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Bulletin N° 181 | Avril 2000

 

LE PARLEMENT TURC CLOT DÉFINITIVEMENT L’ÈRE DEMIREL

LE Parlement a, le 5 avril 2000, rejeté au second tour l’amendement cons-titutionnel qui aurait prorogé le mandat du président Demirel de cinq ans. À l’issue du vote, 303 bulletins "pour", 177 " contre", 26 "blancs", 23 "nuls" et 6 "abstentions" ont été enregistrés pour les dispositions concernant l’article 101 de la Constitution relatif au mandat du président turc et cela malgré les menaces ouvertes, proférées par le Premier ministre Bülent Ecevit et son vice-Premier ministre Devlet Bahçeli, respecti-vement leaders du parti de la Gauche Démocratique (DSP) et du parti de l’Action nationaliste (MHP-ultra-nationaliste), les deux principaux partis de la coalition gouvernementale tripartite. Le rejet s’est donc exprimé d’une manière très nette. M. Demirel devra quitter ses fonctions, comme prévu, le 16 mai prochain.

Les analystes ont noté que le Parlement n’avait pas apprécié les pressions exercées contre lui et que les leaders avaient fait l’erreur de proférer des menaces ouvertes le 3 avril à l’encontre des 324 députés qui avaient signé une motion de soutien pour l’extension du mandat présidentiel. Les observateurs notent que les différents partis gouvernementaux sortent très affaiblis de cet échec humiliant pour M. Demirel et M. Ecevit.

Erkut Yüceoglu, président du TUSIAD, l’équivalent turc du MEDEF, a demandé à ce que le futur président ne soit pas un ex-général mais un civil: " Il est indéniable qu’il y a des bureaucrates estimables dans l’armée. Cependant il serait préférable dans les conditions actuelles que l’on ait un président civil". M. Ecevit n’etant pas diplômé de l’université, il ne pourra pas se présenter conformément à la Constitution turque. Les différents partis n’accepteront pas non plus que le DSP soit à la tête du gouvernement et de la présidence da la République. M. Bahçeli ne semble pas disposé à briguer ce mandat, mais nombreux sont les députés ultra-nationalistes qui déclarent que ce poste devrait revenir tout naturellement au MHP "qui a fait d’énormes concessions" lors de la constitution du gouvernement et de la nomination du président de l’Assemblée nationale confiée au parti de la Mère Patrie (ANAP) de Mesut Yilmaz.

Après des manœuvres politico-médiatiques de plusieurs semaines les leaders des cinq partis politiques représentés au Parlement sont finalement convenus le 25 avril de proposer Ahmet Necdet Sezer, président de la Cour constitutionnelle turque pour la candidature à la présidence de la République.

M. Sezer étant un candidat hors Parlement, 110 signatures de députés - un cinquième des sièges - étaient requises pour la régularité de la candidature alors que l’on était au dernier jour de la date de clôture de dépôt de candidatures. C’est le soutien du parti islamiste qui a le plus surpris les observateurs puisque son prédécesseur, le parti de la Prospérité (RP), avait été dissous avec l’accord de M. Sezer. "Nous préférons regarder vers l’avenir plutôt que de focaliser sur le passé" a déclaré le leader du FP, M. Kutan.

Le président de la cour constitutionnelle s’était fait remarquer par son allocution, le 26 avril 1999, à la cérémonie du 38e anniversaire de l’institution suprême, cérémonie à laquelle les principaux dignitaires dont le président Demirel, le président du Parlement Yildirim Akbulut, le président de la Cour de cassation, Sami Selçuk, Mesut Yilmaz, Recai Kutan mais aussi Luzius Wildhaber, président de la Cour européenne des droits de l’homme, avaient pris part. Il avait alors formulé de vives critiques contre la Constitution turque et plus particulièrement contre l’article 104 relatif aux pouvoirs accordés au président turc arguant que ceux-ci excédaient les limites de la démocratie parlementaire. "Selon la Constitution, le président n’est pas seulement une partie du corps exécutif, mais détient des pouvoirs spéciaux et une position supérieure à celle de l’Etat… Les pouvoirs accordés par l’article 104 excédent de loin les limites de la démocratie parlementaire…" avait-il affirmé. Il avait également critiqué l’intouchable Conseil de sécurité nationale (MGK), véritable pouvoir suprême du pays, en soulignant que les lois issues du MGK en vertu de l’article 15, temporaire alors, n’ont pas été soumises à un examen constitutionnel. Il avait ajouté que de nombreuses lois du MGK promulguées au cours des périodes d’état d’urgence, de la loi martiale ou encore d’état de guerre sont contraires à la Constitution en la forme et au fond et qu’elles ne pouvaient pas être utilisées contre quiconque devant un tribunal.

La presse turque a largement salué le 26 avril la candidature de M. Sezer. Les quotidiens turcs Sabah et Milliyet ont tous deux salué en leur Une "L’accord historique" Hürriyet a titré "Voici la démocratie" en publiant la photo mettant en scène la signature des cinq leaders politiques. Cependant la démocratie s’est très vite révélée "à la turca". Tout juste après l’officialisation de la candidature de M. Sezer, les leaders du parti MHP et d’ANAP ont demandé aux candidats de leur parti de se retirer de la compétition. Le refus de certains, au nom de la démocratie, du multipartisme et conformément à la Constitution, a rapidement échauffé les esprits surtout de la majorité ultra-nationaliste du Parlement. Ainsi, lorsque Sadi Somuncuoglu, ministre d’Etat affilié au MHP, s’est rendu au Parlement pour déposer sa candidature, des députés de son parti l’ont pris à partie, lui et ses gardes du corps. Dans un premier temps, Sevket Çetin et Ahmet Çakar, deux hauts responsables du MHP, sont montés dans sa voiture pour l’en dissuader. Cemal Erginurt, député MHP d’Ordu, qui avait déjà organisé une descente armée au bureau de Tunca Toskay [ndlr : ministre d’Etat, proposé à la candidature par le MHP avant l’accord] a ensuite directement et brutalement menacé M. Somuncuoglu : "Je vous tuerai crétins! Je suis député. Vous vous prenez pour qui ? Démissionne de MHP! Tu as trahi les nationalistes turcs. Tu as même trahi Turkes [ndlr : chef historique et fondateur du MHP, aujourd’hui décédé] dans les jours difficiles du MHP tu l’as quitté et es devenu député d’ANAP" a-t-il vociféré devant les caméras de télévision. Sevket Çetin, chef adjoint du parti, présent sur les lieux, à l’origine pour calmer les passions, a simplement rétorqué aux journalistes : "On ne laissera pas au bon vouloir de quelqu’un une affaire de 35 ans. Chez nous c’est la tradition qui joue. Il n’a pas respecté la tradition. À partir d’aujourd’hui Il ne pourra pas mettre l’uniforme du MHP". Interrogé un peu plus tard sur la sanction que le parti pourra prononcer à l’encontre du député-agresseur, M.Çetin a répliqué : "Pourquoi le sanctionner ? C’est un de nos plus éminents amis députés. Il a réagi à la provocation et a opposé sa réaction ‘Ülkücü’ [ndlr : sobriquet des Loups gris turcs]. Le ton était tout autre le 27 avril dans les médias turcs. Le quotidien Sabah a mis en sa Une les propos de Cemal Erginurt "Si j’avais une arme, je l’aurais tué". Fatih Altayli, l’éditorialiste au quotidien Hürriyet écrivait le même jour à propos des cinq leaders : "personne ne peut prétendre qu’ils sont plus démocrates que les généraux. Ils dirigent leurs partis comme des généraux voire des führer… Ce sont cinq dictateurs. La différence avec les généraux de la junte c’est qu’ils ne sont pas à la retraite…"

Le premier tour des élections s’est tenu le 27 avril dans ce climat très tendu et il a déjoué une fois de plus les pronostics de la classe politico-médiatique turque. Le juge Sezer n’a recueilli que 281 voix sur les 530 députés présents [Le Parlement turc comprend 550 députés]. Nevzat Yalçintas du FP arrive en seconde position avec 61 voix, suivi de Sadi Semuncuoglu avec 58, puis Yildirim Akbulut avec 56 voix. L’ancien chef d’état-major, Dogan Gures, récolte 35 voix, Rasim Zaimoglu 7, Agah Oktay Güner 5, Oguz Aygun 4 et Mail Büyükerman 3 voix. Nombre de députés semblent avoir boudé un candidat désigné hors Parlement qui leur est tout simplement imposé. Le second tour, des élections aura lieu, le 1er mai, le troisième le 5 mai et le quatrième et dernier tour s’il y a lieu, est prévu pour le 9 mai.

Un sondage effectué par la société spécialisée turque ANAR auprès de 1483 personnes indique que 36 % des participants soutiennent la candidature d’Ahmet Nejdet Sezer aux élections présidentielles. Aucun des autres candidats n’a pu recueillir plus de plus de 10 % alors que 15 % d’entre eux restait sans opinion sur le choix du président.

Le chiffre le plus saisissant est que 83,4 % des personnes interrogées demandent à ce que le futur président turc ait des dispositions démocratiques. 71,3 % sont d’avis que le futur président devrait strictement adhérer aux principes séculaires alors que 63,8 % soulignent que celui-ci devrait être un croyant qui respecterait les normes et valeurs religieuses.

Par ailleurs, 56,7 % des personnes interrogées, contre 31,3 % et 12 % sans opinion, soutiennent le rejet de l’amendement constitutionnel par le Parlement turc relatif à l’extension du mandat du président Demirel de cinq ans. Plus encore, 77,5 % d’entre eux affirment que le président Demirel ne devrait pas retourner dans la vie politique après la fin de son mandat le 16 mai. Le Premier ministre Bülent Ecevit, quant à lui, recueille 57,7 % d’opinions défavorables contre 26,3 % sur une éventuelle candidature présidentielle.

LA VISITE DU PRÉSIDENT ALLEMAND À ANKARA

ohannes Rau, le président allemand, s’est rendu le 6 avril 2000 en Turquie dans le cadre d’une visite officielle. Après avoir rencontré son homologue turc Suleyman Demirel au lendemain de sa cuisante défaite au Parlement turc, il s’est entretenu avec le Premier ministre Bülent Ecevit le 7 avril. Lors de l’entretien, M. Ecevit a critiqué la politique allemande vis-à-vis des organisations islamistes turques sur son sol et le Président Rau a exprimé sa déception pour l’incarcération d’Akin Birdal, vice-président de la Fédération Internationale des droits de l’homme (FIDH) et la situation des députés kurdes emprisonnés en Turquie. Les leaders des principaux partis politiques n’ont pas assisté au dîner offert par le président turc en l’honneur de son homologue allemand.

Le président Rau s’est entretenu le même jour avec les représentants des différentes organisations de défense des droits de l’homme en Turquie : Yavuz Önen, président de la fondation turque des droits de l’homme, Hüsnü Öndül, président de l’association turque des droits de l’homme (IHD), Yilmaz Ensarioglu, président de MAZLUM-DER, Ali Ersin Gür, président de l’association des juristes modernes, Nevzat Helvaci, président du conseil turc des droits de l’homme, et Yusuf Alatas, un des avocats du parti kurde de la démocratie du peuple (HADEP) et également avocat des députés kurdes du parti de la démocratie (DEP-dissous). M. Rau a déclaré qu’il avait "noté les développements positifs enregistrés en matière des droits de l’homme, mais il reste beaucoup de choses à faire". Il a souligné qu’il y avait une déficience au niveau de l’éducation de la police et des juristes et de l’application des lois.

Le président allemand a aussi clairement indiqué que son pays ne vendrait pas de chars à l’armée turque.

Les milieux proches de l’armée turque voient d’un très mauvais œil les visites des représentants occidentaux aux défenseurs des droits de l’homme. Ainsi, Emin Çölasan, journaliste proche de l’armée, écrivait le 7 avril dans le quotidien Hürriyet : "Le président allemand est venu aussi et nous avons assisté une nouvelle fois au même scénario. Hier matin, il s’est entretenu avec les représentants "des droits de l’homme ". Il avait ajouté à la liste l’avocat du HADEP ! Soit nous n’arrivons pas à expliquer quelque chose à ces hommes venus d’Europe soit ils ne veulent rien comprendre. Le pays a perdu 40 000 personnes à cause de la terreur du PKK. Comment est-ce que l’Europe peut-elle donner autant de caution à ces gens qui soutiennent la terreur ? Hier, la Turquie a été de nouveau espionnée derrière des portes closes. Vous pouvez voir que ce genre de réunion terminée, aucune déclaration n’est faite (…) La Turquie est dénoncée (…) et nos média, nos hommes politiques et notre opinion publique ne disent mot ! (…) Personne ne proteste (…) Jamais la Turquie n’a été à ce point humiliée. N’y a-t-il pas quelques députés patriotes pour dénoncer cette situation inacceptable ?".

WASHINGTON : UNE CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES KURDES MALGRÉ LES PRESSIONS TURQU

LE Center for Global Peace de l’American University de Washington en coopération avec la nouvelle chair Mustafa Barzani Global Kurdish Studies, a organisé les 17 et 18 avril 2000 une conférence internationale sur le thème "The Kurds Search for Identity".

Des universitaires américains et européens, kurdes, turcs, arabes et iraniens ont été conviés à cette réunion d’information et de réflexion sur la question kurde, ses implications pour la paix et la stabilité au Proche-Orient et sur les moyens de la résoudre.

Organisée dans un esprit académique pluraliste et inclusif, cette conférence ne devait pas en principe provoquer des remous politico-diplomatiques. Cependant, une semaine avant la réunion les média turcs ont lancé une campagne orchestrée d’intimidation et de dénigrement, accusant Washington d’encourager le séparatisme kurde. Les critiques turques étaient focalisées sur deux points :

1) La participation à la conférence d’un haut diplomate américain, Francis J.Ricciardone, coordinateur américain pour l’Irak à une table ronde présidée par Richard W. Murphy, ancien secrétaire d’Etat adjoint et où devait également s’exprimer le président de l’Institut kurde de Paris, Kendal Nezan, que le gouvernement turc considère comme "hostile à la Turquie". 2) Présentation de Nechirvan Barzani, hôte du dîner officiel de la conférence, comme "Premier ministre du gouvernement régional du Kurdistan irakien". Ankara ne veut pas entendre parler d’un "gouvernement kurde" même régional et encore moins de "ministre" ou d’un "Premier ministre" kurde, alors qu’il déploie tant d’efforts pour faire reconnaître la minuscule "République turque de Chypre du Nord".

Malgré toutes les pressions médiatiques et diplomatiques, l’administration et l’université américaines n’ont pas cédé, les dirigeants kurdes irakiens non plus. "Si les Turcs en sont à vouloir censurer la liberté d’expression à Washington, on peut imaginer ce qu’ils font chez eux" ont commenté des journalistes américains. La conférence s’est déroulée conformément à son programme initial et sans incident.

DEUX DISPARTIONS : IBRAHIM AHMED ET PIERRE RONDOT

L'une des figures majeures de la vie culturelle et politique du Kurdistan irakien,, Ibrahim Ahmed, est décédé le 8 avril à son domicile londonien à l’âge de 86 ans.

Mamosta Ibrahim Ahmed est né le 6 mars 1914 à Suleimanieh, dans une famille de commerçants aisés. Il obtient son diplôme de Droit, à l’Université de Bagdad, en 1937 et publie ses premiers poèmes dans les revues kurdes Hawar (L’Appel, Damas 1932-1945) et Jiyan (La Vie, Suleimanieh 1926-1938). En même temps qu’il exerce le métier d’avocat et de juge à Hewlêr et Halabja, il fonde en 1939 la revue Gelawêj (Sirius, Bagdad 1939-1949) qui, grâce à la collaboration active de l’élite intellectuelle kurde en Irak, contribue de façon significative à l’essor de la littérature kurde soranî. En 1944, il adhère au Komela Jiyanewey Kurdistan (Association pour la renaissance du Kurdistan) qui sera l’âme de la brève République kurde de Mahabad (1946). Dans la même année, le Parti Démocratique du Kurdistan d’Irak est fondé et Ibahim Ahmed en est le secrétaire général, inculpé d’association avec le parti communiste irakien, il est arrêté et condamné à deux années de prison ferme suivies de deux années de mise en résidence surveillée. En octobre 1958 Ibrahim Ahmed est désigné par ses camarades pour accompagner le retour d’exil de Mostafa Barzani et de ses compagnons, en Irak.

À Bagdad, en 1959, il fait paraître Körewarî (La Misère), un recueil de nouvelles déjà publiées dans Gelawêj. Janî Gel (La douleur du peuple), le premier roman en soranî, ne paraît qu’en 1972, à Suleimanieh. Les premières pages du roman avaient été publiées dans l’hebdomadaire politico-culturel Rizgarî (Libération, Suleimanieh, avril 1969-mars 1970). Janî Gel contribue à la définition du réalisme socialiste au Kurdistan irakien. En partie autobiographique, le roman relate la lutte des Kurdes rendus conscients. Si l’auteur par prudence évite de révéler la nationalité de ses héros, les lecteurs ne s’y trompent pas et réservent un accueil chaleureux à cette oeuvre qu’ils considèrent comme l’équivalent kurde de La Mère de Maxime Gorki. Ce roman a été traduit en persan par Mohamed et Ahmed Qazi (éd. Agâh, 1978) et en kurde kurmancî sous le titre de Jana Gel, Stockholm 1992. Il a été traduit en français, sous le titre de Mal du Peuple par Ismael Darwish aux éditions l’Harmattan en 1994.

La débâcle de l’insurrection kurde en Irak en 1975 contraint Ibrahim Ahmed à l’exil en Grande-Bretagne et c’est là qu’il publie à partir de juillet-août 1979 Çiriskey Kurdistan (L’étincelle du Kurdistan). Dirk û Gul (L’épine et la rose) paraît à Stockholm en 1991. Des romans et des mémoires sont encore inédits.

Sur le plan politique, I. Ahmed a animé avec notamment son gendre Jalal Talabani, la contestation du leadership de Mostafa Barzani sur la résistance kurde d’Irak, qui a débouché sur une scission en 1966. Après une éphémère réconciliation en 1970, ce mouvement dissident s’est organisé en 1975 sous le nom de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) dirigé depuis sa fondation par J. Talabani. Ibrahim Ahmed qui avait pris un certain recul de la vie politique s’est, ces dernières années, investi dans les différentes organisations de la mouvance du PKK (Parlement kurde en exil, Congrès national du kurde, etc.).

Conformément à ses dernières volontés, son corps a été inhumé dans sa ville natale. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont participé à ses funérailles.

Le 6 avril, le général Pierre Rondot, ami de longue date du peuple kurde, grand spécialiste du monde arabe et des Chrétiens d’Orient, s’est éteint à Lyon à l’âge de 96 ans.

Général de brigade, directeur du Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie modernes (Cheam), professeur aux instituts d’études politiques de Grenoble, Lyon et Paris, il a été aussi écrivain et journaliste.

Né le 2 juin 1904 à Versailles, il entre à Saint-Cyr à l’âge de dix-sept ans. Officier dans la Légion étrangère au Maroc, il est nommé, en 1929, dans les services politiques du Haut-Commissariat de la France au Levant. Il y passe huit ans qui déterminent sa vocation. Il fit connaissance avec des frères Bedir Khan, appris le kurde, soutint leurs efforts de renouveau culturel kurde autour de la revue Hawar et publia des articles sur les Kurdes.

Après la campagne de France (1939-1940) et des missions en Syrie et en Turquie, il participe au débarquement en Provence.

En 1946, il soutient sa thèse de doctorat en droit sur les " Institutions politiques au Liban " (Maisonneuve, 1947). Après avoir été observateur de l’ONU en Palestine, en 1949, il ne cessera de défendre les droits des Palestiniens. Directeur de l’administration centrale de l’armée tunisienne, en 1954, il a été maintenu par Habib Bourguiba à ce poste qu’il a quitté en 1956. En effet, collaborateur de Robert Montagne, un des grands maîtres de la sociologie de l’islam, il lui a succédé, entre-temps, à la tête du Cheam qu’il dirigera jusqu’en 1967. Ferme dans ses convictions, il adhère à l’Association de solidarité franco-arabe dont il sera vice-président jusqu’à sa mort.

Auteur de plusieurs livres dont Les Chrétiens d’Orient (Peyronnet, 1955), Destin du Proche-Orient (Centurion, 1959), L’Islam et les musulmans d’aujourd’hui (l’Orante, 1965), Pierre Rondot a collaboré à nombre de publications (Le Monde diplomatique, La Croix, Réforme, Défense nationale, France-Pays arabes... ). Commandeur de la Légion d’honneur et de l’ordre du Cèdre, il était aussi croix de guerre.

Le général Rondot, tenait à chacun de ses déplacements à Paris, à rendre une visite amicale à l’Institut kurde pour se tenir informé des derniers développements de l’actualité kurde. En 1993, il avait fait une intervention émouvante dans le colloque " La langue kurde à l’horizon de l’an 2000 " tenu à la Sorbonne. Il demeura jusqu’à ses derniers jours un ami fidèle et un défenseur ferme du peuple kurde.

Ses obsèques ont été célébrées le 13 avril à Lyon en présence de sa famille, de l’archevêque maronite du Liban, du président de l’Institut kurde et de ses nombreux amis arabes et français.

AINSI QUE...

PROCÈS DES MAIRES DU HADEP : SEPT ANS DE PRISON REQUIS


La Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir a poursuivi le 24 avril le procès de 22 membres du parti de la démocratie du peuple (HADEP) accusés de "connexion avec le PKK". Parmi les accusés figurent Feridun Çelik, Selim Özalp, Feyzullah Karaaslan, respectivement maires HADEP de Diyarbakir, Siirt et de Bingöl qui avaient été arrêtés manu militari le 19 février, déchus de leurs fonctions puis, face au tollé général et à la pression internationale, libérés et réintégrés le 28 février 2000.

Les trois maires, qui étaient absents de l’audience, risquent jusqu’à sept ans de prison ferme sur le fondement de l’article 169 du code pénal turc. L’accusation est essentiellement fondée sur les présumés contacts entre les maires et un commandant du PKK, Murat Karayilan, qui s’est réfugié aux Pays-Bas. La justice turque va jusqu’à leur reprocher l’embauche des membres de familles de combattants du PKK dans les services municipaux.

Sept ans de prison ont été également requis contre 11 autres personnes, alors que 8 autres inculpés risquent jusqu’à 15 ans d’emprisonnement pour appartenance au PKK. La cour s’est refusée à lever l’interdiction de voyager prononcée contre les maires et a fixé au 20 juin la prochaine audience du procès.

LES LIVRES DE L’ECRIVAIN KURDE MEHMET UZUN SAISIS ET INTERDITS PAR LES AUTORITÉS TURQUES


Par décision datée du 4 février 2000 de la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir N°4, les livres en turc et en kurde de Mehmet Uzun, écrivain kurde, ont été saisis et interdits par les autorités turques depuis le 21 mars 2000. De nombreux écrivains et intellectuels de part le monde continuent de protester contre cette décision qui porte clairement atteinte à la liberté d’expression.

Un appel a été lancé par l’Union des écrivains suédois, l’Institut kurde de Paris et des intellectuels, pour protester contre cette saisie : " Nous appelons l’Union européenne à présenter au gouvernement turc un ultimatum pour qu’il se conforme aux conditions qui garantissent à tous les groupes ethniques du pays, la liberté de l’expression, la liberté de la presse, la liberté de l’information, et les droits de l’homme (…) ".

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME ACCORDE UNE INDEMNITÉ DE $ 3000 À UNE JEUNE FILLE TORTURÉE EN TURQUIE


La Turquie a été condamnée le 11 avril 2000 par la Cour européenne des droits de l’Homme pour des tortures infligées lors d’une garde-à-vue à une jeune femme, soupçonnée d’avoir des liens avec le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). La Cour a jugé que les preuves soumises par Mme Sevtap Veznedaroglu, " ne permettent pas d’établir si ses blessures ont été ou non infligées par des policiers, si elle a été torturée dans la mesure où elle le dit ". Mais les juges ont estimé à " l’unanimité " que l’article de la Convention européenne des droits de l’homme, interdisant la torture, a été violé, " en raison, de l’absence d’enquête de la part des autorités " sur les allégations formulées par Mme Veznedaroglu.

Le 4 juillet 1994, la jeune femme avait été interrogée par la police, avant de signer, sous la contrainte selon elle, une déclaration dans laquelle elle reconnaissait ses liens avec le PKK. Jugée le 15 juillet, elle avait été acquittée faute de preuve. Mais la jeune femme s’était plainte d’avoir été torturée durant sa garde-à-vue. Deux médecins différents l’avaient examinée constatant des bleus au bras et au tibia. " Le procureur disposait dans son dossier des rapports médicaux (…) Or rien n’a été fait pour obtenir plus de renseignements auprès d’elle ni pour questionner les policiers qui l’avaient interrogée pendant sa garde-à-vue ", a critiqué la Cour. La Turquie a été condamnée à 2000 dollars pour dommage moral et 1000 dollars pour frais et dépends à la plaignante.

BILAN DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME (IHD) À ISTANBUL EN MARS 2000


La branche d’Istanbul de l’IHD a rendu public son bilan des violations des droits de l’homme. Voici de larges extraits :

Nombre de placements en garde-à-vue 1796
Femmes 595
Hommesv 1098
Enfants 103
Nombre d’assassinats en prison 1
Nombre de cas rapportés à l’association 38
Nombre de femmes torturées 16
Nombre d’hommes torturés 22
Nombre de blessés par balle tirée par la police 3
Nombre de meurtres non élucidés 2
Nombre de revues perquisitionnées ou attaquées 4
Personnels de la presse placés en garde-à-vue 34
Télévisions et radios fermées par décision du RTUK 7
Nombre de jours d’écran noir 22
Nombre de livres saisis 1
Nombre de revues et journaux saisis 20
Nombre de journalistes et écrivains arrêtés 2
Nombre de syndicats et d’associations fermés 4
Condamnations pour délit d’opinion 5 ans 9 mois


APPEL AU DÉMINAGE DU KURDISTAN


Dr. Serdar Necmioglu, professeur à la Faculté de médcine de l’Université de Dicle de Diyarbakir, a appelé le gouvernement turc à entreprendre un déminage des provinces kurdes en soulignant le dangers encourus par la population de la région. Selon les registres de l’Université, entre octobre 1998 et janvier 1999, les mines ont causé 25 morts et 36 blessés, majoritairement des soldats, des protecteurs de village ou encore des civils. Entre octobre 1999 et janvier 2000, 8 personnes ont perdu la vie et 14 autres ont été blessées par l’explosion des mines dans les régions de Kulp, Diyarbakir, Lice, Hani, Hazro, Dicle et Silvan. Entre janvier 2000 et avril 2000, dans 21 incidents dus aux mines dans la seule province de Diyarbakir, 6 civils ont été tués et 13 autres blessés. Dans la région de Mardin, 5 explosions ont fait un mort et 6 blessés, tous civils. Dr. Necmioglu prend note de la baisse des incidents par rapport à la période de 1992 et 1995 où le nombre d’explosions était au plus haut, mais il ne manque pas de noter également la carence des autorités en dénonçant les velléités des pouvoirs publics alors que la population demande régulièrement son aide dans ce domaine.

LANCEMENT OFFICIEL DE LA PHASE PRÉ-ACCESION À L’UE POUR LA TURQUIE


Le Conseil d’association UE-Turquie s’est tenu le 11 avril à Luxembourg pour le lancement officiel de la phase de pré-accesion d’Ankara. Jaima Gama, le ministre portugais des affaires étrangères qui présidait la réunion à Luxembourg, a déclaré que "c’est un grand pas en avant, dans le sens des décisions du Sommet d’Helsinki de l’UE". Concrètement, les Européens et les Turcs ont décidé de créer 8 sous-comités chargés de préparer les négociations d’adhésion d’Ankara avec l’UE. En outre, des négociations vont être ouvertes pour libéraliser les services et l’accès aux marchés publics. Seuls trois pays de l’UE étaient représentés par des ministres à ce conseil d’association : la Grèce, le Portugal et le Luxembourg. "L’important pour nous c’est que le ministre grec des Affaires étrangères Yorgos Papandreou, ait été présent, il vaut à lui seul, dans ce cas, l’ensemble des 14 autres ministres", a déclaré Jaime Gama.

Les négociations proprement dites avec 12 pays ont déjà commencé, mais pas celles avec la Turquie, en raison de questions épineuses pour les Européens comme la peine de mort, toujours légale à Ankara, et la politique des droits de l’homme, sans compter le problème chypriote. "La peine de mort existe, mais n’a pas été appliquée depuis 16 ans, il y a un projet de loi pour son abolition", mais la condamnation à la peine capitale en juin d’Abdullah Öcalan, a compliqué la situation pour l’opinion publique.

• SIGNATURE POUR L’OLÉODUC BAKOU-CEYHAN À WASHINGTON
Les gouvernements d’Azerbaïdjan, de Géorgie et de la Turquie ont signé le 28 avril à Washington un accord donnant un cadre légal au projet de construction d’un oléoduc entre Bakou, Tbilissi, et Ceyhan. L’accord qui doit être ratifié par les parlements des trois pays, constituera la base permettant la signature de contrats d’investissements pour la construction de l’oléoduc. L’oléoduc, long de 1 994 km de la Caspienne à la Méditerranée, aura un coût d’un montant estimé de 2 à 4 milliards de dollars. L’oléoduc, dont la construction devrait être achevée en 2004, transportera du pétrole depuis Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, en traversant la Géorgie jusqu’au port turc de Ceyhan, sur la Méditerranée.

Washington a fortement soutenu ce projet, qui permet d’acheminer le pétrole de la mer Caspienne vers les marchés mondiaux en évitant les autres options possibles à travers la Russie ou l’Iran.

LA CLASSE POLITIQUE DÉFEND LA POLICE TURQUE


À l’occasion du 150e anniversaire de la police turque le 10 avril 2000, des cérémonies ont été organisées en Turquie. À cette occasion, le président turc Süleyman Demirel a déclaré que la Turquie était "en matière de sécurité parmi les pays les plus sûrs au monde " et que "cet état de fait nous le devons à notre organisation de sûreté et de la police". Il a appelé à ce qu’on ne permette pas que la police puisse être souillée alors que nombreux sont les cas où elle fait l’objet d’accusations de viols et autres sévices en Turquie. Quant à Yildirim Akbulut, président de l’Assemblée nationale turque, il a rappelé que le pouvoir de sanction de l’Etat était confié à l’armée et à la police turques "s’il n’y avait pas cette sanction l’Etat n’existerait plus".

Le quotidien turc Hürriyet du 11 avril 2000 a consacré une demi-page à l’événement et titré " nous sommes le pays le plus sûr " en mettant en image une petite fille de 11 ans, en treillis, munie d’un fusil M-16. Le journal précise fièrement les propos de la petite fille : "Que ma vie soit également sacrifiée pour ce pays !". Le gouverneur de la région de Kayseri, Nihat Canpolat, qui a été en fonction précédemment dans la région de Hakkari a, quant à lui, donné sa version des droits de l’homme en déclarant : "La police turque respecte jusqu’au bout les droits de l’homme. Il y aura évidemment de temps en temps des violations. Mais vous en conviendrez que les droits de l’homme ne sont des droits accordés qu’à des hommes. Cela nous fait du mal de voir que notre police est parfois sans pouvoir face à des accusations comme le non-respect des droits de l’homme alors qu’elle est confrontée à des ennemis de l’Etat et d’Atatürk, privés de toute humanité, des personnes qui tentent d’ébranler la paix et l’unité sociale".

ANKARA DÉFEND LES OUÏGOURS DE CHINE


La Turquie a plaidé le 19 avril la cause des Ouïgours, minorité ethnique apparentée aux Turcs vivant au Xinjiang (nord-ouest de la Chine), tout en condamnant leur rébellion séparatiste lors de la visite du président chinois Jiang Zemin à Ankara.

" Nous leur avons dit que les Ouïgours devaient être des citoyens loyaux de la Chine et devaient vivre dans la paix et l’harmonie… Nous avons aussi exprimé notre soutien en faveur de l’intégrité territoriale de la Chine et assuré que nous n’avions aucune intention de nous ingérer dans ses affaires intérieures… Nous avons des liens raciaux, linguistiques et religieux avec les Ouïgours et nous voulons qu’ils soient un pont d’amitié entre la Turquie et la Chine " a indiqué un diplomate turc qui a participé à la rencontre entre les délégations turque et chinoise présidée par Süleyman Demirel et M. Jiang Zemin, en visite de trois jours en Turquie.

Les Ouïgours constituent la principale ethnie musulmane vivant dans la région " autonome " du Xinjiang, que les Turcs appellent Turkestan oriental, où vivent 8,7 millions d’entre eux. La police turque avait arrêté en octobre 10 membres d’un groupe nommé l’organisation de libération du Turkestan oriental, en liaison avec une série d’attaques contre des ressortissants chinois en Turquie.

Les autorités turques reconnaissent l’indépendance de Chypre du Nord où vivent quelques dizaines de milliers de Turcs. Le président Süleyman Demirel lors de son voyage au Kosovo avait appelé au respect des droits de minorités turques établies au Kosovo. Il plaide aussi régulièrement pour les droits de la minorité turque de Bulgarie etc… tout en continuant cependant à ignorer les droits des 18 millions de Kurdes de Turquie.

MANIFESTATION DE 6500 ARMÉNIENS À PARIS POUR COMMÉMORER LE GÉNOCIDE DE 1915


Quelques 6500 d’Arméniens, selon la préfecture de police, ont manifesté à Paris pour commémorer le génocide d’Arméniens par la Turquie en 1915 et obtenir la reconnaissance par la France de ce génocide. L’Assemblée nationale a adopté en mai 1998 une proposition de loi reconnaissant le génocide arménien, à l’instar de plusieurs pays européens, mais le Sénat bloque le texte sous la pression du président Jacques Chirac, qui se présente volontiers comme "un ardent défenseur de la cause turque".

" Pour raison d’Etat, la France n’a pas voulu reconnaître le génocide arménien. Mais comment se fait-il que les Turcs ont fait leurs achats ailleurs qu’en France ? (…) C’est aussi mon côté français qui discute, ce n’est pas seulement l’Arménien qui parle (…) Le Français que je suis voudrait que la France se conduise normalement dans un cas pareil " a déclaré le très populaire chanteur Charles Aznavour sur France Info. Le consortium franco-allemand Eurocopter ayant été écarté le 6 mars du marché turc d’hélicoptères d’un montant de 4,5 milliards de dollars, Jacques Chirac avait adressé une lettre de protestation aux autorités turques et son conseiller s’était indigné en ces termes : " Monsieur Chirac a usé des efforts personnels et fait tout ce qui est en son pouvoir pour que le texte sur le génocide arménien ne passe pas au Sénat français … Et voilà comment le gouvernement turc le remercie ".

Des manifestations ont également eu lieu à Moscou, Téhéran, Bruxelles, Erevan, et Athènes.