Shirin Ebadi : « L’arrestation d’un responsable iranien en Suède doit permettre de faire la lumière sur les crimes contre l’humanité commis par le régime »

mis à jour le Jeudi 19 decembre 2019 à 13h04

lemonde.fr | Shirin Ebadi | le 17/12/2019

Shirin Ebadi : Avocate et militante des droits humains iranienne, Prix Nobel de la paix 2003

Prix Nobel de la paix en 2003, l’avocate et militante iranienne appelle, dans une tribune au « Monde », tous les responsables et toutes les instances concernés par la défense des droits humains à intéresser l’opinion publique au cas d’un responsable d’exécutions massives détenu à Stockholm.

Tribune. Pour la première fois depuis l’instauration de la République islamique d’Iran (1979), l’un des responsables iraniens impliqués dans des crimes contre l’humanité est détenu dans l’attente d’une éventuelle mise en accusation, qui pourrait intervenir d’ici au 8 janvier 2020.

Arrêté le 9 novembre à Stockholm par les autorités suédoises, actuellement en détention provisoire, Hamid Noury, 58 ans, avait un poste à responsabilité dans la prison de Gohardasht (l’actuelle prison de Rajai Shahr, au nord de Téhéran) lorsque, sur ordre de l’ayatollah Khomeiny, plusieurs milliers de prisonniers politiques furent exécutés, de manière sommaire et expéditive, pendant « l’été noir » de 1988.

Selon les preuves réunies par des militantes iraniennes des droits humains, Hamid Noury officiait alors comme procureur à la prison de Gohardasht et aurait joué un rôle actif dans ces exécutions. De nombreux anciens prisonniers et des familles de victimes ont porté plainte contre lui.

Ces exécutions sont considérées par plusieurs organisations et instances internationales de défense des droits humains comme des crimes contre l’humanité

En 1988, presque 4 000 détenus politiques, préalablement condamnés à des peines d’emprisonnement, ont été exécutés, entre juillet et septembre, par une commission connue sous le nom de la « commission de mort » en vertu d’une fatwa (édit religieux), émise par l’ayatollah Khomeiny. Cette commission à Téhéran a été dirigée notamment par Ebrahim Raïssi, actuel chef du système judiciaire iranien et Mostafa Pourmohammadi, ancien ministre de l’intérieur et des renseignements. A Téhéran, comme dans tout le pays, où des commissions similaires ont siégé, des fonctionnaires ont multiplié les condamnations à mort, lors d’interrogatoires ne durant parfois que quelques minutes.

L’ayatollah Hossein Ali Montazeri, ancien dauphin de Khomeiny, avait été écarté du pouvoir en mars 1989 pour avoir publiquement fait part de sa désapprobation sur ces exécutions, qu’il qualifiait de « crime le plus horrible commis sous la République islamique ». Il avait également interpellé les membres de la commission : « C’est vous, messieurs, qui avez commis ce crime et vos noms resteront dans l’histoire en tant que criminels. »

Ces exécutions sont considérées par plusieurs organisations et instances internationales de défense des droits humains comme des crimes contre l’humanité. L’arrestation d’Hamid Noury constitue donc un pas important pour la justice internationale et les familles en Iran qui attendent que justice soit rendue contre les responsables de ces exécutions extrajudiciaires.

Immense espoir

Cette arrestation n’aurait pas été possible sans la persévérance d’anciens prisonniers politiques et de leurs avocats. Parmi eux : Iraj Mesdaghi, auteur de plusieurs livres sur les exécutions de prisonniers politiques en Iran et membre du Comité pour l’observation et l’utilisation des données sur la justice iranienne, ainsi que Kaveh Moussavi, juge et arbitre à la Cour pénale internationale.

Alors qu’en Iran, malgré leurs revendications, les familles des victimes n’ont jamais été entendues, alors qu’on leur refuse même de savoir où sont enterrés leurs enfants, le fait qu’un des responsables de ces crimes puisse comparaître devant un tribunal est porteur d’un immense espoir. Pour les familles, d’abord, car elles sauront qu’elles peuvent compter sur la justice internationale. Pour les Iraniens, ensuite, qui verront enfin se lever la censure sur ces crimes massifs. Et, bien sûr, pour les droits humains et leur avancée dans notre monde.

Pour toutes ces raisons, je me dois d’attirer l’attention de toutes les instances qui défendent les droits humains, de tous les acteurs politiques sensibles à l’universalité de ces droits : nous demandons que lumière soit faite sur les crimes contre l’humanité perpétrés par Hamid Noury et ses complices. Intéressez-vous à cet événement sans précédent, intéressez-y l’opinion publique ! Ne le laissez pas sombrer dans le silence et l’indifférence !