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Bulletin N° 163 | Octobre 1998

 
tags: N° 162-163 | septembre-octobre 1998

ACCORD DE PAIX ENTRE LE PDK ET L’UPK

La diplomatie américaine a finalement réussi à réunir à Washington les frères ennemis kurdes irakiens et à leur faire signer, le 17 septembre, un accord de paix ayant pour ambition de restaurer la paix et la démocratie dans le Kurdistan irakien. Ce texte contresigné par Massoud Barzani, Jalal Talabani et le vice-secrétaire d’Etat adjoint américain David Welch prévoit notamment une série de mesures de normalisation, de rétablissement des services publics de base et la mise en place d’un gouvernement de transition chargé de préparer des élections générales en juillet 1999 pour départager démocratiquement les forces en présence. En fonction des résultats du scrutin un gouvernement régional disposant d’une nouvelle légitimité sera formé et les deux signataires kurdes se sont engagés à reconnaître les résultats de scrutin dont la régularité et la sincérité seront surveillés par des obeservateurs internationaux. L’administration américaine, par la voix de Mme Madeleine Albright, s’est engagée à participer à l’organisation et au financement de ces missions d’observation des élections. Auparavant, au printemps 1999, un recencement général de la population sera réalisé et les registres électoraux seront mis à jour en fonction de ce recencement.

Dans l’accord de Washington, dont le texte intégral n’a pas été rendu public, J. Talabani reconnaît qu’en mai 1992 son Union patriotique du Kurdistan (UPK) a été devancée par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de M. Barzani et de ce fait lui laisse l’initiative de former le prochain gouvernement de transition. De son côté M. Barzani a accepté le partage des revenus des douanes. Les deux leaders kurdes s’engagent également à garantir la sécurité des frontières des Etats voisins, notamment la Turquie, en interdisant toute présence du PKK sur leur territoire afin d’enlever à Ankara des prétextes à ses interventions militaires récurrentes dans la région.

Cet accord annoncé au cours d’une conférence de presse des deux chefs kurdes en présence de la secrétaire d’Etat américaine, Mme. Albright a été accueilli avec soulagement et joie dans toutes les régions du Kurdistan. Les Kurdes veulent croire qu’une page sombre de leur histoire récente va être tournée. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne qui participent à la force alliée de protection des Kurdes d’Irak et qui cherchent à établir une certaine stabilité dans la région accordent un soutien appuyé à cet accord de paix.

L’opposition la plus bruyante à l’accord inter-kurdes est venue d’Ankara qui a protesté auprès de Washington. Farouchement opposée à toute région kurde autonome ou fédérale, la Turquie a qualifié par la voie de son Premier ministre Mesut Yilmaz de "gaffe diplomatique" les accords de Washington signés entre les deux chefs rivaux kurdes. Ankara se dit "très sensible aux termes comme Kurdistan, Kurdistan irakien, autonomie ou fédéralisme". Le Premier minsitre turc a demandé un rendez-vous urgent au président Clinton pour lui faire part de " fortes réserves de la Turquie " mais le président américain n’a pas jugé utile de le recevoir. Mme. Albright s’est chargée d’expliquer la position américaine aux Turcs en recevant, en marge de l’Assemblée générale des Nations-Unies à New York, son homologue turc Ismail Cem. Répondant aux appréhensions turques sur la mise en place d’un système fédéral au Kurdistan irakien et l’organisation d’élections pour conférer une légitimité démocratique au gouvernement régional kurde, la Secrétaire d’Etat amériaine a déclaré à son collègue turc: " N’oubliez pas, Monsieur le Minsitre, que les Etats-Unis sont un pays fédéral et que notre gouvernement prône sans cesse l’organisation des élections démocratiques partout dans le monde. Au nom de quoi devrions-nous interdire aux Kurdes de revendiquer un système fédéral et d’organiser des élections pour gérer leurs affaies? Nous pouvons, en revanche, exiger d’eux de respecter l’intégrité territoriale de l’Irak et d’assurer la sécurité de leurs frontières avec les pays voisins ".

Washington qui a d’autres intérêts et impératifs en Irak semble décidé à passer outre aux objections d’Ankara et la Turquie est invitée à s’accomoder de la réalité kurde irakienne.

MENACÉE DE GUERRE, LA SYRIE EXPULSE A. ÖCALAN ET SIGNE UN ACCORD DE SÉCURITÉ AVEC LA TURQUIE

Les relations turco-syriennes ont connu une crise grave en octobre. Après les mises en gardes de nombreux dirigeants civils et militaires turcs, le président turc Suleyman Demirel, a déclaré dans un discours prononcé jeudi 1 octobre 1998, à l’occasion de la rentrée parlementaire: "Je déclare à la communauté internationale que nous nous réservons le droit de riposter face à la Syrie, qui ne renonce pas à son attitude envers la Turquie, en dépit de nos démarches pacifiques et de nos mises en garde répétées". M. Demirel a accusé la Syrie de mener "ouvertement une politique d’hostilité contre la Turquie" de "soutenir le PKK" puis a ajouté "je déclare également à la communauté internationale que nous sommes à bout de patience". Ankara accuse son voisin de fournir un soutien logistique à la rébellion armée du PKK et d’abriter son chef sur son sol. De son côté la Syrie reproche à la Turquie de rationner son eau sur l’Euphrate en construisant des barrages sur le fleuve mais aussi sa coopération avec Israël. D’autre part Damas revendique la province de Hatay, annexée à la Turquie qu’en 1939. Le Conseil de Sécurité nationale (MGK), la plus haute instance politico-militaire du pays, a discuté, mercredi 30 septembre 1998, une série de sanctions économiques, politiques et militaires contre la Syrie. À l’issue de la réunion du MGK, le général Kivrikoglu, chef d’état-major des armées turques a fait savoir publiquement que "la Turquie est en état de guerre non déclarée avec la Syrie". Les médias jouent à l’unisson les va-t-en guerre et enflamment l’opinion publique par des articles et éditoriaux belliqueux et ultra-nalionalistes. Dans le quotidien Hürriyet du 3 octobre, Oktay Eksi, président de la Société des journalistes de Turquie qualifie la Syrie et la Grèce de "calamités (bela) pour la Turquie"; selon lui ces deux pays, mécontents des frontières actuelles de la Turquie n’auraient cessé d’agir pour affaiblir et causer la perte de la Turquie. Pour le directeur de Hürriyet E. Özkök, l’armée est prête à intervenir contre la Syrie, intervention que son collègue, E. Çölasan appelle de ses vœux pour "punir et écraser le microbe syrien". Tous les partis politiques, y compris les "sociaux-démocrates" du CHP et les islamistes soutiennent les déclarations martiales des chefs militaires.

Dans la crise qui les oppose à la Syrie, les autorités turques s’inspirent de la tactique utilisée par Washington à l’égard de Saddam Hussein et de Milosevic faire planer la menace d’une intervention militaire sérieuse et imminente pour arracher par la négociation les concessions voulues.

Ainsi, d’un côté, l’armée turque continue de masser des troupes tout au long de la frontière syrienne. Le Premier Ministre fait, le 11 octobre, des déclarations martiales dignes d’un pacha ottoman : "Nous crèverons les yeux de ceux qui convoitent notre territoire. Si la Syrie ne reprend pas ses esprits, ce sera notre devoir de lui faire écrouler le monde sur sa tête". Il fixe un délai de 45 jours expirant à la mi-novembre pour que Damas se plie à toutes les exigences turques.

De l’autre côté "les missions de bons offices" (Ankara ne veut pas entendre parler de médiation) se succèdent à Ankara. L’initiative du président égyptien a été suivie de la visite du Ministre iranien des Affaires étrangères à Ankara et à Damas "pour éviter une guerre entre deux États musulmans". Téhéran qui assure actuellement la présidence de la Conférence islamique ne bénéficie pas d’un grand crédit auprès d’Ankara qui l’accuse régulièrement de soutien au PKK. L’initiative iranienne viserait plutôt à épargner à son principal allié régional, la Syrie, d’être entraînée dans une guerre aux conséquences imprévisibles.

L’Egypte, qui a été l’architecte de l’accord irako-iranien de mars 1975 par lequel en contrepartie de concessions territoriales et politiques consenties par Saddam Hussein, le Chah d’Iran s’engageait à cesser son soutien au mouvement kurde irakien du général Barzani conduisant à son effondrement, semble jouir de davantage de faveurs aux yeux des Turcs. Le ministre égyptien des Affaires étrangères a effectue une véritable navette diplomatique entre Ankara, Damas et le Caire pour trouver une solution négociée au conflit. La Syrie s ’est dite prête à "discuter de tous les problèmes qui l’opposent à la Turquie".

En attendant chacun compte ses amis et alliés. Dans un communiqué du 10 octobre les 22 États membres de la Ligue arabe ont apporté leur soutien à la Syrie. Bagdad a menacé de cesser ses relations commerciales avec la Turquie en cas de conflit avec la Syrie. Les Américains tout en demandant à Damas de cesser de soutenir "l’organisation terroriste PKK" ont appellé les deux parties à la retenue et à un règlement négocié de leur contentieux.

Finalement à la question : "Öcalan vaut-il la peine d’une guerre avec la Turquie " posée par l’émissaire du président iranien Khatami, Damas a répondu " non " en acceptant les conditions turques. Et après trois semaines d’extrême tension et quarante-huit heures de tractations secrètes, les discussions menées à Adana entre les délégations turque et syrienne, ont pris fin dans la nuit du 20 octobre au 21 octobre par la signature d’un accord. Le ministère turc des Affaires étrangères a affirmé qu’au terme de cet accord la Syrie s’était engagée à priver le PKK de tout soutien financier, militaire et logistique sur son sol, à ne plus permettre à son leader Öcalan de retourner en Syrie, à arrêter et traduire en justice les membres du PKK se trouvant sur son territoire et à empêcher l’infiltration des militants de ce parti vers un pays tiers. Ankara déclare se réserver le droit de recourir aux moyens militaires dans l’éventualité où l’accord ne serait pas respecté. En gage de bonne volonté, la Syrie vient de lui remettre une liste des 600 militants du PKK, arrêtés au cours des dernières semaines par la police syrienne.

La crise turco-syrienne semble donc provisoirement apaisée. Cependant on se souvient qu’en avril 1992 un accord similaire avait été conclu par les deux parties prévoyant l’interdiction des activités du PKK. La Turquie avait accusé la Syrie de ne pas respecter les termes de cet accord qui n’avait donné lieu à l’époque qu’à la fermeture d’un camp d’entraînement du PKK dans la Bekaa libanaise.

Cependant, Abdullah Öcalan a quitté Damas pour Moscou, vers le 9 octobre. Il se trouvait à Odintsovo, une banlieue résidentielle bien protégée de Moscou généralement réservée aux cadres supérieurs de l’armée et de services secrets. Selon le premier ministre turc, cité par le quotidien Sabah du 24 octobre, le chef du PKK est désormais " neutralisé ", " coupé de ses contacts avec ses troupes " et " suivi à la trace par les services turcs qui grâce à la coopération des services de renseignements alliés écoutent toutes ses communications téléphoniques ".

De son côté A. Öcalan dans une interview téléphonique à la chaîne kurde MED-TV, a confirmé qu’il avait quitté la Syrie car sa présence " risquait de provoquer une troisième guerre mondiale ". Ankara s’apprête à demander à Moscou l’extradition d’Öcalan sans toutefois trop y croire car il n’existe pas d’accord d’extradition entre les deux pays.

Dans une déclaration faite à l’agence russe Itar-Tass, l’Ambassadeur russe en poste à Ankara, Alexandre Lebedev insiste sur l’absence d’un accord entre les deux pays. Par ailleurs, la Douma russe dans une résolution votée le 22 octobre par 303 voix sur 450 condamne la politique d’oppression menée par la Turquie contre sa minorité kurde et les menaces d’Ankara contre les pays voisins critique l’OTAN de pratiqeur une politique de " deux poids deux mesures " face aux drames comparables du Kossovo et du Kurdistan turc et appelle l’ONU, les gouvernements et parlements occidentaux à tenir une conférence internationale sur la question kurde. Une page importante vient d’être tournée dans le conflit kurde en Turquie et on va vers une internationalisation croissante de cette question.

Le Parlement Européen réaffirme la nécessité d’une solution politique au problème Kurde en Turquie et demande à celle-ci de "cesser d’être une plaque tournante du commerce international des stupéfiants"

Le Parlement européen,après avoir débattu du rapport du conservateur britannique Edward H.C. Mc Millan-Scot sur " les rapports de la commission concernant l’évolution des relations avec la Turquie depuis l’entrée en vigueur de l’Union douanière" a, le 17 septembre, adopté une nouvelle résolution sur la Turquie dont voici les principaux extraits :

"Le Parlement européen , (…)

- considérant qu’il a donné son avis conforme sur l’union douanière à la condition que la Turquie engage une réforme politique qui lui permettrait de mieux satisfaire aux critères d’adhésion de l’Union européenne, (…)

- considérant que, selon la Commission, "aucun progrès significatif n’a été accompli en Turquie dans le domaine des droits de l’homme et de la réforme démocratique", (…)

- considérant que la mise en place d’un Etat de droit démocratique en Turquie se heurte à des problèmes structurels ardus, (…)

- rappelle qu’il approuve les propositions émanant de la société civile turque et visant à améliorer la démocratie et la situation des droits de l’homme en Turquie, de façon que ce pays réponde aux critères communautaires en la matière et tienne les engagements qu’il avait pris lors de la signature de l’accord sur l’union douanière, y compris la garantie constitutionnelle des droits de l’homme et des minorités, le respect des libertés fondamentales et de la liberté d’expression pour tous et le contrôle des forces armées par les autorités politiques du pays, conformément aux traités internationaux qu’il a signés et à la Convention européenne des droits de l’homme, à laquelle il est partie; (…)

- souligne bien qu’il examinera la candidature de la Turquie, comme celle de tous les autres pays candidats, à la lumière des critères de Copenhague; (…)

- fait entièrement sienne l’importance attachée par la Commission aux points suivants :

-la poursuite de la démocratisation, la protection des droits de l’homme et le renforcement du contrôle politique sur les forces armées,

-l’établissement de relations de bon voisinage entre la Turquie, d’une part, et la Grèce et tous ses autres voisins, d’autre part,

-le respect des principes de droit international en ce qui concerne le règlement des différends en mer Egée, s’agissant plus spécialement de l’îlot rocheux d’Imia et de la délimitation du plateau continental,

-le règlement de la question chypriote selon des modalités qui respectent l’identité culturelle et politique des deux communautés, par l’adhésion de la Turquie aux résolutions des Nations unies et l’acceptation des offres de médiation. (…)

réaffirme le point de vue selon lequel le conflit dans le sud-est ne peut être réglé que par des moyens politiques et souscrit aux propositions visant à reconnaître juridiquement l’identité kurde, ainsi que les initiatives nationales et internationales susceptibles de faciliter le dialogue et la négociation entre les parties; souligne la nécessité d’un cessez-le-feu et demande aux autorités turques de chercher une solution politique, pacifique et négociée à la question kurde (…)

condamne l’invasion du nord de l’Irak et estime que la solution au problème posé par les activités terroristes du PKK ne peut se fonder sur une violation des frontières internationales et doit respecter l’Etat de droit et les accords internationaux auxquels la Turquie est partie ".

Cette résolution réitère la demande de "la libération immédiate de Leyla Zana, lauréate du prix Sakharov du Parlement européen et des autres prisonniers politiques".

Enfin, pour la première, le Parlement européen se penche sur le rôle de la Turquie dans le trafic de drogue et "appelle le gouvernement turc à exercer toutes les pressions voulues pour que la Turquie cesse d’être une plaque tournante du commerce international des stupéfiants et invite la Turquie à coopérer intensivement avec l’Union européenne pour lutter contre ce phénomène".

La prise de conscience de la gravité et de l’ampleur de ce phénomène jusque là tu par les alliés occidentaux de la Turquie intervient après la parution dans le Monde Diplomatique de juillet 1998 d’un article très documenté de Kendal Nezan. Ce texte paru en huit langues, a eu un large retentissement y compris en Turquie. Les autorités turques n’ont pas pu démentir ses informations.

NOUVELLES CONDAMNATIONS POUR LEYLA ZANA, H. DICLE, A. BIRDAL ET F. YAZAR

Le 17 septembre, le jour même où le Parlement européen, dans une nouvelle résolution, demandant "la libération immédiate de Mme Leyla Zana", lauréate du Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, incarcérée depuis mars 1994 pour délit d’opinion, la Cour de Sûreté de l’État d’Ankara a condamné l’ex-députée kurde à une nouvelle peine de deux ans de prison pour le texte ci-dessus paru dans le numéro 1 du bulletin interne du Hadep, publié en mars 1997 à l’occasion du Newruz, le Nouvel an kurde. Voici, la traduction intégrale de ce texte afin que chaqun puisse juger sur pièces la nature de la justice administrée par les tribunaux turcs.

"Mes chers amis,

Le devoir de tout parti et de toute organisation politique est d’informer périodiquement, d’éduquer et de préparer pour l’avenir ses cadres et ses sympathisants.

Il faut à cet effet mettre l’accent sur l’éducation interne, les séminaires, réunions et autres activités similaires puis diffuser auprès du public par des bulletins mensuels.

Le bulletin est important, très important quant à la politique, la conception et la perspective de la direction. Il est extrêmement difficile pour un peuple comme le nôtre, exploité, tenu pour inexistant, faisant face à la déportation et à la destruction, de créer des institutions pour faire de la politique. Cependant ce qui importe c’est de dépasser les difficultés. Aussi devons-nous exprimer franchement que nous nous sommes pas améliorés suffisamment depuis le HEP [NDLR. Parti travailliste du peuple sur la liste duquel L. Zana et une vingtaine de ses collègues kurdes furent élus en novembre 1991. Le HEP fut plus tard interdit par la Cour constitutionnelle turque] à ce sujet. Ne pas reconnaître l’autorité centrale, ne pas se soumettre à la discipline, se montrer dans un mouvement organisé et ne point agir d’une manière organisée… On pourrait énumérer de nombreuses autres carences.

Nous ne devons pas oublier que le combat légal a été mené jusqu’à ce point au prix d’un travail intense et de grands sacrifices. Le HADEP, héritier du HEP et du DEP, compte des dizaines de martyrs et autant de prisonniers. Vedat AYDIN, Mehmet SINCAR et Muhsin MELIK [NDLR. Il s’agit des dirigeants du HEP assassinés par des escadrons de la mort. M. SINCAR était député de Mardin lors de son assassinat] ne sont que quelques noms parmi d’autres…Il ne faut pas perdre de vue que les acquis démocratiques que nous essayons de sauvegarder ont été obtenus grâce au martyre de ces camarades. C’est pourquoi nous devons savoir que nous n’avons aucun droit d’aller contre la volonté du peuple ou de dilapider les valeurs créées.

De même, nous devons savoir précisément que ce qui nous différencie des partis de l’establishment, c’est de nous fonder sur la force propre du peuple et d’agir grâce au soutien et au courage que nous puisons auprès du peuple.

Tant que nous serons sincères et biens intentionnés, nos carences voire nos fautes ne nuisant pas à la lutte pour la démocratie et la liberté, seront pardonnées par notre peuple.

Nous devons savoir que notre peuple n’acceptera pas des approches basées sur des arrière-pensées, sur l’égoïsme, le carriérisme ou l’intérêt personnel. Alors que la guerre s’intensifie de plus en plus, que nous traversons une période difficile, nous devons nous écarter des intérêts personnels et des égoïsmes et rester unis.

Affectueusement.

Leyla Zana, Députée du DEP en prison."

Le même jour, la Cour de sûreté de l’État n° 5 d’Ankara a condamné un autre ex-député kurde, Hatip Dicle à 1 an 11 mois 10 jours de prison et à une amende de 6.777.777.000 LT (environ 147.400 FF) pour un article intitulé " Nous saluons Eva " paru dans le numéro du 14 avril 1998 du quotidien pro-kurde Ülkede Gündem. La Cour considère ce texte comme de " la propagande par voie de presse contre l’unité indivisible du pays ".

L’Eva saluée par H. Dicle, est la militante allemande Eva Juhmke capturée en octobre 1997 au Kurdistan irakien par l’armée turque et emprisonnée depuis à Van. Son procès qui durait depuis 6 mois devant la Cour de sûreté de l’État de Van s’est conclu, le 17 septembre, par une condamnation à 15 ans de prison pour " appartenance au PKK dans la période de 1993-1997 ". La Cour n’a apporté aucune preuve de la participation de cette jeune Allemande à des actions violentes sur le territoire turc.

La condamnation de Leyla Zana et de Hatip Dicle a suscité l’indignation générale de l’opinion publique démocratique. Le Parlement européen, à l’initiative du Groupe de la Gauche Unie (GUE) a adopté le 8 octobre à l’unanimité une nouvelle résolution réitérant sa demande de libération de la lauréate du Prix Sakharov et de tous les prisonniers politiques et son appel à une solution politique du problème kurde. Voici les principaux extraits de cette importante résolution :

Le parlement européen, (…)

- condamne les violations répétées des droits de l’homme en Turquie, qui visent notamment les représentants du peuple kurde;

- se déclare particulièrement choqué par la nouvelle condamnation de Leyla Zana à deux années de prison supplémentaires et renouvelle avec insistance sa demande de libération de Leyla Zana et de tous les prisonniers politiques;

- exprime sa profonde préoccupation quant à la dégradation de la situation politique et institutionnelle en Turquie, constate l’absence d’amélioration dans le domaine de la protection des droits de l’homme et de la promotion de l’État de droit;

- réaffirme sa conviction qu’il n’y a pas de solution militaire à la question kurde et invite donc les autorités turques à engager des pourparlers directs avec les organisations représentatives du peuple kurde en vue de dégager une solution politique et pacifique qui permettrait de reconnaître les droits économiques, sociaux, politiques et culturels de ce peuple.

Deux semaines avant la condamnation des deux ex-députés kurdes, le 1er septembre, M. Feridun Yazar, ancien président du Parti du Travail du Peuple (HEP) et l’un des principaux avocats de Leyla Zana et de ses collègues, a été incarcéré à la prison de Suruç dans la province d’Urfa. M. Yazar avait été condamné à 2 ans de prison pour un discours prononcé le 19 septembre 1992 au 2ème Congrès du HEP à Ankara, en application de l’article 8 de la loi 3713 dite anti-terreur. Il avait fait appel de ce verdict devant la Cour de cassation turque. Celle-ci a confirmé sa condamnation pour délit d’opinion rendant sa peine immédiatement exécutoire. M. Yazar est l’une des personnalités kurdes indépendantes qui a été un interlocuteur régulier des délégations occidentales en visite en Turquie pour s’informer de la situation des droits de l’homme. Il était également fréquemment consulté par les missions diplomatiques occidentales à Ankara.

Son incarcération confirme que malgré les promesses réitérées de démocratisation le régime turc continue sa politique visant à créer une société silencieuse en faisant taire par les assassinats et la prison toutes les voix d’opposition.

Avant son emprisonnement, M. Yazar a déclaré à la presse : " Chaque jour qui passe la faillite des méthodes employées par l’État pour le règlement du problème kurde devient de plus en plus manifeste. Pour avoir lutté pour une solution pacifique de ce problème je suis à mon tour condamné et emprisonné et je serai de ce fait privé de mes droits politiques. Cela ne m’empêchera aucunement de continuer de combattre en faveur de la liberté de mon peuple et de la démocratie. Le monde entier doit comprendre que la Turquie malgré les apparences démocratiques qu’elle cherche à se donner est toujours un pays où on jette en prison les intellectuels pour leurs opinions, un pays où l’État considère les intellectuels et artistes critiques comme des suppôts moraux du terrorisme. Pendant ce temps, les auteurs de massacres de civils, de meurtres d’intellectuels, les mafieux travaillant main dans la main avec les services de l’État courent les rues. Nous sommes dans un pays où voleurs et assassins font la loi et jettent en prison les citoyens honnêtes luttant pour la paix civile, la démocratie et une société propre".

Le 23 septembre la Cour de cassation turque a confirme la condamnation à dix mois de réclusion criminelle du maire islamiste d’istanbul, Recep Tayyip Erdogan. Cette condamnation met un terme à la vie politique de M. Erdogan, 44 ans, car, en vertu de la loi turque, tous ceux qui sont condamnés pour délit politique sont inéligible à vie pour toutes fonctions publiques. Ils ne peuvent se présenter aux élections locales ou nationales et sont interdits d’emploi public. L’application de cette disposition permet au système turc d’éliminer " légalement " de la scène politique tous les opposants indésirables en les faisant condamner pour une déclaration ou un discours déviant des dogmes officiels.

Dans le système turc actuel, un meurtrier ou un chef mafieux condamné à 15 ou 20 ans de prison pourrait, au terme de sa peine, se faire élire maire ou député mais un député coupable d’une déclaration " séparatiste " ou " islamiste " et condamné à un an de prison est radié à vie de la vie politique.

Le maire d’Istanbul a été condamné pour avoir récité ces vers du poète turc Mehmet Akif Ersoy, auteur de l’hymne national turc: "Les mosquées sont nos casernes, les minarets nos écrit baïonnettes, les coupoles nos casques et les croyants nos soldats ". Ces vers écrits pendant la guerre d’indépendance turque étaient destinés à montrer qu’un peuple uni pouvait, avec la force de la foi, vaincre ses oppresseurs malgré le dénuement matériel. Pour M. Erdogan, il s’agissait de dire à la population que " nous sommes contre l’usage de la force pour arriver au pouvoir, la force de notre foi y suffit ". Pour ses procureurs turcs ces vers récités dans la ville kurde de Siirt constituent une incitation à la haine raciale.

Le 24 septembre, M. Erdogan a donné, dans les salons de sa mairie, une conférence de presse retransmise sur 3 écrans géants à l’intention de plusieurs dizaines de milliers de stambouliotes rassemblés sur la place de la mairie. " Je ne crois pas avoir commis de crime, je suis innocent et victime d’un jugement inéquitable. C’est une tragédie et une honte qui restera dans les annales de la justice turque " a déclaré le maire d’Istanbul qui doit être incarcéré d’ici quelques jours.

Enfin, le 27 octobre, la Cour d’Appel turque a confirmé la condamnation à un de prison du président de l’Association turque des droits de l’homme Akin Birdal. Cette condamnation avait été prononcée le 28 juillet 1998 par la Cour de Sûreté de l’État à la suite d’un discours prononcé par M. Birdal en faveur d’une solution pacifique au conflit turco-kurde.

Le défenseur des droits de l’homme devra bientôt être incarcéré. De plus, conformément à la loi turque Akin Birdal sera déchu de ses droits civils. Il ne pourra plus présider aucune association ni être élu à un poste ou mandat publics.

La condamnation d’Akin Birdal, qui a miraculeusement échappé à un attentat et qui jouit d’une notoriété internationale, a suscité des réactions au sein même d’une partie de l’establishment turc.

Dans son article daté du 28 octobre 1998, Ilnur Çevik, rédacteur en chef du quotidien anglophone Turkish Daily News s’inquiète de l’impact à l’étranger de ces condamnations en série pour délit d’opinion.

"Est-ce la façon dont l’État se protège?

Serait-ce un remède aux problèmes actuels de la Turquie que d’emprisonner le défenseur des droits de l’homme Akin Birdal? Ou est-ce que cela va créer plus de complications?

Pouvons-nous protéger la République turque et préserver des valeurs démocratiques en interdisant des partis politiques et en emprisonnant des individus pour l’expression de leurs opinions?

Nos leaders semblent justifier le pauvre bilan des droits de l’homme et le manque de démocratie en soutenant que l’État essaie de se protéger contre les forces du mal, mais cet argument est mal compris ou mal représenté en Occident et c’est pourquoi notre pays est critiqué…

Le dernier exemple en date est l’arrêt confirmatif de la Cour d’Appel approuvant la sentence d’un an de prison prononcée pour séparatisme à l’encontre d’Akin Birdal, président de l’association des droits de l’homme. Aujourd’hui, comme de nombreux autres écrivains, journalistes et maires islamistes, Birdal aura à purger sa peine de prison pour expression de ses opinions…

Devrions nous souffrir d’un tel revers à la veille des célébrations du 75ème anniversaires de la République turque?

La Turquie avait commis quelques erreurs vitales dans le passé, et nous espérions que nos dirigeants auraient appris des leçons pour aujourd’hui. L’interdiction du parti pro-kurde, Parti de la Démocratie (DEP), a conduit à la prison certains de ces députés. D’autres ont fuit le pays et ont pris part dans le "Parlement Kurde en exil" inspiré par le PKK, qui continue d’être notre principal souci…

Est-ce que personne en Turquie n’a vu la sympathie internationale manifestée à Akin Birdal quand il a fait objet d’un attentat perpétré par des membres de bandes ultranationalistes? N’ont-ils pas vu comment les personnalités internationales se sont empressées pour rencontrer Birdal? Notre peuple n’a-t-il pas réalisé qu’en emprisonnant Birdal nous créerons une impression inverse de la bonne image de la Turquie?

Nous avions justement commencé à voir quelques signes favorables dans les relations Turquie-Union européenne et voilà qu’un développement négatif, de notre fait survient et pourrait tout gâcher. (…) Nous ne pouvons pas simplement emprisonner des gens qui ont exprimé leurs opinions et attendre que nos amis occidentaux, conduits par les États-Unis, se montrent compréhensibles quand nous affirmons que nous faisons cela pour préserver l’unité et la solidarité nationale.

Nous ne partageons peut-être pas les opinions de Birdal. Nous ressentons peut-être que c’est un extrémiste et que ses opinions sont "dangereuses". Malgré cela, dans une société libre, les individus sont libres de présenter leurs points de vue sous n’importe quelle forme qu’ils désirent sans craindre une quelconque persécution. Rien n’a été reglé quand on a tiré sur Birdal. Rien ne sera solutionné quand Birdal sera emprisonné. Au contraire, la crédibilité de la Turquie et son médiocre bilan des droits de l’homme seront d’avantage érodés. Notre pays ne mérite pas cela".

GIGANTESQUE OPÉRATION DE BLANCHIMENT D’ARGENT NOIR

Le rôle de la Turquie comme plaque tournante du trafic international de drogue et de blanchiment de l’argent noir étant de plus en plus critiqué par les alliés occidentaux d’Ankara, les autorités turques viennent de décréter une gigantesque opération de blanchiment officiel en promettant l’absence de poursuites et d’impunité à tous ceux qui déposeront leurs capitaux dans des banques avant la date fatidique du 30 septembre. Cette date est décrétée le début d’une nouvelle ère financière (Mali Milat). Nul ne sera interrogé sur l’origine des fonds et biens acquis avant cette date qui seront considérés d’office comme légitimes. Les richesses acquises après le 30 septembre seraient théoriquement plus surveillées par le fisc turc de même que les dépôts d’espèces dépassant un certain montant.

Comme le relève le rédacteur en chef de Turkish Daily News, Ilnur Çelik, cette opération a donné lieu à de transactions financières se traduisant par l’achat à coup de sommes astronomiques de télévisions, d’usines ou de chaines hôtelières. Dans un pays où le salaire minimum est d’environ 700F par mois, une chaine de télévision privée a payé $2,5 millions pour le transfert d’un journaliste. D’où vient tout cet argent? se demande M. Çelik. " Comme nul ne s’interroge sur l’origine de ces fonds, on ne doit pas s’étonner que notre pays ait une si mauvaise image à l’étranger " conclut-il.

Dans le quotidien Yeni Yüzyil du 20 septembre, l’éditorialiste Mensur Akgun revient sur cette question en donnant des extraits d’un article du président de l’Institut kurde publié dans le Monde diplomatique de juillet 1998 sur l’imbrication de la mafia et de l’Etat en Turquie. "Comment réfuter ses arguments et ses informations puisés dans les documents officiels incontestés? On peut certes affirmer qu’il est séparatiste ou hostile à la Turquie pour éluder tout débat de fond, mais avec quelle crédibilité? Qui va nous croire? Nous n’avons malheureusement pas d’arguments sérieux à lui opposer et du fait notre gouvernement n’a pas fait démentir ses informations si dommageables à notre réputation à l’étranger" conclut-il.

L’opération de "nouvelle ère financière" va certes mettre les compteurs à zéro et permettre de blanchir plusieurs milliards de dollars d’argent noir. Mais les citoyens turcs restent sceptiques quant à la promesse d’un meilleur contrôle d’immenses flux financiers, d’origine criminelle qui alimentent et maintiennent à flot l’économie turque.

AINSI QUE...

LA TURQUIE RAPPELLE SON AMBASSADEUR EN ITALIE POUR PROTESTER CONTRE LA TENUE À ROME D’UNE RÉUNION DU PARLEMENT KURDE EN EXIL


La réunion, les 29 et 30 septembre du Parlement kurde en exil dans une salle située dans un bâtiment annexe du Parlement italien a provoqué la colère des autorités turques qui crient à la "trahison" d’un pays allié. "Comment un Etat-membre de l’OTAN peut-il recevoir une organisation terroriste qui menace l’unité et l’intégrité territoriale d’une autre nation" a déclaré M. Korkmaz Haktanir, sous-secrétaire d’État du ministère turc des affaires étrangères. La Turquie a déployé tous ses efforts pour faire interdire cette réunion. M. Hikmet Çetin, président du parlement turc, a contacté son homologue italien le 25 septembre. Le ministre turc des affaires étrangères a également envoyé une lettre à son homologue et convoqué l’ambassadeur italien à Ankara pour évoquer les conséquences très graves qu’une telle réunion pourraient avoir sur les relations entre les deux pays.

De son côté, le gouverment italien a indiqué qu’il n’avait aucun moyen d’empêcher des députés italiens de recevoir dans une salle du Parlement qui ils veulent et d’y tenir une réunion. Dans une lettre à son collègue turc, le ministre italien des Affaires étrangères Lamberto Dini écrit notamment: "Quels que puissent être les regrets du gouvernement et les miens quant à cette initiative, celle-ci relève des prérogatives de nos députés (…) J’espère que cet épisode n’aura pas de conséquences sur les excellents rapports existant entre nos deux pays".

En Turquie où, comme on l’a vu lors de la conférence de paix d’Ankara du 8 mai 1997, une réunion soutenue par des ministres et des députés peut être interdite sur ordre des militaires, l’explication italienne sur "les prérogatives des députés" n’a pas convaincu. Ankara parle de "complot", du "réveil de l’esprit de Sèvres visant à diviser la Turquie et à créer un Kurdistan" [NDLR. Le traité international de Sèvres annexe du Traité de Versailles, signé en 1920 prévoyait la création d’un Kurdistan et d’une Arménie] Finalement, le 2 octobre la Turquie a rappelé "pour consultation" son ambassadeur à Rome, Inal Batu. Elle menace de "punir" l’Italie en l’excluant des contrats de défense et de construction où les firmes italiennes sont compétitives. On parle en particulier de l’exclusion de la firme Augusta de l’important marché des hélicoptères de combat. Il y a quelques mois, la participation de la firme franco-allemande Eurocopter avait été "suspendue" en raison du vote par l’Assemblée nationale française d’une résolution reconnaissant le génocide arménien de 1915.

LA POLICE CANADIENNE PRATIQUE UNE FOUILLE AU CORPS DU MINISTRE TURC DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DE SA SUITE


Après l’arrestation de plusieurs chefs de la mafia turque de drogue portant des passeports diplomatiques turcs, ces passeports deviennent de plus en plus suspects pour les polices occidentales. Cette suspicion a fini par toucher le chef de la diplomatie turque en personne. Venant de New York où il avait assisté à l’Assemblée générale des Nations-Unies, M. Ismail Cem s’est rendu au Canada en visite officielle. A l’aéroport de Montréal, au lieu de transiter sans fouille par le Salon VIP comme c’est l’usage diplomatique, il a fait l’objet d’un contrôle en règle de son passeport et surtout d’une fouille au corps minutieuse et d’une fouille tout aussi minutieuse de ses bagages et des bagages de sa suite.

Selon le quotidien Hürriyet du 13 octobre qui rapporte "ce scandale diplomatique", M. Cem a bien brandi son passeport diplomatique, déclaré haut et fort à maintes reprises aux policiers canadiens : " je suis le Ministre des Affaires étrangères de la Turquie; je suis ici pour une visite officielle dans votre pays", mais les Canadiens n’ont rien voulu entendre, ils ont passé au peigne fin tous les effets et bagages de M. Cem. Car, commente le quotidien, depuis l’arrestation un peu partout, y compris au Canada, des parrains de la Mafia turque portant des passeports diplomatiques, les polices occidentales sont devenues très méfiantes. "Des jours encore plus sombres nous attendent. Ce sont ceux qui ont compromis la crédibilité de la Turquie avec des parrains de la Mafia qui portent la responsabilité de cette situation" conclu Hürriyet.

Dans le même numéro de ce quotidien, le public turc apprend que d’après l’un des principaux chefs des Services secrets turcs (MIT), Mehmet Eymur, déposant devant une Cour instruisant l’affaire de Susurluk, pour une seule opération visant le leader de l’organisation d’extrême gauche Dev-Sol, Dursun Karatas, le chef de la Sûreté générale turque, Mehmet Agar, a expédié en Allemagne par l’intermédiaire des parrains turcs Yazar Oz et Murettin Guven, 80 kgs d’héroïne. La police allemande a pu saisir la drogue. Le commanditaire de ce trafic, M. Agar, loin de recevoir un quelconque blâme, a été promu ministre de l’Intérieur, puis ministre de la Justice dans les cabinets de Mme Çiller. Disposant de tous les leviers, il a pu poursuivre à sa guise ses trafics douteux sous prétexte de la lutte contre le terrorisme et la défense de la patrie.

LE CESSEZ-LE-FEU DU PKK N’EST PAS SUIVI


Le cessez-le-feu unilatéral décrété, le 1er septembre, par le PKK n’a guère eu d’effet sur les divers théâtres des opérations opposant l’armée et ses auxiliaires aux forces du PKK. Par endroits les affrontements se sont même intensifiés. Selon la super-préfecture de Diyarbakir citée par AFP, au cours du seul week-end des 12 et 13 septembre "22 rebelles du PKK" auraient été tués dans des accrochages dans les provinces de Diyarbakir, Tunceli (Nord), Batman (Sud-Est) et Hakkari, à la frontière avec l’Irak et l’Iran.

Les média et la classe politique turcs continuent d’ignorer l’appel au cessez-le-feu et à des négociations lancé par A. Öcalan. Celui-ci a même déclaré sur l’antenne de la chaîne kurde MED-TV qu’il était prêt à dissoudre le PKK si la Turquie reconnaissait les droits culturels et l’identité kurdes. Hussamettin Cindoruk, président d’une petite formation conservatrice, le Parti de la Turquie démocratique, membre de la coalition gouvernementale, a été le seul homme politique turc notoire à approuver implicitement l’appel au cessez-le-feu du PKK. M. Cindoruk, qui fut avant son expulsion du DYP de Mme Çiller a déclaré le 11 septembre : "La Turquie n’ira nulle part en masquant ce problème et en retardant sa solution. Les pourparlers qui ont commenté entre la Grande-Bretagne et l’Irlande constituent un modèle sur les méthodes qui pourraient être utilisées (..) Le problème kurde est le plus grand défi pour la Turquie. Si vous appelez cela terreur, vous vous trompez. Si vous appelez cela une guerre de guérilla, vous vous trompez. Si vous déterminez honnêtement la raison de cette rébellion ou de cette protestation, vous ne ferez pas d’erreur. Dans cette région, il y a un problème kurde".

La lucidité un peu tardive de M. Cindoruk n’a guère suscité de débat en Turquie où les média semblent avoir reçu des consignes d’éviter tout débat, toute publicité sur ce sujet.

Le fait que le PKK affirme avoir décrété un cessez-le-feu en Turquie tout en poursuivant de plus belle ses attaques contre les forces du PDK de M. Barzani au Kurdistan irakien nuit également à sa crédibilité. Les Kurdes irakiens continuent d’affirmer qu’ils n’ont rien contre le PKK qui est une organisation politico-militaire kurde de Turquie et qui de ce fait n’a rien à faire au Kurdistan irakien. Ils accusent la Syrie et l’Iran de se servir du PKK pour déstabiliser le Kurdistan irakien. Les média du PKK publient chaque jour des informations invérifiables sur les exploits de ses combattants contre les forces du PDK.

RAPPORT DE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LA TURQUIE: DE NOMBREUSES ANOMALIES


La Commission européenne a rendu public, 4 octobre 1998, son rapport sur la Turquie au titre de candidat à l’Union européenne. La commission a noté qu’il y avait très peu de progrès dans le domaine des droits de l’homme. "L’évaluation de la capacité de la Turquie à être compatible aux critères de Copenhague éclaire certaines anomalies dans le fonctionnement des autorités publiques, dans le respect des droits de l’homme et de la protection des minorités" souligne la déclaration. Le rapport critique le pouvoir militaire turc et l’attitude d’Ankara envers sa population kurde. "Le rapport…insiste également sur l’importance d’une solution civile à la situation dans le Sud-Est de la Turquie car beaucoup de violations des droits civils et politiques sont liées à cette question".

Le ministère turc des affaires étrangères a demandé à la Commission de reprendre son évaluation; "l’existence de nombreuses affirmations et déclarations non fondées dans l’évaluation politique de la Turquie confère un caractère erroné au rapport. Il est clair que la Commission de l’Union européenne a besoin d’évaluer la Turquie avec plus d’attention."

Les relations de la Turquie s’étaient dégradées avec les pays de l’Union européenne lorsqu’en décembre 1997 la candidature d’Ankara n’avait pas été retenue au sommet de Luxembourg. Au sommet de Cardiff les 15 anoncent l’élaboration d’un rapport examinant le cas de la Turquie au même titre que les 11 autres candidats.

LES VERTS ALLEMANDS RÉAFFIRMENT LEUR OPPOSITION À LA VENTE D’ARMES À DESTINATION DE LA TURQUIE


Dans une interview accordée au quotidien Berliner Zeitung par leur porte-parole pour la politique de défense Angelica Beer, les partenaires Vert du chancellier Gerhard Schroeder élèvent de plus en plus leur opposition à toute sorte de vente d’armes à la Turquie qu’ils accusent de violer constamment les droits de l’homme. Angelica Beer affirme que le gouvernement conservateur avait auparavant assuré les Verts de sa décision de ne pas transférer d’armes à la Turquie et qu’au cas où cela se révélerait inexact, son parti se mobiliserait pour mettre en application cette décision. Le protocole signé avec les sociaux-démocrates conditionne l’exportation d’armes aux critères relatifs au bilan des droits de l’homme du pays acheteur. Et Mme. Beer de conclure que "ce critère s’applique aussi à la Turquie qui est un pays membre de l’OTAN".

31 ONG AMÉRICAINES DEMANDENT À LEUR GOUVERNEMENT DE BLOQUER LA VENTE DES EQUIPEMENTS DESTINÉS À LA POLICE TURQUE


Le contrat de vente par des firmes américaines à la police turque de 80 camions blindés de transport de troupes et de 60 véhicules de contrôle de foules suscite de vives réactions des ONGs américaines de droits de l’homme.

Rappelant que ce contrat de $ 38 millions sera financé par US Export-Import Bank, la section américaine d’Amnesty International, dans une déclaration rendue publique le 4 septembre, rappelle que la loi Leahy stipule clairement que les fonds d’Export-Import Bank ne peuvent être utilisés pour fournir des équipements à des unités de sécurité étrangères s’il y a des preuves crédibles de violations massives des droits de l’homme. Pour Amnesty International "il est consternant" que l’administration Clinton puisse considérer une vente de ce genre "à un pays ayant un bilan si horrible dans le domaine des droits de l’homme". "C’est outrageant que le Département d’État manque d’appliquer la loi Leahy et qu’il autorise une vente aux unités de la police turque responsables notoires de tortures et de mauvais traitements" a ajouté Dr. William F. Schutz, directeur exécutif d’Amnesty pour qui la secrétaire d’État Albright ne devrait pas autoriser la conclusion de cette vente. Amnesty rappelle ensuite quelques unes des violations les plus graves des droits de l’homme commises dans la période récente par la police turque.

Le 11 septembre, 31 ONG, dont Amnesty, Washington Kurdish Institute, Arms Trade Resource Center et Arms Sales Monitoring Project, ont écrit une lettre commune à Mme Albright l’appelant au respect de la loi Leaby et lui demandant d’empêcher cette vente d’équipements "contre-productive et nuisible pour les intérêts américains" à des unités de la police turque qui les utilisera pour continuer ses pratiques abusives.

LA TURQUIE MISE EN CAUSE PAR L’OBSERVATOIRE GÉOPOLITIQUE DES DROGUES


Dans son rapport 1997-1998 qui vient d’être rendu public, l’Observatoire géopolitique des drogues consacre une large place à la Turquie. Mettant en lumière l’alliance du clan de Çiller et de nombre de hauts fonctionnaires de la police avec les Loups Gris et les mafias d’extrême droite et leur implication dans le trafic d’héroïne, le rapport fait un état des lieux très détaillé sur les réseaux turcs dont l’ampleur avait poussé le Parlement européen à mettre en garde la Turquie. Du côté turc, de nouvelles révélations liées à de féroces luttes d’intérêts et des règlements de comptes continuent d’agiter l’échiquier politique. Un haut fonctionnaire de la police est accusé à son tour d’être impliqué dans l’assassinat en 1995 de Nesim Balki, un richissime homme d’affaires présenté dans la presse turque comme "usurier de confession juive".

LA COUR EUROPEENNE CONDAMNE LA TURQUIE DANS L’AFFAIRE YASA


Statuant sur la plainte de la famille du marchand de journaux, Esref Yasa, assassiné en avril 1993 à Diyarbakir par des "tueurs non identifiés", la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt rendu public le 3 septembre a condamné la Turquie à une amende de $3 600 ainsi qu’à $7 200 de frais de défense. Esref Yasa avait échappé à une première tentative d’assassinat commise par des policiers lui demandant de cesser de vendre le quotidien pro-kurde, Özgur Gündem. Dès son rétablissement, il avait repris la diffusion du quotidien pro-kurde et fut assassiné en avril 1993. Son oncle, Hasim Yasa, avait pris sa relève et continué la diffusion de ce quotidien, cela en dépit des menaces policières. Il fut assassiné le 14 juin devant son domicile. Un jeune frère d’Esref, Yalçin, âgé de 9 ans a alors pris la relève ; cet enfant fut à son tour mitraillé et tué en novembre 1993.

La Cour européenne n’a pu établir la responsabilité de ces assassinats en série ni établir l’identité de leurs auteurs. Elle condamne la Turquie pour ne pas avoir instruit sérieusement la plainte des proches d’E. Yasa.

DANS LE CLASSEMENT DU PNUD LA TURQUIE ARRIVE AU 69e RANG :


Le programme des Nations-unies pour le développement (PNUD) vient de rendre public son rapport annuel assorti d’un classement des pays membres de l’ONU en fonction des critères de développement humains. Contrairement au classement en fonction du PNB per capita, celui du PNUD tient compte des facteurs comme l’éducation, l’espérance de vie, la répartition des richesses etc. Dans le classement international du développement humain le Canada arrive en tête, suivi de la France. La Turquie, deuxième importatrice mondiale des armements au cours des dernières années, se classe au 69ème rang pour le développement humain. Le rapport annuel du PNUD relève également que 20% de la population mondiale consomme 86% des richesses créées, que chaque année les habitants des Etats-unis et de l’Union européenne dépensent $17 milliards pour nourrir leurs chiens et leurs chats et affirme qu’un tiers de cette somme, soit $5,6 milliards, serait suffisant pour scolariser tous les enfants du monde.