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Bulletin N° 157 | Avril 1998

 
tags: N° 156-157 | mars-avril 1998

IRAK : PLUS DE 1500 EXÉCUTIONS POLITIQUES EN IRAK EN 1997

SELON M. Max van der Stoel, rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, réunie à Genève, plus de 1500 exécutions extrajudiciaires répondant à des motivations politiques ont eu lieu en 1997 en Irak. Non admis sur le territoire irakien depuis 1992, le rapporteur spécial appuie son enquête sur les informations recueillies par deux spécialistes des droits de l'homme en février dernier en Turquie auprès des réfugiés et d'autres personnes pouvant représenter des sources intéressantes à leur arrivée d'Irak.

Dans le rapport, il est fait état de "l'exécution massive de centaines de prisonniers" dont la plupart en novembre et en décembre dernier lors de la campagne de purification des prisons qui a frappé des détenus condamnés soit à la peine capitale soit à un minimum de quinze ans de détention. Les proches souhaitant récupérer leurs corps ont dû rembourser le prix de la balle utilisée qui leur a donné la mort. Le rapporteur signale des cas d'exécutions extrajudiciaires sommaires ou arbitraires de personnes soupçonnées d'être hostiles au gouvernement et mentionne également des listes de personnes exécutées pour complot ou tentative d'attenter à la vie d'un responsable du régime. Une liste de 145 prisonniers qui auraient été victimes de la campagne de purification comprend des membres du parti Da'wa, de l'Union patriotique du Kurdistan, du Conseil national irakien et du Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak. Le rapport reproche aussi aux autorités les déplacements forcés de populations turkmène et kurde et de multiples atteintes aux droits fondamentaux, concluant que "la situation a plutôt empiré en 1997". C'est l'aggravation de la situation sur place qui est à l'origine de l'afflux des réfugiés irakiens en Turquie et en Europe.

L'ENLÈVEMENT DE SEMDIN SAKIK PAR L'ARMÉE TURQUE AU KURDISTAN IRAKIEN

UNE équipe de 40 hommes de forces spéciales turques transportés à bord de deux hélicoptères ont kidnappé dans la matinée du 13 avril Semdin Sakik, haut commandant du PKK qui s'était récemment réfugié auprès du PDK de Massoud Barzani. L'opération aéroportée a eu lieu près de la bourgade de Qasrok, située entre les villes de Dohouk et Aqra à environ 60 km de la frontière turque. S. Sakik, son frère et les quelques gardes kurdes irakiens qui les accompagnaient vers Erbil, capitale kurde irakienne, ont été surpris par cette embuscade militaire turque préparée dans le plus grand secret , apparemment à l'insu du Premier ministre et du Ministre de la défense. Arrêtés, Sakik et sa suite ont été transportés par hélicoptères à Diyarbakir, en Turquie.

Sakik, dit également Zeki sans-doigts, était le commandant militaire le plus célèbre du PKK. En conflit avec le chef de cette organisation, il s'était, le 16 mars, réfugié auprès de Barzani. Celui-ci s'était publi-quement engagé le 23 mars à ne pas le rendre à la Turquie et avait déclaré qu'il serait libre de ses mouvements dans le Kurdistan irakien. Le chef du PKK, Ocalan, dans deux longues interventions sur MED-TV avait accusé Sakik de "trahison" et appelé la Turquie à le faire arrêter.

Dans un communiqué rendu public en début de l'après-midi du 13 avril, le secrétariat de l'état-major des armées turques annonce que l'opération du kidnapping de S. Sakik "dans le nord de l'Irak a été décidée à la suite du refus réitéré des Parti démocratique du Kurdistan irakien de le remettre aux autorités turques ".

De son côté, le PDK, dans un communiqué publié quelques heures après le kidnapping. "condamne fermement l'opération turque et tient responsables les autorités turques pour cet acte grave et pour la sécurité des personnes enlevées, dont nos propres hommes . Cet acte sape gravement les relations de bon voisinage et constitue une violation grave de la souveraineté de notre pays " ajoute ce communiqué qui indique par ailleurs que le kidnapping est intervenu alors que "Semdin Sakik, son frère ainsi que leurs gardes du corps étaient en train d'être transférés vers un endroit plus sur dans la région d'Erbil".

Le numéro 2 du PDK, Neçirvan Barzani, dans une longue interview publiée dans le Turkish Daily News du 16 avril, parle d'un "acte de vol qui nuira sérieusement" aux relations de son parti avec la Turquie. "L'action militaire turque a ruiné les relations chaleureuses basées sur la confiance mutuelle existant entre la Turquie et le PDK" a-t-il souligné avant de demander: "Cela valait-il la peine de ruiner ainsi nos relations?". Il ajoute: "Beaucoup de militants du PKK se sont rendus au PDK. Semdin Sakik était l'une des dernières figures du PKK à se rendre au PDK. Selon nos sources de renseignement il y avait plusieurs autres personnes du PKK à des niveaux variés dans la chaîne de commandement qui voulaient se rendre. La reddition de Sakik était une période d'essai pour tous ces défecteurs futurs. Ils voulaient voir si Sakik allait rester dans des mains sûres. Maintenant qu'ils ont vu ce qui est arrivé, personne dans le PKK n'osera plus nous approcher".

Selon Barzani le kidnapping de Sakik "servira les intérêts du PKK et préviendra l'éclatement possible de cette organisation". Affirmant que son parti est en train de "réexaminer nos relations avec la Turquie" qui "ont été profondément blessées par cette affaire", le responsable kurde irakien dénonce aussi "les fanfaronnades turques" autour de cet enlèvement: "ils (les hélicoptères turcs) viennent dans notre territoire et se posent. Nos gens ont pour instructions de ne pas tirer sur eux. Dès lors, présenter ce kidnapping comme une opération militaire extraordinaire n'a vraiment pas de sens. Cela ressemble davantage à un film hollywoodien bon marché () Si les gens en Turquie estiment que nos relations sont basées sur le nombre de gens du PKK que nous aurons tués ou capturés, ils se trompent. Nous ne sommes pas vos protecteurs du village (Ndt. milice pro-gouvernementale). Nos relations doivent être basées sur le respect mutuel. Elles ne doivent pas être basées sur l'enlèvement des gens chez nous pour nous embarrasser". Enfin, Barzani évoque le précédent dangereux créé par cette action militaire turque: "l'Iran se plaint toujours des dirigeants kurdes iraniens qui ont fui en Irak du Nord et les réclame. Nous refusons de le faire et les dirigeants iraniens en représailles ferment les bureaux du PDK en Iran et arrêtent nos gens. Nous avons 18 responsables du PDK dans les prisons iraniennes à cause de cela".

Les commentaires de la presse turque autour du kidnapping de Sakik soulignent surtout l'ignorance dans laquelle les militaires ont tenu le gouvernement dans cette affaire. Les ministres et le Premier ministre ont appris l'enlèvement par les médias diffusant le communiqué militaire. Réagissant à ces critiques, le ministre de la Défense Ismet Sezgin a eu cette formule: "Il n'est pas nécessaire que tout le monde soit informé de tout". Quelques journalistes écrivent que l'armée par cette opération a voulu étouffer dans l'uf la tentative de création d'une faction politico-militaire dirigée par Sakik qui aurait conduit à la dislocation du PKK. Contrairement à Barzani, qui avait tablé sur cette option, les militaires turcs ne souhaitent apparemment pas la dislocation ou la disparition du PKK qui est pour eux "un ennemi en or" avancent certains commentateurs tandis que le politologue Dogu Ergil se demande dans le TDN du 20 avril si ce kidnapping hâtif ne vise pas également à empêcher Sakik de faire des révélations sur les liens financiers entre le PKK et certains responsables turcs corrompus. "Si une telle information était divulguée toute la légitimité de la méthode actuelle de traiter le problème kurde et les pertes humaines s'effondrerait" affirme-t-il.

Comme on pouvait s'y attendre la police turque a vite mis à profit des "aveux" attribués à Semdin Sakik pour tenter de régler ses comptes avec tous ceux, journalistes, hommes politiques, hommes d'affaires, qu'elle considère comme "ennemis" de l'Etat et pour relancer sa campagne de désinformation à l'étranger. Ainsi, selon le quotidien populaire turc Sabah du 28 avril, Semdin Sakik, interrogé par les services de sécurité turcs, aurait déclaré que le PKK était responsable de l'assassinat de l'ancien Premier ministre suédois Olof Palme en 1986.

Ces déclarations qui n'ont pas été publiées officiellement et impossibles à vérifier de manière indépendante vont dans le sens de la stratégie turque de désinformation. Selon des sources diplomatiques "vraie ou fausse, cette information va donner de quoi réfléchir aux Occidentaux qui appellent la Turquie à ouvrir un dialogue politique avec le PKK". Mesut Yilmaz, Premier ministre turc, a déclaré que "on ne sait pas ce qu'il a dit et même s'il l'a dit, on ne sait pas sous quelles contraintes il étaitPour tout le monde, l'important sera ce qu'il dira au tribunal quand il passera en jugement". Par ailleurs, Lars Nylen, chef de la police nationale suédoise a déclaré qu'"il ya plusieurs années, la commission d'enquête Palme a mené des investigations approfondies à propos d'allégations similaires venant de Turquie, mais elles n'ont mené à rien".

Présentées comme des extraits des interrogatoires de Sakik, d'autres nouvelles sensationnalistes visent à incriminer des militants des droits de l'Homme et certains hommes politiques d'être à la solde du PKK. Akin Birdal, président de l'Association des droits de l'Homme en Turquie, qui serait accusé par Sakik d'être "davantage un combattant du PKK" que lui-même, a affirmé qu'il considérait le PKK comme une "organisation de guérilla armée" et a ajouté que "c'est un stratagème très primaire" que d'accuser des opposants sur la base de "prétendus aveux sans doute arrachés sous la torture". Il s'agit d'un complot ourdi par les services de police pour salir la réputation des démocrates turcs et kurdes a-t-il conclu.

L'Allemagne, la Syrie, l'Iran, l'Arménie et la Grèce, plusieurs hommes d'affaires turcs et des journalistes renommés seraient également cités par Sakik comme étant des sympathisants du PKK. A ce titre, Cengiz Candar et Mehmet Ali Birand, deux éminents chroniqueurs, ont été suspendus par leur journal Sabah à la suite de ces campagnes de désinformation médiatique orchestrée par la police politique (MIT).

Ilnur Cevik, directeur du quotidien Turkish Daily News, présente la situation en ces termes dans son éditorial du 27 avril:

"Nous sentons que ces affirmations devraient être regardées avec beaucoup de réserves. Il est facile de calomnier les gens mais il n'est pas facile d'effacer les dommages. Ce genre d'affirmations porte l'ombre sur d'importantes révélations que Semdin a pu faire à propos du PKK car cela ébranle la crédibilité de ses confessions. Certains observateurs indépendants en Occident sentent déjà que les autorités utilisent Semdin pour ruiner la crédibilité de certaines personnalités éminentes en TurquieNous ne devons pas jouer avec la dignité et l'honneur des gens en s'appuyant sur les déclarations d'un terroriste qui s'auto-confesse. Si ce genre de choses sont révélées à la presse, nous croyons que les autorités devraient faire très attention à ce qui est disponible dans les journaux".

LE PREMIER MINISTRE TURC CRITIQUE L'ARMÉE PUIS RENTRE DANS LE RANG

LES velléités d'autonomie du Premier ministre turc n'ont duré que quelques jours. Il a suffi aux généraux turcs une réunion à l'état-major et un communiqué musclé pour que M. Yilmaz rentre dans le rang et renonce à ses velléités de demander à l'armée de laisser le gouvernement traiter le problème des activités islamistes. Finalement M. Yilmaz a dû déclarer publiquement que "le gouvernement de coalition estime qu'il n'y a pas de divergences entre le cabinet et les militaires" dans la lutte contre l'extrémisme religieux.



Le 17 mars 1998, le président turc Suleyman Demirel avait été convoqué par les généraux pour un briefing ayant à son ordre du jour la lutte contre le fondamentalisme, les activités de grands conglomérats économiques d'obédience islamiste ainsi que les activités d'autres groupes islamistes dans le pays. Irrité par le rôle pésant joué par les militaires sur la scène politique turque, le Premier ministre Mesut Yilmaz avait appelé l'armée à "s'occuper de ses affaires". L'animosité entre les responsables militaires et le Premier ministre a pour origine le refus de l'état major des armées de mettre un terme au Groupe de Travail de l'Ouest (BÇG) et le fait que le Secrétariat général du Conseil national de sécurité donne des briefings et des directives aux recteurs d'universités sans aviser le Premier ministre, affichant ainsi l'indépendance de l'état-major à l'égard de ce dernier. En juillet 1997 M. Yilmaz avait demandé à l'armée de mettre en sourdine les activités de ce Groupe de Travail de l'Ouest surveillant pour le compte de l'armée les activités islamistes, car cette question est de la compétence du gouvernement. L'armée n'a pas tenu compte de cette demande.

Le 13 mars le Premier ministre Mesut Yilmaz avait réagi en ces termes: " Tous les citoyens sont sensibles à la question de la lutte contre le fondamentalisme. Les mêmes sensibilités se retrouvent au sein du gouvernement. Mais personne ne doit user du moyen de lutte contre le fondamentalisme pour s'approprier le pouvoir. Le but du gouvernement est de venir au bout de cela par la démocratie à l'instar de la lutte contre le terrorisme. Nous ne mettrons pas de côté les moyens démocratiques pour lutter contre cela Nous trouverons des solutions dans le cadre de l'Etat de droit démocratique au problème de la terreur tout autant qu'au fondamentalisme Celui qui soutiendra des options hors de l'Etat de droit, pour lutter contre le terrorisme ou le fondamentalisme, ne sera qu'une troisième menace pour la République au même titre que les deux précédentes On ne peut lutter par des moyens arbitraires. J'invite tout le monde à lutter dans le cadre de l'Etat de droit". Mesut Yilmaz a également rappelé que "tout le monde devait tenir son rang et devait agir dans le cadre de ses fonctions".

A l'issue d'une réunion des cinq plus hauts commandants des armées, l'état-major a visé directement M. Yilmaz en déclarant dans un communiqué du 20 mars 1998 que "personne ne peut, pour ses intérêts personnels et ses ambitions politiques, faire des déclarations visant à affaiblir la détermination des forces armées à lutter contre le séparatisme et le fondamentalisme, qui constituent un danger pour la sécurité du paysLa lutte contre le fondamentalisme et le séparatisme () est une mission donnée à l'armée par la constitution".

Ce communiqué a été interprété comme un ultime avertissement au gouvernement d'autant plus que la plupart des quotidiens l'ont comparé au mémorandum de 1971, par lequel les militaires avaient obtenu la démission du gouvernement et réalisé un coup d'État. Comprenant le message, Mesut Yilmaz a fait machine arrière en déclarant samedi 21 mars que "les militaires se sont réunis pour exprimer leur malaise. Je ne contesterai pas cela Ma tâche n'est pas de créer de nouvelles tensions".

Cédant à la pression, le Premier ministre a annoncé lundi 23 mars une série de mesures, dont un projet de nouvelle législation pour contrôler les activités des institutions soupçonnées de soutenir les islamistes et une surveillance plus étroite des émissions de radios et télévisions privées. Selon le projet, un organisme gouvernemental, le Département des affaires religieuses détiendra le pouvoir exclusif d'autoriser la construction des nouvelles mosquées; les peines de contravention aux lois sur les tenues dans la fonction publique devraient être alourdies et la loi sur les manifestations serait modifiée.

Jeudi 26 mars, le général Ismail Hakki Karadayi, chef d'état-major des armées a rencontré le Premier ministre turc, après s'être entretenu avec les quatre plus hauts commandants militaires du pays, pour "faire le point sur la situation". A l'issue de cette visite, M. Yilmaz a affirmé que la tension était désormais dissipée et que civils et militaires sont sur la même longueur d'ondes.

Après ces préliminaires, la réunion du vendredi 27 mars, tant attendue que redoutée, du tout puissant Conseil national de sécurité (MGK) s'est déroulée "normalement". Le MGK a annoncé que "dans la lutte contre les mouvements religieux réactionnaires qui visent à abattre le régime laïc, les lois existantes doivent être appliquées sans concession et de nouvelles lois doivent être rapidement adoptées par le parlement". L'armée insiste sur une purge de tous les hauts responsables d'obédience islamiste infiltrés au sein de l'État, principalement au ministère de la Justice. D'ores et déjà, cinq sous-préfets ont été déférés en justice pour activités fondamentalistes et deux préfets et 73 sous-préfets feraient l'objet d'une enquête conduite par une commission spéciale créée au sein du ministère de l'Intérieur. Selon l'armée, "37 gouverneurs de province sur 80 et 200 sous-préfets (en fonction actuellement) sont des partisans notoires de la charria (loi coranique)". Le 31 mars, trois maires turcs ont été destitués par le ministère de l'Intérieur pour activités fondamentalistes et déférés devant la justice, dans le cadre de cette opération d'épuration. Le maire islamiste d'Istanbul, Recep Tayyip Erdogan, poursuivi pour "provocation explicite du peuple à la haine par discrimination religieuse, raciale ou régionale", passible de cinq ans de prison, comparaissait le même jour devant la Cour de sûreté de l'État de Diyarbakir. Lors d'un discours en décembre dernier, il avait déclaré "les mosquées sont nos casernes, les minarets nos baïonnettes, les coupoles nos casques et les croyants nos soldats".

Au cours de la réunion, un rapport a également été présenté sur les activités de Fethullah Gulen, l'influent chef d'une secte religieuse dont l'armée considère que le but à terme est d'aider à l'instauration d'un régime islamiste.

Les partisans du Refah islamiste, dissous, à qui aucun acte de violence n'est reproché, dénoncent "la persécution" de leur sympathisants et "une croisade aux allures de chasse aux sorcières".

Par ailleurs, le gouvernement turc a soumis au Parlement un projet de loi prévoyant l'instauration d'un système majoritaire à deux tours pour les élections municipales, ce qui devrait défavoriser fortement les candidats islamistes, qui avaient réussi à s'emparer de nombreuses mairies avec des suffrages ne dépassant pas les 25% aux dernières municipales en mars 1994.

Le parti islamiste turc de la Vertu (Fazilet), crée en décembre à la suite de la dissolution pour activités contre le régime laïc par la Cour constitutionnelle, a critiqué les mesures annoncées par le gouvernement, les qualifiant "d'incompatibles avec un État moderne". Quant à Tansu Ciller, elle s'est contentée de ce commentaire lapidaire: "Le caporal Yilmaz est rentré dans le rang au premier coup de sifflet des généraux".

LA DÉTRESSE DES RÉFUGIÉS KURDES DE TURQUIE EN IRAK

UN reportage de la BBC du 31 mars 1998 expose la situation tragique des réfugiés kurdes, pris au piège entre les autorités turques et irakiennes. Voici des extraits de ce reportage: " (...) Quatre ans après avoir fuit la Turquie, des milliers de réfugiés kurdes sont pris au piège au nord de l'Irak. Encerclés par des mines, ils sont forcés de vivre dans des installations de fortune".

" Bagdad les empêche d'aller vers le sud et des factions kurdes alliées de l'armée turque refusent de leur accorder le retour vers le nord. Environ 7000 personnes se sont installées près d'une base militaire irakienne à Sheikhan. Le correspondant de la BBC, Roger Omaar est le premier journaliste à visiter le camp. Même les besoins les plus élémentaires nécessaires à la vie humaine manquent. Pour simplement s'approvisionner en eau ou en bois, ils doivent quitter le camp et traverser les champs jonchés de mines. Inévitablement, certains sont malchanceux. Ces derniers mois, 16 personnes ont été blessées pour avoir marché sur des mines enfouies. Étant dépourvus de tout soutien médical, ils ont recours à des morceaux de bois et autres débris trouvés aux alentours pour reconstituer leur "vrais faux membres".

Les Nations Unies et la Croix Rouge essayent de fournir les denrées de première nécessite aux réfugiés. Mais les relations avec l'Irak, suivies des sanctions infligées au pays par la communauté internationale rendent leur travail de plus en plus laborieux.

Un médecin irakien et une infirmière allemande, mariée à un Kurde, elle-même réfugiée, sont les seules personnes autorisées à apporter assistance sur le terrain. "Je peux dire que le peuple kurde vit dans mon cur et je veux rester avec eux, je veux les aider autant que je peux" a déclaré à la BBC l'infirmière Medea Mustafa.

Cependant chaque jour de nouveaux obstacles apparaissent pour le "peuple oublié". Présumés avoir été kidnappés par des agents turcs, les époux de nombreuses femmes se sont évaporés du camp. "Pour parler des droits de l'homme il est essentiel d'avoir le statut d'être humain. Il est nécessaire d'avoir sa propre place et sa propre maison et de préserver sa propre identité" résume la triste existence des Kurdes de Turquie, Ali Ghan, leader du camp. "

CÉLÉBRATIONS MOUVEMENTÉES DE NEWROZ EN TURQUIE

OMME chaque année au 21 mars, la fête de Newroz, le Nouvel An, a été célébrée par le peuple kurde. A cette occasion, les autorités turques avaient prévu d'organiser des festivités officielles, obligeant parfois le peuple y à prendre part, notamment à Siirt où le Premier ministre turc Mesut Yilmaz avait décidé de se rendre pour le Newroz. Les autorités ont procédé à des arrestations à Istanbul et fait des descentes de police dans les locaux de HADEP et de l'Association des droits de l'homme quelques jours avant la fête et des gouverneurs de certaines régions du Kurdistan n'ont pas permis des cérémonies de célébrations alternatives et d'autres comme à Urfa, Konya, Agri ont interdit de grandes festivités populaires.

Des délégations étrangères venues d'Angleterre, d'Allemagne, de France, d'Italie, des Pays Bas et des pays scandinaves se sont rendues à Diyarbakir et dans la région pour observer le déroulement de la fête.

Trois Italiens qui faisaient parti d'un groupe de pacifistes européens, Dino Frisullo de l'association "Sans frontières" et deux étudiants, Giulia Chiarini et Marcello Musto, arrêtés lors d'une intervention de la police turque contre des milliers de personnes réunies pour fêter le nouvel an, kurde ont été interrogés par la police avant de comparaitre devant un juge d'instruction qui a décidé, le 23 mars, de libérer deux Italiens et de garder en détention Dino Frisollo. Les Italiens sont accusés d'"instigation à la violence". L'intervention de la police turque à Diyarbakir a fait une trentaine de blessés.

L'hedomadaire turc Turkish Probe, dans son numéro du 29 mars, écrit à ce sujet : " Les festivités de Newroz se sont déroulées dans une atmosphère de fêtes virtuelles en Turquie. Seules les célébrations autorisées étaient permises, chaque personne faisait l'objet de fouilles minutieuses à l'entrée des lieux désignés et toute personne habillée de couleurs kurdes (rouge, jaune et vert) était refusée.

A Ankara, un groupe de manifestants désirant fêter le Newroz s'est rassemblé au Sihhiye Square et s'est dirigé vers Tandogan. La police a érigé des barricades à l'entrée de Tandogan et a fouillé les manifestants. Des journalistes portant caméras et pancartes étaient présents sur les lieux. Parmi ces derniers, Suna Bayraktar, reporter au magazine Kaldirac, a été placé en garde à vue pour avoir refusé de lâcher sa pancarte.

3500 personnes participaient aux festivités d'Ankara. Après une minute de silence, le message de Murat Bozlak, président du Parti de la Démocratie (HADEP), incarcéré à la prison d'Elmadag a été lu à l'assemblée. Dans son message, Murat Bozlak déclarait que le Newroz était une fête pour tous les peuples. "Ce sont ces peuples privés de liberté et de paix qui allument ce feu. Nous partageons le même esprit avec tous les peuples du monde. C'est le jour pour entendre la voix du peuple et lutter pour la liberté" a-t-il ajouté.

Newroz a été célébré à Istanbul par diverses manifestations. La police a désigné Kazlicesme comme lieu de célébration. 20 000 personnes y ont été rassemblées conjointement par le Parti de la Liberté et de la Solidarité (ÖDP), le HADEP, le Parti du Travail (Emek) et le Parti Socialiste du Travail. 10 000 officiers de police mais également de nombreux militaires y avaient été déployés. Les forces de sécurité ont placé en garde à vue les personnes qui étaient vêtues des couleurs rouge, jaune et vert.

Izmir également était de fête. A Kusadasi, les journaux locaux et des chaînes de télévision ont été forcés par la police de diffuser et de publier des articles à propos de certaines activités de Newroz. Les festivités ont débuté à la place de la République d'Izmir sous étroite surveillance, les individus masqués et portant le drapeau du PKK ont été rapidement dispersés par le comité d'organisation dont le président Hacay Yilmaz a ouvert les festivités par un discours.

La célébration du Newroz a commencé à Van par des activités organisées par le gouverneur provincial au parc de la Culture. Un groupe qui ne participait pas à ces activités s'est réuni devant les locaux de HADEP en dansant et allumant un feu sans autorisation préalable. Scandant des slogans en faveur d'Abdullah Ocalan, chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), ils se sont dirigés vers le parc municipal. La police, les militaires et deux hélicoptères qui suivaient le groupe se sont opposés aux manifestants. Trois policiers ont été blessés par des jets de pierre au cours de l'accrochage. Une fois dispersé, la police est intervenue contre d'autres manifestants qui s'étaient réunis à nouveau dans la même avenue. Au cours de la confrontation, 13 personnes ont été blessées et hospitalisées.

A Diyarbakir, les festivités ont commencé à 7 h du matin. Des enfants ont allumé des feux de Newroz dans certaines banlieues, Batikent, Ziyapasa, Sento, Gursel et Dicle et 15 personnes ont été placées en garde à vue par les forces de police. Newroz y a été célébré sans incidents violents contrairement aux craintes.

Sanliurfa a été la ville où il y a eu le plus de gardes à vue durant le Newroz. La tension s'est aggravée lorsque des groupes ont débordé des lieux de célébration désignés au préalable par le gouverneur. 36 personnes ont été arrêtées à la suite des événements ".

Les observateurs ont considéré que les festivités s'étaient déroulées dans un calme relatif puisqu'au cours des célébrations précédentes, 12 personnes avaient été tuées en 1991. En 1992, considérée comme l'année la plus sanglante de Newroz, il y avait eu 102 morts à Diyarbakir, Sirnak, Van et Hakkari et en 1993 il n'y a pas eu de célébrations.

MESUT YILMAZ S'EN PREND À NOUVEAU À L'ALLEMAGNE QU'IL ACCUSE DE CHERCHER À INSTAURER SON "ESPACE VITAL" À TRAVERS L'UE

TOUJOURS pas remis de la décision de l'Union européenne au sommet de Luxembourg écartant la Turquie du plan d'élargissement de l'UE, Ankara n'hésite pas à attaquer violemment les pays qui s'y sont opposé. Ainsi, dans une interview publiée par le Financial Times du 13 mars, le Premier ministre turc Mesut Yilmaz a comparé l'approche allemande d'expansion de l'Union européenne au fameux "Lebensraum" (l'espace vital) d'Adolf Hitler. "Les Allemands continuent la même stratégie qu'avant. Ils croient à l'espace vital Cela veut dire que les pays de l'Europe centrale et de l'est sont d'une importance stratégique pour l'Europe et pour l'Allemagne comme dans son passé Leur but à terme est d'inclure ces pays dans l'OTAN et l'UE et de diviser l'Europe entre la Bulgarie et la TurquieLa Turquie devrait être un bon voisin pour l'Europe mais non un membre de l'UE" a-t-il déclaré au quotidien".

La réaction allemande ne s'est pas fait attendre. L'Allemagne a rejeté ces propos les qualifiant de "calomnies inexcusables" et "d'insultes". Sur fond de crise avec Bonn, la visite en Allemagne du ministre turc du Travail, Nami Cagan a été annulée par la Turquie, après que son homologue allemand Norbert Bluem eut réduit sa participation aux rencontres prévues à partir du 15 mars à un simple déjeuner avec M. Cagan. "J'ai assez à faire moi-même et je ne pense pas que la visite serait très utile dans le contexte actuel" a déclaré M. Bluem.

Par ailleurs, selon l'agence BTA, le Premier ministre Mesut Yilmaz a déclaré, le 14 mars, lors d'un voyage en Bulgarie qu'"à l'Union européenne il y a des milieux qui voient son avenir comme un club chrétien La Turquie poursuivra sa voie européenne malgré les erreurs commises à son égard. Tant que ces erreurs ne seront pas réparées, il n'est pas question pour nous de changer notre attitude". En attendant la Turquie a boycotté la conférence européenne qui s'est réuni le 12 mars à Londres et à laquelle elle était invitée.

De son côté, le ministre allemand des affaires étrangères, Klaus Kinkel, a déclaré que "la route qui mène la Turquie à l'Europe comprend des obstacles importants: primo, l'occupation du nord de Chypre par les troupes turques, qui contrevient à une résolution de l'ONU, secundo, la situation des droits de l'homme en Turquie, et tertio, le problème kurde".

AINSI QUE...

LE PROCÈS DE HADEP: 500 PERSONNES PLACEES EN GARDE-À-VUE


Le procès des responsables du Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP), accusés d'avoir violé le paragraphe 1 de l'article 168 du code pénal turc a débuté le 27 avril devant la Cour de sureté d'Etat d'Ankara. Le président de HADEP, Murat Bozlak, secrétaire-général Hamit Geylani, président adjoint Mehmet Satan, secrétaire-général adjoint Zeynettin Unay, Ali Riza Yurtsever, Ishak Tepe et Melik Aygul étaient présents dans la salle d'audience. Ils répondent du chef d'accusation d'"organisation de bande armée contre la sécurité de l'Etat" et risque une peine de 22 ans et 6 mois de prison.

D'importantes mesures de sécurité avaient été prises par la police tout autour du tribunal avant l'audience. Environ 500 personnes, réunies pour soutenir les responsables du HADEP ont été placées en garde à vue et 10 véhicules de HADEP ont été interdits d'accès à la ville.

De nombreux observateurs étaient également présents à l'audience. Parmi eux, Mark Muller, vice-président de l'Union des Associations des Barreaux Britaniques, Gill Higgins, responsable des Avocats Sans Frontières, des responsables des ambassades britannique, américaine, allemande, française et espagnole.

Yusuf Alatas, un des avocats d'HADEP, a demandé la libération de ses clients mais cela a été rejeté par la cour, qui a ajourné les auditions jusqu'au 28 mai pour attendre l'issue de l'"affaire du drapeau", le dépôt du témoignage de Semdin Sakik et pour recueillir d'autres preuves et témoignages contre HADEP.

LE MAIRE ISLAMISTE D'ISTANBUL CONDAMNÉ À 10 MOIS DE PRISON


Le maire d'Istanbul, Recep Tayyip Erdogan a été condamné par la Cour de Sûreté de l'État de Diyarbakir à 10 mois de prison ferme pour des propos qui constitueraient une "provocation explicite du peuple à la haine par discrimination religieuse, raciale ou régionale". M. Erdogan dans une déclaration publique faite en décembre 1997 dans la ville kurde de Siirt, avait dit "les mosquées sont nos casernes, les minarets nos baïonnettes, les coupoles nos casques et les croyants nos soldats". Il s'agit d'extraits d'un poème de Ziya Gökalp, idéologue et père fondateur du nationalisme turc, poème composé il est vrai au début du siècle dans un contexte de lutte contre "les puissances chrétiennes de l'époque". C'est la raison pour laquelle, le procureur de Diyarbakir a demandé l'acquittement du maire d'Istanbul, mais la Cour, semi-militaire, sans doute sur instruction de la hiérarchie militaire, a décidé de le condamner dans le dessein de mettre fin à la carrière de cet homme politique populaire dont la gestion semble appréciée par les Stambouliotes. Après avoir décapité le mouvement kurde, les militaires cherchent à décapiter la mouvance islamiste modérée. Si sa peine est confirmée par la Cour de cassation, le maire d'Istanbul, considéré par beaucoup comme futur chef des islamistes en Turquie, sera déchu de son mandat de maire et ne pourra plus se présenter à des élections car selon le code pénal turc, tout citoyen condamné pour "crimes contre l'État" devient inéligible ad vitam.

On sait que Sukru Karatepe, maire islamiste de Kayseri (centre) avait été condamné, sous le même chef d'accusation, à un an de prison en 1997, peine confirmée en appel.

Par ailleurs, la police a procédé à une opération sans précédent dans les milieux d'affaires islamistes à Ankara, Adana, Bursa, Istanbul et Kayseri. Une vingtaine d'arrestations d'hommes d'affaires qui, selon la police, seraient impliqués dans le blanchiment de fonds d'origine frauduleuse et le transfert illégal d'argent à des organisations islamistes, ont été réalisées dans la nuit du 20 au 21 avril, dans le cadre d'une enquête lancée par la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara. Cinq sous-préfets et trois maires islamistes ont déjà été déférés en justice pour menées islamistes dans le cadre des mesures annoncées par M. Yilmaz.

UNE NOUVELLE CONDAM-NATION DE LA TURQUIE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME


La Turquie a été condamnée le 24 avril par la Cour européenne des droits de l'homme pour la destruction des maisons kurdes au cours des opérations anti-guerilla au Kurdistan. La Cour a jugé que les soldats s'étaient rendus coupable de "traitement inhumain" violant ainsi la Convention européenne des droits de l'homme. Les deux plaignants, Keje Selcuk et Ismet Asker, ont vu leurs maisons et leur moulin partir en feu et privés de tout, ont été obligés de quitter leur village d'Islamkoy (Diyarbakir) sans aucune assistance.

Ankara est également coupable d'avoir violé les principes de la Convention européenne relatifs au droit à une vie privée et familiale et à la libre disposition des biens personnels.

Ce n'est pas la première fois que la Turquie est condamnée pour de tels actes. Pour se défendre, Ankara a soutenu que toutes les procédures juridiques au niveau national n'étaient pas épuisées mais la Cour constatant que la lettre des plaignants au gouverneur du district était resté lettre morte, a souverainement décidé qu'une plainte devant les Tribunaux nationaux n'aurait "rimé à rien". Selon la Cour, les autorités turques n'ont pas apporté de preuve effective- les officiers chargés de l'opération et les témoins dans le village n'ont pas été interrogés.

La Cour a accordé à Keje Selcuk et Ismet Asker $46 080 et $53 800 respectivement et le remboursement des frais engagés.

PEINES DE PRISON POUR DEUX EX-DÉPUTÉS KURDES DU PARTI DE LA DÉMOCRATIE


Mehmet Emin Sever et Muzaffer Demir, deux ex-députés kurdes du Parti de la Démocratie (DEP-dissous) ont été condamnés jeudi 12 mars 1998 à 11 mois 20 jours et 10 mois de prison respectivement par une Cour de Sûreté de l'État "pour des déclarations publiques de soutien au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) et pour propagande séparatiste". La sentence étant suspensive, les ex-députés devront purger leur peine s'ils commettent un autre délit.

DES POLICIERS TORTION-NAIRES D'ADOLESCENTS ACQUITTÉS


Les 10 policiers accusés d'avoir torturé 14 adolescents lycéens de Manisa, soupçonnés d'appartenance à un mouvement gauchiste, ont été acquittés du 11 mars par décision de justice. Le Tribunal, qui a changé de juges à six reprises , a estimé qu'il n'y avait pas de preuves suffisantes démontrant la culpabilité des prévenus, jugés pourtant pour avoir mis à nus les jeunes, puis les avoir sodomisés avec des matraques, arrosés avec de l'eau à grande pression et torturés à l'électricité. Un rapport du 2 janvier 1996 signé du docteur Emine Keskin, médecin légiste et de Kenan Güler, directeur du Bureau de la Médecine Légale, avait établi que les lycéens avaient bien été torturés.

Acquittés alors même que le procureur avait requis contre les accusés des peines de trois mois à trois ans de prison en affirmant qu'"il y a des preuves démontrant les sévices". Lorsque l'affaire de Manisa a éclaté en 1995, la Turquie était en pleine campagne électorale-période durant laquelle les responsables politiques turcs crient haut et fort l'indépendance de la Justice. Firuz Çilingiroglu, alors ministre de la Justice, avait à ce titre affirmé devant le Parlement turc qu'"il y avait des preuves de l'usage de la torture" et ces propos ont été enregistrés dans le procès verbal du jour.

Les plaignants ont d'ores et déjà déclaré qu'ils feront appel de la décision et s'ils n'obtiennent pas justice ils saisiront la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg.

A Washington Lawyers Committee for Human Rights a vivement critiqué cet acquittement. "La Turquie se tire dans les pattes en acquittant dix policiers accusés d'avoir torturé des adolescents" affirme dans un communiqué la LCHR qui ajoute que "cela donne un coup aux prétentions du gouvernement turc qui se dit engagé dans un effort sérieux pour améliorer la situation des droits de l'homme".

Par ailleurs, le 19 mars, la cour d'assises d'Afyon a condamné à sept ans et demi de prison pour homicide involontaire cinq des onze policiers accusés d'avoir battu à mort Metin Göktepe, journaliste au quotidien Evrensel. Les six autres policiers ont été acquittés.

Battu à mort le 8 janvier 1996 par des policiers alors qu'il couvrait les obsèques de deux détenus tués lors de la répression d'une mutinerie dans une prison d'Istanbul, le procès Göktepe s'était ouvert sous la pression de l'opinion publique et des médias en octobre 1996 à Aydin puis déplacé à Afyon pour des raisons de "sécurité". Après nombreux rebondissements, le verdict était très attendu par l'opinion publique, d'autant plus que Mesut Yilmaz avait déclaré solennellement que le déroulement et le verdict du procès seraient un test pour la Turquie en matière de droits de l'homme.

Reporter sans frontières, dans un communiqué du 19 mars, souligne le caractère "inique et inacceptable" du verdict et déplore que "des fonctionnaires de la police ou de l'armée bénéficient d'une certaine clémence devant la loi par rapport aux citoyens ordinaires". L'organisation appelle à ce que les hauts fonctionnaires de la police mis en cause dans ce meurtre soient également traduits devant la justice. La famille a d'ores et déjà annoncé qu'elle fera appel de la décision.

LA TORTURE RESTE SYSTÉMATIQUE LORS DES INTERROGATOIRES TURCS


La commission parlementaire des droits de l'homme, présidée par Mme. Sema Piskunsut (DSP) a effectué une visite au Kurdistan pour compléter ses investigations sur les conditions de détention dans les prisons et commissariats turcs. Au cours de leur enquête à Diyarbakir, Urfa, Batman et Mardin, les membres de la commission ont constaté de nombreuses irrégularités et ont déclaré qu'ils y avaient eu preuve de la pratique systématique de la torture. Ils ont reconnu avoir découvert de nombreux instruments de torture dans les lieux inspectés malgré l'effort de dissimulation et de maquillage que la police avait fourni pour détourner les regards. Câbles utilisés pour les chocs électriques d'une intensité de 48 volts, attaches pour la suspension, ont été découverts dans les salles d'interrogation aux départements de police de Batman, de Diyarbakir et autres postes de police de la région. Les membres de la commission ont également entendu de nombreux témoignages choquants appuyés par des centaines de photos de victimes torturées. En une semaine d'investigation, 2000 victimes ont été auditionnées, des milliers de documents et 50 heures de film vidéo ont été recueillis. De plus, de nombreux anneaux en fer employés pour la pendaison palestinienne y ont été retrouvés. Selon les enquêteurs, les petits anneaux servent à pendre les victimes au plafond et les cerceaux sont utilisés pour les rouler sur le parquet. Des sacs de sable leur semblent également être des instruments de torture. Par ailleurs, les enquêteurs ont constaté dans de nombreux départements de police que les parquets étaient mouillés et que certains étaient en dessous des normes régulières de la santé.

Toujours selon les membres de la commission, les mauvais traitements des prisonniers ont souvent lieu lors des transferts. Au reste, des médecins associés à la commission parlementaire ont constaté des traces de torture sur de nombreux prisonniers.

Face à ces constatations tragiques, les responsables de la police locale n'ont eu que des réponses ridicules à fournir aux enquêteurs. A la demande insistante de la commission, une liste appelée "liste des fugitifs", contenant des milliers de noms livrés par les détenus, a été remise aux parlementaires. Sema Piskinsut, constatant l'illégalité de la procédure a déploré que des noms soient inscrits sans aucun fondement et aucune investigation. Les responsables locaux ont quant à eux "plaisanté" en disant "vous aussi vous êtes fichée Mme la présidente". Interrogés sur la raison pour laquelle aucune femme n'assiste aux interrogatoires, un responsable a rétorqué spontanément qu'"aucune personne ayant des enfants ne pouvait supporter cela ". Un autre a avancé sans gêne que " l'interrogatoire était une tâche très plaisante ".

LA TURQUIE, PREMIER DE LA LISTE DES PAYS AYANT EMPRISONNÉ SES JOURNALISTES


Le Comité de Protection des journalistes (CPJ) a, 27 mars rendu public son rapport de l'année 1997. Comme en 1996, la Turquie reste le premier pays à violer les droits et libertés des journalistes et cela malgré 37 libérations au cours de l'année écoulée.

En 1997, le nombre de journalistes emprisonnés dans le monde était de 129, contre 185 en 1996. Les libérations intervenues en Turquie ont largement contribué à cette baisse, d'ailleurs, le CPJ considère que ces relaxations ont été la plus grande évolution de l'année. Toutefois la Turquie reste le premier de la liste des pays cités dans ledit rapport avec ses 29 journalistes emprisonnés. Avec 20 journalistes tués, elle figure à la septième place dans un autre "palmarès", celui des journalistes assassinés dans le monde.

Alors que la commission de justice du parlement turc examinait le 31 mars un projet de loi amendant le code pénal turc pour empêcher l'emprisonnement de l'avocat Esber Yagmurdereli, la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul a ouvert une autre instruction à l'égard de Haluk Gerger, Yalçin Kuçuk et Kemal Burkay, accusés "de propagande séparatiste pour les propos qu'ils ont tenus au cours d'une émission de MED-TV le 19 novembre 1995". La première audience du procès aura lieu le 7 mai 1998.

Par ailleurs, à la veille de la Journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai 1998, Reporters sans frontières a publié son rapport annuel faisant le point sur les violations de la liberté de la presse dans 140 pays. En 1997, 26 journalistes ont été tués dans l'exercice de leurs fonctions et au 14 avril 1998, 102 journalistes étaient emprisonnés pour leurs activités professionnelles.

La Turquie est un des pays qui enregistre le plus de violations des libertés à l'égard des journalistes. Selon le rapport, en 1997, près d'une vingtaine de journalistes ont été torturés en détention et au moins 255 ont été interpellés ou incarcérés. Le procès des onze policiers accusés du meurtre de Metin Goktepe, journaliste d'extrême gauche battu à mort, est largement retracé avec ses rebondissements dans le rapport.

De même, l'édition de 1998 dénonce la pratique de torture quasi systématique en Turquie et souligne que "les collaborateurs d'organes de presse pro-kurdes ou d'extrême gauche sont très souvent torturés dans les locaux des sections en charge de la lutte antiterroriste. En 1997, au moins 16 journalistes ont subi ce sort".

Toujours selon le rapport, 91 journalistes sont détenus en Turquie "sans qu'il soit possible d'affirmer qu'ils le sont pour leurs opinions ou pour avoir exercé leur profession". 62 journalistes y ont fait l'objet d'agressions et 73 autres ont été menacés ou harcelés en 1997 (estimation minimale). De plus, d'autres moyens de pressions sont utilisés contre les journalistes, tels que des pressions juridiques, administratives ou économiques; des procès ont été organisés contre des journalistes appartenant à au moins 44 médias turcs entre le 1er janvier et le 31 décembre 1997. 89 médias ont été suspendus pour des périodes variables ou fermés ou encore supendus pour une durée indéfinie et au moins 33 quotidiens ou périodiques ont été saisis.

LE VAL D'AOSTE DÉCERNE À LEYLA ZANA SON LE PRIX DE LA FEMME DE L'ANNÉE 1998


Le Conseil régional du Val d'Aoste a remis le 18 avril 1998, au cours d'une cérémonie réunissant des personnalités du monde de la culture, de la science et de la presse, le Prix de la Femme de l'Année à Leyla Zana. Le jury, présidé par François Stévenin, président du Conseil régional du Val d'Aoste a motivé sa décision unanime par ces mots: "Première femme kurde élue députée de toute l'histoire de la Turquie, a renoncé au bien le plus fondamental de l'homme, la liberté, pour défendre son peuple. Condamnée et incarcérée à la prison d'Ankara, elle est devenue le symbole de la résistance kurde pour la reconnaissance des valeurs démocratiques fondées sur la paix et la justice sociale".

Deux autres candidates, la militante calabraise Mme Teresa Cordopatri dei Capece et la journaliste algérienne Salima Ghezali ont également été distinguées par le prix.

Par ailleurs, Mme Claudia Roth, députée du parlement européen et vice-présidente s'est vue refusée l'autorisation de rendre visite à Leyla Zana, emprisonnée à Ankara. "Malheureusement ça s'est passé comme d'habitude () Le ministre des Affaires étrangères Ismail Cem m'avait dit lundi qu'il n'était pas en mesure de transmettre ma requête" a déclaré Mme Roth, en visite à Ankara pour une réunion de la commission parlementaire mixte Turquie-Union Européenne.

RECONDUCTION DE L'ÉTAT D'URGENCE DANS LES 6 PROVINCES KURDES


Le Parlement turc a décidé, mardi 24 mars, de prolonger pour quatre mois et à partir du 30 mars, l'état d'urgence dans les régions kurdes, décrété en juillet 1987 pour remplacer la loi martiale en vigueur en 1979. Ainsi Diyarbakir, Hakkari, Siirt, Sirnak, Tunceli et Van resteront sous un régime d'exception où un super-préfet détient des pouvoirs extraordinaires. En octobre 1997, l'état d'urgence avait été levé dans les provinces de Batman, Bingol et Bitlis.

LE PARLEMENT TURC DÉCIDE DE CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA FORTUNE DE MME ÇILLER


La motion présentée contre Mme Tansu Ciller, ancien Premier ministre turc, a été adoptée le 21 avril au Parlement turc. Déposée par des députés des trois partis de l'actuelle coalition gouvernementale, la motion demande une enquête sur les biens personnels de l'intéressée. Les partis gouvernementaux affirment qu'elle a acquis illégalement des biens d'une valeur de 2,5 millions de dollars lorsqu'elle était Premier ministre. Une commission parlementaire sera constituée pour enquêter sur la fortune de Mme Çiller. A la suite du rapport de cette commission, qui devra être remis dans les deux mois, l'Assemblée plénière aura à se prononcer sur son sort et en cas d'approbation Mme Çiller sera alors déférée devant la Cour consti-tutionnelle.

Par ailleurs la commission préparatoire examine une autre requête demandant la levée d'immunité parlementaire des ténors du parti de la Juste Voie (DYP) dont Mme Çiller, Mehmet Agar, Meral Aksener, respectivement vice-premier ministre et ministre de l'Intérieur dans le précédent gouvernement de coalition DYP- Refah (islamiste).

Mme Çiller qui avait échappé de peu, sous le gouvernement à dominante islamiste, à trois motions parlementaires l'accusant de corruption, dément toutes les accusations portées contre elle et parle d'un réglement de comptes politiques.

VISITE DE WILLIAM COHEN EN TURQUIE


M. William Cohen, secrétaire américain à la Défense, accompagné de M. Marc Grossman, assistant du secrétaire d'Etat pour les affaires européennes et canadiennes, sont arrivés vendredi 17 avril en Turquie pour une tournée incluant également la Jordanie, l'Égypte, Israël et la Grèce.

Les relations bilatérales entre les États-Unis et la Turquie, ainsi que les différends avec la Grèce- toutes deux membres de l'OTAN- à propos notamment de Chypre et des missiles russes commandés par Nicosie qui suscitent la colère et l'inquiétude d'Ankara, étaient à l'ordre du jour.

L'agenda du M. Cohen comprenait par ailleurs, d'autres question non moins importantes: le projet turc d'acquisition des F-15, son programme d'achat d'hélicoptères d'assaut pour un montant de $3,5 milliards, son projet de fabrication d'au moins 800 tanks pour un contrat de $4,5 milliards et la question des frégates en supplément des trois premières Perry-class.

Le secrétaire américain s'est également rendu samedi 18 à la base d'Incirlik auprès des troupes américaines participant à l'opération "Northern Watch" de surveillance de la zone d'exclusion aérienne dans le nord de l'Irak. Il a déclaré que " l'Irak n'obtiendra pas d'allégement des sanctions de l'ONU tant qu'il ne fournira pas la preuve de la destruction de ses stocks d'armes chimiques et bactériologiques ".

Au lendemain de cette visite la Turquie a annoncé qu'elle projettait de lancer cette année un appel d'offres international pour moderniser ses vieux chars de combat M60 de fabrication américaine, un contrat atteignant plus de $500 millions.

Des firmes américaine, israélienne et européennes s'intéressent de près à ce marché. En plus de la modernisation de ses M60, la Turquie a l'intention de fabriquer quelque 1000 chars de combat avec une firme qui reste à choisir et pour un montant de $5 milliards.

LE PARLEMENT RUSSE DEMANDE À LA TURQUIE DE S'ASSEOIR À LA TABLE DES NÉGOCIATIONS AVEC LES KURDES


Le Parlement russe, la Douma, a demandé à la Grande Assemblée turque de s'asseoir à la table des négociations avec les Kurdes. A ce titre, la Douma a adopté une résolution sous le titre d'"un appel pour une solution au problème kurde". La résolution en question souligne que le refus turc d'une solution pacifique au problème fait courir à toute la région des risques incalculables. "La solution la plus intelligente passe par l'octroi d'un statut politique particulier à la région kurde" a déclaré la Douma. Pour que le sang cesse de couler, elle a appelé les parlementaires turcs à user de leur autorité pour s'asseoir à la table des négociations de la paix avec les Kurdes. "A l'origine du problème réside le refus du droit à l'autodétermination pour le peuple de la région et l'application d'une politique génocidaire et discriminatoire contre le peuple kurde" a ajouté le Parlement russe.

Les autorités et médias turcs désignent la récente réunion tenue à Istanbul avec les pays du Caucase pour la promotion d'un oléoduc Bakou-Ceyhan comme la cause principale de la politique russe. La Russie est mécontente de voir le pétrole de la Caspienne transiter par la Géorgie et la Turquie. Elle souligne qu'un tel oléoduc traverserait le Kurdistan turc et donc serait vulnérable aux attaques de la guérilla kurde, active dans cette région. Le territoire russe serait, selon Moscou, beaucoup plus sûr pour un oléoduc. De son côté, Washington favorise les projets renforçant l'indépendance des ex-républiques soviétiques du Caucase et d'Asie centrale de façon à les détacher définitivement de la Russie.

LA LIGUE ARABE ADOPTE UNE RÉSOLUTION CONTRE LA TURQUIE


Au cours de la réunion des ministres de la Ligue Arabe au Caire, une résolution demandant à la Turquie de revoir sa coopération avec Israël a été adoptée le vendredi 27 mars 1998. La Ligue a également appelé à ce que ses membres réexaminent leurs contrats avec les compagnies qui prennent part à la construction des barrages turcs sur le Tigre et l'Euphrate et a déploré que la Turquie continue cette construction sans concertation avec la Syrie ou l'Irak.

LA LICENCE DE MED-TV MISE EN DANGER EN ANGLETERRE


La Commission Indépendante de la Télévision britannique (ITC) a officiellement donné un avertissement à la chaîne kurde par satellite MED TV pour le contenu de ses programmes. "Ces derniers jours MED TV a reçu un avertissement formel de la part de l'ITC à cause d'un programme où un commandant du PKK se livrait à l'incitation à la violence" a déclaré un responsable britannique. Il a ajouté qu'"à la fin du mois de janvier, l'ITC a condamné MED TV à une peine d'amende car cette chaîne déroge à son devoir d'impartialité". Selon l'agence de presse turque Anatolie, Med TV a été sommée de payer £ 90 000 à la Commission à la suite des plaintes du ministère turc des affaires étrangères. Les autorités turques exercent une forte pression pour faire cesser les émissions de MED TV, unique chaîne de télévision en kurde très regardée au Kurdistan.

RÉPRESSION SANGLANTE LORS DE LA JOURNÉE INTERNATIONALE DES FEMMES EN TURQUIE


Matraques et bombes lacrymogènes étaient présentes à la journée internationale des femmes en Turquie. Le 8 mars 1998, près de 2000 personnes, selon la police, ont marché sur une des avenues principales de la partie européenne de la ville, vers la place Taksim. Interdite d'accès et sommée de se disperser, la foule rejointe par d'autres manifestants et forte de 3000 personnes a affronté la police. Les forces de l'ordre ont matraqué et jeté des bombes lacrymogènes sur les manifestants qui ont lancé des pierres en réponse. Les autorités turques ont accusé le Parti de la démocratie du Peuple (HADEP-pro-kurde), d'être la cause des incidents car parmi les protestants, il y avait des femmes habillées aux couleurs nationales kurdes; rouge, vert et jaune. Pourtant on ne pouvait lire sur les bannières en turc et en kurde que; "Vive le 8 mars" ou encore "Halte à la torture dans les prisons".

La police a procédé à au moins cinquante interpellations, dont celles de deux reporters du quotidien pro-kurde Ülkede Gündem, Faruk Aktas et Bülent Acar. Par ailleurs, plusieurs manifestants ont été blessés au cours de l'incident.

Selon la police, une autre manifestation organisée à l'appel d'associations et syndicats rassemblant plus d'un millier de femmes dans le quartier de Sisli a pris fin dans le calme.

A Diyarbakir, chef-lieu du Kurdistan, une marche de femmes a été interdite par la police. Les manifestantes se sont pacifiquement dispersées à la demande des forces de l'ordre, selon l'agence de presse Anatolie.

LA TURQUIE ET LA FRANCE SIGNENT UN ACCORD DE 441 MILLIONS DE DOLLARS POUR DES MISSILES ANTICHARS


Un accord préliminaire d'une valeur de $441 millions a été signé 12 mars 1998 par le ministère turc de la Défense et la société française Aérospatiale pour la production conjointe de missiles antichars Eryx, d'une portée de 600 mètres, très efficace contre toutes sortes de blindage.

Après l'accord intervenu l'an dernier entre Ankara et le consortium franco-allemand Eurocopter pour la production de 30 hélicoptères Cougar AS-532, c'est le second accord commercial franco-turc dans le domaine de la défense en terme de valeur. Un contrat de $50 millions avait également été signé entre les deux pays en septembre dernier pour la vente à la marine turque de cinq dragueurs de mines de la classe Circé de la marine française. Par ailleurs un contrat de $52 millions a été d'être signé le 20 mars avec la firme italienne Agusta pour la vente de cinq hélicoptères AB-412. Selon les autorités, ces appareils seront utilisés dans le cadre de la lutte contre le crime organisé, la contrebande et l'émigration illégale vers les pays européens.