la conservation et l’encouragement de l’esprit guerrier cultivé par les autorités turques qui reconstituent presque dans toutes les grandes villes la guerre de l’indépendance où les employés municipaux très démunis sont déguisés en ennemis et passés à tabac. Voici de larges extraits de cet article publié le 16 mai :

“ Je connais les festivités de la journée de l’indépendance. On déguise les employés municipaux chargés de nettoyage des rues en “ soldats ennemis français ” avec une espèce d’uniforme bleu ciel très bon marché que l’on peut situer entre un pantalon bouffant et une salopette.

D’après ce que l’on raconte, c’est le tailleur chargé de les coudre qui leur flanque les premiers coups et puis le chapelier…le cordonnier…

Puis le jour de la fête arrive.

Les notables de la ville… déguisés en glorieux soldats turcs se placent avec leurs épées, bottes et jumelles et les employés municipaux déguisés en ennemis… commencent alors à trembler. Et la guerre est déclenchée.

Les soldats ennemis en uniforme bleu bon marché faisant leur apparition, le préposé au micro crie alors “ salopards d’ennemi ” repris par les spectateurs de la tribune … Puis les soldats turcs avançant accompagnés de coups de feu en l’air, tout ce que l’on peut compter de spectateurs s’approchent des employés municipaux à coups de bâtons et de pieds.

Finalement, le groupe ANAP a présenté une proposition de loi pour interdire le passage à tabac des soldats ennemis au cours de la journée de l’indépendance…

Quand les forces d’occupation d’alors, les Français, les Italiens, les Anglais, arrivent aujourd’hui, la Turquie se met à la danse du ventre. Alors pourquoi devrons-nous tabasser nos employés municipaux déguisés en ennemis ?… Pourquoi les tabassez-vous ? ”

REPORTAGE À DIYARBAKIR : AU STADE “ UNE DES TRIBUNES HURLE “ KINE EM ? ” (QUI SOMMES-NOUS ?) ET L’AUTRE RÉPOND “ KURD iN EM ! ” (NOUS SOMMES KURDES)


Des élections législatives anticipées s’annonçant de plus en plus probables en Turquie, le journaliste turc Hasan Cemal tentent de prendre le pouls de la société à travers une série de reportages publiés dans le quotidien turc Milliyet. Après quelques villes de l’Ouest, le voilà le 28 mai à Diyarbakir, où le premier constat s’annonce clairement dans le titre “ Diyarbakir est déterminé. Il n’y a pas d’indécision à Diyarbakir ! Il n’y a qu’une réalité politique c’est le HADEP ! ”. Voilà de larges extraits de ce reportage publié les 28 et 29 mai consacré à Diyarbakir :

“ Les têtes sont confuses dans les neuf villes que je viens de visiter à travers l’Anatolie. Ce n’est pas le cas à Diyarbakir. Il n’y a pas d’indécision dans cette ville. Il n’y a qu’une réalité sur la scène politique à Diyarbakir : le parti de la démocratie du peuple (HADEP). Ils vont voter pour ce parti tels des soldats car ils considèrent le HADEP comme leur parti, comme le parti qui tient tête à l’Etat.

Le HADEP recueille la majorité des voix, mais n’arrivant pas à franchir le seuil national de 10 %, il n’est pas représenté au Parlement. Diyarbakir incarne l’exemple même de ce fait. Le HADEP a récolté 46 % des voix aux élections générales de 1999 dans cette ville. Soit 187 000 voix. Mais il n’y a aucun député !

Par contre, le parti de la Vertu (Fazilet - islamiste) a 4 députés avec 59 000 des voix, le parti de la Mère-patrie (ANAP) et de la Juste Voie (DYP), recueillant 45 000 voix chacun, ont 3 députés pour l’un et l’autre et le parti de la Gauche démocratique (DSP) avec 20 000 voix fait élire 1 député à Diyarbakir. Notez que Fazilet, ANAP, DYP et DSP réunis, atteignent au total les 170 000 voix, alors que le HADEP, qui a lui tout seul recueille plus que les quatre partis réunis, n’a même pas un député au Parlement. Peut-on admettre cela ? Il existe une maxime concernant le système électoral : “ Justice dans la représentation, stabilité dans l’administration ! ” Il n’y a pas de justice en cela…

Le HADEP critique cette injustice dont il est victime : “ Il faut abandonner cette politique. Il n’y a d’intérêt pour personne. Au début prétextant la terreur, il y avait un rejet. Mais aujourd’hui il n’y a rien de tel. Je suis contre la violence, alors laisses-moi faire de la politique ”

Que va donc faire le HADEP dans cette situation ?

Un instituteur à la retraite dit : “ Ma voix est pour le HADEP ! C’est une réaction et non pas parce que j’ai un quelconque espoir ”. Un autre ajoute : “ Je ne m’attends ni à des services et ni à la démocratie. Je donne ma voix au HADEP pour prouver mon existence… ” Autre réaction : “ Nous voulons que l’Etat nous envoie ici des gens qui ont un casier plus honnête, que le HADEP ne soit pas exclu car l’exclusion de la scène politique renvoie à plus de radicalisation ”.Une personne poursuit : “ Ici il y a le HADEP et il est suivi de Tayyip [Recep Tayyip Erdogan, leader du parti islamiste de la Justice et du développement (AK)].

La déclaration de Yilmaz “ la route de l’Union européenne passe par Diyarbakir ” a séduit pas mal de gens, mais ils se sont également interrogés sur sa crédibilité et sa volonté réelle… “ L’Union européenne est notre volonté commune. Que l’on adhère pour que tous ensemble nous puissions être traités comme des hommes de première classe ” rétorque un des hommes. Dans la rue des forgerons, on me dit : “ Nous avons besoin de sérénité. Je veux de la démocratie et de la liberté. Lorsque je pars en Occident, je me sens comme un autre homme. Je me sens bien. On ne peut pas faire ces choses-là avec des pansements ”, puis ajoute : “ On parle de l’Union européenne, mais on interdit le kurde. Lorsque l’on avait interdit le turc à ceux qui étaient en Bulgarie, nous avions remué le ciel. Mais ici [le kurde] c’est toujours interdit mon frère. ”

Le maire HADEP de Diyarbakir Feridun Çelik a recueilli 104 000 voix en 1999. Il a été élu avec 62,5 % des voix. Cabbar Leygara, le maire HADEP du district de Baglar, a, lui, été élu avec 71% des voix… Ils me précisent que le HADEP représente en fait plus que cela et critiquent particulièrement les pressions exercées dans les zones rurales.

Feridun Çelik qualifie de “ grande injustice ” le fait que le HADEP n’ait aucun représentant au Parlement turc malgré 46 % des voix recueillies lors des élections générales de 1999. “ Il faut respecter le choix des électeurs. Il y a une réalité claire et nette qu’il faut accepter. Comment vous pouvez ignorer le HADEP ? Toute une population d’une région donne ses voix à un parti mais n’a finalement aucun représentant au Parlement. Cette exclusion ne pourra-t-elle pas renforcer plus encore l’inégalité ? ” déclare-t-il. Cabbar Leygara poursuit : “ Personne ne réclame quelque chose aux députés. Ils viennent tous nous voir et nous disent qu’ils nous ont choisis nous. Ils nous demandent quand est-ce que leurs enfants reviendront de la montagne ? quand ils sortiront de la prison ? À quand l’amnistie ? Quand est-ce qu’ils peuvent retourner à leurs villages ? Ils nous disent qu’ils nous ont élus pour cela. ” Le maire de Diyarbakir s’interroge “ Où peut-on aller avec le refus ? ”. Il ajoute que leurs relations sont plus faciles avec la bureaucratie civile par rapport à, il y a trois ans… mais qu’avec la bureaucratie militaire la distance continue… ”

F. Çelik souligne également que “ Leyla (Zana) et ses collègues n’ont pas mérité d’être emprisonnés pendant 11 ans. Les assassins sont libérés… grâce à des amnisties mais eux ils sont encore en prison. S’ils venaient à être libérés, ils pourraient avoir une influence considérable sur la population qui les a élus… ”

Feridun Celik souligne que depuis quelques années il n’y a pas d’affrontements dans la région mais “ il n’y a toujours pas de bonne politique appliquée ”. Il voudrait que l’on arrête de taxer de “ séparatisme ” toutes demandes démocratiques : “ L’abolition de la peine de mort, l’éducation en kurde, diffusion audiovisuelle en kurde sont les propos du président Sezer. Ecevit le dit aussi. Yilmaz également. Tayyip aussi. Ils le disent à Ankara eux. Si nous, on disait cela à Diyarbakir, du fait de l’état d’urgence, on encourrerait des poursuites… ” Il poursuit par un exemple : “ la semaine dernière, la préfecture nous a envoyé une note d’information la veille de l’inauguration du festival culturel et artistique. Ils nous ont signifié que s’il y a des slogans contre la peine de mort, pour le retour aux villages, pour l’éducation en kurde, ils annuleraient le festival. Si les responsables à Ankara tiennent ce genre de propos, il n’y a rien, mais si c’est nous, cela constitue une infraction ”.

Le responsable du HADEP à Diyarbakir, Ali Urkut, déclare : “ Diyarbakir est aujourd’hui un cimetière de la société civile. Il y a tellement d’organisations interdites. ”…

Diyarbakirspor, le football est un sujet important dans la ville. “ Au début ils ont essayé d’utiliser le foot à des fins de dépolitisation… contre le HADEP mais ça n’a pas marché. La société a même politisé le football. Tout naturellement… Lorsque Diyarbakirspor rentre sur le terrain ou marque un but. Une des tribunes hurle “ Kîne em ? ” (qui sommes-nous ? ” et l’autre répond “ Kurd in em ! ” (Nous sommes Kurdes) raconte Feridun Celik.

AINSI QUE...

LA COUR CONSTITUTIONNELLE TURQUE ANNULE LA NOUVELLE LOI D’AMNISTIE VOTÉE MALGRÉ LE VETO PRESIDENTIEL PAR LE PARLEMENT


Passant outre un premier veto présidentiel, le Parlement turc avait voté le 21 mai une loi d'amnistie dont Mehmet Ali Agça, l’auteur de l’attentat manqué contre le pape Jean-Paul II en 1981, aurait pu bénéficier, mais qui excluait une nouvelle fois les condamnés pour crime d'Etat, comme les combattants kurdes, les gauchistes mais plus largement des prisonniers politiques comme les députés kurdes, des journalistes ou écrivains condamnés pour leurs opinions.

Le président turc Ahmet Necdet Sezer avait saisi le 23 mai la Cour constitutionnelle turque arguant que des réductions de peines ne seraient pas décidées en fonction du comportement d'un prisonnier et que la loi n'avait pas non plus recueilli la majorité des trois cinquièmes nécessaire, selon lui, dans les cas d'amnistie spéciale.

Plus de 40.000 détenus ont été libérés en Turquie en vertu d'une loi d'amnistie depuis l'an 2000. Quelques 11.500 meurtriers, 11.300 voleurs ou braqueurs, et 1.100 personnes condamnées pour délits sexuels ont ainsi retrouvés la liberté depuis 2000, lorsque la Turquie a adopté une loi qui réduit les peines de 10 ans.

Par ailleurs, un communiqué publié le 29 mai, a annoncé la fin de la grève de la faim lancée dans les prisons turques le 20 octobre 2000 pour protester contre les conditions de détention et les transferts dans les prisons de type-F.

UN GÉNÉRAL TURC DÉPÊCHÉ AU KURDISTAN IRAKIEN POUR RENCONTRER LES DIRIGEANTS KURDES


Selon le quotidien kurde Hawlati (Citoyen) daté du 20 mai, le général Nevzat Bakiroglu, en charge des forces militaires spéciales turques, serait en visite au Kurdistan. Il aurait ainsi rencontré Massoud Barzani à Salahaddin à une date non indiquée, pour ensuite être reçu par Jalal Talabani à Suleimaniyeh le 17 mai.

Selon une source locale, la Turquie aurait dépêché son plus haut responsable dans la région, après la récente rencontre des deux dirigeants kurdes avec les responsables occidentaux et américains. Selon la Radio libre d’Irak, Massoud Barzani a refusé plusieurs invitations du gouvernement turc ces derniers temps. Les autorités turques sont également irritées du fait que les deux leaders kurdes n’aient pas transité par la Turquie pour consultation avant leur départ en Europe.

L’INTERDICTION DU HADEP “ SERA UN SÉRIEUX REVERS POUR LES RELATIONS ENTRE L’UE ET LA TURQUIE ” PRÉVIENT LA DÉLÉGATION DE L’UNION EUROPÉENNE EN TURQUIE


Une délégation de sept membres de l'Union européenne dirigée par le Néerlandais Joost Lagendijk s’est rendue le 9 mai en Turquie pour une mission de trois jours afin d’examiner la situation du parti de la démocratie du peuple (HADEP). Lors d'une conférence de presse donnée, le 10 mai Joost Lagendijk a déclaré : “ Si le HADEP est fermé, ce sera un sérieux revers pour les relations entre l'UE et la Turquie ”.

Le HADEP est menacé d’interdiction pour “ liens organiques ” avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), récemment inclus par l'UE sur sa liste des organisations terroristes. M. Lagendijk a souligné que les autorités turques n'avaient pas pu fournir à la délégation de “ preuve concrète ” d'un lien entre ce parti et le PKK. “ Notre conclusion est que le HADEP est un parti politique autonome qui défend les intérêts et les droits des Kurdes avec des moyens non violents ”, a-t-il déclaré.

Le député néerlandais a pressé les autorités turques de s'abstenir de toute action contre des groupes kurdes légaux après la reconnaissance par l'UE du PKK comme une organisation terroriste. “ Nous insistons auprès des autorités turques pour qu'elles ne profitent pas de l'inclusion du PKK sur la liste des terroristes pour réprimer des organisations ou partis politiques légaux d'origine kurde ”, a-t-il souligné.

L’ARMÉE TURQUE LANCE UNE VASTE OPÉRATION TERRESTRE ET AÉRIENNE À DERSIM


Les autorités turques ont annoncé dans un communiqué daté du 14 mai que l'armée turque a lancé une opération avec appui aérien dans la région kurde de Dersim (Tunceli) pour “ détruire des caches des rebelles kurdes du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) ”. L'opération se déroule dans la région montagneuse d'Alibogazi, à 55 kilomètres à l'ouest de la ville de Tunceli, précise le bureau du gouverneur de la province.

“ Pendant l'opération, des mortiers et des hélicoptères de combat sont utilisés si nécessaire pour renforcer la puissance de feu des forces terrestres ”, ajoute le communiqué, sans précision de date ou sur le nombre de soldats engagés. La région a été interdite d'accès aux civils par crainte “ de la présence de munitions non explosées et de mines plantées par les terroristes du PKK ”, ou qu'ils soient pris pour cible par erreur par l'armée, poursuit le communiqué.

Le PKK, qui a récemment changé de nom pour s'appeler Congrès pour la liberté et la démocratie au Kurdistan (KADEK), a arrêté les combats en 1999 à l'appel de son chef Abdullah Ocalan, condamné à mort en Turquie pour “ trahison et séparatisme ”. Mais l'armée turque a rejeté ce cessez-le-feu unilatéral et a promis de les pourchasser jusqu'au dernier.

LE IER MAI EN TURQUIE : INTERDIT DANS LES VILLES KURDES SANS INCIDENT À ANKARA ET ISTANBUL


Les manifestations du 1er mai en Turquie, interdites dans plusieurs provinces kurdes où l'on signale trente arrestations, se sont déroulées en présence de forces de police à Ankara et à Istanbul, où quelques 15.000 policiers étaient déployés. Aucun incident n'y a été signalé et des milliers de manifestants se sont rassemblés sur des places désignées à l'avance. Les slogans évoquaient la grave crise économique à laquelle est confronté le pays, mais aussi le conflit israélo-palestinien, la question kurde ou les droits des homosexuels.

À Diyarbakir, capitale politico-culturelle du Kurdistan turc, les policiers ont rapidement étouffé les tentatives de rassemblement et dix personnes ont été arrêtées, selon des sources policières.

À Tunceli (Dersim), autre ville kurde, des heurts ont opposé les forces de l'ordre à 1.500 manifestants. Une vingtaine de personnes dont le dirigeant local du parti pro-kurde Hadep, Alican Unlu, ont été arrêtées après avoir tenté de faire une déclaration publique.

Diyarbakir et Tunceli figurent parmi plusieurs provinces à majorité kurde dans lesquelles les manifestations sont interdites dans le cadre de l'état d'urgence décrété en 1987.

DEUX RÉFUGIÉS KURDES DU CENTRE DE SANGATTE VICTIMES D’UNE EXPÉDITION PUNITIVE PAR DES JEUNES DE LA RÉGION


Trois jeunes, âgées de 24 à 25 ans et originaires du boulonnais, qui avaient blessé par balles deux réfugiés kurdes irakiens du centre de réfugiés de la Croix-Rouge de Sangatte (Pas-de-Calais) ont été mis en examen le 1er mai pour tentative d'assassinat. Armés d'une carabine 22 LR, les trois agresseurs avaient organisé le 29 avril au soir “ une expédition punitive et xénophobe contre des réfugiés avec qui ils disent s'être querellés une quinzaine de jours auparavant ”, a expliqué Gérald Lesigne, le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer. Les trois jeunes avaient alors pris pour cible des réfugiés, blessant par balles deux Kurdes irakiens. Le premier avait été blessé au pied alors qu'il se trouvait dans le centre-ville de Calais. Le second réfugié, qui errait à proximité de la mairie de Sangatte, avait été touché plus sérieusement dans le dos. Les agresseurs avaient déjà organisé une première opération punitive qui avait été interrompue, il y a une semaine, par la gendarmerie, selon le parquet.

C'est la première fois que des incidents aussi sérieux se produisent entre des réfugiés du centre de la Croix-Rouge de Sangatte et des habitants du littoral du Pas-de-Calais. L'été dernier, un vigile avait blessé un réfugié d'un coup de feu lors d'un assaut de dizaines de clandestins qui tentaient de pénétrer sur le site de la SNCF à Frethun, près de Calais. Le vigile, qui n'était pas autorisé à porter une arme, avait expliqué qu'il avait pris peur.

Le centre de Sangatte, ouvert en septembre 1999, abrite actuellement plus de 1.400 personnes, essentiellement des Kurdes d'Irak et des Afghans, qui cherchent à passer clandestinement en Grande-Bretagne via le tunnel sous la Manche. Le 15 avril, pour la première fois, un réfugié --un jeune Kurde irakien-- est mort à la suite d'une rixe dans l'enceinte même du centre.