Publications


Bulletin complet

avec revues de presse

Bulletin N° 188 | Novembre 2000

 

LE CHANTEUR AHMET KAYA EST MORT À PARIS

Le célèbre chanteur kurde Ahmet Kaya est décédé le jeudi 16 novembre à 7h30 à son domicile parisien à la suite d’une crise cardiaque à l’âge de 43 ans.

Né le 28 octobre 1957 à Malatya dans une famille kurde, Ahmet Kaya s’était dès son jeune âge, engagé dans le combat politique en faveur du socialisme et des droits du peuple kurde. Il était devenu au fil des ans le musicien le plus connu de la protest song et de la"musique authentique". Adulé par des millions de Kurdes et de Turcs qui se reconnaissaient dans ses chansons engagées s’adressant autant à leur cœur qu’à leur intelligence, il avait été élu meilleur musicien de l’année 1998. Lors de la remise du Prix, en février 1999, devant les caméras de télévision il avait rappelé qu’il était kurde et qu’il comptait faire aussi une chanson et un clip en kurde. Cette déclaration d’intention lui a valu un quasi-lynchage en direct, une garde-à-vue et des poursuites judiciaires.

Persécuté, objet d’une série de procès pour délit d’opinion devant les cours de Sûreté de l’Etat turques, passible de plusieurs années de prison, Ahmet Kaya a dû, en juin 1999, s’exiler en France. Le 10 mars 2000 l’un de ses procès aboutit à 3 ans et neuf mois de prison, pour "propagande séparatiste" en raison d’un concert donné en 1993 à Berlin.

Combattant résolu de la liberté, épris de justice, Ahmet Kaya a voulu jusqu’au bout, malgré le terrible mal du pays, défendre, sans concession, ses idéaux au prix d’énormes sacrifices personnels et familiaux.

Sa mort constitue une grande perte pour les peuples kurde et turc et pour le monde de la musique. Sa voix, puissante, va manquer aux millions de Kurdes et de Turcs broyés et marginalisés par le régime turc.

Craignant des provocations des bandes de l’extrême droite et des tracasseries de la police turque sa famille a décidé de ne pas rapatrier sa dépouille mortelle."Ahmet n’était pas fâché contre la Turquie. Il s’opposait à un système qui le menaçait de 13 ans de prison pour ses opinions et ses chansons et qui l’a contraint à l’exil. Il n’avait pas volé, il n’avait tué personne : il était l’un des plus gros contribuables d’impôts du pays. Son seul crime était de revendiquer l’égalité des droits entre Turcs et Kurdes, le respect de l’identité kurde, le respect de la dignité humaine et de la liberté d’expression. Il en est mort. Par respect pour ses idées et pour sa conception de la dignité, j’ai décidé de l’enterrer à Paris. Il y reposera jusqu’à ce que la Turquie devienne une démocratie digne de ce nom et jusqu’au jour où les chaînes de télévision publiques de Turquie diffusent de la musique kurde" a déclaré Mme Kaya au cours d’une conférence de presse donnée le 18 novembre à l’Institut kurde.

Les funérailles ont eu lieu le 19 novembre. La cérémonie a commencé à 11h00 à l’Institut kurde de Paris, dont il était un membre d’honneur, où une chapelle ardente avait été dressée. Des milliers de Kurdes ainsi que de nombreux Turcs, Arméniens, Français, sont venus s’incliner devant sa dépouille et signer le registre de condoléances. Partant de l’Institut kurde, le cortège funèbre est arrivé au cimetière du Père Lachaise vers 15h 00 se frayant difficilement le chemin au travers d’une foule d’environ 15 000 admirateurs et amis accourus de tous les coins d’Europe. Après des interventions des personnalités kurdes, turques et françaises, et de son épouse, conformément à tradition kurde, deux chanteurs, Sivan Perwer et Ferhat Tunç, ont chanté deux élégies kurdes. Puis Ahmet Kaya a été enterré en compagnie de ses propres chansons, tristes et poignantes, sur la mort, sur l’exil, sur la liberté.

Son corps repose à quelques pas de son ami, Yilmaz Güney, le grand cinéaste kurde, auteur de Yol, lui aussi mort en exil.

La chaîne de télévision kurde par satellite, Medya TV a diffusé en direct les obsèques de Kaya. Pendant cette diffusion les rues des villes et villages kurdes étaient désertes. La plupart des magasins fermés. Dans nombre de villes du Kurdistan iranien et irakien, il y a eu également des réunions de commémorations conférant ainsi à Ahmet Kaya le statut d’un symbole national du combat pour la liberté et l’identité kurdes.

Quant aux médias turcs, malgré l’immense popularité de l’artiste dissident disparu, ils ont, conformément aux consignes reçues des autorités policières et militaires, assuré un service minimum : diffusion des informations pratiques et des extraits d’interviews des proches sans programmes spéciaux ni diffusion de ses chansons.

Enfin, en bravant la censure turque déguisée, des amis de l’artiste disparu viennent de créer en turc, un site internet (www.amhetkaya.com). De son côté le site de l’Institut kurde de Paris (www.institutkurde.org) diffuse en français et en anglais des informations détaillées sur Ahmet Kaya.

Voici, in Memoriam, de larges extraits d’un article de l’écrivain démocrate turc, Ahmet Altan, qui, dans l’hebdomadaire Aktüel du 23 novembre évoque le souvenir de l’artiste disparu.

" Il avait tout juste la quarantaine passée et venait d’être condamné à une vie qu’il n’aimait pas, dans un pays dont "il n’appréciait même pas l’alcool". "Ma maison me manque" disait-il, "les verres de raki entre amis sur mon balcon chauffé par le brasero au pied cassé me manquent" disait-il. Mais il lui était interdit de retourner chez lui. Car, il avait dit "je veux chanter en kurde". Puis, il avait frénétiquement cherché l’affection dans des étapes d’exil rendant plus difficile encore le chemin du retour. S’il était issu d’une société plus forte et plus hardie, celle-ci aurait aperçu sa solitude et sa colère enfantines, si bien ressenties dans ses discours révoltés et ses airs chantés avec le poing dressé et elle l’aurait étreint à nouveau.

Nous avons tous entendu sans sourciller les paroles commençant par "à ma mort", car ce genre de paroles ne prennent sens qu’à la mort de leur auteur.

L’autre soir, la tête rebelle d’Ahmet Kaya à l’écran disait "à ma mort, que personne ne dise derrière moi qu’il n’aimait pas son pays. Moi, j’aime ce pays d’Ardahan à Edirne".

C’est un homme qui s’exprimait devant moi. "À ma mort…", "À ma mort, que personne ne dise qu’il n’aimait pas son pays" (...).

Pourquoi est-ce qu’un artiste qui chantait les chansons de ce pays imaginait qu’on dirait derrière lui : "il n’aimait pas son pays"…

Un soir, prenant le micro, il avait déclaré :

"Je vais chanter en kurde". Pour cette innocente phrase, il a été étiqueté comme "traître", envoyé en exil et insulté, pour finalement mourir à la fleur de l’âge.

La première pierre du chemin le conduisant à la mort a été cette phrase. "Je vais chanter en kurde". Il ne savait même pas parler le kurde, mais il était en colère, enfantin, et imprévisible. Il aimait composer, chanter, boire, bavarder entre amis, parler sans souci avec une sorte de douce liberté tant propre aux enfants. (...).

Il était en fait comme un grand enfant comme tous ceux qui se consacrent à l’art et comme beaucoup d’autres dans ce pays, il portait en lui des blessures de son enfance et de sa jeunesse, des blessures douloureuses qui le conduisaient de temps en temps jusqu’à tempêter contre la société toute entière.

Avec éclat, il avait dit "je vais chanter en kurde". Pour ces propos, nous l’avons envoyé en exil. Nous l’avons condamné à errer seul dans les rues des villes dont "il ne connaissait même pas la pluie". Il a flâné dans des rues qui lui étaient étrangères, sans jamais croiser un visage familier, ni respirer un parfum qui lui était connu.

Pendant des mois, il s’est abandonné à sa solitude. Alors qu’il était habitué à l’affection de ses admirateurs, il est resté sans amour. Et il a couru après cet amour. Chaque fois plus emporté, il prononçait des discours qui l’éloignaient toujours plus de la terre qu’il chérissait tant.

On en venait à oublier ce brillant musicien, et comme s’il était un leader politique, on soulignait chacun de ses propos, pour lui faire porter une autre identité. L’aventure commençant par les propos : "Je vais chanter en kurde", était devenue de plus en plus périlleuse.

Après de centaines de chansons, écrites, chantées, écoutées par des millions de personnes, celui qui a offert avec sa seule voix des joies et des peines aux hommes et femmes de ce pays, était devenu "un traître" pour avoir souhaité "chanter en kurde". Dans tous ses faits et gestes, dans tous ses propos, pas à pas, on s’était mis à sa poursuite pour prouver toujours plus sa "traîtrise".

Quant à lui, il voyait qu’il était acculé à une impasse, mais de rage, il courrait encore plus vite sur ce chemin. À chaque fois un peu plus vite et encore plus vite.

Aux discours et chansons orageux, suivaient de tristes promenades à travers les rues dont la pluie même lui était étrangère.

Sa maison lui manquait. Son pays lui manquait. Il se rendait compte qu’il ne pouvait plus retourner vers tout ce qui lui manquait. Et il en souffrait (…).

Là où il était né, les gens avaient peur des mots et des chansons. Il avait offert à ces gens, des chansons, des joies et des peines, mais aujourd’hui ces mêmes personnes ne lui pardonnaient pas. Lui, il avait dit "je vais chanter en kurde". Et, il avait été envoyé en exil. Pendant que les dirigeants de son pays l’affichaient comme un traître, il pensait probablement, lui aussi, avoir été trahi par ceux qui l’aimaient naguère, par ses admirateurs, ses amis et ses concitoyens.

Il participait aux réunions politiques. Il chantait avec le poing levé. Bien qu’à chacun de ses propos, le chemin du retour devienne plus dur, il n’arrivait pas à contrôler sa colère. C’était un chanteur. Il était enfantin. Vif. Blessé (…).

Dans un pays dont il ne connaissait pas la langue, il est mort dans les bras de sa femme et de sa fille. Il est mort brusquement. Il est mort comme un enfant. Comme tous ceux qui sont morts en exil, il est mort dévoré par la solitude. Il a été enterré dans un pays qu’il ne connaissait pas. Pour avoir déclaré qu’il voulait chanter en kurde, il est mort abandonné(…).

Le danger qu’il chante en kurde est désormais écarté. Ah ! si je savais chanter. J’aurais chanté une chanson en kurde pour lui. Une chanson sur la solitude, une autre sur la mort. Une chanson qui dit "Aimer les enfants qui chantent". Une chanson qui raconte quelqu’un dont les dernières volontés sont "à ma mort ne dîtes pas que je n’aimais pas mon pays".

J’aurais chanté une chanson en kurde pour lui. Si je savais chanter. Lui, il savait chanter. Mais, il n’a pas pu non plus chanter la chanson que je ne peux pas chanter. Dans un pays dont il ne connaissait pas la pluie, il est mort, seul, impétueux et mélancolique.

Reste une chanson, qui n’a pas été chantée et qui attend de l’être. Peut-être qu’un jour, le jour où cette chanson sera chantée, sans doute lui aussi, il nous pardonnera".

BRUXELLES : L’UNION EUROPÉENNE OFFRE À LA TURQUIE UN PARTENARIAT D’ADHÉSION QUI IGNORE LES KURDES

LA Commission européenne s’est montrée très critique à l’égard de la Turquie, lui reprochant de continuer à ne pas respecter les droits de l’Homme, mais lui a offert dans le même temps "un partenariat d’adhésion" pour l’aider à progresser. Le rapport annuel de la Commission, publié le 8 novembre, sur l’état d’avancement des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne est très sévère sur la situation des droits de l’Homme et des minorités en Turquie. "Beaucoup d’aspects de la situation globale des droits de l’Homme restent préoccupants", souligne le rapport. "Torture et mauvais traitements sont loin d’avoir été éradiqués", "les conditions dans les prisons ne se sont pas améliorées", et "la liberté d’expression, de même que la liberté d’association et de rassemblement font encore régulièrement l’objet de restrictions". Quant aux minorités, la Commission européenne s’inquiète que "tous les Turcs, quelle que soit leur origine ethnique" ne puissent bénéficier des "mêmes droits culturels". "La situation dans le Sud-est, où la population est à prédominance kurde, n’a pas substantiellement changé", note le rapport.

Cependant pour ne pas heurter la fameuse "sensibilité turque" sur la question kurde, le "partenariat d’adhésion" ne fait aucune mention de mot "kurde", évite toute allusion à la minorité kurde, mettant ainsi son drapeau en poche et ignorant les résolutions récurrentes et explicites du Parlement européen, sur ce sujet, dont la résolution adoptée le 12 juin 1992 à la quasi-unanimité sur "les droits du peuple kurde".

Au Parlement européen, où il est venu présenter ce document, M. Gunter Verheugen, commissaire européen à l’élargissement, a tenu un discours plus explicite pour les eurodéputés estimant que "la Turquie doit améliorer la situation des Kurdes et mettre fin à l’état d’urgence dans les quatre provinces du Sud-est". Il a qualifié de "violation des droits de l’homme" l’interdiction de la "langue kurde sur les ondes". Il a également mis en avant la préoccupation de l’UE concernant "le rôle joué par l’armée dans la vie politique par l’entremise du Conseil national de sécurité". M. Verheugen a tenu à souligner que l’une des priorités du "partenariat d’adhésion" était également de parvenir à "la levée de l’Etat d’urgence dans le Sud-est du pays et à la reconnaissance de droits culturels aux minorités ethniques".

Le rapport reconnaît par ailleurs que l’octroi à la Turquie du statut de candidat à l’adhésion à l’UE, lors du sommet européen d’Helsinki en décembre 1999, a créé une dynamique dans la société turque et "stimulé les forces réformatrices". "Le rapport sur la torture rédigé par la commission des droits de l’homme de l’Assemblée nationale turque en constitue un exemple concret", a affirmé M. Verheugen qui a également rappelé qu’en septembre 2000, le gouvernement turc s’était fixé des "objectifs prioritaires" pour respecter les critères politiques requis pour adhérer à l’Union.

Contrairement aux douze autres postulants, le rapport exclut que des négociations d’adhésion puissent s’ouvrir avec la Turquie qui continue donc à ne disposer que d’un simple statut de candidat à l’adhésion. Pour l’aider à réaliser ses objectifs, la Commission européenne a proposé à Ankara "un partenariat d’adhésion" qui dresse un ensemble de priorités à court et moyen terme dans les domaines politiques et économiques que la Turquie devra réaliser pour remplir les critères d’adhésion.

La Turquie a accueilli favorablement le programme de la Commission européenne tout en soulignant qu’elle ignorerait un passage sur Chypre. "La Turquie refuse l’établissement d’un lien entre sa candidature à l’UE et le dossier chypriote et est déterminée à maintenir sa position", a déclaré Sükrü Sina Gürel, porte-parole du gouvernement turc. Ismail Cem, ministre turc des affaires étrangères a, quant à lui, déclaré que le paragraphe sur Chypre n’avait "aucune validité pour nous". Ankara avait insisté pour que la question de l’île divisée depuis l’occupation de son tiers nord en 1974 par l’armée turque, ne figure pas dans le document.

Le parti de la démocratie du peuple (HADEP- pro-kurde), a vivement critiqué l’Union européenne pour avoir évité d’employer le mot "Kurde" dans le programme. "L’UE n’a pas utilisé le mot Kurde. Nous voyons cela comme une déficience. Quand il y a un problème concernant une certaine communauté, ce problème doit être défini par son nom", annonce un communiqué du HADEP. Malgré ses critiques, le HADEP a qualifié le document de "satisfaisant" dans l’ensemble en estimant que "la réalisation de ces réformes contribuera à la démocratisation de la Turquie". Pour Human Rights Watch, le partenariat n’est pas assez clair et détaillé sur la question des droits de l’homme.

Par ailleurs, le rapport du général Philippe Morillon, eurodéputé français, sur la demande d’adhésion de la Turquie, adopté à une très large majorité, le 14 novembre, par la Commission des affaires étrangères, estime que la Turquie ne remplit pas actuellement tous les critères politiques de Copenhague et réitère sa proposition de mise en place de forums de discussions réunissant des personnalités politiques de l’Union européenne et de la Turquie mais aussi des représentants de la société civile.

Le rapport encourage le gouvernement turc "à intensifier ses efforts de démocratisation, notamment ses efforts en matière de séparation de pouvoirs" (surtout en ce qui concerne l’impact de l’armée dans la vie politique) et à mettre en œuvre les conventions des Nations-Unies relatives aux droits politiques, sociaux et culturels signés récemment."

En outre, la Commission des affaires étrangères demande que des "mesures concrètes en faveur de la protection des droits des minorités" y soient ajoutées. Dans l’attente d’une réforme rendant le code pénal compatible avec le principe de la liberté d’expression, il demande une amnistie pour les délits de presse. De même, le moratoire sur la peine de mort doit être maintenu dans l’attente d’une abolition rapide.

La Commission des affaires étrangères rappelle son attachement à la reconnaissance des droits élémentaires des identités qui compose la mosaïque turque et, rappelant le passé tragique de la minorité arménienne, demande un soutien du gouvernement et de l’Assemblée nationale à cette dernière. Elle demande également qu’"une solution pacifique, respectant l’intégrité territoriale de la Turquie et s’assortissant des indispensables réformes politiques, économiques et sociales" soit apportée au conflit kurde.

Mais le point qui a le plus crispé la Turquie est la question chypriote. La Commission a demandé à ce que "le gouvernement turc [participe], sans condition préalable, aux pourparlers entre les communautés chypriotes, grecques et turques afin de parvenir à un règlement négocié, global, juste et durable qui soit conforme aux résolutions du Conseil de sécurité et aux recommandations de l’Assemblée générale des Nations-Unies." La commission demande à la Turquie "de retirer ses troupes d’occupation de la partie nord de Chypre". Du point de vue d’Ankara, Chypre est en effet le principal nœud du problème. Les autorités turques ont toujours dit qu’elles n’accepteraient jamais que leur adhésion à l’Europe soit liée d’une façon ou d’une autre à la résolution de la question chypriote. Et pour cause : elles prônent le statu quo dans l’île.

ANKARA : LE 4e CONGRÈS DU HADEP : UN NOUVEAU PRÉSIDENT ET DE NOUVELLES POURSUITES JUDICIAIRES

Le parti de la démocratie du peuple (HADEP) a élu le 26 novembre son nouveau président, Murat Bozlak, lors d’un congrès tenu sous forte pression policière et judiciaire. Murat Bozlak avait déjà présidé le parti avant M.Demir, qui faisait partie des 6 candidats qui ont retiré leur candidature pour permettre son élection. M. Bozlak avait dû quitter ses fonctions après une condamnation à la prison pour "propagande séparatiste", en février dernier. "Nous suivrons une politique de dialogue et de concorde qui rassemble l’ensemble de la Turquie", a déclaré M. Bozlak à une assistance surexcitée, dont une seule petite partie avait pu trouver place dans la salle de sports de 3 000 places. Plus de 50 000 personnes avaient fait le déplacement d’Ankara à bord de 1 300 autocars spécialement affrétés pour ce congrès, le quatrième depuis la création du parti en 1994, sous la surveillance de quelque 2 000 policiers.

À la suite de ce quatrième congrès Le HADEP, qui est d’ores et déjà sous le coup d’une menace d’interdiction pour "liens organiques" avec le PKK, a vu s’ouvrir une autre instruction par la Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara. Beaucoup de diplomates et de représentants de partis européens, dont Mlle Feleknas Uca, députée européenne allemande d’origine kurde, s’étaient déplacées pour le congrès. Cette dernière a tenté d’intervenir à la tribune en langue kurde, mais en a été empêchée par le commissaire du gouvernement assistant d’office au congrès. L’ancien Premier ministre italien, Massimo d’Alema a envoyé un message qui fut très applaudi. Les congressistes ont marqué une minute de silence à la mémoire d’Ahmet Kaya "parti au pays des étoiles et des fleurs".

Les responsables du HADEP avaient dénoncé une vague d’arrestations dans leurs rangs, à la veille de leur congrès. Le président de la branche provinciale d’Adana, avait été interpellé le 23 novembre avec huit de ses collabora-teurs. Fatih Sanli et les principaux responsables du parti ont été relâchés dans la soirée du 24, mais quatre membres restent en prison et seront jugés par la Cour de Sûreté de l’Etat pour "aide et propagande au profit d’une organisation illégale". Le secrétaire provincial du HADEP, Ahmet Yildiz, a indiqué que les interpellations avaient débuté dans la province le 19 novembre, à 48 heures du recours devant la Cour Européenne des droits de l’homme d’Abdullah Öcalan. M. Yildiz a également dénoncé des pressions policières dans les provinces voisines de Hakkari, Van, Siirt, où les compagnies de transport ont été obligées de refuser leurs services, ou les bus loués n’ont pu circuler.

Le 14 novembre, le président sortant du parti, Ahmet Turan Demir avait été condamné à dix mois de prison pour "propagande séparatiste" par une Cour de sûreté de l’Etat d’Izmir. "M. Demir a été condamné pour avoir prononcé en 1998 un discours à contenu séparatiste alors qu’il était le chef provincial à Izmir du Hadep", a déclaré son avocat Me Sedef Ozdogan.

Selon l’acte d’accusation, M. Demir a promis dans son discours à "nos martyrs, qui nous guident sur le chemin de la liberté, de parvenir le plus tôt possible à l’objectif qu’ils visent". La Cour a estimé qu’il faisait allusion aux combattants du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Mais selon Me Ozdogan, il faisait allusion aux responsables politiques kurdes qui ont été tués, et non aux militants du PKK. En février et juin dernier, M. Demir avait déjà été condamné à un an, puis 3 ans et neuf mois de prison pour des accusations similaires.

LE CHEF DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT TURCS : "TOUT LE MONDE S’EST SERVI D’ÖCALAN, MAINTENANT C’EST À NOUS DE L’UTILISER

Senkal Atasagün, chef des services secrets turcs (MIT), au cours d’une conférence de presse exceptionnelle, donnée en accord avec le Premier Ministre, s’est prononcé, le 28 novembre, pour des émissions de télévision en kurde comme moyen de contrer la "propagande des indépendantistes kurdes". L’autorisation d’émissions en kurde est l’objet d’un vif débat en Turquie depuis la publication le 8 novembre d’un document de la Commission européenne énumérant les réformes politiques et économiques que la Turquie doit mener si elle veut adhérer à l’UE. Plusieurs articles concernent les Kurdes sans les nommer directement et l’un d’entre eux appelle à la levée des interdictions pesant sur l’utilisation de la langue maternelle. Mais le Parti de l’action nationaliste (MHP, ultra nationaliste) est opposé à des émissions en kurde, y voyant un stimulant pour les aspirations indépendantistes. Le Premier ministre Bülent Ecevit a récemment souligné que le gouvernement devait s’occuper rapidement de cette question, et son adjoint chargé des Affaires européennes Mesut Yilmaz, du parti de la Mère patrie (ANAP), a plaidé pour des émissions en kurde. De plus, après la capture d’Abdullah Öcalan, le MIT avait réalisé un rapport pour la réunion du Conseil national de sécurité (MGK) le 25 février 1999, en détaillant ce qu’il faut entreprendre dans la région kurde. Le rapport, qui comprend également des mesures culturelles, avait créé à l’époque des remous au sein du MGK, mais pour beaucoup, les récentes déclarations du MIT vont dans le même sens.

Dans un rare entretien avec la presse turque, Senkal Atasagün a souligné que : "Medya-TV, qui suit la ligne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) est largement regardée dans le Sud-est…Ils déforment la réalité. Ne serait-ce pas mieux de les mettre en compétition ?". La télévision satéllitaire Medya-TV, proche du PKK, peut être reçue dans toute la Turquie.

Toujours dans le même sens, Mikdat Alpay, le numéro deux du MIT, qui assistait à la conférence, a, quant à lui, rappelé ses années de service au tribunal d’Urfa en 1965 en soulignant qu’à l’époque ils avaient besoin d’un interprète en arabe ou en kurde pour comprendre la population de la région et que "cette situation n’a pas changé aujourd’hui. Si vous voulez gagner le peuple, vous devrez pouvoir être compris par elle. Mais comment ? Avec le langage des signes ? Si vous voulez les gagner, vous devez les atteindre. Leur langue maternelle est le kurde. Comment allez-vous vous mettre à leur expliquer les faits en turc ? Nous devrions pouvoir utiliser le kurde pour le plus grand intérêt de la République de Turquie dans le même sens que nous utilisons Öcalan. Alors, nous devrions pas considérer cela comme si nous avions été contraints, mais comme si nous l’avions voulu. Regardez. Une troupe de théâtre jouant en kurde et s’engageant dans le nationalisme kurde est une chose, l’utilisation de la langue kurde par l’Etat pour être compris de ses citoyens est tout à fait autre chose. La République de Turquie est incapable de gagner le cœur de leurs mères. Selon certaines études, 60 % des mères de la région ne savent pas parler le turc. Nous n’avons jamais mis sur pied un système pour les gagner. Cet Etat ne sait pas s’adresser aux mères. Si nous avions réussi à les gagner, le problème n’aurait jamais perduré jusqu’à nos jours."

Par ailleurs, M. Atasagün a affirmé que la position de la puissante armée turque sur cette question était "100 % conforme à la nôtre" et que l’opposition à des émissions en kurde venait "principalement des hommes politiques". "Les forces de sécurité turques ont fourni un effort particulier concerté. Mais le temps presse. Cet homme (Öcalan) est ici depuis déjà deux ans maintenant, mais la plupart des choses qui auraient dû être réalisées ne l’ont pas été… Nous devrions abandonner l’habitude de regarder l’étranger et les facteurs externes lorsqu’il faut partager les responsabilités de nos erreurs. Nous devrions être plus introspectives … "

Interrogé sur la question de savoir si les différentes composantes de l’Etat avaient auparavant pris connaissance des points de vue du MIT, M. Atasagün a déclaré : "Ayant été interrogés, nous leur avons donné notre opinion, la même que celle que nous vous expliquons. Nous sommes également opposés à l’exécution d’Öcalan… Nous le sommes pour l’intérêt de la Turquie. Ce n’est pas que nous avons peur des conséquences de son exécution, des affrontements ou du chaos. Simplement parce qu’Öcalan est plus utile pour nous. Tout le monde s’est servi d’Öcalan. Pourquoi ne le ferons-nous pas à notre tour dans l’intérêt de la Turquie. D’autre part, selon le chef du MIT, le PKK qui a annoncé en septembre 1999 l’arrêt des combats et son retrait de Turquie "continue d’être une menace aussi longtemps qu’il disposera de 4.500 membres armés à l’étranger et 500 en Turquie".

À la suite des déclarations des services de renseignements, le Premier ministre turc Bülent Ecevit a déclaré que "ceux qui sont à la commande du MIT agissent en pleine connaissance des causes. C’est pourquoi, les déclarations d’Atasagün ne devraient pas être une surprise et que ses observations devraient être bénéfiques". Le MHP a vivement critiqué ces déclarations par l’intermédiaire du ministre de la Défense, Sabahattin Çakmakoglu en indiquant : "je ne crois pas que cela lie le gouvernement".

Les média ont évidemment accordé une très large place aux déclarations du chef du MIT faites au lendemain du Congrès du HADEP et dans le climat de la forte émotion populaire suscitée par la mort d’Ahmet Kaya, condamné à l’exil pour avoir voulu chanter en kurde. Pour certains éditorialistes, S. Atasagün est un Andropov turc qui ne se voile pas les réalités du pays pour des besoins idéologiques.

Réagissant à tout cela, l’éditorialiste Mehmet Ali Birand écrit, le 29 octobre, dans ses colonnes du Turkish Daily News ceci : "Si telle est la situation, alors qui s’oppose à tout cela ?… Vu de l’extérieur, le parti de la Gauche démocratique (DSP) et le parti de la Mère Patrie (ANAP), partenaires de la coalition, semblent avoir une réaction positive, alors que le parti de l’Action nationaliste (MHP) est, comme l’armée, contre … Maintenant, le MIT donne un contre argument et annonce qu’il partage la même opinion que l’armée. Et, grâce à la déclaration du Premier ministre Bülent Ecevit, il a été déterminé que cette déclaration a été faite à partir des instructions données par le Premier ministre. Reste à savoir si les militaires partagent cette opinion. Le directeur du MIT rencontre le chef d’état-major toutes les semaines et partage son avis avec lui. Il est bien trop expérimenté pour ne pas parler devant la presse d’une question susceptible d’être chaudement contestée par l’état-major… Ecevit tente d’affaiblir la résistance du MHP et de l’armée…Faute d’avoir une décision intergouvernementale, le gouvernement utilise les institutions de l’Etat. Et ceci est la démocratie à la Turca…Ce n’est pas grave. Laissons faire les pas sur certaines questions–que ce soit d’une façon ou d’une autre."

VISITE DE CLAUDIA ROTH À LEYLA ZANA

Invitée, le 21 novembre, à une conférence organisée par l’Initiative contre les délits d’opinion, en Turquie, Mme Claudia Roth, députée allemande a pu rendre visite à Leyla Zana à la prison d’Ulucanlar à Ankara, mais n’a pu s’entretenir avec les trois autres anciens députés kurdes emprisonnés dans la même prison. Mme Roth avait essuyé à un refus de la part des autorités turques l’année dernière.

Mme Roth s’est également entretenue avec Hikmet Sami Türk, ministre turc de la Justice, Mesut Yilmaz, vice-Premier ministre, chargé des relations avec l’Union européenne, et Mehmet Akgül, président de la commission parlementaire des droits de l’homme. Claudia Roth et la délégation allemande qui l’accompagne, se sont ensuite rendu au Kurdistan. Mme Roth a mis l’accent au cours de ses entretiens sur les progrès à faire en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme en Turquie.

À Diyarbakir, Mme Claudia Roth a eu "une dispute plutôt violente" avec la police turque. Une équipe de policiers s’appliquait à suivre pas à pas la délégation de la commission des droits de l’homme du Parlement allemand, filmant en permanence et prenant des notes lors de ses entretiens le 23 novembre.

Les cinq parlementaires de la délégation se sont indignés devant ce qu’ils ont perçu comme "un contrôle sur nous et nos interlocuteurs" a ajouté Mme Roth. Tout en disant comprendre la nécessité de mesures de sécurité lors des visites de parlementaires étrangers dans la région kurde, Mme Roth a estimé que la police avait dépassé les bornes. L’Ambassade d’Allemagne à Ankara a dû intervenir auprès du gouvernement turc pour aplanir le terrain et les policiers turcs se sont prudemment tenus à distance.

Au cours de sa visite à Diyarbakir, Mme Roth a rencontré des représentants des autorités locales, dont Feridun Çelik, maire de Diyarbakir. Faisant écho à la déclaration du vice Premier ministre turc, Mesut Yilmaz, elle a déclaré : "Le chemin de l’Europe passe par Diyarbakir…C’est pourquoi je considère le maire de Diyarbakir aussi important qu’un ambassadeur".

À son retour, au cours d’une conférence de presse donnée le 27 novembre, Mme Roth a indiqué : "Il n’y a pas de développement en Turquie en ce qui concerne les droits de l’homme. Mais nous soutiendrons la candidature de la Turquie à l’UE, une fois que des réformes nécessaires seront entreprises…Les Kurdes devraient bénéficier des droits accordés aux minorités et leur identité culturelle devrait être préservée".

La visite et les déclarations de Mme Roth ont soulevé de vives critiques en Turquie, y compris de la part du ministre des affaires étrangères, Ismail Cem, qui a indiqué que ses déclarations étaient "perturbatrices et absurdes". La presse s’est déchaînée contre cette "Allemande insolente". Le directeur du quotidien Sabah a appelé le Gouvernement à "faire taire cette femme allemande qui prétend nous donner des leçons".

LU DANS LA PRESSE TURQUE : NE PENDEZ PAS ÖCALAN

L'examen du recours d’Abdullah Öcalan s’est ouvert, le 21 novembre, près de la Cour européenne des droits de l’homme. Plus de 20 000 Kurdes et Turcs ont manifesté à Strasbourg dans des cortèges séparés. Les partisans d’Öcalan ont réuni, selon la police, 18 500 manifestants venus avec femmes et enfants des quatre coins d’Allemagne [ndlr : 100 000 selon les organisateurs]. Le cortège adverse, moins dense, a mobilisé environ 2 800 personnes la police.

L’éditorialiste Mehmet Ali Birand, dans un article paru dans le au quotidien turc anglophone Turkish Daily News, du 22 novembre, illustre bien les points de vue et attentes des différents protagonistes de l’affaire Öcalan. Voici de larges extraits de cet article intitulé "Nous connaissons déjà le verdict":

"L’affaire Abdullah Öcalan à la Cour européenne des droits de l’homme créé un "précédent". Pour la première fois, toutes les parties attendent le même verdict.

Le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la Turquie, et la Cour attendent tous la même chose… Tout le monde s’attend et désire que le procès dure aussi longtemps que possible. Tout le monde agit sous différents motifs mais avec le même but à l’esprit.

Si le verdict tombe comme prévu, cela se passera comme suit :

"La Turquie n’a pas jugé Öcalan en conformité avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme…" Ce qui va suivre la sentence est encore plus important…

Statuer que la Turquie ne s’est pas conformée aux dispositions de la Convention européenne dans le procès Öcalan, cela reviendrait à dire que la Cour européenne va se contenter de mettre l’accent sur le fait que l’exécution d’un homme n’ayant pas joui d’un procès équitable est une violation de la Convention. …Le reste est du ressort de la Turquie. Soit Öcalan va jouir d’un nouveau procès, soit il va rester en prison à vie.

La Turquie ne veut pas l’exécuter.

La Turquie veut que la Cour européenne statue que le procès Öcalan soit nul et non avenu et demande la suspension de l’exécution.

La plupart des dirigeants croient en la nécessité de ne pas pendre Öcalan ; Seulement, ils ne l’expriment pas ouvertement.

Vous pouvez facilement inclure dans ce lot, les hauts dignitaires de l’armée turque, les services de renseignements turcs (MIT) et le ministère de l’Intérieur.

Vous serez certainement surpris d’apprendre qu’une bonne part des membres du parti de l’Action nationaliste (MHP- ultra nationaliste) partagent la même opinion.

Ils savent que l’exécution d’Öcalan causera le chaos en Turquie et perturbera durement la paix qui a été si difficile à atteindre. Personne ne veut mettre de bâton dans les roues et retourner vers un nouvel état de guerre. Ceux qui appartiennent à la minorité ne sont pas capables de se faire entendre.

Le seul problème dans la structure politique et sécuritaire de la Turquie est la possibilité d’octroyer une suspension de la peine de mort pour Öcalan. Nul n’a le courage de se lever et de dire, "ne pas le pendre c’est de l’intérêt national". Certains craignent de perdre un certain électorat et pensent à la réaction des familles de soldats blessés et tombés au combat.

C’est pour cette raison que la Turquie souhaite que le procès traîne en longueur…

Le PKK adhère à la même idée mais pour des raisons entièrement différentes. L’organisation sait que si Öcalan venait à être exécuté, ils tomberont dans un effroyable désordre. Öcalan a un profil symbolique. Son exécution enfouira ce mysticisme et ouvrira le chemin à une grande lutte intestine du pouvoir. De plus, et malgré tout, Öcalan a une certaine influence dans l’Union européenne. Tout périra s’il était exécuté.

Par ailleurs, au sein du PKK certaines personnes souhaitent la mise à l’écart permanente d’Öcalan…Et ils croient que cela fournira une bonne raison au PKK de continuer la lutte (ndlr : armée).

À l’exception d’une petite minorité, la majorité du PKK désire l’annulation du verdict d’exécution par la Cour européenne.

À l’exception de ceux qui ont une intention pernicieuse, les différents gouvernements de la région (comprenant la Syrie, l’Iran, et l’Irak), veulent tous voir sauvée la tête d’Öcalan. Ils ont tous la même raison. Ils savent qu’avec l’exécution d’Öcalan, le PKK va se raviver et un retour à un état de conflit les perturbera tous. Leurs relations avec la Turquie vont à nouveau devenir tendues…

La Cour européenne connaît la nature symbolique de cette affaire et les répercussions que son verdict est susceptible de créer. Elle sait qu’en statuant : "la Turquie a jugé équitablement", Ankara sera contraint de le pendre, même s’il ne le désire pas…

C’est pour toutes ces raisons que l’on peut d’ores et déjà deviner le verdict."

AINSI QUE...

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE LA TURQUIE POUR VIOLATION DU DROIT À LA VIE


La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné le 14 novembre Ankara, notamment pour "violation du droit à la vie" d’un homme, disparu après son arrestation en 1993 par les forces de l’ordre à Cizre. Le requérant, Besir Tas, assurait que son fils, Muhsin, disparu pendant sa garde-à-vue, avait été tué par les forces de l’ordre, qui l’avaient également torturé. M. Tas, qui réside à Tatvan, regrettait en outre qu’aucune enquête effective n’ait été menée sur la disparition de son fils.

La Cour, qui n’a pas retenu les accusations de torture à l’encontre de Mehsin Tas, a cependant estimé qu’il y avait lieu de "présumer qu’il est décédé après son arrestation par les forces de l’ordre". Elle a également conclu qu’aucune enquête "n’avait été menée sur la disparition au moment des événements".

Par ailleurs, la Cour a condamné Ankara pour "tortures et traitements inhumains et dégradants", à l’encontre de Besir Tas, estimant que ce dernier avait souffert de la conduite des autorités, indifférentes et insensibles à ses inquiétudes, selon elle.

Les juges européens ont alloué 20.000 livres sterling pour préjudice moral aux héritiers de Muhsin Tas, 10.000 livres sterling pour le préjudice moral subi par le requérant et 14.795 livres sterling au titre des frais et dépens.

Ankara a payé 3 millions de dollars en cinq ans dans le cadre de 45 affaires du fait de ses condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme : La majorité des dossiers concernent le Kurdistan, 14 pour la violation de liberté de l’expression, 7 pour meurtres non élucidés, 6 pour torture et traitement dégradant, 3 pour procès injuste, 2 pour interdiction de parti politique et 2 condamnations pour la composition des Cours de sûreté de l’Etat (DGM).

MESSAGE DE COOPÉRATION DE SADDAM HUSSEIN AU GOUVERNEMENT TURC


La Turquie s’engage dans un flirt de plus en plus poussé avec Saddam Hussein. La presse turque annonce une nouvelle phase dans les relations entre Bagdad et Ankara qui déclare avoir perdu plus de 40 milliards de dollars depuis l’embargo imposé par les Nations-Unies contre l’Irak en août 1990.

Ainsi, Tunca Toskay, ministre turc chargé du commerce extérieur, s’est rendu à Bagdad le 30 octobre dernier avec une délégation de onze personnes dont Fuat Miras, président de l’Union des chambres de commerce et de la Bourse de Turquie, à bord d’un premier vol en Irak effectué sur une ligne nationale (Turkish Airlines). Ils ont été accueillis en grande pompe par Mohammed Saleh, ministre irakien du commerce. Le président irakien Saddam Hussein a délivré en personne un message au gouvernement turc : "Vous avez poussé la frontière de l’Europe jusqu’à nos portes. Vous n’avez pas besoin d’aller chercher du gaz naturel à des milliers de km d’ici. Nos ressources de pétrole et de gaz sont à votre disposition, et vos ports sont les nôtres".

La Turquie a décidé de modifier le statut de sa mission diplomatique à Bagdad, de permettre des "vols humanitaires" vers la capitale irakienne, d’ouvrir un second poste frontalier et de rétablir le trafic ferroviair entre les deux pays. Ankara devrait fournir un équipement technique à l’aviation civile irakienne et également former son personnel en échange de quoi les prestations de service dues par les vols de Turkish Airlines ne seront pas facturées.

LA COUR DE CASSATION TURQUE CONSIDÈRE QU’UN REPORTAGE EN KURDE N’EST PAS UN CRIME


La 10ème chambre de la Cour de cassation turque a, le 16 novembre, statué que la diffusion "partielle" des dialogues en kurde au cours d’un reportage à la télévision, ne constitue pas une violation de la loi turque. En l’espèce, le RTUK, équivalent turc du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), saisi par la préfecture et la Direction de la sécurité nationale de Diyarbakir, reprochait à CAN-TV, une chaîne locale à Diyarbakir, d’avoir laissé glisser des propos en kurde dans un programme en turc. La Cour de cassation, a justifié sa "décision clémente" par le fait que "le programme en question n’avait contenu qu’une part infime d’une autre langue que la langue officielle, le turc".

LE PARLEMENT TURC RECONDUIT L’ÉTAT D’URGENCE DANS QUATRE PROVINCES KURDES


Le Parlement turc a, le 21 novembre, décidé de reconduire l’état d’urgence en vigueur dans 4 provinces, dont la levée est l’une des mesures réclamées par l’Union européenne pour une adhésion à terme de la Turquie.

Les provinces concernées sont Tunceli, Diyarbakir, Hakkari et Sirnak. La mesure s’applique pour quatre mois à partir du 30 novembre. Le régime d’exception, l’état d’urgence, est prorogé pour la 41ème fois.

La levée de l’état d’urgence fait partie des mesures politiques réclamées à "moyen terme" à la Turquie par le "partenariat d’adhésion" mis au point par la Commission européenne. Les 4 provinces sont placées depuis 1987 sous la responsabilité du bureau du gouverneur de l’état d’urgence à Diyarbakir, chargé de coordonner la lutte contre le PKK.

L’ÉTAT-MAJOR TURC AUTORISE À TITRE EXCEPTIONNEL LES JOURNALISTES À SE RENDRE AU KURDISTAN IRAKIEN


Des agences de presse prestigieuses telles que Reuters, BBC, AP, ont été autorisées par l’état-major turc à se rendre au Kurdistan irakien selon le quotidien turc Milliyet du 19 novembre. Les responsables turkmènes ont justifié cette autorisation exceptionnelle en déclarant : "l’autorisation a été fournie pour afficher l’existence des Turkmènes au nord de l’Irak outre les Kurdes de la région". Le second congrès turkmène a débuté à Erbil le 15 novembre. Pour le premier congrès, les journalistes s’étaient vus opposés un refus de la part de l’armée turque.

ARMEMENT : BOEING REMPORTE UN CONTRAT DE $ 1,5 MILLIARD EN TURQUIE


Le Premier ministre turc Bülent Ecevit a annoncé le 27 novembre que la Turquie allait finalement négocier avec la firme américaine Boeing un contrat de 1,5 milliard de dollars pour au moins six avions de contrôle (AWAC) tendant à renforcer la capacité de surveillance radar du pays. La première livraison est prévue pour 2003. Le Premier ministre a également précisé que la Turquie ouvrirait des négociations avec la firme américaine Raytheon Corp., si un accord n’était pas obtenu avec Boeing.

"LE MILITARISME DES MÉDIA TURCS"


À l’occasion de la parution de son nouveau livre "Medyamorfoz", le journaliste et universitaire turc Ragip Duran a accordé une interview au quotidien Yeni Gündem du 27 novembre où il donne son point de vue critique, sur le monde des média turcs. Extraits :

"Question : Dans votre livre, vous avez particulièrement mis l’accent sur le militarisme des media turcs. Que peut faire une Turquie, candidate à l’Union européenne civile, avec des média militaristes ?

R.D. : "L’origine du militarisme des médias turcs réside dans le fait qu’ils sont liés politiquement et idéologiquement à l’état-major (des armées). Le militarisme des média turcs ne se remarque pas seulement dans ses publications mais également dans ses services internes. Le gros titre de n’importe quel journal, ou encore la nouvelle en une colonne en page sept, sont directement dictés par les lèvres de celui qui à la tête du journal. En d’autres termes, les journaux sont dirigés exactement comme des casernes. Je peux même dire que les média sont plus militaristes que le ministère de la Défense. Si la Turquie envisage une telle adhésion (à l’Europe), elle se doit d’organiser une démilitarisation dans toute la société y compris dans les média.

Question : Les relations des organes de presse avec Ankara en Turquie influencent les politiques d’édition. Le concept de "groupe de média" a laissé sa place au "groupe d’intérêt". Est-ce qu’il y a d’autres pays où cela se passe aussi ouvertement ?

R.D. : Ce n’est pas propre à la Turquie. Les représentants des partis politiques ont également le droit de donner leur opinion. Mais la différence est qu’en Turquie, les média ne sont pas affiliés au gouvernement mais à l’Etat. Par exemple, pendant la coalition Refahyol [ndlr : coalition gouvernementale entre le parti de la Juste Voie (DYP) de Mme Tansu Çiller et le parti de la Prospérité (RP- islamiste-dissous) de M. Necmettin Erbakan], adepte d’un culte de la laïcité atatürkiste, ils ont réussi à installer les fondements idéologiques du coup d’Etat post-moderne du 28 février (1997) avec l’aide de l’armée turque. Il y a encore une autre particularité en Turquie, c’est que les média indépendants sont entièrement de partis pris pour l’Etat. Si vous masquiez les noms des cinq plus importants quotidiens et que vous cachiez les noms de leurs journalistes, vous ne pourriez pas deviner quel l’article appartient à quel journal. Car, ils disent tous exactement la même chose. Tous essayent d’injecter abondement les orientations politico-idéologiques de l’Etat et de faire sa propagande idéologique. Il y a une effroyable pauvreté en cela. Tout le monde se nourrit des mêmes sources. Et cette source est l’idéologie officielle. Mais, l’idéologie officielle turque n’est ni très riche, ni variée et non plus libérale démocrate. Cette situation, quant à la structure de la société, tend à dévisser toutes les personnes. Cela ne peut pas se produire en Occident. Bien évidemment, en Occident chaque journal a des préférences idéologiques, mais elles sont toutes différentes les unes des autres."

LE PARLEMENT EUROPÉEN RECONNAÎT LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN


Le Parlement européen a, le 15 novembre, adopté une résolution demandant à la Turquie de reconnaître publiquement le génocide arménien et de retirer ses troupes du nord de Chypre.

La Turquie a tout de suite dénoncé en termes vifs la mention du génocide arménien ainsi que des problèmes de Chypre et des Kurdes dans le rapport du Parlement européen. "Le rapport, malgré certaines approches positives, contient des phrases malheureuses sur le retrait des troupes turques de Chypre, le règlement de la question kurde et le génocide arménien", a souligné le ministère turc des Affaires étrangères dans un communiqué. Ces références sont dues à un "complexe" et à "des sentiments d’hostilité basées sur des raisons religieuses", selon le ministère. "Il serait beaucoup plus bénéfique et approprié que le Parlement européen fasse des observations constructives basées sur des faits historiques et prenne des décisions objectives au lieu de juger l’histoire et la culture d’un pays", ajoute le communiqué.

"La Turquie a mené l’opération de paix de 1974 conformément à ses droits et obligations internationaux découlant de son statut de garant de l’île", souligne le texte. Selon lui, quelques 35.000 soldats turcs sont stationnés dans le nord pour "maintenir la paix et la sécurité et éviter une répétition des massacres commis par les Chypriotes grecs contre la partie turque".

Le ministère dénonce également la mention d’un règlement de la question kurde: "Que cela soit clair dès le départ, il n’existe pas de problème kurde en Turquie".

LE SÉNAT FRANÇAIS RECONNAIT AUSSI LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN


Dix-huit mois après le vote d’une proposition de loi à l’Assemblée nationale en mai 1998 énonçant que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien", le Sénat français a, le 8 novembre, reconnu à son tour par 164 voix contre 40 (4 abstentions) le génocide arménien. Les massacres et déportations d’Arméniens entre 1915 et 1917, sous l’Empire ottoman, ont fait jusqu’à 1,5 million de morts. La Turquie reconnaît des massacres ayant fait entre 250 000 et 500 000 morts, mais rejette la thèse d’un génocide et parle d’une répression dans un contexte de guerre civile.

Le vote français est intervenu moins de deux mois après que la Chambre des représentants américains eut retiré in extremis, mais provisoirement, une résolution comparable, sous la pression de Bill Clinton. Le 27 février dernier, la Conférence des présidents du Sénat avait refusé d’inscrire à son ordre du jour la proposition de loi craignant des réactions d’Ankara à la veille d’un voyage de Jacques Chirac en Turquie où devaient être discutés des contrats industriels. Le gouvernement et l’Elysée s’étaient opposés depuis le début à cette proposition de loi, refusant de la transmettre au Sénat pour des raisons économiques et politiques.

À l’annonce du vote, le gouvernement turc a vivement critiqué la décision du Sénat et le ministère turc des affaires étrangères ainsi que des députés ont publié des communiqués dénonçant un "complot international contre la Turquie". Ankara affirmé que "cette décision revient à distordre fâcheusement les réalités historiques et à calomnier une nation entière par des allégations dénuées de tout fondement".

Quelques voix se sont cependant élevées pour soutenir que la Turquie devait faire face sans crainte à son histoire et en débattre. Ainsi, Dogu Ergil, professeur à la faculté de sciences politiques d’Ankara, remarque: "Il y a un trou noir dans l’histoire avant la République qui n’a jamais été comblé… Ce qui prête le flanc au surgissement régulier de cette question est le fait que la Turquie emploie encore les mêmes méthodes aujourd’hui - contrainte, violence, et déplacement de population–pour traiter la question kurde dans le Sud-est".

Le texte adopté au Sénat français, devra retourner à l’Assemblée nationale pour avoir force de loi. Ankara redoute à présent d’avoir à faire face à d’autres votes, en particulier en Italie où des députés ont soumis un projet de loi comparable.