L'écologie, espace de contestation politique au Rojhelat | KEDISTAN

mis à jour le Jeudi 19 septembre 2019 à 15h26

kedistan.net | 27/08/2019

La population kurde du Rojhelat, partie du Kurdistan occupée par l’Iran, compte environ 7 millions de personnes, qui y survivent tant bien que mal.

Si la langue et la culture kurde n’y sont pas interdites comme en Turquie, le régime iranien réprime férocement toute opposition politique et toute velléité d’autonomie, et nie tout existence politique au peuple kurde. Il a bridé le développement économique de la région, n’y installant aucune industrie et orientant la production de ressources uniquement dans l’intérêt du centre. Le chômage y est endémique, sans opportunité d’emploi. Le Rojhelat peut être considéré comme une marge, au sens où l’entend Brigitte Prost : « La marge serait l’écart (de surface, de temps, d’intensité fonctionnelle) entre un “plus”, c’est-à-dire un territoire organisé, fonctionnant suivant des règles mises en place progressivement, et un “moins” qui, pour un espace, une époque, une forme d’activité donnés, ne répond plus aux normes du système, du territoire auquel il se rattache, que cette non-réponse soit brutale (rupture) ou progressive (modification, transition). »

La gestion coloniale de la marge kurde par l’état central iranien a un impact direct sur l’environnement. Ainsi, l’écologie devient un des rares espaces de contestation possible. L’Etat ne s’y trompe pas, et les activistes écologistes payent un lourd tribu à leur lutte. Deux d’entre eux, Goran Ghorbani et Fateh Hoshmand sont par exemple détenus depuis plusieurs mois sans procès par les forces de sécurité du régime. Début 2019, dix militant.e.s écologistes ont été arrêté.e.s sous un prétexte fallacieux suite à leurs actions pour l’environnement. Elles et ils seront relâchés après plusieurs mois de détention.

Entretien avec un des membres de l’association écologiste dont on ne dévoilera évidemment pas l’identité. Pour des raisons de sécurité, l’entretien se déroule chez une tierce personne. Impossible de mettre les pieds dans les locaux de l’association sans déclencher une réaction des autorités. S’intéresser à l’écologie – tout comme aux associations de femme, au politique ou à toute activité susceptible d’une remise en cause du régime – expose à de lourdes sanctions, y compris pour les étrangers.

  • En quoi consiste votre travail ?

En Iran, on ne permet pas que les associations aient un point de vue politique. En général, il y a trois aspects pour la protection de l’environnement, sur lesquels on a travaillé :

L’aspect individuel : chacun est responsable pour protéger la nature.

L’aspect social-politique : on est forcément devant une force politique et cette politique est la cause principale de tous ce qui se produit sur l’environnement. On doit donc la rencontrer. Parfois sur certains projets cette rencontre est arrivée jusqu’au parlement iranien.

L’aspect industriel : sur cet aspect on est arrivé à prévenir l’installation de certaines industries destructives dans la région. Par exemple le gouvernement avait l’intention de fabriquer une petite raffinerie de pétrole mais on ne l’a pas permis parce que ce n’était pas loin du lac Zribaret ça aurait causé sans doute des dégâts. Bien sûr ça n’a pas été un travail facile, le procès a duré presque deux ans, et pour ça on était en contact avec le noyau principal du régime.

  • Pourquoi menez-vous des activités environnementales ?

Le problème de l’environnement est un problème autant mondial que régional. L’environnement au Kurdistan a sans doute ses propres caractéristiques. Ce qui nous a poussé vers ces activités c’était que le gouvernement ne faisait pas attention à la nature de cette région. Par exemple : on disait que chaque année près de 5000 oiseaux de 56 espèces différences peuplaient le lac Zribar. On a constitué un groupe d’ornithologistes pour faire des recherches dans ce domaine, on a finalement enregistré le nom de 257 espèces et compté plus de 80000 oiseaux qui viennent chaque année à ce lac. Cette recherche a fait que maintenant dans la convention internationale des eaux, Zribar est enregistré comme une lagune internationale. C’était l’une de nos inquiétudes primordiales.

Lac Zribar à Mariwan, Kurdistan e Rojhelat, Iran, juillet 2019. 

Un autre problème c’est le feu. Parfois les terres et les arbres brûlent. Au début nous luttions nous-même contre le feu. Après on a enseigné aux autres, aux villageois, comment éteindre les incendies dans leurs régions. Maintenant dans beaucoup de villages il y a des groupes de gens pour éteindre le feu.

Région de Hewraman, Kurdistan e Rojhelat, été 2019. Incendie dans la montagne.

Un autre problème encore : il y a beaucoup de chasse. Dans une petite ville comme Mariwan il y a plus de 17000 armes de chasse enregistrées et on dit qu’il y en aurait plus de 35000 autres sans autorisation. Ce nombre est assez élevé. Cela a causé des problèmes pour les humains mais aussi pour les animaux. Ce sujet est très important dans la région de Kurdistan parce que selon le directeur de l’environnement de cette province la variété des espèces y est égale à celle de toutes les espèces du continent africain. Mais certaines sont en cours d’extinction. Il y a des espèces qui sont originalement du Kurdistan comme la salamandre kurde. L’habitat de certaines espèces est en danger, il faut qu’on les préserve.

Un dernier problème c’est l’industrie. Selon les statistiques du gouvernement le Kurdistan comprend 12% de la population de l’Iran. Pourtant il a moins de 2% du développement économique. Dans certaines régions du Kurdistan qui sont plus loin du centre du pays c’est même 0.02% du développement industriel. Le gouvernement fait entrer des industries très polluantes dans la région, comme par exemple les industries du ciment à Darbandzli et Ouraman, ou comme le projet de raffinerie près de Zribar. Au lieu de faire entrer des industries qui sont en accord avec la situation géographique et l’environnement de la région. On a résisté contre ça et parfois on a eu des réussites dans ce domaine.

Toutes ces inquiétudes nous ont poussées à agir dans le domaine de l’environnement. Dans les aspects plus individuels aussi. Par exemple, les gens ne faisaient pas attention à l’environnement et ils jetaient les poubelles n’importe où. Il y a eu une transition trop rapide du monde traditionnel vers le monde moderne. Dans le monde traditionnel les gens mangeaient par exemple des noix et ils jetaient les parties inutiles dans la nature et ça ne causait pas de problème parce que c’était naturel. Mais dans le monde moderne on mange un biscuit et on jette son plastique dans la nature, le plastique n’est pas naturel et ça causera des problèmes pour la nature. Il faut donc qu’on informe les gens dans ce domaine. On a commencé ça et heureusement on voit qu’on fait beaucoup de progrès. Je dis ça grâce aux statistiques, par exemple dans la plaine Bélu qui est l’un des lieux de pique-nique connu autour de Marivan, chaque année on ramassait plus de 20 tonnes de poubelles, mais pendant ces dernières années même avec quelques autres lieux de pique-nique on ramasse au total seulement 2 tonnes de poubelles annuellement. Donc ces activités ont eu aussi des effets culturels positifs dans le domaine individuel. En tant qu’être humain on doit être responsable envers notre environnement.

  • Comment le gouvernement considère-t-il vos activités ?

Le point de vue général du gouvernement iranien envers l’environnement ressemble beaucoup à son point de vue envers les femmes. S’il fait quelque chose dans ces domaines c’est seulement pour garder la forme. Par exemple dans la politique iranienne les femmes n’ont presque aucun rôle. Mais une femme est la directrice du secteur de l’environnement. Parce que l’environnement n’est pas important pour le gouvernement il en donne la responsabilité à une femme pour garder son prestige et faire un geste devant le monde entier. Pour dire que les femmes iraniennes sont dans la politique tout comme les hommes. Cette femme n’est pas très douée pour cette responsabilité mais pour le gouvernement ce n’est pas important car c’est seulement la forme qui importe. Donc la situation de l’environnement en Iran n’est pas bonne.

Kurdistan e rojhelat (Iran), été 2019. Les régions kurdes sont parmi les plus riches en eau d’Iran. Mais le gouvernement construit des barrages pour renvoyer l’eau vers les régions désertiques. De fait, la lutte écologiue au Kurdistan est un sujet sensible, de nombreux activistes écologistes sont condamnés à de lourdes peines de prison, voire à la peine de mort.

Le gouvernement n’est pas du tout gentil avec nous. On est emprisonné. A l’heure actuelle certains de mes amis sont en prison. Il met toujours des obstacles à nos activités. Pour lui l’environnement n’est sans doute pas une priorité quand il planifie un projet. Ceux concernant la fabrication des barrages sont seulement politiques et pas environnementaux. Les plans qui sont fait à propos de l’utilisation de l’eau et les forêts sont plutôt politiques et ne servent pas la population. Tout comme ce que fait le gouvernement turc à propos des eaux du Tigre et de l’Euphrate, le gouvernement iranien le fait pour les eaux du Sirwan et toutes les autres sources d’eaux qui traversent d’autres pays. Ils profitent de ces eaux et ne les laissent pas entrer dans d’autres pays voisins. Je donne une autre statistique : la province du Kurdistan est la 6e ou 7e province en terme de terres agricoles. Il est la deuxième pour les ressources en eau. Je pense que Khûzistân est la 4e ou 5e province les terres agricoles et la première pour les sources d’eau. Ainsi Khûzistân est le premier producteur agricole en Iran. Vu toutes ces statistiques le Kurdistan devrait être 3e ou 4e pour la production agricole en Iran, mais il est 19e. Donc l’agriculture de Kurdistan n’est pas du tout bien organisée. Les eaux du Kurdistan vont vers les provinces voisines. Le Kurdistan est défavorisé par rapport au Khûzistân. Par exemple au Khûzistân environ 17000 ouvriers travaillent dans l’industrie de canne à sucre mais au Kurdistan il n’y a même pas une industrie ou une usine ayant 1000 ouvriers. Cela a provoqué l’émigration des Kurdes vers les autres régions du pays pour travailler comme ouvrier ou même comme ingénieurs dans l’industrie. Parce que dans leur province ils ne peuvent pas trouver d’emploi.

Kurdistan e rojhelat (Iran), été 2019. Village de la région de Baneh.

Kurdistan e rojhelat (Iran), été 2019. Village de la région de Hewraman.

Sine / Sanandaj, Kurdistan e rojhelat (Iran), été 2019. Les petites exploitations agricoles de ce type vendent des légumes frais aux particuliers. Mais elles ne reçoivent aucune aide l’état car elles ne correspondent pas à ses besoins.

On n’est pas du tout à l’aise avec le gouvernement pour agir. Dans l’ensemble le gouvernement ne croit pas aux activités visant la protection de l’environnement et il s’y oppose. Par exemple on est allé dans la nature pour planter des arbres, tout autour de nous il y avait les forces de police comme si on commettait un crime. Ou parfois on prend une autorisation mais finalement ils ne nous permettent pas de faire notre activité. Ils ne veulent pas que ces activités se répandent parmi le peuple mais on continue, et les gens sont prêts à entrer dans ces champs d’activités. Récemment on a invité le public à participer à un festival sous le nom de ‘’une journée pour Zribar’’ . Dans ce festival qui a duré pendant deux jours plus de 10 mille personnes ont été présentes. Ou par exemple plus de 30-40 milles personnes ont participé aux funérailles de deux de nos membres qui ont trouvé la mort pendant qu’ils éteignaient l’incendie dans une forêt autour de Mariwan.

On a demandé aux villageois de nettoyer totalement leur village le dernier mercredi de chaque année. Cette année 204 villages ont fait ça simultanément. Le gouvernement n’aime pas ça parce que ce sont des activités organisées et il a peur que ces activités et cette organisation n’entrent dans d’autres domaines et que cela se retourne contre lui.

  • Le gouvernement iranien gère-t-il la production agricole et impose-t-il certaines cultures ?

Pour répondre à cette question je dois d’abord parler un peu de l’histoire de l’agriculture en Iran. Quand le régime a pris le pouvoir en Iran, il a mis en place une division agricole pour les différentes régions. Par exemple les agrumes pour le nord de l’Iran, du blé et du grain pour le centre et le Kurdistan. Ca existait dans le pays mais maintenant les agriculteurs sont plus libres pour cultiver ce qu’ils veulent. Mais le gouvernement accorde certaines aides à ceux qui cultivent ce qu’il leur demande pour les encourager. Mais ces aides ne sont pas basées sur des recherches et elles ne sont pas écologiques, elles sont basées seulement sur les demandes. Par exemple Khamenei dit qu’on veut être autosuffisant pour le blé. Donc une grande quantité des eaux souterraines sont extraites dans ce but, seulement pour dire qu’on est autosuffisant dans la fabrication du blé. Ce n’est pas écologique. En Iran il y 600 plaines dont 270 sont complètement sèches et incultivables. C’est le résultat de l’utilisation abusive des eaux souterraines. La plaine de Téhéran a 30 centimètres de subsidence chaque année. La sécheresse de la terre est arrivée jusqu’à Hamadān et j’ai entendu dire qu’elle est arrivée jusqu’à la plaine Lailakh au Kurdistan. Tout ça montre que le niveau des sources d’eaux a beaucoup baissé. Dans tous les pays du monde les réserves aquifères doivent être utilisés à 20% au maximum, c’est-à-dire dans les situations les plus tendues. Deux pays ont utilisé davantage ces sources. L’un est Egypte qui a utilisé 46% de ses sources d’eaux souterraines, c’était après les dernières guerres et tensions dans ce pays. L’autre pays c’est l’Iran qui a utilisé près de 80% de ses sources d’eaux. C’est une grande crise pour l’Iran et ça devient de pire en pire. L’agriculture en Iran est en crise et les plaines vont devenir des déserts : certaines plaines du Khorasan, du Khuzestân, de Hamadān, Téhéran, Yazd, Kerman, Ispahan. La question de l’eau sera un problème crucial pour l’avenir de l’Iran.

Baneh, Kurdistan e rojhelat (Iran), été 2019. Des habitants préfèrent venir remplir leurs jerrycans à cette source d’eau, de meilleure qualité que l’eau publique.

Il faut faire des recherches sur l’écologie de chaque région du pays pour savoir quel produit y cultiver et pour avoir plus de récolte. Mais en Iran ces recherches ne se font pas assez. Elles doivent être faites minutieusement parce que la terre de chaque région a ses propres caractéristiques, par exemple la terre de Hewraman peut être différente de celle de Mariwan. Ce n’est pas raisonnable de dire qu’il faut cultiver du blé ou du colza dans tout le pays parce qu’on a besoin de l’huile et qu’on veut être autosuffisant. Même s’il y a eu des recherches elles étaient plutôt centralistes, par exemple ils font des recherches sur le Zagros du sud et ils appliquent le résultat sur les autres parties de Zagros comme le Zagros du centre et du nord qui sont totalement différentes et qui ont leurs propres caractéristiques. Donc pour certaines régions ça peut être très convenable mais pour d’autres c’est assez catastrophique. Comme le projet de Touba dans lequel le gouvernement a interdit l’élevage parce que à Ispahan on élevait beaucoup de chèvres qui ont ruiné les arbres. Le gouvernement a interdit l’élevage des chèvres dans toutes les parties de Zagros ce qui a été catastrophique au Kurdistan.

Loez
Rojhelat – Juillet 2019

Kurdistan e rojhelat (Iran), été 2019. Village de la région de Baneh.